Tribunal judiciaire de Paris, 13 juin 2024
Tribunal judiciaire de Paris, 13 juin 2024

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Contrefaçon de marque : l’exception de nullité de l’assignation

Résumé

Dans le cadre d’une assignation pour contrefaçon de marque, la société Mildef Group AB a mis en demeure Mildef International Technologies SDN.BHD et la SASU Coges d’interrompre l’usage du signe « Mildef ». La SASU Coges a contesté la validité de l’assignation, arguant d’un manque de grief personnel. Selon l’article 56 du code de procédure civile, l’assignation doit exposer les moyens en fait et en droit, sous peine de nullité. Le tribunal a écarté l’exception de nullité, considérant que la SASU Coges n’a pas démontré de préjudice personnel, et a rejeté les demandes de Mildef Group.

Pour obtenir la nullité d’une assignation le demandeur doit développer un grief que lui causerait personnellement les manquements qu’il allègue dans l’assignation qui lui a été délivrée.

En vertu de l’article 56 du code de procédure civile, l’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54, un exposé des moyens en fait et en droit.

L’article 73 du même code prévoit que constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours.

Selon les articles 114 et 115 du même code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.

La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.

Résumé de l’affaire

La société suédoise Mildef Group AB, spécialisée dans les systèmes d’information et de télécommunications pour les armées, détient la marque semi-figurative de l’Union européenne “Mildef”. Elle a mis en demeure la société malaisienne Mildef International Technologies SDN.BHD (Mildef IT) et la SASU Coges, organisatrice d’événements internationaux de défense, d’arrêter tout usage du signe “Mildef” lors du salon Eurosatory. Mildef Group a assigné Mildef IT et la SASU Coges en référé pour obtenir une interdiction d’usage du signe litigieux. Mildef Group demande également des astreintes et des dommages et intérêts. Mildef IT conteste l’atteinte à la marque et l’usage du signe litigieux, tandis que la SASU Coges demande la nullité de l’assignation et conteste sa responsabilité.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 juin 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
24/54160
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/54160 – N° Portalis 352J-W-B7I-C47IH

N° : 1/MM

Assignation du :
31 Mai 2024

[1]

[1] 3Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 13 juin 2024

par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint
au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Marion COBOS, Greffier.
DEMANDERESSE

Société MILDEF GROUP AB
[Adresse 6]
[Localité 2] – SUEDE

représentée par Me Christelle VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS – #C1200, Me Albane LAFANECHERE, avocat au barreau de LYON

DEFENDERESSES

Société MILDEF INTERNATIONAL TECHNOLOGIES SDN.BHD.
[Adresse 1],
[Adresse 1]
[Localité 7] – MALAISIE

représentée par Me Chama BENSEGHIR, avocat au barreau de PARIS – #G0019

S.A.S. COGES
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Sophie TRINCEA, avocat au barreau de LYON – 1059, Me Doriane LALANDE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS – #157

DÉBATS

A l’audience du 11 Juin 2024, tenue publiquement, présidée par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint, assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société de droit suédois Mildef Group AB se présente comme spécialisée depuis 25 ans dans la conception, la fabrication et la commercialisation de systèmes d’information et de télécommunications à destination des armées de divers pays.
Elle est titulaire de la marque semi-figurative de l’Union européenne “Mildef” n° 018896992 déposée le 4 juillet 2023 pour divers produits et services en classes 9, 12, 37, 40 et 42 :

La société de droit malaysien Mildef International Technologies SDN.BHD (ci-après Mildef IT) se présente comme spécialisée dans le secteur de la défense, en particulier la conception, la fabrication, l’entretien, la réparation et la maintenance de véhicules blindés.

La société par actions simplifiée à associé unique Coges (ci-après la SASU Coges) se présente comme spécialisée dans l’organisation d’événements internationaux de défense et de sécurité.
Estimant que l’usage du signe “Mildef” par la société Mildef IT à l’occasion de sa participation au salon de matériel militaire Eurosatory du 17 au 21 juin 2024 porte atteinte à ses droits sur sa marque semi-figurative “Mildef” n° 018896992, la société Mildef Group l’a mise en demeure, ainsi que la société Coges en sa qualité d’intermédiaire, de cesser tout usage de ce signe.
Après y avoir été autorisée le 28 mai 2024, la société Mildef Group, par acte de commissaire de justice du 31 mai 2024 a fait assigner la société Mildef It et la SASU Coges à heure indiquée à l’audience du 11 juin 2024 du juge des référés de ce tribunal en interdiction d’usage du signe litigieux.
À l’audience du 11 juin 2024, la SASU Coges a demandé le renvoi de l’audience, exposant n’avoir pris connaissance que tardivement des dernières écritures de la société Mildef Group, notifiées la veille à 21 heures.

La demande de renvoi a été rejetée, la SASU Coges ayant présenté sa défense et les dernières conclusions de la société Mildef Group ne formulant aucune demande nouvelle, ni aucun moyen nouveau au soutien de ses demandes.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Se référant expressément à ses conclusions écrites déposées à l’audience, la société Mildef Group AB demande au juge des référés de :- rejeter la demande de nullité de l’assignation formulée par la SASU Coges
– interdire à la société Mildef IT, dans le cadre du salon Eurosatory qui se tiendra du 17 au 21 juin 2024 à [Localité 8], de faire usage du signe “Mildef” à quelque titre que ce soit en lien avec son activité, notamment sur le stand qu’elle occupera au salon Eurosatory et sur tous supports
d’information ou promotionnels, ce sous astreinte de 1000 euros pour chaque jour où une infraction est constatée, et de 1000 euros pour chaque infraction constatée, l’astreinte courant à compter de la présentation de la minute de l’ordonnance valant notification
– interdire à la SASU Coges, dans le cadre du salon Eurosatory qui se tiendra du 17 au 21 juin 2024 à [Localité 8], de référencer la société Mildef IT dans la liste et l’annuaire des exposants au salon Eurosatory et de faire mention de cette société sur tout support d’information ou promotionnel que ce soit, en particulier sur le site Internet du salon à l’adresse www.eurosatory.com, sous la dénomination Mildef International Technologies ou sous tout autre dénomination incluant le signe “Mildef”, sous astreinte de 5000 euros par jour où l’infraction est constatée, l’astreinte courant à compter de la présentation de la minute de l’ordonnance valant notification
– se réserver la liquidation de l’astreinte
– ordonner l’exécution provisoire au seul vu de la minute
– débouter les sociétés Mildef IT et Coges de toute demande ou prétention
– condamner les sociétés Mildef IT et Coges solidairement à lui payer 8000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, la société Mildef Group AB fait principalement valoir que :- l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la SASU Coges est irrecevable faute de comporter l’allégation d’un grief que lui causerait le manquement allégué de défaut de motivation en droit
– contrairement à ce que soutient la SASU Coges l’assignation contient une référence à plusieurs références normatives, dont un règlement de l’Union européenne et plusieurs disposition du code de la propriété intellectuelle, outre que ces dernières conclusions développent les dispositions normatives sur lesquelles elle fonde ses demandes
– le signe litigieux “Mildef” est utilisé par la société Mildef IT dans la vie des affaires, en particulier sur plusieurs produits qu’elle offre à la vente, qu’il est quasiment identique à sa marque des points de vue phonétique, visuel et conceptuel et qu’il est utilisé pour vendre des produits et services similaires à ceux pour lesquels sa marque est enregistrée, ce dont elle déduit un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent

– l’ensemble constitue une atteinte imminente à ses droits sur sa marque justifiant les mesures d’interdiction qu’elle réclame, lesquelles sont proportionnées et équitables n’ayant vocation à s’appliquer qu’en France, y compris à l’égard de la SASU Coges en sa qualité d’intermédiaire
– l’exécution sollicitée au seul vu de la minute est nécessaire compte tenu des délais extrêmement courts et de la situation du siège de la société Mildef IT en Malaisie
– la demande reconventionnelle en procédure abusive est mal fondée dans la mesure où elle n’a fait qu’user des moyens de droit mis à sa disposition pour prévenir une atteinte à sa marque.

Se référant expressément à ses conclusions écrites déposées à l’audience, la société Mildef IT demande au juge des référés de :- débouter la société Mildef Group AB de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– condamner la société Mildef Group AB à lui payer 3000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Mildef IT oppose que :- elle a développé depuis 2005 son activité dans le secteur de la défense, participant à de nombreux salons spécialisés dans le domaine militaire, en particulier en Asie et qu’elle a collaboré avec succès avec de nombreuses entreprises françaises spécialisées dans le matériel militaire
– de nombreuses sociétés comportant des dénominations sociales similaires exposent concomitamment dans le salon en cause, sans que ces similitudes soient une entrave à leur participation au salon en cause
– en l’absence de contrat d’affaires avéré, il n’existe pas d’usage du signe litigieux dans la vie des affaires
– les produits qu’elle commercialise, des véhicules blindés militaires, sont distincts de ceux visés à l’enregistrement de la marque invoquée et son logo est distinct de celui de cette marque en sorte que le risque de confusion allégué est inexistant
– les mesures réclamées sont disproportionnées compte tenu que le matériel destiné à être exposé est déjà sur place.

Se référant expressément à ses conclusions écrites déposées à l’audience, la SASU Coges demande au juge des référés de :- à titre principal, prononcer la nullité de l’assignation qui lui a été délivrée le 31 mai 2024
– à titre subsidiaire, rejeter l’ensemble des conclusions, fins et moyens de la société Mildef Group en tant qu’elles sont dirigées contre elle
– à titre infiniment subsidiaire, réduire le montant de l’astreinte qui serait éventuellement prononcée à son encontre à la somme d’un euro par jour où une infraction serait constatée
– à titre reconventionnel, condamner la société Mildef Group AB à lui payer 5000 euros pour procédure abusive
– en tout état de cause, condamner la société Mildef Group AB à lui payer 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La SASU Coges objecte que :- l’assignation délivrée à l’initiative de la demanderesse est invalide en ce qu’elle ne vise aucun fondement juridique au soutien des demandes, ni ne précise aucun grief à son encontre
– au fond, aucun fondement n’est invoqué au soutien des mesures réclamées à son encontre et aucun grief ne lui est adressé s’agissant des prestations qu’elle a effectuées pour la société Mildef IT
– elle conteste que sa responsabilité puisse être engagée du fait de l’usage du signe litigieux qu’elle a opérée sous la seule responsabilité de la société Mildef IT, le contrôle de la véracité des droits que cette société détient sur ce signe ne lui appartenant pas
– en sa qualité de tierce au litige sur l’usage du signe litigieux, elle n’a pas vocation à s’y immiscer ou à se substituer à la juridiction compétente
– contrairement à ce que prétend la demanderesse, celle-ci a déjà eu connaissance début 2024 de l’existence de la société Mildef IT, en sorte que la société Mildef Group a déjà exclu tout risque de confusion avec sa co-défenderesse
– plus subsidiairement, elle tient le montant de l’astreinte réclamée en demande pour totalement disproportionné au regard de son absence de responsabilité et de la demande inférieure visant sa co-défenderesse
– le maintien des demandes à son encontre malgré le courrier en réponse qui a été adressé à la demanderesse le 4 juin démontre que cette dernière entend faire indûment pression sur elle afin qu’elle mette fin au contrat la liant à sa cocontractante, caractérisant, selon elle, une instrumentalisation de la justice et l’aspect abusif de l’action de la société Mildef Group.

MOTIVATION

I – Sur l’exception de nullité de l’assignation

En vertu de l’article 56 du code de procédure civile, l’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54, un exposé des moyens en fait et en droit.

L’article 73 du même code prévoit que constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours.

Selon les articles 114 et 115 du même code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.

La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.

Au cas présent, force est de constater que la société Coges ne développe aucun grief que lui causerait personnellement les manquements qu’elle allègue dans l’assignation qui lui a été délivrée le 31 mai 2024.

À supposer même que ce grief soit constitué par l’impossibilité de se défendre dans laquelle elle se serait trouvée, les moyens et arguments qu’elle a développés en défense établissent le contraire.

L’exception de nullité de l’assignation sera, en conséquence, écartée.

II – Sur la demande principale en contrefaçon vraisemblable

Le droit conféré par les marques nationales et de l’Union européenne est prévu dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant ainsi rédigé :1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;
c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice.

Selon l’article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. (…) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente.
Aux termes de l’article L.716-4-7 alinéa 1 du même code, la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.
Le caractère vraisemblable de l’atteinte alléguée dépend, d’une part, de l’apparente validité du titre sur lequel se fonde l’action et, d’autre part, de la vraisemblance de la contrefaçon alléguée.
Un signe est identique à la marque lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen (CJUE, 20 mars 2003, aff. C-291/100).
Les termes “usage” et “dans la vie des affaires” ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils visent uniquement les relations immédiates entre un commerçant et un consommateur et, en particulier, qu’il y a usage d’un signe identique à la marque lorsque l’opérateur économique concerné utilise ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale (voir CJUE 16 juillet 2015, TOP Logistics e.a., C-379/14, points 40 et 41).
La bonne foi est indifférente en matière de contrefaçon de marque (en ce sens Cass. com., 21 février 2012, n° 11-11.752).
Au cas présent, la validité apparente de la marque semi-figurative de l’Union européenne “Mildef” n° 018896992 n’est pas contestée en défense. De même, aucun des défendeurs, notamment la société Mildef IT, ne fait état d’une exception à l’opposabilité de cette marque.
Il résulte des pièces versées par la société Mildef Group que :- la société Mildef IT est enregistrée sous cette dénomination depuis le 9 juillet 2019 (sa pièce n° 2)
– le site internet du salon Eurosatory est édité par la société Coges et porte mention au titre des exposants des sociétés Mildef Group et Mildef IT (sa pièce n° 9)
– elle a réservé le nom de domaine pour assurer la promotion des produits et services qu’elle commercialise, ceux-ci consistant dans la fabrication, la maintenance, la logistique de véhicules blindés, incluant des prestations d’installation de matériel informatique et de communication (ses pièces n° 11 à 13)
– elle appose les signes “Mildef” et “Mildef International Technologies” stylisés sur les véhicules blindés qu’elle commercialise (ses pièces n° 12 et 13) :

L’usage par la société Mildef IT et par la SASU Coges du signe “Mildef” dans la vie des affaires, au sens des dispositions précitées, est, de ce fait, établi.
Le signe “Mildef” litigieux est identique à la marque “Mildef” n° 018896992, compte tenu qu’il est composé du même terme n’ayant aucun sens précis en langue française, la différence de stylisation de ce terme dans le signe litigieux au regard de l’aspect figuratif de la marque invoqué étant insignifiant aux yeux du consommateur moyen, fût-il particulièrement attentif s’agissant d’un acheteur d’armement militaire.
Ce signe est utilisé par la société Mildef IT pour commercialiser des véhicules blindés militaires. La SASU Coges a utilisé le signe litigieux sur le site internet dont elle est l’éditeur pour mentionner la société Mildef IT dans le même but.
La marque n° 018896992 invoquée est enregistrée pour les produits et services :- en classe 9 : appareils et instruments pour la conduite, la commutation, la transformation, l’accumulation, la régulation ou le contrôle, la distribution ou l’utilisation d’électricité, appareils d’alimentation électrique, dispositifs de contrôle de l’alimentation, transformateurs électriques, appareils d’alimentation électrique (ups) et de commutation; appareils et instruments pour la commande et la surveillance de l’électricité et produits électroniques; contrôleurs et régulateurs; appareils électriques de commande pour la robotique; dispositifs de navigation, de guidage, de suivi et de ciblage; instruments de navigation électriques; systèmes et appareils de navigation électroniques; appareils de contrôle de vols; appareils et instruments pour la commande et la surveillance des produits suivants : véhicules terrestres, avions, véhicules aquatiques et véhicules sans pilote; dispositifs de contrôle pour appareils de navigation pour véhicules; appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction ou le traitement de sons, d’images ou de données; ordinateurs et appareils de traitement des données; ordinateurs portables, ordinateurs blocs-notes, ordinateurs portables, systèmes de localisation mondiaux, ordinateurs embarqués et tablettes électroniques; claviers et périphériques d’ordinateurs; périphériques adaptés pour être utilisés avec des ordinateurs et d’autres dispositifs intelligents; manettes de jeux informatiques; leviers de commande à utiliser avec un ordinateur autres que pour jeux vidéo; supports, cadres et équerres pour équipements de communication de données et équipements de télécommunications; terminaux pour le traitement de données et les communications mobiles, moniteurs et affichages; fibres optiques, convertisseurs de médias; matériel informatique et logiciels; logiciels de commande et surveillance de l’électricité et produits électroniques; logiciels pour les équipements de commande et régulateurs ainsi que pour la commande et la surveillance de véhicules terrestres, aéronefs, véhicules aquatiques et véhicules sans pilote; programmes informatiques destinés à la navigation de véhicules; programmes informatiques destinés à la navigation autonome de véhicules; interfaces [informatique], interfaces [informatique]; processeurs [unités centrales de traitement], serveurs de communications, serveurs informatiques, serveurs de réseaux, serveurs temporels, serveurs de bases de données, scanneurs, manettes de jeu, stations d’accueil, commutateurs, commutateurs de réseau, commutateurs optiques, commutateurs écran-clavier-souris, modules vidéo, passerelles et routeurs; capteurs; capteurs pour la détermination de positions; capteurs optiques de position; appareils et instruments électroniques de traçage; appareils et systèmes de suivi de véhicules; détecteurs d’objectifs, dispositifs d’autoguidage et appareils de localisation; capteurs d’activité à porter sur soi; sacs et étuis adaptés aux ordinateurs portables
– en classe 12 : parties et garnitures à utiliser en rapport avec les produits suivants : véhicules terrestres, véhicules blindés, aéronefs, véhicules nautiques et véhicules sans pilote; manettes de jeu à utiliser en rapport avec les produits suivants : véhicules terrestres, véhicules blindés, aéronefs, véhicules nautiques et véhicules sans pilote
– en classe 37 : installation, entretien et réparation de matériel informatique et d’appareils de télécommunication; installation, maintenance et réparation des produits suivants : appareils et instruments pour conduite, commutation, transformation, accumulation, régulation ou commande de la distribution ou de l’utilisation d’électricité; installation, maintenance et réparation des produits suivants : appareils et instruments pour la commande et la surveillance de l’électricité et produits électroniques; installation, maintenance et réparation des produits suivants : commandes et appareils de réglage; installation, maintenance et réparation des produits suivants: appareils électriques de commande pour la robotique; installation, maintenance et réparation des produits suivants : dispositifs de navigation, de guidage, de suivi et de ciblage; installation, maintenance et réparation des produits suivants : instruments de navigation électriques, appareils et systèmes électroniques de navigation
– en classe 40 : fabrication rémunérée spécifique au client, conception et fabrication sur commande basées sur les exigences du client en rapport avec les produits suivants : appareils et instruments de gestion et traitement de l’électricité, fabrication rémunérée spécifique au client, conception et fabrication sur commande basées sur les exigences du client en rapport avec les produits suivants : appareils et instruments de commande, régulation et surveillance, fabrication rémunérée spécifique au client, conception et fabrication sur commande basées sur les exigences du client en rapport avec les produits suivants : instruments de navigation, dispositifs de pistage et capteurs, fabrication rémunérée spécifique au client, conception et fabrication sur commande basées sur les exigences du client en rapport avec les produits suivants : appareils et instruments pour la gestion et le traitement du son, des images ou des données, fabrication rémunérée spécifique au client, conception et fabrication sur commande basées sur les exigences du client en rapport avec les produits suivants : appareils et instruments de télécommunications et de communications de données, fabrication rémunérée spécifique au client, conception et fabrication sur commande basées sur les exigences du client en rapport avec les produits suivants : pièces et accessoires pour véhicules et aéronefs
– en classe 42 : conception et développement de logiciels et de matériel informatiques; services scientifiques et technologiques; services d’ingénierie; services des technologies de l’information; services de consultation, de conseil et d’information en matière de technologie de l’information; services d’ingénierie concernant les ordinateurs; protection et maintenance de logiciels; services d’informations en matière d’assistance technique; services de conception; services de conception de systèmes informatiques; services de conception technologique; services de conception d’ingénierie industrielle; services de conception en matière de génie civil [architecture]; conception de systèmes pour le traitement de données.

Les véhicules blindées militaires commercialisés par la société Mildef IT sont des produits identiques aux produits visés en classe 12 à l’enregistrement de la marque invoquée : parties et garnitures à utiliser en rapport avec les produits suivants : véhicules terrestres, véhicules blindés, visés à l’enregistrement de la marque invoquée.
Il s’en déduit que la vraisemblance de la contrefaçon alléguée est démontrée.
La circonstance que d’autres sociétés présentes au salon Eurosatory prévu du 17 au 21 juin 2024 utilisent des noms commerciaux similaires entre eux est inopérant.
De même, est inopérant le fait que la SASU Coges fasse état de sa qualité de tiers aux sociétés Mildef Group et Mildef IT.
Les sociétés Mildef IT et Coges ont, en conséquence, engagé leur responsabilité du fait de la vraisemblance de la contrefaçon de la marque semi-figurative de l’Union européenne “Mildef” n° 018896992.

III – Sur les mesures réparatrices

Selon l’article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. (…) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente.
Il est rappelé que le 22ème considérant de la directive n°2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, invite le juge des référés à veiller à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce (…) Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle.
En l’occurrence, en premier lieu, la société Mildef IT démontre par les pièces qu’elle produit qu’elle use du signe “Mildef” pour commercialiser ses produits à tout le moins depuis octobre 2022 (sa pièce n° 2). Cette circonstance est de nature à anéantir, au fond, toute action intentée par la société Mildef Group sur le fondement de sa marque n° 018896992 à l’encontre de la société Mildef IT.
En deuxième lieu, la société Mildef Group ne fait état d’aucun préjudice irréparable qui serait la conséquence de la contrefaçon. Elle ne produit aucune pièce au soutien d’un éventuel préjudice. Si un préjudice moral pourrait, le cas échéant, résulter de la vraisemblance établie de la contrefaçon de sa marque n° 018896992, celui-ci serait aisément réparé par l’octroi de dommages et intérêts.
En troisième lieu, la SASU Coges établit qu’une société Mildef Crete, dans laquelle la société Mildef Group détient des parts, a participé du 6 au 9 mai 2024 à un salon de matériels militaires à [Localité 5] aux côtés de la société Mildef IT (sa pièce n° 4). Il est, de ce fait, douteux que la société Mildef Group ignorait l’existence de la société Mildef IT jusqu’au 28 mai 2024.
Il résulte de l’ensemble que les mesures réclamées par la société Mildef Group sont disproportionnées au regard de la vraisemblance de l’atteinte à sa marque n° 018896992.
En conséquence, les demandes de la société Mildef Group seront rejetées.
IV – Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cass. civ. 3è, 10 octobre 2012, n° 11-15.473).
En l’espèce, la seule circonstance que la société Mildef Group soit déboutée de ses demandes n’est pas de nature à faire dégénérer son action en abus et la SASU Coges ne démontre aucun préjudice distinct des frais engagés pour sa défense, lesquels sont indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens.
La demande reconventionnelle en procédure abusive de la SASU Coges sera, en conséquence, rejetée.
V – Sur les demandes accessoires

V.1 – S’agissant des dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
La société Mildef Group, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens.
V.2 – S’agissant de l’article 700 du code de procédure civile

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
La société Mildef Group, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer 3000 euros à la société Mildef IT et 3000 euros à la SASU Coges à ce titre.
V. 3 – S’agissant de l’exécution provisoire

Selon l’article 489 du code de procédure civile, en cas de nécessité, le juge peut ordonner que l’exécution de l’ordonnance de référé aura lieu au seul vu de la minute.
En application de l’article 514-1 du code de procédure civile, par exception, le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état.
Au cas présent, eu égard aux termes de la décision, l’exécution au seul vu de la minute est inutile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats à l’audience publique, par ordonnance contradictoire et rendue en premier ressort,

Écarte l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la SASU Coges ;

Rejette les demandes de la société Mildef Group AB ;

Rejette la demande reconventionnelle de la SASU Coges en procédure abusive ;

Dit n’y avoir lieu à exécution au seul vu de la minute ;

Condamne la société Mildef Group AB aux dépens ;

Condamne la société Mildef Group AB à payer 3000 euros à la société Mildef IT et 3000 euros à la SASU Coges en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait à Paris le 13 juin 2024

Le Greffier,Le Président,

Marion COBOSJean-Christophe GAYET

 

 


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