Tribunal judiciaire de Nîmes, 16 janvier 2025, RG n° 24/00589
Tribunal judiciaire de Nîmes, 16 janvier 2025, RG n° 24/00589

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nîmes

Thématique : Liquidation d’une association professionnelle d’avocats : enjeux de compétence et de remboursement.

Résumé

Constitution de l’association

En 2013, Mme [T] [J] et Mme [H] [N], avocates, s’associent avec M. [W] [X]. La clientèle de M. [W] [X] est vendue à une association non dotée de la personnalité morale, où M. [W] [X] détient 50% des parts, tandis que Mme [H] [N] et Mme [T] [J] en détiennent chacune 25%. Un contrat de prêt est signé le 2 juillet 2013 pour un montant de 342 000 euros, destiné au rachat de la clientèle, avec un remboursement mensuel de 4 273,58 euros sur 7 ans.

Détournements de fonds et suspension

En 2018, Mme [T] [J] et Mme [H] [N] découvrent des détournements de fonds orchestrés par M. [W] [X] et son épouse. Le Conseil de l’Ordre des Avocats suspend M. [W] [X] pour 4 mois le 2 mars 2018, et il démissionne du barreau le 31 mai 2018. À partir de mars 2018, Mme [T] [J] et Mme [H] [N] prennent en charge le remboursement du prêt.

Procédures judiciaires

Le 26 mai 2023, M. [W] [X] saisit le Bâtonnier de l’ordre des avocats pour arbitrer la liquidation de l’association. En réponse, le 19 juin 2023, Mme [T] [J] et Mme [H] [N] assignent M. [W] [X] devant le tribunal judiciaire de Nîmes, demandant des paiements pour le remboursement du prêt et des frais de justice. Le 30 novembre 2023, le Bâtonnier ordonne un sursis à statuer jusqu’à la fin de la procédure pénale en cours.

Demandes reconventionnelles et incompétence

Le 25 avril 2024, M. [W] [X] demande la liquidation de l’association et la désignation d’un administrateur judiciaire. En réponse, Mme [H] [N] et Mme [T] [J] soutiennent que le tribunal de Nîmes est incompétent, affirmant que seul le Bâtonnier peut traiter de la liquidation d’une association d’avocats. Elles demandent également que la demande reconventionnelle soit renvoyée au Bâtonnier.

Décision du juge de la mise en état

Le juge de la mise en état déclare irrecevable l’exception d’incompétence de M. [W] [X] et sa demande de désignation d’un expert. Il déboute également M. [W] [X] de sa demande de sursis à statuer, affirmant que l’enquête pénale n’affecte pas les obligations contractuelles. M. [W] [X] est condamné aux dépens et à verser 1 500 euros à Mme [H] [N] et Mme [T] [J] au titre des frais irrépétibles. L’affaire est renvoyée à une audience de mise en état ultérieure.

Copie délivrée
à Me Jérôme ARNAL
la SCP FONTAINE ET FLOUTIER ASSOCIES
la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES

ORDONNANCE DU : 16 Janvier 2025
DOSSIER N° : N° RG 24/00589 – N° Portalis DBX2-W-B7I-KKQJ
AFFAIRE : S.C.I. BALAURIE immatriculée au RCS de BEZIERS sous le n° 433 247 715, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège C/ [T] [J], [H] [N], [W] [X]

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NIMES

Troisième Chambre Civile

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

*

S.C.I. BALAURIE immatriculée au RCS de BEZIERS sous le n° 433 247 715, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocats plaidant

à :

Mme [T] [J]
née le 22 Avril 1983 à [Localité 4] (ESPAGNE), demeurant [Adresse 1]
représentée par la SCP DAYNAC-LEGROS-JULIEN, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidant, Me Jérôme ARNAL, avocat au barreau de NIMES, avocat postulant

Mme [H] [N]
née le 29 Avril 1984 à [Localité 2], demeurant [Adresse 1]
représentée par la SCP VINCKEL, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidant, Me Jérôme ARNAL, avocat au barreau de NIMES, avocat postulant

M. [W] [X]
né le 26 Mai 1948 à [Localité 2], demeurant [Adresse 3]
représenté par la SCP FONTAINE ET FLOUTIER ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocats plaidant

Nous, Valérie DUCAM, Vice-Président, agissant comme juge de la mise en état, assistée de Nathalie FORINO, F.F. Greffier ;

A l’audience d’incident de mise en état du 12.12.2024 avons rendu l’ordonnance suivante :

EXPOSE DU LITIGE

En 2013, Mme [T] [J] et Mme [H] [N], avocates, s’associaient avec M. [W] [X].

La clientèle de M. [W] [X] était vendue à une association non dotée de la personnalité morale, composée de [W] [X], de Mme [H] [N] et de Mme [T] [J].

La proportion de leurs parts dans cette association est de 50% pour M. [W] [X] et de 25 % pour chacune de ses deux autres associées.

Par contrat du 2 juillet 2013, Mme [T] [J], Mme [H] [N] et M. [W] [X] empruntaient solidairement auprès du Crédit Agricole la somme de 342 000 euros pour le rachat de la clientèle de M. [W] [X].

Le contrat, souscrit pour une durée d’amortissement de 7 ans, prévoyait un remboursement le 25 de chaque mois de 4 273,58 euros, la première échéance étant prévue le 25 octobre 2013, la dernière le 25 septembre 2020.

L’engagement étant lourd, M. [W] [X] s’engageait à ne pas cesser de travailler tant que le crédit ne serait pas remboursé. Il est stipulé dans l’annexe de la convention d’association, dans son article 10, le texte suivant :
 » Retrait de [W] [X],
[W] [X] ne quittera l’association que s’il décède ou parce que, de son vivant, il mettra un terme à son activité professionnelle d’avocat, le prêt contracté avec ses associés ayant été remboursé.
A cette date, la patrimonialité du cabinet reviendra totalement à ses deux associés, titulaire chacune pour moitié.  »

En 2018, Mme [T] [J] et Mme [H] [N] étaient informées de détournements de fonds au détriment de certains clients organisés d’une part par M. [W] [X], d’autre part par son épouse, Mme [L] [X] salariée du cabinet.

Par décision du 2 mars 2018, le Conseil de l’Ordre des Avocats du Barreau de Béziers prononçait la suspension provisoire des fonctions d’avocat de M. [W] [X] pour une durée de 4 mois.

M. [W] [X] présentait sa démission du Barreau de Béziers le 31 mai 2018.

A compter de l’échéance de mars 2018, Mme [T] [J] et Mme [H] [N] assumaient seules le remboursement du prêt.

Par requête du 26 mai 2023, M. [W] [X] saisissait le Bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Béziers sur la base de l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971 et 171.1 et suivants du décret du 27 novembre 1991, aux fins d’arbitrer les conditions de liquidation de l’association professionnelle [X]-[N]-[J], et de déterminer les droits de chacun des associés.

Par exploit du 19 juin 2023, Mme [T] [J] et Mme [H] [N] ont assigné M. [W] [X] devant le tribunal judiciaire de Nîmes au visa des articles 1213, 1214, 1344-1 du code civil, aux fins de voir :
– condamner M. [W] [X] à payer à Mme [T] [J] :
– la somme de 33 120,24 euros avec intérêt au taux légal à compter du 26 octobre 2021,
– la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner M. [W] [X] à payer à Mme [H] [N] :
– la somme de 33 120,24 euros avec intérêt au taux légal à compter du 26 octobre 2021,
– la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner M. [W] [X] aux entiers dépens de l’instance.

Par décision du 30 novembre 2023, le Bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Béziers a ordonné le sursis à statuer jusqu’à la survenance d’une décision mettant un terme définitif à la procédure pénale en cours.

Suivant conclusions en défense et demandes reconventionnelles signifiées par voie électronique le 25 avril 2024, M. [W] [X] demande au tribunal, au visa des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, de :
A titre principal, avant-dire-droit :
– ordonner la liquidation de l’association ayant pu exister entre M. [W] [X], Mme [T] [J] et Mme [H] [N] en désignant au besoin un administrateur judiciaire, qui aura pour mission d’étudier l’ensemble des postes comptables en constituant l’actif et le passif, les comptes courants des associés et plus généralement leurs créances et dettes réciproques liées à l’activité de l’association, et plus précisément :
– toutes les sommes pouvant revenir au concluant sur les comptes courants de l’association,
– toutes les sommes encaissées pour l’ancienne association et qui sont à reverser,
– toutes les sommes concernant la nouvelle association et qui pour partie ont résulté du travail de M. [W] [X] antérieur à sa démission,
– toutes les sommes revenant à M. [W] [X] et correspondant à ses droits dans cette association,
– fixer une date ultérieure de mise en état pour laquelle les parties devront conclure en tirant argument utile des effets de ladite liquidation,
– ordonner ainsi le sursis à statuer sur les demandes formulées par Mme [T] [J] et Mme [H] [N].
A titre subsidiaire, au fond :
– débouter les requérantes de leurs demandes, fins et conclusions.
– condamner Mme [T] [J] et Mme [H] [N] à lui payer la somme de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A titre plus subsidiaire encore :
– écarter l’exécution provisoire de droit, celle-ci étant, de toute évidence, incompatible avec la nature de l’affaire ;
– condamner les requérantes aux entiers dépens.

Suivant conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 9 décembre 2024, auxquelles il y a lieu de se référer expressément pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, M. [W] [X] demande au juge de la mise en état, au visa des articles 789 du code de procédure civile de :
A titre principal, avant dire droit,
– rejeter la demande d’incompétence formulée ;
– ordonner la liquidation de l’association ayant pu exister entre [W] [X], [T] [J] et [H] [N] en désignant un administrateur judiciaire, qui aura pour mission d’étudier l’ensemble des postes comptables en constituant l’actif et le passif, les comptes courants des associés et plus généralement leurs créances et dettes réciproques liées à l’activité de l’association, et plus précisément :
– toutes les sommes pouvant revenir au concluant sur les comptes courants de l’association,
– toutes les sommes encaissées pour l’ancienne association et qui sont à reverser,
– toutes les sommes concernant la nouvelle association et qui pour partie ont résulté du travail de Me [X] antérieur à sa démission,
– toutes les sommes revenantes à Me [X] et correspondant à ses droits dans cette association,
– fixer une date ultérieure de mise en état pour laquelle les parties devront conclure en tirant argument utile du rapport qui pourra être établi par l’administrateur ;
– ordonner le sursis à statuer sur les demandes formulées par Mmes [T] [J] et [H] [N] ;
A titre subsidiaire,
Si, par extraordinaire, droit était fait à la demande d’incompétence formulée au profit de madame le Bâtonnier de Béziers,
– renvoyer l’intégralité du présent contentieux devant madame le Bâtonnier de Béziers, tant pour connaître du sort des demandes principales formées par Mmes [N] et [J] que celles formées par M. [W] [X] ;
– débouter les requérantes de leurs demandes, fins et conclusions.

M. [W] [X] soutient que le remboursement du prêt forme un des éléments d’un tout liquidatif. Il en déduit que si le sursis à statuer concerne l’ensemble de la liquidation, il s’appliquera forcément à la demande principale en paiement de prêt.

Suivant conclusions d’incident signifiées par voie électronique les 10 et 11 décembre 2024, auxquelles il y a lieu de se référer expressément pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, Mme [H] [N] et Mme [T] [J] demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 73, 74, 100, 700 du Code de procédure civile, 179-1 et suivants du décret du 27 novembre 1991, 21 de la loi du 31 décembre 1971 relative à la profession d’avocat, de :
A titre principal,
– déclarer le tribunal judiciaire de Nîmes incompétent au profit de Madame le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Béziers pour traiter de la demande reconventionnelle relative à la liquidation de l’association et à ses conséquences ;

– renvoyer l’examen de cette question devant Madame le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Béziers ;
A titre subsidiaire,
– juger y avoir lieu à litispendance pour traiter de la demande reconventionnelle relative à la liquidation de l’association et à ses conséquences, en l’état de la saisine déjà intervenue du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Béziers ;
– se dessaisir au profit du Bâtonnier précité ;
En tout état de cause,
– dire n’y avoir lieu à surseoir à statuer dans l’attente de l’examen de la demande reconventionnelle en liquidation de l’association ;
– juger n’y avoir lieu à renvoyer le dossier du remboursement des échéances du crédit devant le Bâtonnier de l’ordre des avocats du Barreau de Béziers ;
– condamner M. [W] [X] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner M. [W] [X] aux entiers dépens de l’incident.

Mme [H] [N] et Mme [T] [J] soutiennent que seul le Bâtonnier de l’Ordre des avocats est compétent pour traiter de la liquidation d’une association professionnelle d’avocats. Elles expliquent que des demandes identiques ont été présentées le 26 juin 2023, soit préalablement à la présente action, par M. [W] [X] au Bâtonnier de l’ordre des avocats de Béziers. Elles en déduisent que le tribunal judiciaire de Nîmes est incompétent.

A titre subsidiaire, Mme [H] [N] et Mme [T] [J] soutiennent que la demande reconventionnelle formée par M. [W] [X] devant le tribunal judiciaire de Nîmes est parfaitement identique à celle formée devant le Bâtonnier de l’ordre des avocats de Béziers. Elles précisent que le Bâtonnier de l’ordre des avocats de Béziers a déjà rendu une décision d’arbitrage aux termes de laquelle le sursis à statuer a été ordonné jusqu’à la survenance d’une décision mettant un terme définitif à la procédure pénale. Elles en déduisent que la demande a déjà fait l’objet d’une décision juridictionnelle. Elles concluent que le sursis à statuer jugé par le Bâtonnier de l’ordre des avocats de Béziers s’impose au tribunal s’il se déclarait compétent.

En réponse aux conclusions adverses, Mme [H] [N] et Mme [T] [J] rappellent que les exceptions d’incompétence doivent être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non recevoir. Elles affirment que le Bâtonnier n’a pas vocation à trancher la problématique du crédit parce qu’elle n’intervient pas entre avocats.

A l’audience du 12 décembre 2024, les parties ont repris les termes de leurs conclusions.

L’affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

Le Juge de la Mise en Etat, par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe, susceptible d’appel,

DECLARONS irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par M. [W] [X] ;

DECLARONS irrecevable la demande de désignation d’un expert formée par M. [W] [X] ;

DEBOUTONS M. [W] [X] de sa demande de sursis à statuer ;

CONDAMNONS M. [W] [X] à payer à Mme [T] [J] et à Mme [H] [N] la somme totale de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS M. [W] [X] aux dépens ;

RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état du 23 Mai 2025 à 10h00.

Le Greffier, Le Juge de la mise en état,

 


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