Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Nantes
Thématique : Refus d’enregistrement de nationalité française : enjeux de la communauté de vie et de l’état civil.
→ RésuméContexte de la Déclaration de NationalitéLe 30 décembre 2019, Monsieur [F] [I], originaire du Sénégal, a déposé une déclaration d’acquisition de la nationalité française, après avoir épousé Madame [X] [O], de nationalité française, le 18 septembre 2010. Refus d’Enregistrement de la DéclarationLe 24 décembre 2020, la direction générale des étrangers en France a refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité de Monsieur [I], arguant que la communauté de vie avec son épouse n’était pas maintenue, car il résidait à [Localité 4] et ne rentrait que sporadiquement au domicile conjugal. Recours et AssignationEn réponse à ce refus, Madame [X] [I] a introduit un recours hiérarchique le 7 janvier 2021, qui a été rejeté le 9 février 2021. Par la suite, Monsieur [I] a assigné le Procureur de la République le 18 juin 2021 pour obtenir l’enregistrement de sa déclaration. Arguments de Monsieur [I]Monsieur [I] conteste la décision de refus, affirmant que son état civil n’était pas « cristallisé » au moment de la déclaration et que le ministère public n’avait pas fourni de texte justifiant son refus. Il soutient également que sa séparation temporaire pour des raisons professionnelles ne constitue pas une rupture de la communauté de vie. État Civil et JugementsMonsieur [I] présente plusieurs jugements relatifs à son état civil, y compris un jugement d’annulation de son acte de naissance et un jugement d’autorisation d’inscription tardive. Il affirme que son état civil est régulier et que les documents fournis sont conformes aux exigences légales. Position du Ministère PublicLe ministère public, dans ses conclusions, conteste la validité de l’état civil de Monsieur [I], arguant que les actes de naissance produits ne sont pas probants et que la communauté de vie n’était pas établie au moment de la déclaration. Il souligne que l’absence de communauté de vie empêche l’acquisition de la nationalité française. Décision du TribunalLe tribunal a constaté que le récépissé de l’assignation avait été délivré, mais a rejeté toutes les demandes de Monsieur [I], constatant son extranéité et ordonnant la mention prévue par l’article 28 du code civil. Monsieur [I] a été condamné aux dépens. |
C.L
F.C
LE 30 JANVIER 2025
Minute n°
N° RG 21/02841 – N° Portalis DBYS-W-B7F-LESI
[F] [I]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE NANTES
NATIO 21-56
30/01/25
copie certifiée conforme
délivrée à
PR x 3
Me Fleur POLLONO
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
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HUITIEME CHAMBRE
Jugement du TRENTE JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ
Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :
Président : Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur : Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur : Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
GREFFIER : Caroline LAUNAY
Débats à l’audience publique du 22 NOVEMBRE 2024 devant Florence CROIZE, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.
Prononcé du jugement fixé au 30 JANVIER 2025, date indiquée à l’issue des débats.
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe.
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ENTRE :
Monsieur [F] [I], demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Me Fleur POLLONO, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant
DEMANDEUR.
D’UNE PART
ET :
M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE NANTES, représenté par Céline MATHIEU-VARENNES, procureur adjoint
DEFENDERESSE.
D’AUTRE PART
EXPOSE DU LITIGE
Le 30 décembre 2019, Monsieur [F] [I], né le 8 janvier 1981 à [Localité 6] (Sénégal), a souscrit une déclaration d’acquisition de la nationalité française18 septembre 2010 à [Localité 2] avec Madame [X] [O], de nationalité française.
Par courrier du 24 décembre 2020, la direction générale des étrangers en France du ministère de l’intérieur a refusé l’enregistrement de sa déclaration, au motif qu’il ne pouvait être considéré qu’à la date de souscription de celle-ci, la communauté de vie tant affective que matérielle avec sa conjointe subsistait encore, dans la mesure où il vivait à [Localité 4] et ne rentrait qu’épisodiquement au domicile conjugal.
Par lettre du 7 janvier 2021, Madame [X] [I] a formé un recours hiérarchique à l’encontre de cette décision du 24 décembre 2020 refusant l’enregistrement de la déclaration de son époux.
Par courrier du 9 février 2021, ce recours a été rejeté, en l’absence d’élément nouveau.
Par acte en date du 18 juin 2021, M. [I] a dès lors assigné Monsieur le Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes devant la présente juridiction aux fins de voir enregistrer la déclaration qu’il a souscrite.
En l’état de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 22 décembre 2023, M. [I] demande au tribunal, sur le fondement de l’article 21-2 du code civil, de :
constater que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré;constater qu’il satisfait à l’ensemble des conditions posées par l’article 21-2 du code civil;en conséquence,
annuler le refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité du 24 décembre 2020;ordonner l’enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française qu’il souscrite ;ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil;condamner M. le Procureur de la République aux entiers dépens de la procédure.
Il conteste tout d’abord que la question de son état civil soit “cristallisée”, pour reprendre le terme du ministère public, au jour de la souscription. Il fait observer que le ministère public est bien en peine de faire état du moindre texte. Il considère qu’il ressort du code des relations entre le public et l’administration que celle-ci aurait dû l’inviter à régulariser la situation, qu’elle ne peut se prévaloir de ses erreurs et que lorsqu’une pièce manque, celle-ci peut être fournie a posteriori. En outre, à considérer que c’est la décision attaquée qui a cristallisé les débats, il estime que le ministère public ne peut opposer une substitution de motifs. Il invoque par ailleurs une violation du principe d’égalité des armes, à suivre le raisonnement du ministère public, en ce que ce dernier pourrait opposer à toute étape de la procédure un moyen nouveau, alors que sa partie adverse ne peut pas rectifier les erreurs entachant l’acte jusque là non contesté. Il rappelle enfin que le jugement supplétif a un effet déclaratif.
Il assure ensuite que son état civil est régulier. Il expose que le greffe lui a indiqué que l’état des archives ne lui permettait pas de retrouver trace du jugement supplétif n° 6010 du 17 octobre 1990 et qu’il a alors obtenu un jugement d’annulation de son acte de naissance dressé en exécution de ce jugement supplétif puis un jugement ordonnant l’établissement d’un acte de naissance à son nom. En réponse aux conclusions du ministère public, il indique qu’il ne voit pas de contradiction dans l’attestation de recherche infructueuse et que l’acte de naissance reprend exactement le contenu du jugement supplétif.
M. [I] soutient enfin qu’une séparation pour des raisons professionnelle n’équivaut pas à une rupture de la communauté de vie. Il souligne que celle-ci est d’autant plus établie que le ministère de l’intérieur lui-même utilise le terme de domicile conjugal dans sa décision de refus d’enregistrement. Il expose qu’en décembre 2019, le domicile familial était celui situé à [Localité 3] dans le département des Hautes-Pyrénées, son épouse ayant souhaité se rapprocher de sa mère et de sa soeur, que, ne trouvant pas de travail sur place, il avait créé une activité en région parisienne et qu’il faisait ainsi des aller-retours, dont il souligne que l’existence n’est pas contestée. Il précise que la période de restrictions pour motifs sanitaires a limité ses déplacements, en raison de l’interdiction décidée par le gouvernement de tout déplacement et dans le souci de protéger sa belle-mère, âgée. Il entend néanmoins souligner que les baux sont aux deux noms, que le couple a toujours été administrativement domicilié aux mêmes adresses et eu un compte joint. Il en conclut qu’il n’y a jamais eu de séparation et que le couple avait bien une communauté de vie. Il relève que le couple a de nouveau déménagé au printemps 2021 pour retourner en Bretagne.
En réponse aux conclusions du ministère public, il qualifie l’enquête relative à la communauté de vie de peu probante, son épouse n’ayant jamais été entendue et rapportant une simple rumeur de divorce. Il expose produire une attestation de son épouse contredisant cette enquête, ainsi que les attestations des deux enfants de son épouse, confirmant la continuité de la communauté de vie depuis le mariage.
Dans le dernier état de ses conclusions communiquées par la voie électronique le 7 octobre 2024, le ministère public requiert qu’il plaise au tribunal:
constater que le récépissé prévu par l’article 1040 du code de procédure civile a été délivré;débouter l’intéressé de sa demande d’enregistrement de la déclaration souscrite et constater l’extranéité de l’intéressé;ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil.
Il soutient en premier lieu que l’état civil de M. [I] n’était pas probant au jour de la souscription de sa déclaration.
Il souligne tout d’abord que l’acte de naissance n° 286, dressé en exécution du jugement supplétif n° 6010 du 17 octobre 1990, produit à l’appui de la déclaration n’est pas probant.
Il assure ensuite que ni le nouvel acte de naissance n° 689, dressé en exécution du jugement supplétif n° 6315 du 21 décembre 2022, à la suite du jugement n° 6114 du 7 décembre 2022 annulant l’acte de naissance n° 286, ni l’acte de naissance n° 689 à la suite du prononcé du jugement n° 1125 du 11 octobre 2023 rectifiant l’acte de naissance n° 689 ne le sont davantage. Selon lui, le jugement n° 6114 d’annulation n’est pas opposable en France, en ce qu’il heurte l’ordre public international, en régularisant une fraude. Il expose en effet que ce jugement a été rendu au vu d’une attestation de recherche infructueuse, selon laquelle le jugement supplétif n° 6010 ne peut être authentifié “du fait de l’état de l’archive”, ce qui est pour lui incohérent et masque une fraude, car soit ce jugement supplétif n’a pas été retrouvé, soit il est en mauvais état. Il en conclut que M. [I] a obtenu son jugement d’annulation sur la fausse allégation que le jugement supplétif de 1990 a été détruit, alors qu’il était manifestement apocryphe et il fait observer que l’acte de naissance n° 286 annulé avait été dressé seulement en 2000 pour transcrire un jugement supplétif soit-disant rendu en 1990, soit dix ans auparavant. Le ministère public soutient qu’il en découle que le jugement supplétif n° 6315, pris suivant le jugement d’annulation n° 6114 non opposable en France, est également inopposable en France . Il relève en outre que la dernière copie de l’acte de naissance n° 689 ne mentionne toujours pas l’heure à laquelle il a été dressé, alors qu’il s’agit d’une mention substantielle de l’acte.
Le ministère public fait valoir qu’en tout état de cause, l’ensemble de ces jugements et acte de naissance n° 689 sont impuissants à régulariser l’état civil du demandeur au jour de la souscription de sa déclaration de nationalité française, puisqu’ils sont intervenus après la souscription de sa déclaration le 30 décembre 2019, alors que la situation du déclarant est “cristallisée” au jour de la souscription de sa déclaration. Il estime qu’il importe peu que le ministère de l’intérieur ait fondé sa décision de refus d’enregistrement sur l’absence de communauté de vie et non sur l’état civil du déclarant, dès lors qu’il va de soi que le déclarant doit d’emblée produire un acte probant au sens de l’article 47 du code civil et qu’il peut justifier seulement devant le tribunal que son état civil était en réalité établi de manière certaine au jour de la souscription.
Il conteste en second lieu que la communauté de vie était établie au moins lors de la déclaration de nationalité au vu de l’enquête sur la communauté de vie des époux qui a révélé que personne n’avait vu M. [I] dans le village où vivait son épouse et que celle-ci avait confié attendre que son mari ait acquis la nationalité française pour divorcer. Il rappelle que le seul fait que la communauté de vie ait été interrompue fait obstacle à l’acquisition de la nationalité française par mariage.
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Au-delà de ce qui a été repris pour la bonne compréhension du litige et faisant application de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs dernières conclusions susvisées.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 5 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ,
Le tribunal,
Constate que le récépissé prévu par l’article 1043 devenu 1040 du code de procédure civile a été délivré;
Rejette l’intégralité des demandes présentées par Monsieur [F] [I];
Constate l’extranéité de Monsieur [F] [I], né le 8 janvier 1981 à [Localité 6] (Sénégal);
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil;
Condamne Monsieur [F] [I] aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT
Caroline LAUNAY Florence CROIZE
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