Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Nantes
Thématique : Diffamation et liberté d’expression : enjeux d’une critique médiatique sur des pratiques commerciales contestées
→ RésuméPRESENTATION DU LITIGELa S.A.S. PPO, active dans le secteur des travaux du bâtiment, a été déclarée coupable de pratiques commerciales trompeuses par le tribunal correctionnel de Nantes. Cette condamnation, prononcée le 21 décembre 2023, a entraîné une amende de 20 000 € et la confiscation de 75 000 € de sommes saisies. En août 2024, l’association UFC QUE CHOISIR a publié un article sur sa condamnation, ce qui a conduit les dirigeants de PPO à porter plainte pour diffamation. LES DEMANDES DES PLAIGNANTSLes demandeurs, comprenant la S.A.S. PPO et ses dirigeants, ont assigné l’association UFC QUE CHOISIR et son président en référé, arguant que plusieurs passages de l’article étaient diffamatoires. Ils ont demandé le retrait de l’article, une indemnisation de 3 000 € pour frais de justice, ainsi que la cessation des propos jugés attentatoires à leur honneur. LES ARGUMENTS DES DEFENDEURSL’association UFC QUE CHOISIR et son président ont contesté les accusations de diffamation, soutenant qu’ils avaient agi de bonne foi et que leurs propos étaient fondés sur des faits avérés. Ils ont également notifié une offre de preuve de la vérité des faits, affirmant que les allégations étaient justifiées par des plaintes de consommateurs. ANALYSE DES PROPOS DIFFAMATOIRESLe juge a examiné les propos incriminés pour déterminer leur caractère diffamatoire. Plusieurs phrases ont été jugées comme portant atteinte à l’honneur des demandeurs, insinuant des comportements répréhensibles et des pratiques commerciales douteuses. Ces propos ont été considérés comme diffamatoires au sens de la loi du 29 juillet 1881. OFFRE DE PREUVE ET BONNE FOIL’offre de preuve de la vérité des faits présentée par les défendeurs a été jugée irrégulière et insuffisante. De plus, le juge a conclu que les conditions de la bonne foi étaient réunies, car l’association avait un but légitime d’informer le public sur des pratiques commerciales potentiellement nuisibles. DECISION DU JUGELe juge des référés a débouté les demandeurs de toutes leurs demandes, considérant que le trouble manifestement illicite n’était pas établi. Les demandeurs ont été condamnés à payer 6 000 € à l’association UFC QUE CHOISIR pour les frais de justice, ainsi qu’aux dépens. |
N° RG 24/01307 – N° Portalis DBYS-W-B7I-NN3V
Minute N° 2025/0001
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
du 02 Janvier 2025
—————————————–
S.A.S. PPO
[U] [P]
[X] [G]
[Z], [E], [F] [Y]
C/
Association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5]
[W] [O]
—————————————
copie exécutoire délivrée le 02/01/2025 à :
Me Alexis GUEDJ (PARIS)
copie certifiée conforme délivrée le 02/01/2025 à :
la SARL CARPENTIER PORTE NEUVE AVOCATS – 253
Me Fanny DE BECO – 311
Me Alexis GUEDJ (PARIS)
dossier
MINUTES DU GREFFE
DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE [Localité 5]
(Loire-Atlantique)
_________________________________________
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
_________________________________________
Président : Pierre GRAMAIZE
Greffier : Eléonore GUYON
DÉBATS à l’audience publique du 19 Décembre 2024
PRONONCÉ fixé au 02 Janvier 2025
Ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe
ENTRE :
S.A.S. PPO (RCS Nantes N°504097114),
dont le siège social est sis [Adresse 1]
[Localité 8]
Monsieur [U] [P],
demeurant [Adresse 4]
[Localité 5]
Monsieur [X] [G],
demeurant [Adresse 3]
[Localité 7]
Monsieur [Z] [Y],
demeurant [Adresse 9]
[Localité 6]
Représentés par Maître Henri CARPENTIER de la SARL CARPENTIER PORTE NEUVE AVOCATS, avocats au barreau de NANTES
DEMANDEURS
D’UNE PART
ET :
Association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5], prise en la personne de son président Monsieur [O] [W],
dont le siège social est sis [Adresse 2]
[Localité 5]
Monsieur [W] [O], en qualité de directeur de la publication,
demeurant [Adresse 2]
[Localité 5]
Représentés par Maître Alexis GUEDJ, avocat au barreau de PARIS et Maître Fanny DE BECO, avocat au barreau de NANTES
DÉFENDEURS
D’AUTRE PART
PRESENTATION DU LITIGE
La S.A.S. PPO emploie 220 salariés et relève d’un groupe exerçant ses activités en France dans le secteur des travaux du bâtiment en direct ou via la franchise « Préservation du patrimoine », qui est présidé par M. [U] [P] et compte parmi ses associés notamment M. [Z] [Y] et M. [X] [G].
Par jugement du 21 décembre 2023, le tribunal correctionnel de NANTES a déclaré la S.A.S.U. PPO coupable de faits de pratique commerciale trompeuse du 1er juin 2012 au 28 février 2017 à [Localité 10], [Localité 12], [Localité 11], [Localité 16], [Localité 14], [Localité 18], [Localité 17], [Localité 5] et [Localité 19], de tromperie sur la nature, la qualité ou l’origine d’une prestation de service du 1er novembre 2015 au 28 février 2017 à [Localité 13], [Localité 15] et [Localité 14], a condamné la S.A.S.U. PPO au paiement d’une amende de 20 000,00 €, a ordonné à l’encontre de la S.A.S.U. PPO la confiscation de sommes saisies à hauteur de 75 000,00 €, a ordonné la restitution du surplus de sommes saisies et a statué sur les demandes de parties civiles.
Le 30 août 2024, le site internet www.[Localité 5].ufcquechoisir.fr édité par l’association UFC QUE CHOISIR [Localité 5] ayant pour président, directeur de publication M. [W] [O], a publié un article se rapportant à cette condamnation intitulé : « On a gagné en justice : Préservation du patrimoine et de l’habitat français (PPHF) condamné très tard et bien peu ».
Se plaignant du caractère diffamatoire de propos tenus dans cet article, la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] ont fait assigner en référé d’heure à heure sur autorisation donnée le 25 novembre 2024 sur requête du même jour l’association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5] et M. [W] [O] par actes de commissaire de justice du 27 novembre 2024 dénoncé le 27 novembre 2024 à M. le procureur de la République afin de solliciter, au visa des articles 29 alinéa 1er, 32 alinéas 1 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 485 alinéa 2, 835 et 491 du code de procédure civile,
– qu’il soit constaté que constituent une atteinte et à la considération à leur encontre l’article du 30 août 2024 au titre des propos suivants :
(1)« A l’audience, [U] [P] représente légalement chacune des entreprises impliquées, mais il échappe aux poursuites, parce qu’il ne les dirige que depuis 2022. »,
(2)« [X] [G] et [Z] [Y] ont été également entendus, mais non poursuivis, puisqu’ils ne sont plus dirigeants des sociétés condamnées. »,
(3)« Les auteurs ont le temps de s’organiser pour échapper au pire. »,
(4)« Pourtant les mêmes méthodes persistent, les mêmes abus se poursuivent, mais le tribunal ne se prononce que sur des constatations enregistrées depuis plusieurs années. »,
(5) « [U] [P] peut dormir tranquillement, même si ses associés l’ont un peu poussé en avant pour écoper les conséquences de leurs propres agissements. »,
(6) « [X] [G] est également à l’abri : il a monté un système très profitable, dont il tire désormais les bénéfices principalement financiers, avec la vente de son modèle en franchise ; il peut continuer à diriger ses sociétés et perpétuer leurs pratiques. »,
(7) « De nouvelles victimes sont évidemment à craindre : personnes âgées ou vulnérables, repérées par des vendeurs sans scrupules. Ils vont même revenir les voir pour d’autres commandes : cela fait partie de la méthode : « accompagnement des clients jusqu’à 10 ans avant les travaux ». C’est un maximum : après ils sont ruinés, ou décédés. ».
– que soit ordonné le retrait de l’article incriminé pour mettre fin au trouble manifestement illicite ainsi constitué dans le délai de 48 heures de l’ordonnance à intervenir sous astreinte de 50 € par heure de retard à compter de la 49ème heure,
– que les défendeurs soient condamnés in solidum au paiement d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Au soutien de leurs prétentions auxquelles ils ajoutent subsidiairement à tout le moins la suppression des propos cités, la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] font notamment valoir que :
– un des franchisés les a alertés de la publication de l’article,
– aussitôt après avoir fait dresser un constat de commissaire de justice et avoir vainement réclamé le retrait amiable des propos du site, ils ont fait assigner en tenant compte du délai permettant l’exercice du droit de présenter une offre de vérité,
– la suppression des propos incriminés est sollicitée du juge des référés en attendant que le tribunal correctionnel puisse statuer en janvier, voire ultérieurement compte tenu du délai moyen de jugement de ces affaires,
– l’article leur impute la commission d’infractions pénales dans le cadre d’un véritable système de prédation des personnes âgées ou vulnérables,
– les propos tenus soutiennent que les dirigeants se sont organisés pour échapper aux poursuites,
– il est également prétendu que les clients sont poursuivis jusqu’à leur ruine ou leur mort et que les faits perdurent,
– tous ces faits précis sont attentatoires à leur honneur et leur considération, ce qui est constitutif de diffamation et cause donc un trouble manifestement illicite à faire cesser,
– l’offre de vérité ne saurait résulter de trois dossiers de personnes mécontentes établis en interne par l’association et de témoignages de M. [O] et sa salariée, sans enquête indépendante, pénale ou de la DGCCRF,
– la bonne foi ne peut être retenue dès lors que la liberté d’expression se limite à relater le résultat de l’audience correctionnelle à laquelle l’UFC QUE CHOISIR n’a d’ailleurs même pas participé.
L’association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5] et M. [W] [O] concluent à titre principal au débouté pour absence de trouble manifestement illicite, à titre subsidiaire à la disproportion de la mesure de suppression, en tout état de cause au rejet des demandes avec condamnation solidaire des demandeurs à payer à l’UFC QUE CHOISIR [Localité 5] une somme de 6 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens, en répliquant que :
– ils ont notifié le 6 décembre 2024 une offre de preuve de la vérité de l’ensemble des faits poursuivis en application de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881,
– en présence d’une telle offre, dont l’examen ressortit du juge du fond, la prudence commande au juge de dire n’y avoir lieu à référé,
– la preuve de chacun des faits cités dans les extraits poursuivis est rapportée par le jugement du tribunal correctionnel du 21 décembre 2023 et spécialement pour les extraits n° 4, 6 et 7 par des dossiers de nouveaux clients (Mme [A] [S], Mme [H] [K], les époux [I]) victimes de double facturation de prestation, de malfaçons, de facturation de frais de mise en place du chantier se confondant avec les frais de pose, d’irrégularité dans la souscription d’un crédit, faits étayés par des documents et témoignages,
– les trois premiers propos poursuivis n’ont pas de contenu diffamatoire, dès lors qu’il s’agit d’informations neutres pour les deux premiers et du constat de la lenteur de la justice permettant aux prévenus d’échapper aux poursuites pour le troisième,
– l’exception de bonne foi doit leur bénéficier dans les conditions posées par la jurisprudence de la cour de cassation au regard des articles 10 et 11 de la convention européenne des droits de l’Homme garantissant la liberté d’expression,
– la publication a un but légitime au regard de son objet social d’information des consommateurs,
– la base factuelle est suffisante compte tenu de l’enquête qu’elle a effectué qui ne se limite pas à un commentaire de la décision de justice,
– il n’y a aucune animosité personnelle envers la société PPO et ses dirigeants qui ne faisaient pas partie du classement établi par l’UFC QUE CHOISIR des sociétés de rénovation à éviter par les consommateurs ni des autres articles épinglant l’ensemble des sociétés du secteur,
– le critère de la prudence dans l’expression s’apprécie moins strictement en fonction du respect des autres et le caractère affirmatif des éléments étayés par le jugement du tribunal correctionnel est atténué par le dernier paragraphe indiquant seulement que de nouvelles victimes sont à craindre,
– à titre subsidiaire, une suppression complète de l’article serait excessive alors qu’il ne figure pas en première page de son site internet, qu’il n’a pas été relayé par d’autres médias et qu’il est attaqué seulement trois jours avant l’acquisition de la prescription de trois mois de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881,
– les mesures demandées ne sont pas sérieuses, alors que les demandeurs ont attendu près de trois mois pour agir.
Par ces motifs, Nous, juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Déboutons la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] de l’ensemble de leurs demandes,
Condamnons in solidum la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] à payer à l’association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5] une somme de 6 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons in solidum la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] aux dépens.
Le Greffier, Le Président,
Eléonore GUYON Pierre GRAMAIZE
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