Tribunal judiciaire de Nanterre, 15 novembre 2024, n° RG 24/00054
Tribunal judiciaire de Nanterre, 15 novembre 2024, n° RG 24/00054

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nanterre

Thématique : Validité de la désignation d’un représentant syndical : Analyse des critères d’indépendance et d’existence d’une section au sein de l’établissement

 

Résumé

La société Emeis, anciennement Orpea, a contesté la désignation de M. [T] comme représentant syndical, arguant d’un manque d’indépendance et de l’absence d’une section syndicale. Le tribunal a examiné la légalité de cette désignation, concluant qu’une section syndicale existait et que M. [T] ne détenait aucun pouvoir de l’employeur. Les accusations de fraude ont été écartées, aucune procédure de licenciement n’étant envisagée lors de sa désignation. En conséquence, le tribunal a débouté Emeis de ses demandes et lui a ordonné de verser 1 500 euros pour les frais de justice au syndicat CFE-CGC Santé social et à M. [T].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG n°
24/00054

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
Pôle social
JUGEMENT
rendu le 15 novembre 2024

Contentieux des Elections
professionnelles

N° RG 24/00054 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZN4Q

N° MINUTE :
24/00096

JUGEMENT

Jugement contradictoire, prononcé publiquement et en dernier ressort, par mise à disposition le 15 novembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

La société Orpea, renommée Emeis, a pour activité la prestation de services et la gestion de centre d’hébergement pour les personnes dépendantes. Elle exerce son activité au sein de dix établissements distincts.

Le 5 avril 2024, le syndicat CFE-CGC Santé social a notifié à la direction de la société la désignation de M. [V] [T] en qualité de représentant de section syndicale au sein de l’établissement « Supports ».

Par requête enregistrée le 18 avril 2024, la société Orpea a saisi la présente juridiction d’une demande d’annulation de cette désignation.

La requérante, le syndicat CFE-CGC Santé social et M [T] ont été régulièrement convoqués à l’audience du 25 septembre 2024.

Dans le dernier état de ses écritures et de ses observations, la société Emeis, venant aux droits de la société Orpea, demande au tribunal :
– L’annulation de la désignation de M [V] [T] en qualité de représentant de section syndicale ;
– La condamnation solidaire des défendeurs à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de Procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient que la désignation de M [T] est irrégulière, en ce qu’il ne présente pas d’indépendance suffisante par rapport à l’employeur, qu’il n’existe pas de section syndicale au sein de l’établissement concerné et que la désignation présente un caractère frauduleux en ce qu’elle vise à faire échec à un éventuel licenciement.

Dans le dernier état de leurs écritures et de leurs observations, le syndicat CFE-CGC Santé social et M. [T] concluent au rejet de la demande et sollicitent la condamnation de la demanderesse à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de Procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Ils soutiennent qu’il existe bien une section syndicale au sein de l’établissement Orpéa Support, que M [T] présente une indépendance suffisante par rapport à l’employeur et que sa désignation ne présente aucun caractère frauduleux.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d’annulation

En vertu de l’article L. 2142-1-1 du code du travail, « chaque syndicat qui constitue […] une section syndicale au sein de l’entreprise ou de l’établissement d’au moins cinquante salariés peut, s’il n’est pas représentatif dans l’entreprise ou l’établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l’entreprise ou de l’établissement ».

En ce qui concerne l’existence d’une section syndicale

Il résulte des dispositions de l’article L. 2142-1 du code du travail que toute organisation syndicale satisfaisant aux conditions générales de représentativité peut constituer une section syndicale dans une entreprise ou un établissement dès lors qu’elle justifie d’au moins deux adhérents.

En l’espèce, les fiches extraites du registre de ses adhérents produites par le syndicat défendeur démontrent qu’à la date de la désignation litigieuse, il existait au moins trois personnes à jour de leurs cotisations parmi les salariés de l’établissement « Supports » de la société Orpéa. En l’absence de tout élément de nature à remettre en cause la fiabilité des informations contenues dans ces fichiers, il ne saurait être exigé du syndicat défendeur qu’il produise en outre d’autres documents attestant du paiement des cotisations.

Le moyen tiré de l’absence de section syndicale doit dès lors être écarté.

En ce qui concerne l’indépendance de M [T]

Il résulte des dispositions des articles L. 2142-1-1 et L. 2143-1 du code du travail que la personne exerçant tout ou partie des pouvoirs de l’employeur ou le représentant habituellement au sein des institutions représentatives du personnel ne peut être désigné représentant de section syndicale.

En l’espèce, il est constant que M [T] ne dispose d’aucune délégation de pouvoir de l’employeur. Si la société demanderesse produit deux procès-verbaux de réunions de comités sociaux et économiques au cours desquelles M [T] est intervenu en sa qualité de directeur santé et sécurité, il ressort de ces mêmes pièces que son intervention s’est limitée à l’information des élus sur les questions relevant de sa compétence, la direction de l’entreprise étant par ailleurs représentée par des personnes distinctes.

Par ailleurs, la seule qualité de cadre d’un salarié ne saurait interdire de le désigner comme représentant du personnel, a fortiori par une organisation syndicale se donnant pour mission de défendre spécifiquement les intérêts de cette catégorie de travailleurs.
Contrairement à ce que soutient la demanderesse, le contrat de travail de M [T] ne lui confère pas la qualité de dirigeant de l’entreprise mais précise au contraire qu’il exerce ses missions sous l’autorité du « directeur général du groupe ou de tout autre personne qui pourrait lui être substituée ». Aucune pièce du dossier ne permet ainsi de considérer qu’il exerce, à l’égard des autres salariés, des fonctions propres à l’employeur et notamment l’exercice du pouvoir de recrutement ou du pouvoir disciplinaire.

Le moyen tiré du manque d’indépendance à l’égard de l’employeur doit dès lors être écarté.

En ce qui concerne la fraude

Il résulte des dispositions des articles L. 2142-1-1 et L. 2143-1 du code du travail qu’est irrégulière la désignation d’un salarié en qualité de représentant de section syndicale faite dans le seul but de lui assurer le statut protecteur réservé aux représentants du personnel. C’est à l’employeur qu’il incombe de démontrer l’existence d’une telle fraude, laquelle ne saurait être déduite de la seule antériorité ou concomitance d’une Procédure disciplinaire.

En l’espèce, il est constant qu’aucune Procédure de licenciement de M [T] n’était envisagée à la date de sa désignation, ce que la demanderesse reconnaît elle-même dans ses écritures. La seule circonstance que ce dernier ait été en conflit avec le directeur des opérations en juin 2022, soit près de deux ans avant la désignation litigieuse, ne saurait établir qu’il redoutait qu’une telle Procédure soit engagée à son encontre.

Le moyen tiré de la fraude doit dès lors être écarté.

Sur les frais de l’instance

Il y a lieu, en application des dispositions de l’article 700 du code de Procédure civile, de mettre à la charge de la société Emeis la somme de 1 500 € au titre des frais exposés par les défendeurs à l’occasion du présent litige.

Ces derniers n’étant pas les parties perdantes, la demande présentée à leur endroit au titre des frais de l’instance ne peut qu’être rejetée.

Le tribunal saisi d’une contestation en matière de désignation de représentant syndical statuant, conformément à l’article L. 2314-32 du code du travail, sans frais de Procédure, les demandes de condamnation aux dépens ne peuvent qu’être rejetées.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, publiquement et en dernier ressort :

Déboute la société Emeis de l’ensemble de ses demandes.

Met à la charge de la société Emeis la somme de 1 500 euros à payer au syndicat CFE-CGC Santé social et à M [V] [T] en application de l’article 700 du code de Procédure civile.

Déboute le syndicat CFE-CGC Santé social et M [V] [T] du surplus de leurs demandes.

Et le présent jugement est signé par Vincent SIZAIRE, Vice-président et par Pascale GALY, Greffier, présents lors du prononcé.

LE GREFFIER       LE PRÉSIDENT


 


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