Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Mulhouse
Thématique : Conflit sur le rapport des primes d’assurance-vie dans le cadre d’une succession
→ RésuméMme [T] [F], veuve de M. [G] [A], est décédée le [Date décès 6] 2021, laissant sa fille, Mme [S] [N]-[H], et ses petits-enfants, M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A]. Le tribunal de proximité de THANN a ordonné le partage judiciaire de la succession le 10 novembre 2022. Les petits-enfants ont saisi le tribunal judiciaire de MULHOUSE le 22 mai 2023, demandant le rapport des primes d’assurance-vie. Le tribunal a jugé que ces primes étaient manifestement exagérées et a ordonné à Mme [S] [N]-[H] de rapporter deux tiers des primes à la succession.
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MULHOUSE
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[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
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Première Chambre Civile
MINUTE n°
N° RG 23/00280 – N° Portalis DB2G-W-B7H-IISZ
KG/JLD
République Française
Au Nom du Peuple Français
JUGEMENT
DU 26 novembre 2024
Dans la procédure introduite par :
Monsieur [P] [A]
demeurant [Adresse 3]
Madame [R] [A] épouse [E]
demeurant [Adresse 1]
représentés par Me Jean louis COLOMB, avocat au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 1
– partie demanderesse –
A l’encontre de :
Madame [S] [A] épouse [N]-[H]
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Caroline BRUN, avocat au barreau de MULHOUSE,
vestiaire : 33
– partie défenderesse –
CONCERNE : Autres demandes en matière de succession
Le Tribunal composé de Jean-Louis DRAGON, Juge au Tribunal de céans, statuant à Juge unique, et de Claire-Sophie BENARDEAU, Greffier placé
Jugement contradictoire en premier ressort
Après avoir à l’audience publique du 17 septembre 2024, entendu les avocats des parties en leurs conclusions et plaidoiries, et en avoir délibéré conformément à la loi, statuant comme suit, par jugement mis à disposition au greffe ce jour :
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [T] [F] veuve de M. [G] [A] est décédée à [Localité 12] le [Date décès 6] 2021.
La défunte a laissé pour recueillir sa succession sa fille Mme [S] [N]-[H] née [A] et ses deux petits enfants M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A].
Saisi sur requête en date du 4 mai 2022 déposée au greffe le 15 juin 2022, de M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A], le tribunal de proximité de THANN a ordonné la procédure de partage judiciaire de l’indivision sucessorale issue du décès de Mme [F] par décision du 10 novembre 2022 et a renvoyé les parties devant Me [C] [U], notaire à [Localité 12] désigné pour procéder au partage.
Par procès-verbal d’ouverture des débats et procès-verbal de difficultés en date du 6 mars 2023 dressé par Me [C] [U], ce dernier a renvoyé les parties à se pourvoir au fond devant le tribunal judiciaire de MULHOUSE.
Par acte introductif d’instance transmis au greffe le 22 mai 2023 signifié le 12 juin 2023, M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A] ont saisi le tribunal judiciaire de MULHOUSE aux fins de rapport dans la succession des deux tiers des primes versées à titre d’assurance-vie aux [10] sous les numéros 518017889 et 718031762 et aux [7].
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 mars 2024, M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A] sollicitent du tribunal de :
– condamner Mme [S] [N]-[H] née [A] à rapporter à la succession les deux tiers des primes versées à titre d’assurance-vie aux [10] sous les numéros 518017889 et 718031762 et aux [7] ;
– renvoyer les parties devant Me [U] pour établir la nouvelle déclaration de succession tenant compte du rapport à la succession des deux tiers des primes versées au bénéfice de Mme [S] [N]-[H] née [A] en rappelant que la quotité disponible est d’un tiers en présence des deux enfants ;
– condamner Mme [S] [N]-[H] née [A] aux entiers dépens ;
– condamner Mme [S] [N]-[H] née [A] à leur payer la somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles ;
– rappeler le caractère exécutoire du jugement à intervenir ;
– débouter Mme [S] [N]-[H] née [A] de l’ensemble de ses conclusions et demandes reconventionnelles.
Au soutien de leurs conclusions, M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A] exposent que :
– au visa des dispositions de l’article L132-13 du Code des assurances, la défenderesse a bénéficié de contrats d’assurances dont le seul objectif a été de contourner les règles de succession et de lu permettre de bénéficier de l’ensemble du patrimoine de la défunte ;
– au regard de ces dispositions, il ya lieu de ramener à la succession deux tiers du montant, la quotité disponible étant d’un tiers en présence de deux enfants ;
– en réponse aux conclusions adverses, il doit être rappelé que les montants exagérés des assurances vie doivent être rapportées à la succession: en l’espèce la défenderesse a pu capter la succession au détriment des autres parties au détriment de la réserve.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 janvier 2024, Mme [S] [N]-[H] née [A] sollicite du tribunal de :
– déclarer M. [P] [A] et Mme [R] [E] née [A] irrecevables et en tous les cas mal fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
– et les en débouter ;
– condamner les demandeurs solidairement à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner solidairement les demandeurs aux entiers frais et dépens.
Au soutien de leurs conclusions, Mme [S] [N]-[H] née [A] expose que :
– la déclaration de succession a été établie et signée par l’ensemble des parties qui y tous consenti ;
– au visa de l’article L312-13 du Code des Assurances, la preuve incombe aux demandeurs lorsqu’ils sollicitent le rapport de primes considérées comme exagérées ;
– le choix personnel d’un assuré de privilégier certains de ses enfants au détriment d’autres en les désignant comme bénéficiaire des contrats d’assurance vie ne constitue pas en soi un critère d’appréciation du caractère exagéré ou non des primes au regard des dispositions du Code des Assurances.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2024. À l’audience de plaidoirie du 17 septembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024.
Il est, en application de l’article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé au dossier de la procédure, aux pièces versées aux débats et aux conclusions des parties ci-dessus visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il est sollicité au dispositif des conclusions des demandeurs la condamnation de Mme [T] [A] épouse [N]-[H]. L’examen du corps des conclusions démontre qu’il s’agit manifestement d’une erreur matérielle n’emportant aucune conséquence sur les condamnations prononcées.
I. Sur la demande de condamnation à rapporter les deux tiers des primes versées à titre d’assurance-vie
Le contrat d’assurance-vie bénéficie d’un régime dérogatoire aux règles successorales.
En effet, aux termes de l’article L132-12 du code des assurances, le capital ou la rente stipulé payable lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré.
L’article L132-13 du même Code ajoute :
« Les sommes payables au décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à la succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers de l’assuré.
Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par l’assuré à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »
Le caractère manifestement exagéré des primes s’apprécie au jour du versement de chacune des primes payées en exécution du contrat d’assurance-vie en tenant compte des critères suivants :
– l’âge et l’état de santé du souscripteur ;
– la situation patrimoniale et les ressources du souscripteur ;
– l’utilité du contrat d’assurance-vie pour son souscripteur ;
(Voir en ce sens, Civ. I, 7 novembre 2018, n°17-26.566, Civ. II, 16 avril 2015, n°14-16.676) et Civ. I, 2 mai 2024,n°22-14.829).
Le rapport à la succession prévu par l’article L.132-13 du Code des assurances ne porte que sur les primes manifestement exagérées (en ce sens Civ. II, 7 juillet 2016, n°15-21.351).
En application de l’article 1353 du Code civil, il appartient au demandeur de rapporter la preuve du caractère exagéré des primes et selon l’article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Le rapport des libéralités à la succession n’est cependant du que par les héritiers ab intestat (en ce sens, Civ. I, 30 janvier 2019, n°18-12.045 et 18-13.337, 8 mars 2017, n°16-10.384).
En l’espèce, si les contrats d’assurance litigieux ne sont pas versés aux débats, il est établi par la déclaration de succession en date du 13 décembre 2021 dressé par Me [O] que Mme [F] veuve [A] avait souscrit 3 contrats à savoir un contrat numéro 518017889 le 9 février 2001, un contrat numéro 718031762 le 21 juin 2011, tous deux auprès de la [10] et un contrat numéro OY 8860731 auprès de la compagnie [7] le 11 mai 2020.
Il ressort des pièces versées aux débats que la défunte était âgée de 73 ans lors de la souscription du premier contrat, 83 ans lors du second et 82 ans pour celui conclu auprès de la compagnie [7] le 11 mai 2020.
Mme [F] veuve [A] a versé après 70 ans à titre de primes, 11 281,23 euros pour le premier contrat, 188 373,55 euros pour le second et 70071 euros pour troisième soit un montant total de 269 725,78 euros. Ce montant apparait important eu égard à la composition de l’actif successoral dépourvu de tout bien immobilier et composé uniquement de liquidités et de parts sociales d’un montant de 15834,44 euros auprès de la [9] située à [Localité 13] et de 5659,06 euros auprès de la [8] située à [Localité 11] soit au total la somme de 21 493,5 euros correspondant à moins de 10% des capitaux versés sur les contrats d’assurance-vie. En outre, il apparait que la part nette dans la succession de M. [P] [A] et de Mme [R] [A] épouse [E] s’est élevée chacun à 4998 euros contre 249223 euros revenant à Mme [S] [N]–[H] née [A].
Par conséquent, il y a lieu de considérer que ces éléments soulignent le caractère manifestement exagéré des primes versées.
Les primes manifestement exagérées sont rapportées intégralement à la succession : néanmoins et au regard de la demande formée par M. [P] [A] et de Mme [R] [A] épouse [E], Mme [S] [N]-[H] née [A] sera condamnée à rapporter à la succession de Mme [T] [F] veuve [A] les deux tiers des primes versées au titre des contrats d’assurance-vie souscrits auprès de la [10] numéros 518017889 et 718031762 et auprès de la compagnie [7] numéro OY8860731 soit la somme de 179 817,16 euros.
En conséquence, les parties seront renvoyées devant Me [C] [U] en vue de la régularisation de l’acte de partage.
II. Sur les autres demandes
Sur les dépens
En application de l’article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge par décision motivée, n’en mettre la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, Mme [S] [N]-[H] née [A], partie perdante, sera condamnée aux dépens.
Sur les demandes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
En application de l’article 700 du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
Mme [S] [N]-[H] née [A] condamnée aux dépens sera condamnée au paiement de la somme de 1500 euros à M. [P] [A] et de Mme [R] [A] épouse [E] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
La demande de formée par Mme [S] [N]-[H] née [A] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile sera rejetée.
Sur l’exécution provisoire
L’article 514 du Code de procédure nouvelle prévoit que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Aux termes de l’article 514-1 du Code de procédure civile, le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.
En l’espèce, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE Mme [S] [N]-[H] née [A] à rapporter à la succession de Mme [T] [F] veuve [A] les deux tiers des primes versées au titre des contrats d’assurance-vie souscrits auprès de la [10] numéros 518017889 et 718031762 et auprès de la compagnie [7] numéro OY8860731 soit la somme de 179.817,16 € (CENT SOIXANTE-DIX-NEUF MILLE HUIT CENT DIX-SEPT EUROS SEIZE CENTIMES).
RENVOIE les parties devant Me [C] [U], notaire à [Localité 12], afin de régularisation de l’acte de partage ;
CONDAMNE Mme [S] [N]-[H] née [A] au paiement de la somme de 1.500,00 € (MILLE CINQ CENTS EUROS) à M. [P] [A] et de Mme [R] [A] épouse [E] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
REJETTE la demande de M. [P] [A] et de Mme [R] [A] épouse [E] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [S] [N]-[H] née [A] aux dépens.
CONSTATE l’exécution provisoire du présent jugement;
Et ce jugement a été signé par le Président et le Greffier.
Le Greffier, Le Président,
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