Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Mulhouse
Thématique : Vente d’un véhicule : enjeux de la garantie des vices cachés et responsabilité des parties.
→ RésuméAcquisition du véhiculeM. [J] [E] a acheté un véhicule Rolls Royce, modèle Silver Shadow, à M. [M] [P] pour 13 000 euros, selon un certificat de cession daté du 5 juillet 2019. Le véhicule avait reçu un certificat de contrôle technique favorable le 17 juin 2019. Litige et demande en justiceM. [E] a constaté des désordres importants sur le véhicule et a intenté une action en justice contre M. [P] et la Sas […] le 14 décembre 2020, demandant la résolution de la vente et une indemnisation pour ses préjudices. Expertise judiciaireLe tribunal a ordonné une expertise judiciaire, d’abord confiée à M. [Z] [I], puis à M. [T] [D] et enfin à M. [W] [H]. Ce dernier a remis son rapport le 19 avril 2023, confirmant la présence de vices cachés sur le véhicule. Demandes de M. [E]Dans ses conclusions du 20 mars 2024, M. [E] a demandé la résolution de la vente, la restitution du prix de vente, le remboursement de frais de transport et de carte grise, ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice de jouissance et comportement dolosif de M. [P]. Réponse de M. [P]M. [P] a contesté les demandes de M. [E], arguant que les vices étaient mineurs et que le véhicule était un véhicule de collection. Il a également demandé des dommages-intérêts pour frais de justice. Position de la Sas […]La Sas […] a également demandé le rejet des demandes de M. [E], affirmant qu’il n’avait pas prouvé l’existence de vices cachés et que le véhicule devait être considéré comme un véhicule de collection. Décision du tribunalLe tribunal a prononcé la résolution de la vente, ordonnant à M. [P] de restituer le prix de vente à M. [E] et de récupérer le véhicule. M. [P] a été condamné à verser des sommes pour les frais de transport, de carte grise et le préjudice de jouissance. Responsabilité de M. [P] et de la Sas […]Le tribunal a établi que M. [P] avait connaissance des vices affectant les plaquettes de frein, tandis que la Sas […] a été jugée responsable pour ne pas avoir détecté un vice majeur lors du contrôle technique. Les deux défendeurs ont été condamnés in solidum à indemniser M. [E]. Frais et dépensM. [P] et la Sas […] ont été condamnés aux dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire, et à verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile à M. [E]. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MULHOUSE
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[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 5]
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Première Chambre Civile
MINUTE n°
N° RG 20/00684 – N° Portalis DB2G-W-B7E-HDQH
KG/BD
République Française
Au Nom du Peuple Français
JUGEMENT
DU 26 novembre 2024
Dans la procédure introduite par :
Monsieur [J] [E]
demeurant [Adresse 2] – [Localité 1]
représenté par Maître Jean-michel ARCAY de la SELARL BOKARIUS & ARCAY, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 5
– partie demanderesse –
A l’encontre de :
S.A.S. […]
dont le siège social est sis [Adresse 8] – [Localité 7]
représentée par Maître Rachel BURGER de la SELARL OCEA, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 73
Monsieur [M] [P]
demeurant [Adresse 3] – [Localité 6]
représenté par Maître Marc STAEDELIN de l’ASSOCIATION STAEDELIN MULLER, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 17
– partie défenderesse –
CONCERNE : Demande en garantie des vices cachés ou tendant à faire sanctionner un défaut de conformité
Le Tribunal composé de Blandine DITSCH, Juge au Tribunal de céans, statuant à Juge unique, et de Thomas SINT, Greffier
Jugement contradictoire en premier ressort
Après avoir à l’audience publique du 15 octobre 2024, entendu les avocats des parties en leurs conclusions et plaidoiries, et en avoir délibéré conformément à la loi, statuant comme suit, par jugement mis à disposition au greffe ce jour :
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant certificat de cession en date du 5 juillet 2019, M. [J] [E] a acquis auprès de M. [M] [P] un véhicule de marque Rolls Royce, type Silver Shadow, immatriculé […], au prix de 13 000 euros.
Le véhicule a fait l’objet d’un certificat de contrôle technique favorable établi le 17 juin 2019 par la Sas […].
Arguant d’importants désordres affectant le véhicule, alors immatriculé […], M. [E] a, par exploit d’huissier de justice en date du 14 décembre 2020, attrait M. [P] et la Sas […] (ci-après dénommée la Sas […]) devant le tribunal judiciaire de Mulhouse aux fins de résolution judiciaire de la vente et d’indemnisation de ses préjudices.
Par décision du 16 juin 2022, le juge de la mise en état a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [Z] [I], remplacé par M. [T] [D], puis par M. [W] [H] par décisions des 22 août et 14 novembre 2022.
M. [W] [H] a déposé son rapport le 19 avril 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2024, M. [E] demande au tribunal de :
– prononcer la résolution judiciaire de la vente intervenue le 5 juillet 2019, aux torts exclusifs de M. [P] ;
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] à lui payer le montant de 13.000 € augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, en restitution du prix de vente ;
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] à lui payer le montant de 390 € augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, au titre du remboursement des frais de transport ;
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] à lui payer le montant de 906,12 € augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, au titre du remboursement des frais de carte grise ;
Subsidiairement, si la résolution de la vente ne devait pas être prononcée,
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] à lui payer le montant de 2.033,80 € augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, au titre des frais de remise en état du véhicule ;
En tout état de cause,
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] à lui payer le montant de 2.850 € augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, au titre du préjudice de jouissance (à parfaire au jour du jugement à intervenir) ;
– condamner M. [P] à lui payer le montant de 3.000 € augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, à titre de dommages-intérêts eu égard à son comportement pour le moins dolosif ;
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] à lui payer le montant de 3.000 € chacun avec les intérêts de droit à compter du jour de l’assignation, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire et juger que les intérêts dus pour une année entière seront eux-mêmes productifs d’intérêts au taux légal par application des dispositions de l’article 1342-2 du code civil ;
– condamner in solidum M. [P] et la Sas […] en tous les frais et dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire ;
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
A l’appui de ses demandes, M. [E] soutient, au visa des articles 1641 et suivants et 1240 et suivants du code civil, pour l’essentiel :
– que, contrairement à ce qui est allégué par M. [P], il ne résulte d’aucun élément du dossier que le véhicule litigieux serait un véhicule de collection,
– qu’il résulte tant de l’expertise amiable que de l’expertise judiciaire que le véhicule présente des désordres importants s’agissant, notamment, des plaquettes de frein arrière et des roulements de la roue avant gauche, ces désordres étant antérieurs à la vente puisqu’il n’a parcouru que 160 km avec le véhicule, et rendant le véhicule impropre à sa destination puisqu’ils mettent en jeu la sécurité des occupants, étant observé que M. [P] n’a communiqué aucune des pièces sollicitées par l’expert et ne s’est pas davantage expliqué sur la différence entre le kilométrage affiché lors de la vente et le kilométrage présenté par le véhicule,
– que l’expert a estimé que ces vices ne pouvaient pas être décelés par un acheteur profane,
– que M. [P] n’a jamais fait état de travaux mécaniques à faire sur le véhicule alors qu’il ne pouvait pas ignorer l’existence des vices relevés,
– que le vendeur ne l’a pas davantage informé de l’immobilisation du véhicule les années précédant la vente, ce qui résulte du kilométrage visé au procès-verbal de contrôle technique établi en 2008 et produit par la Sas […],
– que, contrairement à ce qui est allégué par M. [P], les vices relevés revêtent le niveau de gravité requis, le véhicule étant impropre à son usage compte tenu de sa dangerosité,
– que le contrôleur technique a engagé sa responsabilité civile délictuelle en établissant un contrôle technique ne faisant état que de défaillances mineures alors que le véhicule était affecté de deux défaillances majeures, l’expert judiciaire ayant relevé que l’anomalie affectant le roulement avant gauche aurait dû être détectée et signalée par le contrôleur technique,
– qu’il n’a jamais eu connaissance du procès-verbal de contrôle technique réalisé en 2008,
– qu’il n’a lui-même pu utiliser le véhicule que pendant une courte durée, pour parcourir 160 kilomètres de sorte que la Sas […] invoque, à tort, un flou sur le kilométrage parcouru et l’absence d’entretien sur mesure,
– que, si la résolution judiciaire n’était pas prononcée, le coût de remise en état doit être inclure les frais de main d’oeuvre.
Par conclusions signifiées par Rpva le 16 janvier 2024, M. [P] sollicite du tribunal de :
– débouter le demandeur de l’ensemble de ses fins et prétentions principales et accessoires,
– condamner M. [E] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [P] fait valoir, au visa des articles 1641 et suivants du code civil, et de l’article 700 du code de procédure civile, en substance :
– l’expert retient l’existence de deux vices mais chiffre le montant des réparations à la somme de 1 478,20 euros, ce qui est négligeable par rapport à la valeur du véhicule de sorte que le vice est dépourvu de l’importance nécessaire pour justifier une action rédhibitoire,
– que la notion d’impropriété à destination ne doit pas être confondue avec la notion d’impropriété à la circulation, les revendications de l’acheteur devant être appréciées au regard de l’âge et de la durée d’utilisation du véhicule, le véhicule litigieux étant, au regard de son âge, un véhicule de collection dont l’état d’usure relève du vieillissement normal du véhicule,
– que M. [E] ne rapporte pas la preuve d’un vice caché, le rapport d’expertise privé ne présentant aucune garantie d’impartialité et d’objectivité, le contrôle technique du 26 février 2020 étant largement postérieur à la vente et l’expert judiciaire ne relevant que deux éléments d’usure de nature mineure dans leur valorisation,
– que M. [P] n’a jamais caché l’état réel du véhicule, vendu à un prix modique, et alors qu’il ne présentait aucune défaillance majeure selon le procès-verbal de contrôle technique du 17 juin 2019,
– que, subsidiairement, n’étant pas professionnel de l’automobile, alors que le procès-verbal de contrôle technique ne faisait état que de défaillances mineures et en l’absence de dissimulation volontaire, sa bonne foi doit être retenue, étant observé que M. [E] n’a eu connaissance des défaillances du véhicule que lorsqu’il a cherché à le revendre.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 25 janvier 2024, la Sas […] demande au tribunal de :
– débouter M. [E] de ses demandes à son encontre ;
– condamner M. [E] à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [E] aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la Sas […] expose, au visa de l’arrêté du 18 juin 1991, des articles 1351 et suivants, 1641 et suivants du code civil, et de l’article 9 du code de procédure civile, principalement :
– que M. [E] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un vice caché antérieur à la vente, étant observé qu’il ne s’explique pas sur les conditions d’utilisation et d’entreposage du véhicule pendant 8 mois,
– que le véhicule litigieux doit être considéré comme un véhicule de collection aux termes de l’article R.311-16 du code de la route, dont le prix de vente extrêmement bas était en cohérence avec son état,
– que le contrôle technique est un examen visuel portant sur des points définis,
– qu’elle a établi un contrôle technique défavorable pour défaillances critiques le 6 juin 2019 de sorte qu’il ne peut lui être imputé une connivence avec le vendeur,
– que le contrôleur technique devait uniquement vérifier, lors de la contre-visite, l’état des défaillances critiques, étant précisé qu’il n’est pas responsable de la qualité de la réparation réalisée,
– qu’aucune condamnation solidaire avec le vendeur ne saurait intervenir, puisqu’elle n’est pas intervenue dans la relation contractuelle entre vendeur et acheteur et n’a réalisé sa prestation que dans le cadre d’une visite ordinaire, et non en vue d’une vente,
– que l’état du véhicule traduisait un délabrement,
– que l’expert relève qu’elle a pu ne pas détecter le jeu des roulements de la roue avant droite qui est très léger et qu’elle ne pouvait pas détecter l’état d’usure des plaquettes de frein arrières en l’absence de trappe de visite,
– que la présence d’un jeu de roulement sur un véhicule de collection ne constitue pas une perte d’usage justifiant une action rédhibitoire puisqu’il n’est pas établi que M. [E] n’aurait pas acquis le véhicule s’il en avait eu connaissance, étant observé que l’antériorité du vice n’est pas démontrée.
Une ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2024.
Il est, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé au dossier de la procédure, aux pièces versées aux débats et aux conclusions des parties ci-dessus visées.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,
PRONONCE la résolution de la vente du véhicule Rolls Royce modèle Silver Shadow conclue entre M. [M] [P] et M. [J] [E] le 5 juillet 2019 ;
DIT que M. [J] [E] devra tenir le véhicule Rolls Royce modèle Silver Shadow immatriculé […] à la disposition de M. [M] [P], afin que ce dernier le récupère, à ses propres frais, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision ;
CONDAMNE M. [M] [P] à payer à M. [J] [E] la somme de 13.000,00 € (TREIZE MILLE EUROS) au titre de la restitution du prix de vente, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020 ;
REJETTE la demande en restitution du prix de vente formée par M. [J] [E] à l’encontre de la Sas […] ;
CONDAMNE in solidum M. [M] [P] et la Sas […] à verser à M. [J] [E] les sommes suivantes :
– 390,00 € (TROIS CENT QUATRE-VINGT-DIX EUROS) au titre du remboursement des frais de transport,
– 906,12 € (NEUF CENT SIX EUROS DOUZE CENTIMES) au titre du remboursement des frais d’établissement de carte grise,
– 2.850,00 € (DEUX MILLE HUIT CENT CINQUANTE EUROS) au titre du préjudice de jouissance,
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;
REJETTE, pour le surplus, la demande de dommages et intérêts formée par M. [J] [E] à l’encontre de M. [M] [P] ;
CONDAMNE in solidum M. [M] [P] et la Sas […] à verser à M. [J] [E], au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme totale de 2.000,00 € (DEUX MILLE EUROS) des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement ;
REJETTE les demandes de M. [M] [P] et de la Sas […], formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT que les intérêts produits par les sommes mises à la charge de M. [M] [P] et de la Sas […] au profit de M. [J] [E], produiront eux-mêmes des intérêts, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;
CONDAMNE in solidum M. [M] [P] et la Sas […] aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire ;
CONSTATE l’exécution provisoire du présent jugement.
Et ce jugement a été signé par le Président et le Greffier.
Le Greffier, Le Président,
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