Tribunal judiciaire de Mulhouse, 17 janvier 2025, RG n° 23/00589
Tribunal judiciaire de Mulhouse, 17 janvier 2025, RG n° 23/00589

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Mulhouse

Thématique : Responsabilité et indemnisation suite à un accident aérien tragique

Résumé

Décès de M. [M] [K] et plainte initiale

M. [M] [K] est décédé le [Date décès 1] 2017 alors qu’il pilotait un ULM DYNAMIC WT9 appartenant à M. [N] [D], qui a été détruit lors de l’accident. Suite à ce décès, Mme [W] [J] veuve [K] a déposé une plainte contre X auprès du procureur de la République de Mulhouse le 29 mai 2017, mais celle-ci a été classée sans suite.

Procédures judiciaires et demandes d’indemnisation

Par acte introductif d’instance déposé le [Date décès 1] 2019, M. [D] a assigné Mme [W] [J] devant le tribunal judiciaire de Mulhouse pour obtenir une indemnisation de 89 249,60 euros, correspondant à la valeur de l’ULM. En parallèle, le 7 octobre 2019, Mme [W] [J] a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour homicide involontaire. Le juge a ordonné un sursis à statuer en attendant l’issue de la procédure d’instruction.

Jugement et ordonnance de non-lieu

Le 23 août 2022, le tribunal judiciaire de Mulhouse a rejeté l’action de M. [D] contre l’assureur de l’ULM, la société STARR UNDERWRITING. Une ordonnance de non-lieu a été rendue le 30 janvier 2023, plaçant M. [D] sous le statut de témoin assisté pour homicide involontaire.

Reprise de l’instance et nouvelles conclusions

La reprise de l’instance a été autorisée le 13 octobre 2023, et l’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 23/00589. Dans ses conclusions du 2 octobre 2024, M. [D] a formulé plusieurs demandes, notamment le paiement de 89 249,60 euros par Mme [W] [J] et des dommages et intérêts pour demande reconventionnelle abusive.

Arguments de M. [D]

M. [D] soutient que le pilote emprunteur est responsable de la bonne conservation de l’aéronef et que, en l’absence de preuve de force majeure, il doit indemniser le prêteur. Il évoque également des fautes de M. [K] liées à l’ouverture de la verrière et à son état de santé, qui aurait pu affecter sa capacité à piloter.

Arguments de Mme [W] [J] et de ses enfants

Mme [W] [J] et ses enfants contestent la qualification du contrat comme prêt à usage, arguant qu’il s’agissait d’un contrat de louage. Ils demandent également des indemnités pour préjudice d’affection et patrimonial, tout en soutenant que M. [D] n’a pas respecté ses obligations en tant que bailleur.

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré recevables les interventions volontaires des enfants de M. [K] et a rejeté la demande de M. [D] pour le paiement de 89 249,60 euros. Les demandes reconventionnelles de Mme [W] [J] et de ses enfants ont également été rejetées, tout comme la demande de dommages et intérêts pour demande reconventionnelle abusive de M. [D]. Chaque partie a conservé la charge de ses frais et dépens, et l’exécution provisoire a été écartée.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MULHOUSE
———————————
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
—————————-
Première Chambre Civile

MINUTE n°
N° RG 23/00589 – N° Portalis DB2G-W-B7H-IPM2

KG/JLD
République Française

Au Nom du Peuple Français

JUGEMENT

DU 17 janvier 2025
Dans la procédure introduite par :

Monsieur [N] [D]
demeurant [Adresse 2]

représenté par Maître Jean-luc ROSSELOT de l’ASSOCIATION MOSER ROSSELOT SCHULTZ, avocats au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 24, Me Nicolas SIMOENS, avocat au barreau de COLMAR,

– partie demanderesse –

A l’encontre de :

Madame [W] [J] veuve [K]
demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Ange BUJOLI, avocat au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 14

– partie défenderesse –

Monsieur [V] [K]
demeurant [Adresse 3]

Madame [H] [K]
demeurant [Adresse 6]

représentés par Me Ange BUJOLI, avocat au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 14

– partie intervenante –

CONCERNE : Demande en réparation des dommages causés par d’autres faits personnels

Le Tribunal composé de :

Président : Ziad EL IDRISSI, Premier Vice-Président
Assesseur : Jean-Louis DRAGON, Juge
Assesseur : Françoise HARIVELLE, Magistrat honoraire
Greffier : Thomas SINT, Greffier

Jugement contradictoire en premier ressort

Après avoir à l’audience publique du 08 novembre 2024, entendu les avocats des parties en leurs conclusions et plaidoiries, et en avoir délibéré conformément à la loi, statuant comme suit, par jugement mis à disposition au greffe ce jour :

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [K] est décédé le [Date décès 1] 2017 alors qu’il pilotait un ULM DYNAMIC WT9 appartenant à M. [N] [D] qui a été détruit au cours de l’accident.

A la suite de ce décès, Mme [W] [J] veuve [K] a déposé plainte contre X auprès du procureur de la République de MULHOUSE le 29 mai 2017 qui a fait l’objet d’un classement sans suite.

Par acte introductif d’instance transmis au greffe le [Date décès 1] 2019, M. [D] a attrait Mme [W] [J] veuve [K] devant le tribunal judiciaire de MULHOUSE a fin d’obtenir au principal une indemnisation à hauteur de 89 249,60 euros correspondant à la valeur de l’ULM.
Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG 19/00301.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 octobre 2019, Mme [W] [J] veuve [K] a déposé plainte avec constitution de partie civile contre X pour homicide involontaire auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de MULHOUSE.

Par ordonnance en date du 4 mai 2021 rectifiée suite à une erreur matérielle par ordonnance du 1er juin 2021, le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure d’instruction.

Par jugement en date du 23 août 2022, le tribunal judiciaire de MULHOUSE a rejeté l’action intentée par M. [D] contre l’assureur de l’ULM, la société STARR UNDERWRITING.

Aux termes de l’information judiciaire menée dans laquelle M. [D] a été placé
sous le statut de témoin assisté pour les faits d’homicide involontaire, une ordonnance de non-lieu a été rendue le 30 janvier 2023.

La reprise de l’instance a été autorisée par le président de la première chambre civile le 13 octobre 2023 et l’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 23/00589.

Dans ses dernières conclusions transmises le 2 octobre 2024, M. [D] sollicite du tribunal de :
– condamner Mme [W] [J] veuve [K] à lui payer la somme de 89 249,60 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de délivrance de l’assignation, qui emporte les effets de l’article 1231-6 du Code civil ;
– réserver les droits du demandeur s’agissant du surplus du préjudice lié au gardiennage de l’aéronef pour la période postérieure au 31 mai 2018 ;
– débouter Mme [W] [J] veuve [K] et ses deux enfants Mme [H] [K] et M. [V] [K] de l’intégralité de leurs prétentions, fins et moyens et les condamner à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour demande reconventionnelle abusive ;
– condamner Mme [W] [J] veuve [K] et ses deux enfants Mme [H] [K] et M. [V] [K] à lui payer la somme de 10000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de la procédure ;
– juger que le jugement à intervenir sera assorti de l’exécution provisoire de droit s’agissant de sa demande principale et subsidiairement ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant toute voie de recours ;
– juger n’y avoir lieu à exécution provisoire s’agissant de la demande reconventionnelle de Mme [K] née [J] et de ses deux enfants Mme [H] [K] et M. [V] [K].

Au soutien de ses conclusions, M. [D] expose que :
– au visa des articles 1875 et suivants du Code civil relatif au prêt à usage et en particulier l’article 1880 du Code civil, le pilote emprunteur doit veiller à la bonne conservation de l’aéronef emprunté et il est responsable de sa détérioration en cas d’accident sauf cas de force majeure ou s’il rapporte la preuve de l’absence de faute de sa part ;
– lorsque les causes de l’accident sont indéterminées, le pilote emprunteur est présumé responsable de la perte de l’aéronef prêté et en cas de décès, ses ayants droit sont tenus d’indemniser le prêteur ;
– au visa de l’article 1241 alinéa 1 du Code civil, M. [K] avait la garde de la chose : au regard du rapport du BUREAU ENQUETES ANALYSES (BEA) qui indique que la chute de l’ULM procède d’un défaut de la fermeture de la verrière, M. [K] n’a pas porté une attention suffisante à cette dernière et il ne s’agit pas d’un problème technique. En outre, ayant lui même piloté l’appareil, il n’a jamais constaté de dysfonctionnement de cette verrière ;
– il est avéré que M. [K] souffrait de problèmes cardiaques et que la pratique du pilotage d’un ULM était contre-indiquée au regard de sa santé : son état médical ne lui a pas permis de réagir correctement face à l’ouverture de la verrière ;
– la présente procédure n’est nullement abusive, la question de l’indemnisation aurait pû être réglée si Mme [W] [J] veuve [K] avait sollicité l’assurance responsabilité civile de son mari ;
– la plainte déposée par Mme [W] [J] veuve [K] est de nature à retarder l’issue de la procédure d’indemnisation et l’attitude de cette dernière renvoie à une résistance abusive ;
– en réponse aux conclusions de Mme [W] [J] veuve [K] aucune négligence ou imprudence ne peut lui être reprochée ;
– par ailleurs le prêt à usage n’exclut pas une participation aux frais tel que le paiement du carburant versé au titre de l’utilisation de l’aéronef ;
– il ne s’agit pas non plus d’un contrat de louage au visa de l’article 1709 du Code civil puisqu’il n’y avait pas de rémunération pour ce prêt à usage ;
– la participation versée au titre des frais versés ne correspond pas au prix d’une location horaire ;
– il n’est pas démontré par la défenderesse l’absence de faute ou l’intervention d’un cas de force majeure ;
– à titre subsidiaire et s’il devait être considéré l’existence d’un contrat de louage et non d’un prêt à usage et au visa de l’article 1732 du Code civil, M. [K] doit répondre des dégradatations qui arrivent pendant sa jouissance à moins que Mme [W] [J] veuve [K] ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ;
– cette faute est constituée en l’espèce par le fait d’avoir décidé de continuer à piloter un ULM alors qu’il était porteur d’un défibrillateur et par l’absence de vérification de la fermeture de la verrière ;
– il appartient à la défenderesse de rapporter la preuve de l’absence de faute de son mari ;
– aucune responsabilité ne saurait lui être imputée : l’entretien de l’appareil a été réalisé, seule la carte d’identification de l’aéronef, simple formalité administrative, n’a pas été renouvelée, ce qui n’a eu aucune conséquence sur la capacité de l’appareil à voler.

Dans leurs dernières conclusions avec interventions volontaires de M. [V] [K] et Mme [H] [K] transmises le 5 juillet 2024, Mme [W] [J] veuve [K] et ces derniers sollicitent du tribunal :

à titre principal,
– déclarer recevable l’intervention volontaire en principal de M. [V] [K] et de Mme [H] [K] et de débouter M. [D] de l’intégralité de ses demandes ;

à titre reconventionnel,
– condamner M. [D] à payer la somme de 30 000 euros à Mme [W] [J] veuve [K] , 25 000 euros à Mme [H] [K] et 25 000 euros à M. [V] [K] au titre du préjudice d’affection ;
– condamner M. [D] à payer à Mme [W] [J] veuve [K] 840268 euros à titre de réparation du préjudice patrimonial ;
– condamner M. [D] à payer à Mme [W] [J] veuve [K] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens.

Au soutien de leurs conclusions, Mme [W] [K] née [J], Mme [H] [K] et M. [V] [K] exposent que :
– l’intervention volontaire doit être déclarée recevable ;
– s’agissant de l’existence du prêt à usage allégué par M. [D], M. [K] ne pilotait pas l’ULM prêté gracieusement mais contre rémunération : il s’agit donc d’un contrat de louage de chose qui est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer ;
– en l’espèce le temps et le prix ont été déterminés par M .[D] ;
– aucune faute de la part du pilote n’est démontrée par M. [D] à qui la charge de la preuve de cette dernière incombe ;
– la valeur de l’appareil n’est pas justifiée ;
– au visa de l’article 1721 du Code civil applicable au contrat de louage d’ouvrage et en particulier au contrat de location d’aéronef, le balleur est tenu de garantir le preneur des conséquences dommageables qui résulteraient des vices ou défauts de la chose ;
Le bailleur est également tenu d’entretenir l’aéronef, ce dernier restant le gardien de la structure ;
– au visa des dispositions de l’article 1194 du Code civil et sur l’obligation de sécurité et de moyens, M. [D] n’ignorait pas le problème concernant l’ouverture intempestive de la verrière de l’avion. L’enquête pénale a démontré en outre que la verrière était bien ouverte avant l’accident et que l’ULM n’était pas administrativement apte au vol ;
– sur la demande reconventionnelle et au visa de l’article 1231-1 du Code civil, ils sont fondés à obtenir réparation du préjudice d’affection et patrimonial subi.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 octobre 2024.

À l’audience de plaidoirie en date du 8 novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 17 janvier 2024.

Il est, en application de l’article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé au dossier de la procédure, aux pièces versées aux débats et aux conclusions des parties ci-dessus visées.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DECLARE recevables les interventions volontaires de M. [V] [K] et Mme [H] [K] ;

REJETTE la demande de condamnation en paiement de la somme de 89 249,60 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de délivrance de l’assignation formée par M. [N] [D] à l’encontre de Mme [W] [J] veuve [K] ;

REJETTE la demande de réserve des droits de M. [N] [D] s’agissant du surplus lié au gardiennage de l’aéronef pour la période postérieure au 31 mai 2018 ;

REJETTE les demandes reconventionnelles en paiement au titre du préjudice d’affection formées par Mme [W] [J] veuve [K], M. [V] [K] et Mme [H] [K] à l’encontre de M. [N] [D] ;

REJETTE la demande reconventionnelle en paiement au titre du préjudice patrimonial formée par Mme [W] [J] veuve [K] à l’encontre de M. [N] [D] ;

REJETTE la demande de dommages et intérêts pour demande reconventionnelle abusive formée par M. [N] [D] ;

REJETTE les demandes de M. [N] [D] et de Mme [W] [J] veuve [K] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

DIT que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens ;

ECARTE l’exécution provisoire du présent jugement.

Et ce jugement a été signé par le Président et le Greffier.

Le Greffier, Le Président,

 


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