Tribunal judiciaire de Marseille, 6 février 2025, RG n° 23/05805
Tribunal judiciaire de Marseille, 6 février 2025, RG n° 23/05805

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille

Thématique : Responsabilité médicale et complications post-opératoires : évaluation des antécédents du patient

Résumé

Exposé du litige

Le litige concerne un patient, désigné ici comme un malade, qui a subi une série d’interventions médicales suite à des douleurs lombaires. En janvier 2011, ce malade a été hospitalisé et a reçu un diagnostic de canal lombaire étroit. Il a été pris en charge par un médecin spécialiste, qui a noté un déficit moteur. Après une première opération pour retirer une hernie, le malade a tenté de se lever seul, ce qui a entraîné une chute et une réopération. Par la suite, il a souffert de complications, notamment des troubles sphinctériens, et a été hospitalisé à plusieurs reprises.

Demandes et moyens des parties

Le malade et une intervenante volontaire, désignée comme une proche, ont demandé au tribunal de condamner solidairement le médecin et l’hôpital à verser des indemnités pour le préjudice corporel et moral subi. Ils soutiennent que le lien entre les complications neurologiques et un diabète préexistant est peu probable, et que l’hôpital et le médecin doivent être tenus responsables des infections nosocomiales. En revanche, le médecin a demandé le rejet des demandes, arguant qu’aucun manquement n’avait été établi à son encontre et que les complications étaient dues à un état antérieur du malade.

Conclusions des experts

Les experts médicaux ont conclu que les interventions réalisées par le médecin étaient conformes aux standards de soins et que les complications survenues étaient des événements classiques après des manipulations chirurgicales sur un tissu nerveux déjà altéré. Ils ont également noté que le diabète du malade était un facteur aggravant, mais n’étaient pas responsables des complications. Les experts ont maintenu que les troubles neurologiques étaient préexistants et n’étaient pas causés par une faute du médecin ou de l’hôpital.

Décision du tribunal

Le tribunal a débouté le malade et sa proche de leurs demandes, concluant qu’aucune faute n’avait été prouvée contre le médecin ou l’hôpital. En conséquence, le tribunal a condamné le malade et sa proche à payer les dépens et des frais d’avocat au médecin et à l’hôpital. La décision a été rendue le 6 février 2025.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 25/ DU 06 Février 2025

Enrôlement : N° RG 23/05805 – N° Portalis DBW3-W-B7H-3EKT

AFFAIRE : M. et Mme [U] (Me Soraya SLIMANI)
C/ M. [D] [Y] [N] et autres

DÉBATS : A l’audience Publique du 05 Décembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 06 Février 2025

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

réputée contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

Monsieur [K] [U]
né le [Date naissance 2] 1951
de nationalité Française, retraité, demeurant et domicilié [Adresse 4]

Madame [R] [U] – PARTIE INTERVENANTE
née le [Date naissance 1] 1951
de nationalité Française, retraitée, demeurant et domiciliée [Adresse 4]

représentés par Maître Soraya SLIMANI, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDEURS

Monsieur [D] [Y] [N]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]

représenté par Maître Basile PERRON, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A. HOPITAL PRIVE [6]
dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Maître Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

CPAM DES BOUCHES DU RHONE
dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

défaillante

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et procédure :

Monsieur [K] [U] a fait l’objet d’une prise en charge pour lombo-cruralgies et hyperalgie déficitaire.

En janvier 2011, il a été hospitalisé à l’Hôpital d’instruction des Armées [7]. Le bilan qui a été effectué, a mis en évidence un canal lombaire étroit.

Monsieur [K] [U] a alors été adressé au docteur [N], exerçant au sein de l’hôpital [6] qui l’a vu la première fois le 2 janvier 2011. Il a noté un déficit moteur.

Monsieur [U] a été opéré le 4 février pour exérèse d’une hernie L3-L4 par le docteur [N].
Pour son premier lever, Monsieur [U] a bénéficié de l’aide d’un kinésithérapeute de l’hôpital.

Le jour suivant l’opération, Monsieur [U] n’a pas respecté les recommandations qui lui ont été données en tentant de se lever seul et a chuté.

Monsieur [U] a été réopéré le 6 février 2011 pour récidive du fragment de la hernie.

Monsieur [U] a récupéré ensuite sur le plan moteur, mais est resté douloureux au niveau de la selle, avec des troubles sphinctériens, associant rétention urinaire et constipation correspondant à un syndrome de la queue de cheval.

Monsieur [U] a ensuite été hospitalisé à la Clinique [8] du 11 au 18 février.

Monsieur [U] a été hospitalisé à l’Hôpital [6] du 18 février au 3 mars 2011 pour bilan de ses troubles sphinctériens et douleurs du genou gauche.

Monsieur [U] a intégré le centre de rééducation spécialisé [9] le 3 mars 2011 pour 3 mois.

Un bilan effectué en avril 2014 a relevé un adénome prostatique ainsi qu’un syndrome de la queue de cheval sur neuropathie diabétique.

Monsieur [U] a effectué également des infiltrations.

Monsieur [U] a été hospitalisé du 19 au 27 octobre 2016 au sein de l’AP-HM et a été opéré par le docteur [V] le 20 octobre 2016 pour une extension de laminectomie L3-L5.

Cette opération s’est compliquée par une infection et a nécessité une reprise le 17 novembre 2016.

Monsieur [U] a été transféré dans le service du docteur [Z] pour son problème infectieux du 22 au 29 novembre 2016. L’antibiothérapie a été prescrite jusqu’au 25 février 2017.

Monsieur [U] a été dirigé vers la clinique [9] à partir du 29 novembre 2016 jusqu’au 27 janvier 2017.

Il a par la suite saisi la Commission de conciliation et d’indemnisation Provence Alpes Côtes d’Azur laquelle a désigné un expert en la personne du docteur [E].
Par avis du 11 décembre 2019, la commission s’est déclarée insuffisamment informée pour statuer et a sollicité l’avis d’un infectiologue et d’un sapiteur endocrinologue afin de déterminer les liens entre la neuropathie et un diabète de type II.
Un nouvel accédit s’est déroulé le 16 septembre 2020 avec la présence du docteur [G] en qualité de co-expert infectiologue et du docteur [S], sapiteur endocrinologue.
Les experts ont déposé leur rapport le 23 novembre 2020 aux termes duquel ils concluent à l’absence de toute responsabilité à l’encontre de l’hôpital [6] ainsi que du docteur [N].

Il est retenu par contre une infection nosocomiale imputable à l’AP-HM.

Le 5 mai 2021, la CCI a rendu un avis d’incompétence pour seuil de compétence non atteint.

Par acte de commissaire de justice du 2 juin 2023 monsieur [K] [U] a fait assigner le docteur [N] et l’Hôpital Privé [6], en présence de la CPAM des Bouches du Rhône.

Demandes et moyens des parties :

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 3 septembre 2024 monsieur [K] [U] et madame [R] [U], intervenante volontaire, demandent au tribunal de condamner solidairement le docteur [N] et l’Hôpital Privé [6] à payer :
à monsieur [K] [U] la somme totale de 106.370 €, en réparation de son préjudice corporel,à madame [R] [U], la somme totale de 80.000 € en réparation de son préjudice moral et de son préjudice d’affection,outre la somme de 3.800 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes ils font valoir qu’il résulte de l’avis du docteur [S] que le lien entre le diabète et la pathologie neurologique initiale est peu probable, et qu’en l’absence d’état antérieur prouvé, le docteur [N] et l’Hôpital privé [6] doivent être condamnés à les indemniser du préjudice subi, ainsi que de celui résultant de l’infection nosocomiale contractée par la suite.

Le docteur [N] a conclu le 27 mars 2024 au rejet des demandes formées à son encontre, subsidiairement à la réduction à hauteur de 50 % de la part d’indemnisation de monsieur [U] qui pourrait être mise à sa charge du fait de l’existence d’un état antérieur et en tout état de cause au rejet des demandes de madame [U] et à la condamnation de monsieur [U] à lui payer la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le docteur [N] expose qu’aucun manquement n’a été retenu à son encontre par les experts qui ont retenu la survenance d’un aléa thérapeutique, consistant en des complications classiques de ce genre d’intervention, ce qui permet de conclure que leur apparition ne résulte pas d’une maladresse opératoire. Il ajoute que pour l’appréciation d’une faute éventuelle le débats sur le lien entre le diabète et la complication neurologique est sans objet, les demandeurs ne démontrant par ailleurs par l’existence de la faute technique qu’ils lui imputent.
À titre subsidiaire, il expose que les experts ont conclu au fait que l’état antérieur de monsieur [U] est un facteur favorisant la survenue des complications qui se sont fait jour, indépendamment du geste chirurgical réalisé, à hauteur de 50 % de l’état séquellaire du patient.

L’Hôpital privé [6] a conclu le 17 juin 2024 au rejet des demandes formées à son encontre et à la condamnation de monsieur [U] à lui payer la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile aux motifs que les praticiens exerçant dans ses locaux ne sont pas ses préposés, que les experts n’ont pas retenu de manquement qui lui soit imputable dès lors que l’accident survenu le 5 février 2011 a eu lieu alors que monsieur [U] n’a pas respecté les préconisations qui lui ont été faites, que la polyneuropathie dont il est atteint constitue une complication classiques après manipulations itératives d’un tissu préalablement altéré, et est probablement en rapport avec l’évolution d’un diabète ou d’un état antérieur préexistant.

La CPAM des Bouches du Rhône n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE :

En application de l’article L 1142-1 I du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
La faute médicale se rattache à un manquement du médecin à son obligation de délivrer à son patient des soins consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science au moment où il dispense les soins.

La faute du médecin ne peut être déduite de la seule survenance d’un dommage.

Il résulte en l’espèce d’un compte-rendu de prise en charge établi à la date du 28 janvier 2011 par le docteur [B], dont les termes sont repris dans le rapport d’expertise du docteur [E], que monsieur [U] présentait comme antécédents médicaux une dépression depuis 2004, une hypertension artérielle depuis 2008 et un diabète de type II traité depuis 2008 dans un contexte d’obésité.

Le compte-rendu de consultation du 2 février 2011 mentionne de même un antécédent de diabète. Il est donc établi qu’au moment de la première intervention du docteur [N] monsieur [U] présentait un diabète de type II.

Sur les interventions pratiquées par le docteur [N] les experts ont indiqué que « Telle qu’elle a été pratiquée, la première intervention chirurgicale réalisée par le docteur [N] le 4 février 2011, consistant en l’exérèse de la hernie causale à l’étage L3-L4, apparaît adaptée à l’état du patient, réalisée par un chirurgien entraîné, en conformité aux données acquises de la science à l’époque, chez un patient parfaitement informé de la nature du geste proposé et des risques y afférent, ayant signé un formulaire de consentement éclairé. »
« Le patient sera repris de façon adaptée dès le 6 février 2011 par le docteur [N], confirmant à l’occasion de cette intervention, l’existence d’une volumineuse récidive herniaire correspondant, dans le contexte, à une hernie post traumatique sur disque précédemment ouvert et éliminant l’existence d’un hématome épidural post opératoire tel que cela pourra être répété de façon récurrente par la suite, sans motif réel à une assertion de ce type. »
« Malgré ce geste de reprise et bien qu’il existe une récupération motrice rapide, confirmée au jour de l’expertise, par la constatation d’une récupération motrice totale, le patient conservera des troubles sphinctériens tant au niveau uro-génital qu’anal, constitutif d’un syndrome de la queue de cheval incomplet, vraisemblablement favorisé par la présence d’un diabète préexistant avec confirmation d’une polyneuropathie diabétique intriquée, par les différents électromyogrammes réalisés par la suite. Ces troubles étaient préexistants à la pathologie discale du patient et ont continué d’évoluer pour leur propre compte, responsables de l’aréflexie ostéotendineuse et de l’hypoesthésie en « chaussette » constatée au jour de l’expertise, probablement en rapport avec la démarche pseudo tabétique constatée responsable des troubles de l’équilibre rapportés par le patient et vraisemblablement des douleurs nocturnes décrites à type de brûlures et de sensation d’étau au niveau des pieds.
Il s’agit donc de la survenue classique de complications neurologiques après manipulations itératives d’un tissu nerveux préalablement altéré, aggravées par la survenue de deux épisodes successifs de compression subaiguë pour le premier (hernie discale L3-L4 gauche sur canal modérément serré) et aigu pour la seconde (récidive post traumatique de la hernie L3-L4). Cette condition est parfaitement connue et décrite dans la littérature, certains ayant même mis en avant le diabète comme cause favorisante de survenue d’une hernie discale en dehors de tout problème neurologique associé ».

Monsieur et madame [U] ne produisent aucun élément nouveau d’ordre médical de nature à contredire les conclusions des experts. En particulier, les experts ont répondu à l’observation du docteur [S] selon laquelle le lien entre le diabète et la pathologie neurologique est difficilement concevable en exposant qu’il leur était impossible de confirmer ou d’informer l’analyse qu’ils ont faite de l’état du patient et qu’ils maintenaient l’analyse neurologique de sa polyneuropathie en rapport avec l’évolution probable d’un diabète intriqué. Ces conclusions sont étayées par la citation des sources bibliographiques sur lesquelles ils se sont appuyés.

Il n’est par ailleurs produit aucune pièce de nature à démontrer une faute imputable à l’Hôpital privé [6].

En conséquence monsieur et madame [U] devront être déboutés de leurs demandes.

Succombant à l’instance ils en supporteront in solidum les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître BOULOUYS et de maître ZANDOTTI, avocats, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et seront condamnés in solidum à payer au docteur [N] la somme de 1.000 € et à l’Hôpital privé [6] la somme de 1.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

 


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