Tribunal judiciaire de Marseille, 30 janvier 2025, RG n° 23/12921
Tribunal judiciaire de Marseille, 30 janvier 2025, RG n° 23/12921

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille

Thématique : Responsabilité médicale et insatisfaction esthétique : enjeux et limites

Résumé

Contexte de l’Affaire

Madame [B] [G], née en 1985, a subi une chute sur son lieu de travail le 19 janvier 2008, entraînant des complications médicales telles qu’une hydrocéphalie post-traumatique, une asymétrie faciale et des céphalées sévères.

Consultations Médicales et Interventions

Après la chute, elle a consulté plusieurs chirurgiens maxillo-faciaux, dont le docteur [T] en 2010 et le docteur [R] en 2012, pour des douleurs persistantes. En 2013, le docteur [R] a réalisé une série d’interventions chirurgicales pour corriger des malocclusions dentaires, mais la patiente a exprimé son insatisfaction quant aux résultats esthétiques.

Chirurgies Suivantes et Évaluations

Madame [G] a continué à consulter divers spécialistes, dont le docteur [N] et le docteur [I], pour des douleurs et des problèmes esthétiques. Plusieurs interventions ont été réalisées entre 2014 et 2023, mais la patiente a toujours signalé des résultats insatisfaisants.

Expertise Médicale

Le juge des référés a désigné le docteur [S] comme expert, qui a conclu qu’il n’y avait pas de faute de la part du docteur [R] et que les insatisfactions de la patiente relevaient d’une simple insatisfaction esthétique, sans lien direct avec une faute médicale.

Demandes de Madame [G]

Dans ses conclusions, Madame [G] a demandé une nouvelle expertise pour évaluer la qualité des soins reçus et a réclamé des indemnités. Elle s’est appuyée sur un avis du docteur [I] qui évoquait une faute du docteur [R].

Réponse du Docteur [R] et de l’ONIAM

Le docteur [R] a rejeté les accusations et a demandé la condamnation de Madame [G] pour frais de justice. L’ONIAM a également demandé à être mis hors de cause, arguant que le dommage n’était pas imputable à un accident médical non fautif.

Décision du Tribunal

Le tribunal a statué qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner une nouvelle expertise, considérant que les conclusions de l’expert étaient suffisantes et que Madame [G] n’avait pas prouvé l’existence d’un préjudice conforme aux critères de gravité requis par la loi. Elle a été déboutée de ses demandes et condamnée à payer des frais au docteur [R].

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 25/ DU 30 Janvier 2025

Enrôlement : N° RG 23/12921 – N° Portalis DBW3-W-B7H-4IEG

AFFAIRE : Mme [B] [G] (Me Sophie MISTRE- VERONNEAU)
C/ M. [P] [R] (Maître [V] [K] de la SELARL CABINET [D])

DÉBATS : A l’audience Publique du 28 Novembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 30 Janvier 2025

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

réputée contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [B] [G]
née le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

représentée par Maître Sophie MISTRE-VERONNEAU, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDEURS

Monsieur [P] [R]
de nationalité Française, domicilié [Adresse 4]

représenté par Maître Nicolas RUA substitué par Maître Véronique ESTEVE de la SELARL CABINET ESTEVE-RUA, avocats au barreau de NICE

L’ONIAM
dont le siège social est sis [Adresse 1], pris en la personne de son directeur domicilié en cette qualité audit siège

représenté par Maître Romain ALLONGUE, avocat au barreau de MARSEILLE

CPAM DES BOUCHES DU RHONE
dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

défaillante

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et procédure :

Madame [B] [G], née le [Date naissance 2] 1985, a été victime d’une chute sur son lieu de travail le 19 janvier 2008, entraînant une hydrocéphalie post traumatique, une asymétrie faciale, et d’importantes céphalées.

Le 7 juillet 2010, elle a consulté le docteur [T], chirurgien maxillo-facial, qui a noté un syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur, qui pouvait être rattaché à la chute survenue le 18 février 2008.

Le 20 octobre 2012, la patiente a consulté le docteur [R], chirurgien maxillo-facial, pour la persistance de céphalées et de douleurs des deux articulations temporo mandibulaires, évoluant depuis 2008.

Le 14 juin 2013, le docteur [R] a réalisé une ostéotomie combinée avec une ostéotomie d’avancée mandibulaire, avancée et dérotation vers la droite du maxillaire et mentoplastie, afin de corriger les malocclusions dentaires. Un traitement orthodontique a également été mis en place.

Les suites ont été marquées par une gêne au niveau des plaques d’ostéosynthèse et une insatisfaction du résultat esthétique.

Le 16 septembre 2013, le docteur [R] a effectué une ablation du matériel d’ostéosynthèse et une symétrisation du visage par résection du bord basilaire de la branche horizontale droite de la mandibule et résection de l’os malaire droit.

Le 9 octobre suivant, madame [G] a de nouveau consulté le docteur [R], en raison du résultat esthétique, qu’elle juge peu satisfaisant.

Le 12 mars 2014, elle a consulté le docteur [N], chirurgien maxillo-facial, à l’hôpital de la [7], en raison de la persistance des douleurs aux articulations temporo-mandibulaires.

Le 11 avril suivant, un scanner des sinus a mis en évidence un épaississement muqueux en cadre du sinus maxillaire gauche.

Le 28 mai 2014, le docteur [N] a réalisé une chirurgie orthognatique sur le maxillaire, avec un nouvel encadrement orthodontique.

Le 18 juin suivant, la patiente a de nouveau consulté le docteur [N], qui a constaté un enfouissement de la vis rétro-molaire gauche du blocage bi-maxillaire. Un scanner des sinus de la face, réalisé le 11 mai 2015, a objectivé une discrète hypertrophie de la muqueuse du nasopharynx sans anomalie visible au niveau des espaces profonds de la face.

Le 21 avril 2016, madame [G] a bénéficié d’une nouvelle chirurgie orthognatique sur le maxillaire avec un nouvel encadrement orthodontique.

Le 21 juillet 2017, elle a consulté le docteur [I], chirurgien maxillo-facial, pour une correction de son asymétrie faciale.

Le 21 septembre 2017, le docteur [I] a effectué une reprise de l’ostéotomie bi-maxillaire, l’ablation de matériel, la pose d’un matériel de contention per-opératoire, la libération et le décollement des muscles masticateurs, une greffe osseuse de banque avec apposition au niveau du maxillaire.

Le 16 mai 2018, le docteur [I] a réalisé une ablation du matériel mandibulaire gauche, une avancée des apophyses GENI + et l’extraction des dents 18 et 28.

Le 29 mai 2021, le docteur [I] a constaté une absence totale des cornets inférieures, responsable du syndrome de nez vide.

Le 28 septembre 2023, le docteur [I] a effectué une reprise d’une ostéotomie bi-maxillaire, la pose d’un matériel de contention per opératoire, l’ablation du matériel, une libération et un décollement des muscles masticateurs. L’évolution au niveau de la gêne fonctionnelle a été favorable.

Par la suite madame [G] a saisi le juge des référés de ce siège qui, par ordonnance du 23 mars 2018, a désigné le docteur [S] en qualité d’expert. Celui-ci a déposé son rapport le 11 octobre 2018.
Il a conclu à l’absence de faute du docteur [R] et à l’absence de réalisation d’un aléa thérapeutique, mais à une simple insatisfaction esthétique de la patiente.

Par acte de commissaire de justice des 11 et 19 décembre 2023 et 4 janvier 2024 madame [G] a fait assigner le docteur [R] et l’ONIAM, en présence de la CPAM des Bouches du Rhône.

Demandes et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 24 juillet 2024 madame [G] demande au tribunal de désigner un expert afin de dire si les actes prodigués par le docteur [R] ont été consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science, et s’il a y eu perte de chance ou réalisation d’un aléa thérapeutique. Elle demande encore la condamnation du docteur [R] à lui payer la somme de 10.000 € à titre de provision et celle de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes elle se prévaut d’un avis du docteur [I] en date du 9 octobre 2023 concluant à l’existence d’une faute du docteur [R].

Le docteur [R] a conclu le 8 janvier 2024 au rejet des demandes formées à son encontre, et à la condamnation de madame [G] à lui payer la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire il forme protestations et réserves sur la demande d’expertise. En tout état de cause il conclut au rejet de la demande de provision.
Le docteur [R] fait valoir qu’une mesure de contre expertise ne peut être ordonnée au seul motif qu’une partie n’est pas satisfaite des conclusions du rapport initial, que le docteur [S] a répondu aux chefs de sa mission en respectant le principe du contradictoire, et que le certificat du docteur [I] ne contredit pas le rapport du docteur [S].
Il ajoute que suite à son intervention, madame [G] a subi sept interventions par quatre praticiens différents, dont deux ostéotomies maxillaires le 28 mai 2014 par le docteur [N] et le 16 mai 2018 par le docteur [I], de sorte qu’il est impossible de déterminer si les constatations de ce dernier sont bien en rapport avec sa propre intervention. Le docteur [R] critique également le certificat du docteur [I] notamment sur la cause de l’ablation des cornets, qui lui est faussement attribuée. Il rappelle enfin que la seule absence de résultat d’un traitement chirurgical n’est pas un préjudice réparable.

L’ONIAM a conclu le 15 avril 2024 à sa mise hors de cause et au rejet de la demande d’expertise aux motifs que le dommage allégué n’est pas imputable à un accident médical non fautif, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale, et que la mesure de nouvelle expertise sollicitée n’est en réalité qu’une critique de la première expertise. Il ajoute qu’en présence d’un dommage esthétique, les critères de gravité prévus à l’article D1142-1 du code de la santé publique ne sont pas susceptibles d’être atteints.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 octobre 2024.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant par jugement réputé contradictoire et en premier ressort :

Déboute madame [B] [G] de ses demandes ;

Condamne madame [B] [G] à payer au docteur [P] [R] la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne madame [B] [G] aux dépens.

AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE TRENTE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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