Tribunal judiciaire de Marseille, 29 février 2024
Tribunal judiciaire de Marseille, 29 février 2024

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille

Thématique : Prestations graphiques : la garantie d’éviction en propriété intellectuelle

Résumé

En matière de propriété intellectuelle, la garantie d’éviction est cruciale pour protéger les droits des créateurs. Dans l’affaire opposant la société MADE IN MOUSE à madame [D], cette dernière a manqué à son obligation de bonne foi en ne révélant pas que l’étiquette qu’elle avait conçue, reproduisant le tableau « Baiser volé », n’était pas libre de droits. Le tribunal a condamné madame [D] à indemniser MADE IN MOUSE pour les pertes subies, soulignant que la responsabilité de garantir l’absence de contrefaçon incombe au prestataire graphique. Cette décision rappelle l’importance de la transparence dans les relations contractuelles.

En présence d’une contrefaçon, le client du prestataire graphique bénéficie de la garantie d’éviction de la part de son prestataire.

Selon l’article 1626 du code civil le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente.

Plus généralement l’article 1104 du même code dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d’ordre public.

En l’espèce, en n’informant pas la société MADE IN MOUSE que le tableau ayant servi à l’élaboration de l’étiquette contrefaisante (étiquette de bouteille de vin) n’était pas libre de droits, et en ne l’avertissant pas de sa provenance, madame [D] a manqué à son obligation de bonne foi inhérente à la formation et à l’exécution de toute relation contractuelle.

En particulier, il n’appartenait pas à la société MADE IN MOUSE de procéder elle-même à la recherche d’antériorités sur la disponibilité du matériel par elle acquise auprès de madame [D] dès lors qu’il entrait dans les obligations de cette dernière de céder une œuvre disponible, ou à tous le moins d’avertir complètement son cocontractant de ses sources d’inspiration, sans se limiter à la simple mention, très insuffisante eu égard à son imprécision, à un « tableau original » non autrement identifié.

Résumé de l’affaire

Madame [K] a obtenu du tribunal l’autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon contre la société MDCV pour l’utilisation non autorisée d’un tableau intitulé « Baiser volé » sur des étiquettes de bouteilles de vin commercialisées sous la marque « Du kif ». Après plusieurs recours rejetés, le tribunal a condamné la société MDCV et la société MADE IN MOUSE pour contrefaçon, leur ordonnant de verser des dommages et intérêts à madame [K], de cesser la commercialisation des bouteilles contrefaisantes, et de publier le jugement. La société MADE IN MOUSE demande à présent à madame [D], qui a fourni l’illustration contrefaisante, de la rembourser des sommes engagées suite au jugement. Madame [D] conteste cette demande, arguant qu’elle n’a pas cédé de droits d’auteur à la société MADE IN MOUSE et que cette dernière était au courant de la contrefaçon. Elle demande également des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Les points essentiels

Responsabilité de madame [D]

Madame [D] a conçu et cédé à la société MADE IN MOUSE une maquette d’étiquette contrefaisante reproduisant le tableau « Baiser volé » de madame [K]. Elle n’a pas informé la société de la provenance de l’œuvre, manquant ainsi à son obligation de bonne foi. En conséquence, elle doit garantir la société des conséquences de la condamnation prononcée à son encontre.

Indemnisation

La société MADE IN MOUSE a subi une perte de 40.100 € suite à la cessation de sa collaboration avec la société MDCV. De plus, elle a exposé des frais de 32.705,41 € en exécution d’un protocole d’accord modifié. Madame [D] est donc condamnée à payer à la société MADE IN MOUSE la somme de 128.581,86 € de dommages et intérêts.

Publication du jugement

La demande de publication du jugement est fondée en raison des répercussions économiques négatives causées à l’activité de la société MADE IN MOUSE par la négligence de madame [D]. Cette dernière exerce une activité professionnelle dans le design et le graphisme, avec une forte notoriété sur les réseaux sociaux.

Autres demandes

La procédure de la société MADE IN MOUSE est jugée fondée et non abusive. Madame [D] est déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts. Elle devra supporter les dépens et payer à la société MADE IN MOUSE la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire du jugement ne sera pas écartée.

Les montants alloués dans cette affaire: – Somme de 128.581,86 € de dommages et intérêts à payer par madame [O] [D] à la société MADE IN MOUSE
– Publication du jugement sur la page Instagram [05] et sur la page d’accueil des sites Internet exploités par madame [O] [D], sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard
– Publication du jugement dans trois journaux ou magazines nationaux ou internationaux, aux frais avancés par madame [O] [D] jusqu’à un maximum de 10.000 € hors taxes
– Somme de 8.000 € à payer par madame [O] [D] à la société MADE IN MOUSE en application de l’article 700 du code de procédure civile
– Frais de dépens à payer par madame [O] [D] conformément aux dispositions applicables en matière d’aide juridictionnelle

Réglementation applicable

– Article 1626 du code civil
– Article 1104 du code civil
– Article L131-2 du code de la propriété intellectuelle
– Article 700 du code de procédure civile

Article 1626 du code civil:
Le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente.

Article 1104 du code civil:
Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Article L131-2 du code de la propriété intellectuelle:
Non disponible

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Jean ANDRÉ
– Maître Sarah MADI
– Maître Guillemette MAGNAN DE MARGERIE
– Maître Aude VIVES-ALBERTINI

Mots clefs associés & définitions

– Responsabilité
– Code civil
– Contrats
– Bonne foi
– Cession de droits
– Propriété intellectuelle
– Étiquette contrefaisante
– Garantie d’éviction
– Indemnisation
– Dommages et intérêts
– Responsabilité: obligation de répondre de ses actes et de leurs conséquences
– Code civil: recueil de lois régissant les relations entre les individus en France
– Contrats: accord entre deux parties pour établir des obligations juridiques
– Bonne foi: principe selon lequel les parties doivent agir de manière honnête et loyale dans leurs relations contractuelles
– Cession de droits: transfert de droits de propriété d’un bien ou d’une créance à une autre personne
– Propriété intellectuelle: ensemble des droits protégeant les créations de l’esprit, tels que les œuvres artistiques, les inventions, les marques, etc.
– Étiquette contrefaisante: étiquette portant une contrefaçon d’une marque ou d’un produit protégé par des droits de propriété intellectuelle
– Garantie d’éviction: garantie légale selon laquelle le vendeur d’un bien garantit à l’acheteur de ne pas être expulsé de ce bien par un tiers revendiquant des droits supérieurs
– Indemnisation: compensation financière versée à une personne pour réparer un préjudice subi
– Dommages et intérêts: somme d’argent versée à une personne en réparation d’un dommage subi

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 février 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n°
22/02594
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 29 Février 2024

Enrôlement : N° RG 22/02594 – N° Portalis DBW3-W-B7G-ZXLZ

AFFAIRE : S.A.S. MADE IN MOUSE (SARL SPE ROMAN ANDRÉ)
C/ Mme [O] [D] (Me Guillemette MAGNAN DE MARGERIE)

DÉBATS : A l’audience Publique du 21 Décembre 2023

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BERARD Béatrice

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 29 Février 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Société MADE IN MOUSE
SAS au capital de 105 000 € immatriculée au RCS de TARASCON sous le n° 350 217 337, dont le siège social est sis [Adresse 1] – [Localité 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Maître Jean ANDRÉ de la SARL SPE ROMAN ANDRÉ, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Sarah MADI de l’ARPI BLANCHE AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS

C O N T R E

DEFENDERESSE

Madame [O] [D]
de nationalité Française, entrepreneur individuel dont le n° de SIREN est 530 415 942, domiciliée [Adresse 3] – [Localité 4]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 130550012022006213 du 11/04/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)

représentée par Maître Guillemette MAGNAN DE MARGERIE, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Aude VIVES-ALBERTINI, avocat plaidant au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et procédure :

Se plaignant de l’utilisation sans autorisation d’un tableau intitulé “Baiser volé” par la société MDCV à partir de janvier 2019 pour la réalisation d’une étiquette de bouteille de vin commercialisée sous la marque “Du kif”, madame [K] a obtenu du président du tribunal, selon ordonnance du 30 juillet 2019, l’autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon. Les opérations se sont déroulées le 12 août 2019.

L’ordonnance autorisant la saisie et les opérations de saisie elles-mêmes ont fait l’objet de recours de la part de la société MDCV. Ces deux recours ont été rejetés par ordonnance du juge des référés du 21 novembre 2019, et par un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence du 3 décembre 2020.

Le 28 août 2019 madame [K] a fait assigner la société MDCV devant ce tribunal afin d’obtenir sa condamnation, sur le fondement de l’atteinte à ses droits d’auteur à lui payer diverses sommes et à ce qu’il lui soit fait interdiction d’exploiter les articles contrefaisants. Elle demandait également que soit ordonné le caractère in solidum des sanctions à intervenir eu égard à l’intervention volontaire à la cause de la société MADE IN MOUSE.

Par conclusions du 9 avril 2020 la société MADE IN MOUSE est intervenue volontairement à la procédure.

Par jugement du 3 juin 2021 ce tribunal a notamment :
– dit que la S.A.R.L. MDCV et la SAS MADE IN MOUSE ont commis un acte de contrefaçon en reproduisant sur les étiquettes du vin commercialisé sous le nom de “Du Kif” l’œuvre intitulée “Baiser Volé” de madame [W] [K] ;

– condamné la S.A.R.L. MDCV à payer à madame [W] [K] la somme de 30.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique ;

– condamné in solidum la S.A.R.L. MDCV et la SAS MADE IN MOUSE à payer à madame [W] [K] la somme de 10.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

– ordonné la publication du dispositif du présent jugement dans trois journaux à diffusion nationale, au choix de madame [W] [K], et ce aux frais des défenderesses, dans la limite de la somme de 4.000 € par insertion, ainsi que sur les pages d’accueil des sites internet www.LA SOCIÉTÉ MDCV.fr et du compte instagram consacré à la commercialisation du vin “Du Kif” exploités par la société MDCV pendant un mois ;

– ordonné à la S.A.R.L. MDCV de demander l’arrêt de la commercialisation des bouteilles du vin “Du Kif” portant la reproduction de l’œuvre “Baiser Volé” auprès de l’ensemble de ses distributeurs, le tout sous astreinte de 20 € par jour de retard passé un délai de 10 jours suivant la signification du présent jugement, et ce pendant 18 mois ;

– condamné in solidum la S.A.R.L. MDCV et la SAS MADE IN MOUSE à payer à madame [W] [K] la somme de 3.360 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum la S.A.R.L. MDCV et la SAS MADE IN MOUSE aux dépens.

Aucune des parties n’a interjeté appel de ce jugement dont l’exécution a fait l’objet d’un protocole d’accord.

Par acte d’huissier du 15 mars 2022 la société MADE IN MOUSE a fait assigner madame [O] [D].

Demandes et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 5 juin 2023 elle demande au tribunal condamner madame [D], au titre de sa garantie d’éviction, à lui payer les sommes de 32.705,41 € en remboursement des sommes qu’elle a supportées en exécution du jugement du 3 juin 2021, 30.000 € au titre du coût de la destruction des bouteilles de vin, 16.776,45 € au titre des frais de défense exposés dans le cadre du litige ayant donné lieu à ce jugement, 61.500 € au titre de la perte de bénéfice éprouvée, 10.000 € au titre des frais exposés pour la conception d’une nouvelle étiquette et 12.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile. Elle demande en outre la publication du jugement à intervenir.
Au soutien de ses demandes elle fait valoir qu’en application de l’article 1626 du code civil madame [D] est tenue d’une garantie d’éviction dès lors que c’est elle qui, selon devis du 14 septembre 2018 et factures des 11 et 30 novembre et 18 décembre 2018, a fourni l’illustration contrefaisante. Elle indique qu’à aucun moment madame [D] n’a indiqué quelles étaient les sources de son inspiration mais qu’au contraire le libellé des factures laissait croire qu’il s’agissait d’une création originale.
Elle expose à ce titre qu’il est indifférent qu’aucun contrat de cession conforme aux dispositions formelles du code de la propriété intellectuelle n’ait été conclu, dès lors que la conclusion d’une telle convention n’est pas une condition de la mise en œuvre de la garantie d’éviction. Elle ajoute que les factures émises par madame [D] comportent les mentions « création » et « tous droits cédés », montrant que l’objet du contrat est de céder les droits afférents à l’étiquette en contrepartie d’un prix.
Subsidiairement et au cas où la garantie d’éviction ne serait pas retenue, elle reproche à madame [D] un manquement à son devoir d’information résultant de l’article 1112-1 du code civil, et notamment le fait que madame [D] aurait dû lui indiquer que l’étiquette qu’elle avait conçue s’inspirait d’une autre œuvre.
La société MADE IN MOUSE affirme par ailleurs que madame [D] est bien l’auteur de l’œuvre contrefaisante, les directives qu’elle avait elle-même données n’étant que des inspirations dont madame [D] s’est d’ailleurs affranchie ; que la garantie d’éviction peut être invoquée par un professionnel ; qu’elle est bien fondée à l’invoquer dès lors qu’elle n’a eu connaissance du caractère contrefaisant de l’étiquette que deux mois après sa livraison et qu’elle n’avait par elle-même aucun moyen de détecter ce caractère ou de procéder à des recherches d’antériorité dans un secteur d’activité qui n’était pas le sien.
Sur son préjudice la société MADE IN MOUSE indique que la société MDCV a sollicité sa garantie dans le cadre de l’exécution du jugement du 3 juin 2021, tant pour le paiement des dommages et intérêts à hauteur de 3.070,41 €, l’indemnité payée à madame [K] en contrepartie de sa renonciation à la publication du jugement (2.000 €), le coût de la destruction du stock de bouteilles ornées de l’étiquette contrefaisante et le changement de stratégie de communication et le coût des honoraires de son conseil. Elle ajoute qu’à la suite de la précédente instance la société MDCV a cessé sa collaboration avec elle, entraînant une perte de bénéfice dont elle sollicite l’indemnisation pour une année et qu’elle a en outre dû procéder, gratuitement, à la réalisation d’une nouvelle étiquette pour la société MDCV.
La société MADE IN MOUSE fait encore valoir que madame [D] ne rapporte pas la preuve que, si elle était intervenue à la précédente instance, elle aurait pu faire valoir des moyens de nature à aboutir au rejet des demandes de madame [K], et qu’elle est en conséquence tenue de toutes les conséquences pécuniaires résultant du jugement du 3 juin 2021.

Aux termes de ses écritures du 4 juillet 2023 madame [D] conclut au rejet des demandes formées contre elle, subsidiairement à la réduction des sommes pouvant être allouées à la société MADE IN MOUSE à 1 €. A titre reconventionnel elle demande la condamnation de la société MADE IN MOUSE à lui payer la somme de 1 € de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 2.000 € en réparation de son préjudice moral, 10.000 € au profit de son conseil en application de l’article 31 de la loi du 10 juillet 1991. Elle demande également que soit écartée l’exécution provisoire du jugement.
Madame [D] expose avoir été sollicitée par la société MADE IN MOUSE en septembre 2018 pour intervenir sur l’habillage d’un bouteille de vin selon un cahier des charges particulier matérialisé par des « pistes de réflexion » et des exemples concrets qui lui ont été fournis, et que dans ces conditions elle a, par mail du 10 octobre 2018, proposé une planche de tendances et un support de discussion reprenant l’œuvre de madame [K] et cinq autres propositions. Elle ajoute qu’elle a clairement indiqué, lors d’une réunion de travail du 10 octobre 2018, que l’une de ses propositions était directement empruntée à cet artiste, qu’à la suite de plusieurs échanges une dernière version de l’étiquette a été élaborée le 24 octobre 2018, et envoyée par la société MADE IN MOUSE à la société MDCV le 26 octobre 2018, avant que de nouvelles modifications du projet ne lui soient demandées jusqu’en mars 2019.
Madame [D] expose que la garantie d’éviction ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce en l’absence de contrat de cession de droits d’auteur, le contrat la liant à la société MADE IN MOUSE n’étant qu’un contrat de prestation de service mais non de vente des produits réalisés dans ce cadre. Elle ajoute qu’elle ne pouvait en tout état de cause pas céder de droits sur une œuvre puisque le contrat ne prévoyait pas la création d’une telle œuvre, seule la société MADE IN MOUSE devant être considérée comme étant commanditaire d’une œuvre qui devrait être qualifiée de collective. Elle indique à cet égard que la société MADE IN MOUSE a été à l’origine du projet, qu’elle l’a sollicitée en tant que prestataire de services externes, qu’elle a facture à la société MDCV la majeure partie de la prestation, qu’elle a divulgué l’étiquette en cause sous son seul nom et que la création a été opérée selon les choix de cette société. Madame [D] en déduit que l’éventuelle création ne reflète ni n’exprime sa personnalité, et qu’elle n’a donc pas pu céder de droits d’auteur. Elle rappelle d’ailleurs que lors de l’instance ayant donné lieu au jugement du 3 juin 2021 la société MADE IN MOUSE a revendiqué avoir créé et fourni l’étiquette contrefaisante.
Madame [D] ajoute qu’aucun contrat de cession de droits d’auteur conforme aux articles L131-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle n’a été conclu entre elle-même et la société MADE IN MOUSE.
Sur l’application de l’article 1112-1 du code civil, elle fait observer que ces dispositions sont relatives à la responsabilité délictuelle, qu’elle a toujours indiqué que le projet d’étiquette proposé était la reprise d’une œuvre de madame [K], et que la société MDCV a pour sa part été alertée des similitudes avec l’œuvre de cette dernière le 28 janvier 2019 soit deux mois avant la commercialisation des étiquettes, ce qui exclut sa bonne foi et celle de la société MADE IN MOUSE.
Madame [D] soutient encore que la garantie d’éviction invoquée doit en tout état de cause être exclue en ce que le distributeur d’un produit contrefaisant n’est pas fondé à obtenir la garantie de son fournisseur dans la mesure où, en sa qualité de professionnel du secteur, il ne pouvait ignorer les droits du demandeur à l’action en contrefaçon. Elle fait valoir à cet égard que la société MADE IN MOUSE se présente comme un professionnel dans le domaine du conseil et de la production de support de communication, qu’à ce titre elle fait référence dans ses devis aux recherches d’antériorités et aux problématiques de disponibilité, et qu’elle ne pouvait ignorer la contrefaçon dont elle avait d’ailleurs été avertie. Elle ajoute que l’œuvre de madame [K] était dès sa création, connue et diffusée notamment sur les réseaux sociaux ; que la recherche d’antériorités était particulièrement facile ; que dès le 10 octobre 2018 elle avait indiqué que sa proposition était la reprise d’une œuvre existante et que pour cette raison il lui a été demandé de procéder à diverses modifications.
Sur les préjudices allégués, madame [D] expose qu’aucun élément de preuve n’est produit pour les justifier, hors des éléments émanant de la demanderesse elle-même ou de son conseil, la perte de bénéfice en particulier n’était pas justifiée dès lors que les résultats comptables de la société MADE IN MOUSE sont en progression depuis 2018. Elle ajoute que n’ayant pas été partie à la procédure initiale elle n’a pas pu faire valoir ses observations notamment sur les sommes allouées et la destruction du stock, et n’a pas pu interjeter appel du jugement ; que la société MDCV a fait le choix de continuer les actes de contrefaçon même après avoir reçu la lettre de mise en demeure et qu’elle ne saurait être tenue des conséquences de ce choix.
À titre subsidiaire et compte tenu de sa situation financière modeste, elle demande à n’être tenue que dans la mesure des prestations qu’elle a facturées, soit 1.800 €.
À titre reconventionnel, madame [D] soutient que la présente procédure revêt un caractère abusif dès lors qu’elle n’a eu qu’un rôle limité et accessoire, et qu’elle n’a pas été la commanditaire des prestations de services de conseils et de production de supports pour cette refonte d’identité visuelle.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité de madame [D] :

Selon l’article 1626 du code civil le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente.

Plus généralement l’article 1104 du même code dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d’ordre public.

En l’espèce, le 14 octobre 2018 madame [D] a adressé par courriel à la société MADE IN MOUSE plusieurs propositions d’habillage pour les bouteilles de vin « Du Kif ». Parmi elles se trouve l’étiquette jugée contrefaisante par le jugement du 3 juin 2021.

L’habillage de ces bouteilles a donné par la suite lieu à divers échanges, concrétisés par au moins trois projets, dont la troisième version appelée « projet Maverick V3 » a été élaborée à la suite d’un échange de courriels du 24 octobre 2018. Cette version est en particulier la première à ne retenir comme étiquette que celle consistant en la copie de l’œuvre de madame [K].

Parallèlement le 28 octobre 2018 madame [D] a émis une facture de 1.800 € pour trois propositions d’étiquettes face et contre, comprenant notamment les recherches formelles, la création et les corrections. Cette facture porte notamment la mention « tous droits cédés ».

Par la suite, au cours d’un nouvel échange de courriels des 8 et 12 février 2019, madame [D] a transmis à la société MADE IN MOUSE une illustration reproduisant le « tableau original », en l’occurrence le tableau « Baiser volé » de madame [K], mais sans mention de sa provenance, ni de son titre, ni de son auteur. Il lui était répondu en retour de modifier certaines couleurs et la forme de plusieurs zones. Madame [D] a apporté les modifications sollicitées le 24 février 2019, là encore sans indiquer qu’il s’agissait de l’œuvre d’un tiers, ni que ces modifications ne pouvaient être faites sans l’accord de son auteur.

Il se déduit donc de ces éléments que madame [D] a bien conçu, puis cédé à la société MADE IN MOUSE la maquette de l’étiquette litigieuse reproduisant le tableau « Baiser volé » de madame [K]. Il importe peu à ce titre qu’aucun contrat de cession de droits d’auteur conforme aux dispositions de l’article L131-2 du code de la propriété intellectuelle n’ait été conclu, dans la mesure où, s’agissant d’une étiquette contrefaisante sur laquelle madame [D] ne détenait aucun droit d’auteur, elle ne pouvait céder ceux-ci. Seule la reproduction du tableau, non susceptible de faire l’objet d’une protection au titre des droits d’auteur, a pu faire l’objet de la cession entre madame [D] et la société MADE IN MOUSE.

Contrairement à ce que prétend madame [D], l’étiquette contrefaisante ne saurait être qualifiée d’œuvre collective, aucune des pièces produites aux débats n’étant de nature à démontrer que la société MADE IN MOUSE soit à l’origine, d’une façon ou d’une autre, de la conception de cette étiquette, ou ait proposé comme source d’inspiration à madame [D] le tableau de madame [K].
Au contraire, il a été vu ci-dessus que la première proposition d’étiquette reproduisant le tableau de madame [K] figure dans un courriel écrit par madame [D] à destination de la société MADE IN MOUSE le 14 octobre 2018.

Il s’ensuit que madame [D], cessionnaire de l’étiquette contrefaisante, doit en application de l’article 1626 du code civil sa garantie d’éviction, et doit en conséquence relever la société MADE IN MOUSE des conséquences des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 3 juin 2021.

A ce titre c’est en vain que madame [D] invoque la qualité de professionnel de la société MADE IN MOUSE, aucun texte ne prévoyant l’exclusion de la garantie d’éviction pour ce motif.

Par ailleurs, en n’informant pas la société MADE IN MOUSE que le tableau ayant servi à l’élaboration de l’étiquette contrefaisante n’était pas libre de droits, et en ne l’avertissant pas de sa provenance, madame [D] a manqué à son obligation de bonne foi inhérente à la formation et à l’exécution de toute relation contractuelle.

En particulier, il n’appartenait pas à la société MADE IN MOUSE de procéder elle-même à la recherche d’antériorités sur la disponibilité du matériel par elle acquise auprès de madame [D] dès lors qu’il entrait dans les obligations de cette dernière de céder une œuvre disponible, ou à tous le moins d’avertir complètement son cocontractant de ses sources d’inspiration, sans se limiter à la simple mention, très insuffisante eu égard à son imprécision, à un « tableau original » non autrement identifié.

Sur l’indemnisation :

La société MADE IN MOUSE justifie par la production d’un extrait de sa comptabilité avoir réalisé pendant l’exercice 2018 un chiffre d’affaires de 80.200 € HT avec la société MDCV, soit en retenant un taux de marge de 50 % un bénéfice de 40.100 €.

Elle est donc fondée à solliciter de madame [D] la perte éprouvée par la cessation de sa collaboration avec la société MDCV, soit 40.100 €.

Par ailleurs, aux termes d’un protocole d’accord conclu le 12 février 2020 dans le cadre du litige ayant donné lieu au jugement du 3 juin 2021, la société MADE IN MOUSE s’était engagée à réaliser à ses frais une nouvelle étiquette en remplacement de l’étiquette contestée, et à verser à la société MDCV la somme de 39.000 € tandis que la société MDCV devait s’acquitter d’un solde de facture d’un montant de 49.800 €. Il était également convenu que la société MADE IN MOUSE relève la société MDCV des condamnations prononcées à son encontre et, dans le cas où cette dernière serait condamnée à payer une indemnité, à la prendre en charge ainsi que les frais d’avocat et d’huissier exposés par la société MDCV dans la limite de 30.000 €.

Selon la lettre officielle du conseil de la société MADE IN MOUSE en date du 27 juillet 2021, ce protocole a été modifié, en ce sens que cette société a payé à madame [K] les sommes de 30.000 € prévue au protocole du 12 février 2020, 2.000 € au titre de la renonciation par madame [K] à la publication du jugement, 705,41 € au titre des dépens

C’est donc une somme de 32.705,41 € que la société MADE IN MOUSE a été amenée à exposer en exécution du protocole et du jugement, ainsi qu’il est justifié par le relevé CARPA de son conseil du 29 juillet 2021.
Elle justifie encore par la production du virement correspondant en date du 25 février 2020, avoir payé une somme de 39.000 € à la société MDCV pour la destruction du stock de bouteilles ornées des étiquettes contrefaisantes et le changement des supports de communication, et d’une facture d’honoraires d’avocats d’un montant de 16.776,45 €.

La somme de 10.000 € réclamée au titre de la conception de nouvelles étiquettes n’apparaît pour sa part pas justifiée, dès lors que ce chef de dommage a déjà été indemnisé au titre des changements de support de communication. En outre la réalité de cette prestation n’est pas démontrée, aucun exemple de ces nouvelles étiquettes ou justificatif de leur livraison à la société MDCV n’étant produit.

Madame [D] sera donc condamnée à payer à la société MADE IN MOUSE la somme de 128.581,86 € de dommages et intérêts.

La demande tendant à la publication du jugement apparaît fondée eu égard au répercussions économiques négatives causées à l’activité de la demanderesse par la négligence de madame [D], qui exerce en outre une activité professionnelle dans le secteur du design et du graphisme, avec une forte notoriété notamment grâce à un compte Instagram où elle est suivie par plusieurs milliers d’abonnés.

Il y sera donc fait droit, dans les termes qui seront précisés au dispositif.

Sur les autres demandes :

La procédure de la société MADE IN MOUSE, loin d’avoir un quelconque caractère abusif, est au contraire parfaitement fondée.

Madame [D] sera en conséquence déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.

Madame [D], qui succombe à l’instance, en supportera les dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d’aide juridictionnelle.

Elle sera encore condamnée à payer à la société MADE IN MOUSE la somme de 8.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucune circonstance particulière ne justifie que soit écartée l’exécution provisoire du présent jugement.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

Condamne madame [O] [D] à payer à la société MADE IN MOUSE la somme de 128.581,86 € de dommages et intérêts ;

Ordonne la publication du présent jugement sur la page Instagram [05] et sur la page d’accueil de tout site Internet exploité par madame [O] [D], directement ou indirectement, notamment par le biais d’une personne morale, en particulier le site Internet [06] (la publication devant représenter au moins un tiers de la page d’accueil desdits sites, à l’exclusion de toute représentation de cette publication dans un menu déroulant ou par l’intermédiaire d’un lien hypertexte), cette publication devant être visible pendant au moins deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, passé un délai de sept jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Ordonne la publication du présent jugement dans trois journaux ou magazines nationaux ou internationaux, au choix de la société MADE IN MOUSE, et aux frais avancés par madame [O] [D], sans que le coût global n’excède la somme totale de 10.000 € hors taxes ;

Déboute madame [O] [D] de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne madame [O] [D] à payer à la société MADE IN MOUSE la somme de 8.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne madame [O] [D] aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d’aide juridictionnelle ;

Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire du présent jugement.

AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE VINGT NEUF FÉVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 

 


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