Tribunal judiciaire de Marseille, 16 janvier 2025, RG n° 21/01825
Tribunal judiciaire de Marseille, 16 janvier 2025, RG n° 21/01825

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille

Thématique : Reconnaissance de la nationalité française : enjeux et conditions de preuve

Résumé

Exposé du litige

Monsieur [N] [M], né le 21 décembre 2001 au Mali, a assigné le Procureur de la République le 30 décembre 2020 pour contester le refus d’enregistrement de sa déclaration de nationalité française et le refus de délivrance d’un certificat de nationalité française. Il a demandé au tribunal de déclarer ces refus nuls et non avenus, de constater qu’il remplissait les conditions pour obtenir la nationalité française, et d’ordonner l’enregistrement de sa déclaration de nationalité.

Arguments de Monsieur [M]

Monsieur [M] soutient que les agents diplomatiques du Consulat Malien ont confirmé la validité de son acte de naissance, qu’il ne devrait pas être contraint de fournir une copie intégrale de son jugement supplétif, et que les extraits d’acte de naissance qu’il a fournis sont conformes aux exigences du droit malien. Il affirme également que l’authenticité de ses documents n’est pas contestée et que les mentions sur ses actes sont concordantes.

Arguments du Procureur de la République

Le Procureur de la République a demandé le rejet des demandes de Monsieur [M], arguant que les actes d’état civil doivent être revêtus de la signature et du sceau de l’autorité compétente pour être valides. Il a souligné que les extraits d’acte de naissance fournis ne respectent pas les exigences de preuve et que l’état civil de Monsieur [M] n’était pas justifié par des actes recevables au moment de sa déclaration de nationalité.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé que la procédure était régulière, mais a conclu que Monsieur [M] ne justifiait pas d’un état civil probant, ce qui a conduit au rejet de ses demandes. Il a ordonné la mention des actes administratifs relatifs à la nationalité française sur l’acte de naissance de Monsieur [M] et a condamné ce dernier aux dépens.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°25/ DU 16 Janvier 2025

Enrôlement : N° RG 21/01825 – N° Portalis DBW3-W-B7F-YO3A

AFFAIRE : M. [N] [M]( Me Frédérique CHARTIER)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE

DÉBATS : A l’audience Publique du 14 Novembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL:

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

En présence de PORELLI Emmanuelle, Vice-Procureur, Procureur de la République,

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 16 Janvier 2025

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEUR

Monsieur [N] [M]
né le 21 Décembre 2001 à [Localité 1] (MALI)
de nationalité Malienne, domicilié : [Adresse 4]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 130550012020010148 du 05/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)
représenté par Me Frédérique CHARTIER, avocat au barreau de MARSEILLE,

C O N T R E

DEFENDERESSE

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE, près le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE en son parquet – [Adresse 3]

Dispensé du ministère d’avocat

EXPOSE DU LITIGE

Par acte d’huissier de justice du 30 décembre 2020, Monsieur [N] [M], se disant né le 21 décembre 2001 au MALI, a assigné le Procureur de la République aux fins de déclarer nul et non avenu le refus d’enregistrement de sa déclaration de nationalité, ainsi que le refus de délivrance d’un certificat de nationalité française.

La formalité requise par l’article 1043 du code de procédure civile a été accomplie.

Par conclusions signifiées le 9 mai 2024, Monsieur [M] demande au tribunal de :

CONSTATER que Monsieur [N] [M] a souscrit une déclaration de nationalité française devant le Tribunal d’instance de Marseille sur le fondement de l’article 21-12 1° du code civil ;

DÉCLARER NON AVENU le refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité française opposé par décision du 25 février 2020 du Directeur des services de greffe judiciaires du Tribunal judiciaire de Marseille ;

DÉCLARER NUL ET NON AVENU le refus de certificat de nationalité française opposé par décision du 25 février 2020 du Directeur des services de greffe judiciaires du Tribunal judiciaire de Marseille ;

CONSTATER que [N] [M] remplissait l’ensemble des conditions posées au terme des dispositions de l’article 21-12 1° du Code civil lorsqu’il souscrivait une déclaration de nationalité ;

ORDONNER l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 29 octobre 2019 par Monsieur [N] [M] ;

ORDONNER la remise au requérant de la copie de sa déclaration de nationalité française ;

DIRE ET JUGER qu’il est français, et ce rétroactivement à compter de la souscription de sa déclaration de nationalité française, soit depuis le 29 octobre 2019.

ORDONNER la mention prévue à l’article 28 du code civil.

CONDAMNER le Trésor Public à la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Laisser les dépens de l’instance à la charge du Trésor.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :

– comme l’indiquent les agents diplomatiques du Consulat Malien à [Localité 2], la transcription d’un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance donne ainsi lieu à remise à l’intéressé du 3ème volet, ainsi que de l’extrait conforme du jugement supplétif, le jugement intégral étant conservé par l’officier d’état civil.

– il ne saurait lui être demandé de verser une copie intégrale de son jugement supplétif, alors même que l’extrait certifié conforme qu’il produit fait foi au sens du droit malien.

– aucun texte ni aucune jurisprudence n’exige la production de l’intégralité du jugement à peine de le considérer contraire à l’ordre public international.

– les mentions qui figurent sur l’acte de naissance de Monsieur [M] sont parfaitement concordantes avec celles du dispositif du jugement supplétif dont il produit l’extrait, de sorte qu’aucun élément ne permet de considérer que l’acte de naissance dressé le 4 septembre 2020 ne serait pas probant.

– quand bien même il ne verserait que des extraits d’acte de naissance, l’authenticité de ces pièces n’est pas sérieusement contestée par le Ministère Public.
Les mentions qui sont portées sur ces documents sont corrélées par l’ensemble des documents d’identité dont dispose Monsieur [N] [M], notamment son passeport.

– le jugement supplétif peut être transcrit le jour suivant par la mairie de la commune de résidence du demandeur après qu’il soit prononcé publiquement par le tribunal civil et dans l’absence de contradiction, et sans que le délai d’appel n’ait à être expiré.

– les mentions sur l’acte sont bien celles qui correspondent à l’identité et la qualité de l’Officier d’état civil ayant transcrit le jugement supplétif.

– l’erreur de plume ne constitue pas une erreur substantielle susceptible de remettre en cause la force probante de ces actes de naissance au sens de l’article 47 du Code civil.

– chaque centre secondaire est compétent pour délivrer des extraits d’acte de naissance relevant du ressort du centre principal dont ils dépendent.

– le prénom et la qualité de l’officier d’état civil ayant dressé ces extraits sont nécessairement différents dans la mesure où il ne s’agit pas des mêmes centres secondaires, et donc des mêmes officiers d’état civil.

– les mentions portées sur chacun des extraits versés sont exactement similaires.

– le premier registre a été égaré par les services de l’état civil de Bamako, au point qu’il a été nécessaire de suppléer cette perte par le prononcé d’un nouveau jugement supplétif.

– la circonstance que l’intéressé dispose de deux jugements supplétifs et avec de deux actes de naissance n’est absolument pas illégale en droit malien et ne permet en aucun cas de conclure au caractère incertain de l’état civil se dégageant desdits actes.

– le code de la famille malien ne prévoit absolument pas la mention de la date et du lieu de naissance des personnes qui apparaissent sur l’acte, et ainsi des parents de l’enfant dont l’acte est dressé.

– le caractère probant de son acte de naissance n’avait pas été questionné le juge des enfants, qui l’avait confié à l’aide sociale à l’enfance dès le 11 juillet 2016 sur la base de l’acte de naissance établi le 1er mars 2016.

– il répond à l’ensemble des critères posés par l’article 21-12 du code civil.

Par conclusions signifiées le 15 janvier 2024, Monsieur le Procureur de la République demande au tribunal de débouter Monsieur [M] de ses demandes, et de le condamner aux dépens.

Il avance que :

– en vertu de l’article 24 de l’accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République du Mali du 9 mars 1962, les actes de l’état civil et les décisions judiciaires sont admis sans légalisation, pour autant, ils doivent être revêtus du sceau et de la signature de l’autorité ayant qualité pour les délivrer et être certifiés conformes à l’original par celle-ci.

– en principe deux noms doivent figurer pour une copie, celui qui a dressé l’acte, et celui qui délivre la copie. Or, ici, un seul nom figure (DR [L] [O] [S]) et il n’est pas orthographié de façon identique avec le nom de la pièce 5 ([P] [S]) qui correspond au volet 3 donc celui remis lors de l’établissement de l’acte.

– à défaut de production de la décision étrangère, l’acte de naissance doit être considéré comme dépourvu de valeur probante. Or, le requérant n’avait produit qu’un extrait du jugement n°623/16 ayant fondé l’acte de naissance n°332.CSY.CVI et ne produit à la présente instance qu’un extrait du jugement n° 2761 de l’acte de naissance N°420/RG95J.

– ces seuls extraits, dépourvus de motivation sont par conséquent, contraires à l’ordre public international, et donc inopposables en France.

– la recevabilité de la déclaration de nationalité s’appréciait le 29 octobre 2019. Il appartenait donc au directeur des services de greffe judiciaires de vérifier si, au jour de la déclaration, les conditions prévues par le texte étaient réunies.
Or, à cette date, l’état civil de Monsieur [N] [M] n’était pas justifié par des actes d’état civil recevables et probants.

– l’intéressé majeur depuis le 21 décembre 2019, selon l’état civil produit, il ne pourrait donc prétendre justifier de son état civil et de sa minorité, s’agissant d’une déclaration nécessairement souscrite avant la majorité, par un jugement postérieur à sa majorité (le 31 août 2020).

– les documents sont des extraits, alors que des copies intégrales peuvent être délivrées en vertu de l’article 146 du code civil en vigueur au Mali.

– les actes de naissance ont été dressés avant l’expiration des délais de recours.

– l’acte a précisément été dressé par un centre secondaire (Yirimadio) et non le centre principal, il est donc douteux que le centre secondaire de Medina Coura puisse délivrer une copie d’un acte dressé dans un autre centre secondaire.

– l’acte de naissance est nécessairement un acte unique, conservé dans le registre des actes de naissance d’une année précise et détenu par un seul centre d’état civil, de sorte que les copies de cet acte doivent toujours avoir les mêmes références et le même contenu.

– le fait de posséder plusieurs actes de naissance différents ôte donc nécessairement toute force probante, au sens de l’article 47 du code civil, à l’un quelconque d’entre eux.

– ce n’est pas la même juridiction qui a statué dans les deux cas, alors que le tribunal compétent devrait être celui correspondant au lieu de naissance de l’intéressé.

La clôture a été prononcée le 24 septembre 2024.

Lors de l’audience du 14 novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

Juge que Monsieur [N] [M] se disant né le 21 décembre 2001 à [Localité 1], MALI, n’est pas de nationalité française.

Rejette la demande tendant à ce que soit ordonné l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 29 octobre 2019.

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil, 1059 du code de procédure civile et le décret n°65-422 du 1er juin 1965 portant création d’un service central de l’état civil auprès du ministère des affaires étrangères.

Rejette la demande formée au titre des frais irrépétibles.

Condamne Monsieur [N] [M] aux dépens, qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 16 Janvier 2025

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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