Tribunal judiciaire de Lyon, 28 janvier 2025, RG n° 20/01161
Tribunal judiciaire de Lyon, 28 janvier 2025, RG n° 20/01161

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lyon

Thématique : Contrôle des pratiques professionnelles et droits de la défense en matière de facturation médicale

Résumé

Notification d’indu

Par courrier du 21 mars 2019, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a notifié à Madame [Y] [P] [B], infirmière libérale, un indu de 18 750,63 € suite à un contrôle de son activité professionnelle. Ce contrôle a révélé des soins remboursés pour la période du 1er juillet 2016 au 31 mars 2017, considérés comme fictifs ou surfacturés. La commission de recours amiable a confirmé ce montant le 23 octobre 2019. Madame [P] [B] a contesté cette décision en saisissant le tribunal judiciaire de Lyon le 10 juin 2020.

Pénalités financières

Le 24 janvier 2020, la caisse a également notifié à Madame [P] [B] deux pénalités financières : 3 000 € pour des activités fautives et 6 000 € pour des activités frauduleuses. Elle a également contesté ces pénalités devant le tribunal le 10 juin 2020, demandant la jonction des recours et l’annulation des notifications d’indu et des pénalités.

Arguments de Madame [P] [B]

Dans ses conclusions, Madame [P] [B] a soulevé plusieurs arguments, notamment l’absence de justification d’une délégation de pouvoir pour la notification d’indu, le manque de motivation de cette notification, et l’absence de communication de la charte de contrôle. Elle a également contesté la régularité des agents chargés du contrôle et a fait valoir qu’elle n’avait pas été informée des demandes de communication de documents.

Arguments de la caisse primaire

La caisse primaire d’assurance maladie a défendu la régularité de la notification d’indu, affirmant qu’elle était conforme aux exigences légales et qu’elle avait été motivée par des tableaux détaillant les anomalies. Elle a également soutenu que le contrôle avait été effectué par des agents assermentés et que les procédures de notification étaient appropriées, sans obligation d’avertissement préalable.

Décision du tribunal

Le tribunal a ordonné la jonction des deux dossiers en raison de leur connexité. Il a rejeté les moyens de nullité de la notification d’indu, considérant qu’elle était conforme aux exigences légales. Cependant, il a constaté une violation substantielle du caractère contradictoire de la procédure de contrôle, en raison du non-respect de l’obligation d’informer Madame [P] [B] des informations obtenues par la caisse. En conséquence, la procédure de contrôle a été annulée, et la caisse a été déboutée de ses demandes.

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :
ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

28 Janvier 2025

Julien FERRAND, président
Stéphane DE MOURGUES, assesseur collège employeur
Fouzia MOHAMED ROKBI, assesseur collège salarié

assistés lors des débats par Nabila REGRAGUI, greffière

tenus en audience publique le 24 Septembre 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, dont le prononcé était initialement prévu le 26 novembre, prorogé au 28 Janvier 2025 par le même magistrat assisté par Sophie RAOU greffière

Madame [Y] [P] [B] C/ CPAM DU RHONE

N° RG 20/01161 – N° Portalis DB2H-W-B7E-U44W
N° RG 20/01163 – N° Portalis DB2H-W-B7E-U45H

DEMANDERESSE
Madame [Y] [P] [B]
[Adresse 1]
[Localité 2]
non comparante, ni représentée

DÉFENDERESSE
CPAM DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 3]
Comparante en la personne de Madame [G], suivant pouvoir

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

[Y] [P] [B]
CPAM DU RHONE
Me Aude-Sarah BOLZAN, vestiaire :
Une copie revêtue de la formule exécutoire :

[Y] [P] [B]
Une copie certifiée conforme au dossier

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dossier 20/01161 :
Par courrier du 21 mars 2019, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a notifié à Madame [Y] [P] [B], infirmière libérale, un indu à hauteur de 18 750,63 € à la suite d’un contrôle d’activité professionnelle portant sur des soins remboursés pour la période du 1er juillet 2016 au 31 mars 2017 au titre de facturation d’actes fictifs ou de surfacturation de soins effectués.

Par décision du 23 octobre 2019, la commission de recours amiable a confirmé le montant de l’indu.

Madame [P] [B] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon le 10 juin 2020 aux fins de contester l’indu.

Dossier 20/01163 :
Par courrier du 24 janvier 2020, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a notifié à Madame [P] [B] deux pénalités financières d’un montant de 3 000 € pour les faits relevant des activités fautives et 6 000 € pour les activités frauduleuses.

Madame [P] [B] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon le 10 juin 2020 aux fins de contester ces pénalités.

Aux termes de ses conclusions, Madame [P] [B] sollicite :

– la jonction des recours ;

– à titre principal l’annulation des notifications de l’indu et des pénalités financières ;

– à titre subsidiaire, l’annulation du contrôle d’activité, de la procédure de pénalités financières, et de l’indu et des pénalités subséquentes ;

– à titre très subsidiaire, le rejet des demandes de la caisse eu égard à sa bonne foi, et à tout le moins la réduction des sommes mises à sa charge à de plus justes proportions et l’octroi de délais de paiement ;

– en tout état de cause, la condamnation de la caisse au paiement de la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

– que la notification d’indu lui est inopposable en l’absence de justification d’une délégation précise et publiée de pouvoir et de signature donnée par le directeur de la caisse au signataire de la décision ;

– qu’elle n’est pas motivée en l’absence d’indication du détail des griefs, de leur fondement et des montants retenus, qui ne peut résulter du renvoi à un tableau ou à d’autres éléments non mentionnés dans la décision notifiée ;

– que la notification de pénalités, qui se contente de renvoyer à l’indu, n’est pas motivée en l’absence d’éléments portant sur sa responsabilité ;

– que la notification d’indu n’identifie pas les agents chargés du contrôle et que Madame [H], qui l’a mis en oeuvre, ne bénéficiait que d’une autorisation provisoire d’exercer sans qu’il soit justifié de son assermentation et d’un agrément définitif ;

– qu’en s’abstenant de lui communiquer la charte de contrôle des professionnels de santé, la caisse a porté atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense ;

– que la caisse n’a pas adressé de lettre d’observations avant de notifier l’indu, la privant des droits à être entendue, à consulter le dossier et à adresser des observations prévus par la charte de contrôle ;

– qu’elle n’a pas davantage communiqué les procès-verbaux d’audition des patients dont les conditions de recueil ne peuvent être contrôlées en violation du principe du contradictoire et des droits de la défense,
ne permettant pas de s’assurer que les patients ont été informés de l’objet de leur audition et que les termes employés n’étaient pas de nature à influencer leurs réponses ;

– qu’une réclamation d’indu ne pouvait lui être adressée à défaut d’avertissement préalable prévu par la convention nationale destinée à organiser les rapports entre infirmiers libéraux et l’assurance maladie ;

– que la caisse ne l’a pas informée de ses demandes de communication de documents adressées aux Conseils National et Départemental de l’ordre infirmier et à la Direction Générale des Finances Publiques, et qu’à défaut d’agrément et d’assermentation, l’exercice par Madame [H] du droit de communication est irrégulier ;

– que le respect des délais prévus pour engager la procédure de pénalités financières ne peut être contrôlé en l’absence de production de la demande d’avis adressée au directeur de l’union nationale des caisses d’assurance maladie et de son avis conforme ;

– qu’elle a reconnu des erreurs de facturation pour un montant de 4 122,06 € qu’elle a remboursé mais conteste les indus réclamés pour le surplus ;

– que les surfacturations d’actes qui lui sont imputées ne peuvent être retenues dès lors qu’elles sont justifiées dans le cadre d’une démarche de soins infirmiers, que la caisse ne rapporte pas la preuve de ce que la cotation 2 AIS 3 a été appliquée à des soins n’excédant pas 30 minutes, et que les soins de nuit sont justifiés par des prescriptions qui ne peuvent être remises en cause que par le service médical ;

– que les actes fictifs retenus constituent pour partie de simples surfacturations et que la caisse ne démontre pas pour le surplus qu’elle serait l’auteur de falsifications ou de rajouts ;

– que la pénalité a été notifiée alors que l’indu contesté n’était pas définitif, qu’elle ne peut être proportionnée à la gravité des faits en cas de réduction de l’indu, et qu’elle a agi de bonne foi.

La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône conclut au rejet de ces demandes et sollicite la condamnation de Madame [P] [B] au paiement des sommes de 18 750,63 € au titre de l’indu et 9 000 € au titre de la pénalité financière.

Elle expose que le contrôle d’activité, réalisé à la suite d’un ciblage en tant que professionnel de santé atypique, a mis en évidence des facturations d’actes fictifs et des surfacturations d’actes.

Elle fait valoir :

– que la notification d’indu est régulière dès lors que les dispositions applicables n’exigent pas à peine de nullité qu’elle soit signée par le directeur ou son délégataire ;

– qu’elle est motivée dès lors qu’elle détaille les anomalies retenues justifiées par les tableaux adressés au professionnel, qui mentionnent pour chaque acte le patient concerné, la date et le type d’acte, la base de remboursement et le montant remboursé, lui permettant d’avoir connaissance des griefs retenus et de vérifier le montant de l’indu réclamé ;

– que les actes d’enquêtes, déclarations et procès-verbaux ont été régulièrement réalisés par Madame [H], agent de la caisse ayant prêté serment le 16 juin 2016 et bénéficiant d’un agrément délivré par le directeur de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ;

– que la prise de contact et la communication de la charte de contrôle du professionnel de santé n’ont pas à être mis en oeuvre dans le cadre d’un contrôle administratif avec suspicion de fraude, et qu’en tout état de cause le non respect des modalités de contrôle prévues par cette charte n’est pas sanctionné ;

– que l’envoi d’une lettre d’observations préalable à la notification d’indu n’est pas applicable à un contrôle administratif portant sur les règles de facturation, et que la caisse n’est pas tenue de délivrer un avertissement préalable en application de la convention nationale destinée à régir les rapports entre infirmiers libéraux et organismes d’assurance maladie ;

– que l’agent chargé d’un contrôle administratif n’est pas tenu de rédiger un procès-verbal d’audition des personnes interrogées ;

– qu’elle n’était pas tenue d’informer Madame [P] [B] de l’usage du droit de communication dès lors que les informations obtenues n’ont pas fondé la procédure d’indu ;

– que le contrôle opéré ne nécessitait pas d’obtenir un avis allégé de la CNIL ;

– qu’ont été retenus des surfacturations non conformes à la Nomenclature Générale des Actes Professionnels, un double mandatement, des soins, des majorations de nuit et des déplacements non prescrits ou non réalisés, vérifiables dans le cadre des tableaux d’indus communiqués  ;

– que Madame [P] [B] n’apporte aucun élément susceptible de remettre en cause ces indus ;

– que la pénalité financière doit être confirmée au regard de l’historique des contrôles de l’activité de Madame [P] [B] pour des griefs similaires.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

ORDONNE la jonction des affaires enrôlées sous les numéros de RG 20/01161 et 20/01163 ;

ANNULE la procédure de contrôle diligentée par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône ;

DÉBOUTE la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône de ses demandes ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé en audience publique, le 28 janvier 2025, et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT

Nabila REGRAGUI Julien FERRAND

 


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