Tribunal judiciaire de Lille, 7 juin 2024
Tribunal judiciaire de Lille, 7 juin 2024

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : La nullité d’une marque pour droits préexistants

Résumé

La nullité d’une marque peut être prononcée lorsque les droits préexistants n’ont pas été régulièrement transférés au déposant. Selon l’article L 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, une marque est déclarée nulle si elle ne respecte pas les conditions de distinctivité et de non-description. Dans l’affaire opposant M. [S] [V] à Marbis et Kapis, le tribunal a constaté que la marque « Kap Saloon », déposée par M. [S] [V], était entachée de nullité en raison de l’antériorité de droits sur le terme « Kapsalon ». Ainsi, le jugement a annulé l’enregistrement de cette marque, confirmant l’absence de droits valides.

Le dépôt d’une marque préexistante, dont il a déjà été jugé que les droits n’ont pas été régulièrement transférés au déposant, est nulle.

Aux termes de l’article L 714-3 du Code de la propriété intellectuelle l’enregistrement d’une marque est déclaré nul par décision de justice ou par décision du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle, en application de l’article L 411-4, si la marque ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L 711-2, L 711-3, L 715-4 et L. 715-9.
Or, selon les articles L711-2 et L711-3, pour être valable une marque doit notamment être distinctive, non descriptive et ne pas se fonder sur des termes génériques ou usuels pour le type de produit que la marque désigne et ne doit pas heurter des droits antérieurs.

L’affaire oppose M. [S] [V] et plusieurs sociétés (KW FOOD, BURN OUT, MSF ASSOCIES, KL FOOD, MFK ASSOCIES) à deux autres sociétés, Marbis et Kapis, concernant l’exploitation du concept de restauration rapide « Kapsalon ». M. [S] [V] a acquis la marque « Kap Saloon » en 2019 et a déposé une nouvelle marque en 2020. Les défendeurs, Marbis et Kapis, sont accusés de concurrence déloyale et de contrefaçon de marque pour avoir utilisé des noms et des enseignes similaires.

Les demandeurs ont tenté de résoudre le litige à l’amiable, mais sans succès, ce qui les a conduits à saisir le tribunal. En mars 2023, le juge a déclaré M. [S] [V] irrecevable à agir pour contrefaçon de marque, mais recevable pour concurrence déloyale. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts et la cessation des actes de contrefaçon, tandis que les défendeurs contestent la validité des marques et revendiquent des droits antérieurs sur le terme « Kapsalon ».

Le tribunal doit examiner la validité de la marque « Kap Saloon » et les droits des parties avant de statuer sur les demandes de contrefaçon et de concurrence déloyale. L’affaire est fixée pour plaidoirie en mars 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 juin 2024
Tribunal judiciaire de Lille
RG n°
21/02064
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 21/02064 – N° Portalis DBZS-W-B7F-VGJ3

JUGEMENT DU 07 JUIN 2024

DEMANDEURS :

M. [S] [V]
[Adresse 10]
[Localité 12]
représenté par Me Coraline FAVREL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S. KW FOOD,
immatriculée au RCS Lille métropole 877 738 732,
représentée par la société KAP SALOON CONCEPT (RCS Lille métropole 852 747 864), elle-même représentée par M. [S] [V]
[Adresse 7]
[Localité 12]
représentée par Me Coraline FAVREL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S. BURN OUT,
immatriculée au RCS Lille métropole 841 445 737, représentée par la société KAP SALOON CONCEPT (RCS Lille métropole 852 747 864), elle-même représentée par M. [S] [V]
[Adresse 2]
[Localité 17]
représentée par Me Coraline FAVREL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S. MSF ASSOCIES,
immatriculée au RCS Lille métropole 879 805 380, représentée par la société KAP SALOON CONCEPT (RCS Lille métropole 852 747 864), elle-même représentée par M. [S] [V]
[Adresse 1]
[Localité 16]
représentée par Me Coraline FAVREL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S. KL FOOD,
immatriculée au RCS Lille métropole 883 139 156, représentée par la société KAP SALOON CONCEPT (RCS Lille métropole 852 747 864), elle-même représentée par M. [S] [V]
[Adresse 6]
[Localité 11]
représentée par Me Coraline FAVREL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S. MKF ASSOCIES,
immatriculée au RCS Lille métropole 890 114 077, représentée par la société KAP SALOON CONCEPT (RCS Lille métropole 852 747 864), elle-même représentée par M. [S] [V]
[Adresse 4]
[Localité 11]
représentée par Me Coraline FAVREL, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSES :

S.A.S. MARBIS,
immatriculée au RCS Lille métropole 834 978 058, représentée par son président M. [D] [M],
[Adresse 14]
[Localité 13]
représentée par Me Amélie CAPON, avocat au barreau de LILLE

S.A.S. KAPIS,
immatriculée au RCS Lille métropole sous le n° 843 019 159, représentée par son président M. [W] [J]
[Adresse 8]
[Localité 13]
représentée par Me Amélie CAPON, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Marie TERRIER,
Assesseur: Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur: Nicolas VERMEULEN,

Greffier: Benjamin LAPLUME,

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture rendue en date du 05 juillet 2023 avec effet au 30 Juin 2023.

A l’audience publique devant la formation collégiale du 14 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 07 Juin 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 07 Juin 2024 par Marie TERRIER, Président, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige

Le litige oppose :

– M. [S] [V]
– la SAS KW FOOD domiciliée à [Localité 21] représentée par la société KAP SALOON CONCEPT, elle-même représentée par M. [S] [V]
– la SAS BURN OUT domiciliée à [Localité 17], représentée par la société KAP SALOON CONCEPT, elle-même représentée par M. [S] [V]
– la SAS MSF ASSOCIES, domiciliée à [Localité 16] représentée par la société KAP SALOON CONCEPT, elle-même représentée par M. [S] [V]
– la SAS KL FOOD domiciliée à [Localité 11], représentée par la société KAP SALOON CONCEPT, elle-même représentée par M. [S] [V]
– la SAS MFK ASSOCIES domiciliée [Adresse 5], représentée par la société KAP SALOON CONCEPT, elle-même représentée par M. [S] [V],
tous exploitant pour concept un plat néerlandais «Kapsalon» constitué d’une barquette en aluminium dans laquelle se surperposent des frites, de la viande, de la sauce, du fromage à gratiner et des crudités.

Ces différents établissements exploitent le sigle Kap Saloon comme nom commercial et enseigne.

Le 26 novembre 2017, la société O’Naan a déposé la marque verbale française n°4407703 Kap Saloon pour des services de restauration rapide, puis l’a cédé à Monsieur [S] [V] le 1er août 2019, avec inscription de la cession à l’INPI le 20 novembre 2020.

Puis, le 17 juin 2020, Monsieur [S] [V] a déposé et obtenu l’enregistrement de la marque verbale française Kap Saloon n°4657706, visant elle aussi des services de restauration rapide.

À

-la SAS Marbis représentée par Monsieur [D] [M] domiciliée [Adresse 18] et exploitant deux établissements sis [Adresse 15] et [Adresse 3].

– la SAS Kapis représentée par Monsieur [W] [J] domiciliée [Adresse 9]

La société Marbis créée depuis le 1er janvier 2018, exploite sous l’enseigne Tacos and Co une activité de restauration rapide. La société Kapis a été créée le 19 septembre 2018 également pour le développement d’une activité de restauration rapide dont l’un des trois associés est Monsieur [D] [M], gérant de la société Marbis.

Reprochant:

– à la société Kapis, un acte de concurrence déloyale et parasitaire dès le mois de septembre 2018 par l’aposition à titre d’enseigne sur les côtés et l’entrée de l’établissement le nom Kap Saloon et la mention  dans les statuts une enseigne Kap’S Saloon,

– à la société Marbis des actes de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale à compter de septembre 2020 en reproduisant sur ses deux établissements [Adresse 19] les enseignes Kap’S Saloon et KAPSALOON, en utilisant les photographies des enseignes des demanderesses et en exploitant le nom de domaine kaps-saloon.fr et les pages Facebook Kap’s saloon [Localité 20] et Kap’s Saloon [Localité 11],

les demandeurs mettaient en demeure les sociétés Kapis et Marbis de cesser leurs agissements et de les indemniser forfaitairement par courriers des 26 novembre 2020 et 15 décembre 2020.

En l’absence d’issue amiable, par actes d’huissier delivrés le 30 mars 2021, Monsieur [S] [V] et les sociétés KW FOOD, BURN OUT, MSF ASSOCIES, , KL FOOD et MFK ASSOCIES [ci-après Monsieur [V] et ses sociétés] faisaient attraire les sociétés Marbis et Kapis devant le Tribunal judiciaire de Lille en contrefaçon de marque, concurrence déloyale et parasitaire et indemnisation.

Sur cette assignation, les sociétés défenderesses ont constitué le même avocat.

Suivant ordonnance du 10 mars 2023, le juge de la mise en état saisi en incident de recevabilité introduit par les sociétés Marbis et Kapis a déclaré Monsieur [V] irrecevable à agir, comme les sociétés Kw Food, Burn Out, MSF Associés, KL Food et MKF Associés au titre de la contrefaçon de marque mais a déclaré les mêmes recevables à agir au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

Les parties ont échangé leurs écritures et l’ordonnance de clôture a été rendue le 5 juillet 2023, l’affaire étant fixée à plaider en audience collégiale du 14 mars 2024.

Suivant les termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 mai 2023, Monsieur [V] et ses sociétés sollicitent du tribunal sous le visa des articles L.716-4-2, L.713-1 et L.713-2, L. 714-3 et L. 711-3 et L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, 1240 du Code Civil, 700 du Code de procédure civile,

JUGER recevable à agir en contrefaçon les sociétés licenciées KW FOOD, BURN OUT, MSF ASSOCIES, KL FOOD ET MFK ASSOCIES pour la réparation de leur préjudice propre
JUGER recevable à agir en contrefaçon de marque, le titulaire de la marque M. [V]
CONDAMNER les sociétés KAPIS et MARBIS à la cessation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire commis au détriment des demandeurs, et à la cessation de l’exploitation des termes « KAP » et « SALOON» et au retrait des affiches et de la photographie exploitées par les Demandeurs et qui leur sont propres, sur tous établissements physiques, sites marchands ou vitrine, pages de réseaux sociaux, à compter du jour de la signification par huissier du jugement à intervenir, sous peine d’astreinte de 300 euros par jour de retard
CONDAMNER in solidum les sociétés KAPIS et MARBIS au paiement à M. [V] de la somme de 70.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque; cette somme étant augmentée des intérêts légaux appliqués à compter de la mise en demeure adressée le 26 novembre 2020
CONDAMNER in solidum les sociétés KAPIS et MARBIS au paiement à l’ensemble des licenciées exploitantes de la somme de 70.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; cette somme étant augmentée des intérêts légaux appliqués à compter de la mise en demeure adressée le 26 novembre 2020
ORDONNER la publication du dispositif du jugement à intervenir sur la page d’accueil de l’ensemble des sites internet et des pages de réseaux sociaux des Défenderesses, en lettres d’imprimerie standards, de taille 12, dans le mois de sa signification et pendant un délai de trois mois, sous astreinte provisoire de 500,00€ par jour de retard et par jour manquant.
CONDAMNER in solidum les sociétés KAPIS et MARBIS au paiement aux Demandeurs de la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER in solidum les sociétés KAPIS et MARBIS au paiement des entiers frais et dépens, en ce compris les frais de constat internet du 26 novembre 2020, dont distraction au profit de Coraline Favrel, Avocat aux offres de droit.
ORDONNER l’exécution provisoire, de droit, du jugement à intervenir nonobstant opposition ou appel et sans caution.
REJETER toute demande reconventionnelle des sociétés KAPIS et MARBIS, mal fondée en droit et en fait
Au soutien de leurs prétentions et se fondant désormais sur la seule marque verbale n°4657706, ils font valoir que l’utilisation du sigle Kap’s saloon par la société Kapis à titre d’enseigne extérieure, d’enseigne murale à l’intérieur, à titre de nom de domaine kaps-saloon .fr, sur la page Facebook, référencement Uber Eats, et par l’utilisation par la société Marbis du même nom de domaine, d’un référencement Deliveroo, d’une page Facebook constituent des actes de contrefaçon de marque par la reprise d’un signe identique phonétiquement, intellectuellement par l’utilisation de la référence au Far West et quasi identique visuellement pour un domaine d’activité identique.

Ils font valoir que l’utilisation du sigle Kapsaloon apposé sur la carte de restauration et reprise sur le site facebook de la société Marbis ne constitue pas une antériorité, susceptible d’entraver la validité de la marque alors que les défenderesses acquiescent elles-mêmes à l’existence d’une notion générique et usuelle.

Ils rappellent que la distinctivité de la marque s’apprécie de façon globale par rapport aux produits et services protégés par la marque et au regard d’un public pertinent.

Ils assurent que leur marque qui associe à la fois un plat néerlandais «kapsalon» et l’évocation de l’univers du Far West «saloon» et qui n’est pas descriptive du plat en tant que tel mais désigne un service de restauration rapide est valable.

Ils ajoutent que les défenderesses ont de plus commis des actes de concurrence déloyale en utilisant la même présentation en barquette aluminium et les photographies sur la devanture de leur établissement dans une importante proximité avec le lieu d’exploitation des demanderesses.

En réponse et par conclusions notifiées le 30 mai 2022, les sociétés Marbis et Kapis se fondant sur les articles L.716-4-2 du Code de la propriété intellectuelle, 122 du Code de procédure civile, l’adage fraus omnia corumpit, 931 et 1180 du Code civil, L.711-2, L.711-3 et L.714-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, 1240 du Code civil de:

IN LIMINE LITIS

Déclarer irrecevable l’action en contrefaçon de la marque KAP SALOON engagée par les sociétés KW FOOD, BURN OUT, MSF ASSOCIES, KL FOOD et MKF ASSOCIES ;
Déclarer irrecevable l’action en contrefaçon de la marque KAP SALOON engagée Monsieur [S] [V] ;
En conséquence,

Débouter les demandeurs de leur action en contrefaçon de la marque KAP SALOON;
A TITRE PRINCIPAL :

Constater, dire et juger que les sociétés MARBIS et KAPIS disposent de droits antérieurs aux demandeurs sur le terme KAPSALOON ;
Constater, dire et juger que les sociétés KAPIS et MARBIS n’ont commis aucun acte de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre des demandeurs ;
A TITRE SUBSIDIAIRE :

Si par impossible, le Tribunal estimait les demandeurs recevables à agir en contrefaçon de marque, constater, dire et juger que les sociétés MARBIS et KAPIS disposent de droits antérieurs aux demandeurs sur le terme KAPSALOON;
Constater, dire et juger que l’action en contrefaçon de la marque KAP SALOON engagée par les demandeurs est mal fondée ;
En conséquence,

Débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;

A TITRE INIFINEMENT SUBSIDIAIRE :

Si par impossible le Tribunal n’admettait pas les droits antérieurs dont disposent les sociétés KAPIS et MARBIS, constater, dire et juger que le terme KAP SALOON constitue un terme générique pour désigner des services de restauration rapide et qu’il doit rester à la libre disposition de tous ;
Constater, dire et juger que l’action en contrefaçon de la marque KAP SALOON engagée par les demandeurs est mal fondée ;
En conséquence,

Débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
A TITRE RECONVENTIONNEL :

Prononcer la nullité des marques françaises KAP SALOON n°4407703 détenue par Monsieur [S] [V] et KAP SALOON n°4657706 déposée par Monsieur [S] [V] dans la mesure où les sociétés KAPIS et MARBIS disposent droits antérieurs sur le terme KAPSALOON ;
Prononcer la nullité des marques françaises KAP SALOON n°4407703 détenue par Monsieur [S] [V] et KAP SALOON n°4657706 déposée par Monsieur [S] [V] à raison de leur caractère générique pour désigner des services de restauration rapide;
Dire que le jugement définitif sera transmis par la partie la plus diligente à l’INPI pour inscription au Registre National des Marques ;
Condamner in solidum les demandeurs au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les défenderesses ;
Condamner in solidum les demandeurs aux entiers frais et dépens de la procédure, en ce compris les frais d’inscription en traitement accéléré du retrait des marques françaises KAP SALOON n°4407703 et KAP SALOON n°4657706 auprès de l’INPI;
Ecarter l’application de l’exécution provisoire de droit.
Condamner in solidum les demandeurs au paiement d’une somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Les sociétés défenderesses développent au fond, les mêmes moyens que ceux qui avaient été soumis et tranchés par le juge de la mise en état dans son ordonnance de mars 2023.

Puis à titre principal, elles revendiquent l’antériorité de leurs droits sur ceux de Monsieur [V] et lui refusent le droit de revendiquer ceux tirés de la société O Naan qui n’agit pas dans le cadre de la présente instance. Elles contestent que les photographies soient les mêmes.

Elles remarquent la disproportion entre la prestation payée au graphiste pour 500€ et la somme indemnitaire réclamée.

A titre subsidiaire, elles contestent le bien fondé des demandes en contrefaçon de la marque Kap Saloon sur laquelle elle revendique une antériorité et s’étonnent que pour en contester l’existence, les demanderesses admettent que le signe est générique et usuel.

Elles s’appuient sur une jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris sur les Mhajeb du 25 septembre 2013 pour en déduire que la marque qui désigne une spécialité culinaire étrangère même non comprise d’une large partie du public ne peut être protégée, tant pour la marque elle-même que ses déclinaisons.

Sur les mêmes moyens, elles concluent, à titre reconventionnel à la nullité de la marque.

Suivant message RPVA du 16 mai 2023, l’avocat constitué pour les défenderesses a indiqué ne plus intervenir mais il a été procédé au dépôt du dossier le 23 février 2024.

La présente décision sera contradictoire par application de l’article 469 du Code de Procédure civile.

Sur ce

1) sur les fins de non recevoir excipées en défense.

Il résulte de l’ordonnance du juge de la mise en état du 10 mars 2023 qu’il a déjà été statué sur les fins de non-recevoir soulevées par les sociétés Marbis et Kapis, il n’y a donc pas lieu de les examiner à nouveau.

2) sur la contrefaçon de la marque Kap Saloon n°4657706 déposée le 17 juin 2020 par Monsieur [S] [V]

Dès lors que le juge de la mise en état a retenu que la cession de créance du 1er août 2019 était entachée d’une nullité absolue dans la mesure où elle n’était pas établie par acte authentique, il n’y a plus lieu de statuer sur sa validité, dès lors que le seul détenteur de la marque est la société O’Naam, qui n’a pas été attraite à la cause et que Monsieur [K] a été déclaré irrecevable à agir sur cette marque.

Avant de pouvoir statuer sur l’éventuelle caractérisation d’actes de contrefaçon que Monsieur [S] [V] fonde désormais exclusivement sur la marque Kap Saloon déposée le 17 juin 2020, il convient par conséquent d’examiner préalablement la demande reconventionnelle en nullité de la marque

Sur la validité de la marque

Aux termes de l’article L 714-3 du Code de la propriété intellectuelle l’enregistrement d’une marque est déclaré nul par décision de justice ou par décision du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle, en application de l’article L 411-4, si la marque ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L 711-2, L 711-3, L 715-4 et L. 715-9.
Or, selon les articles L711-2 et L711-3, pour être valable une marque doit notamment être distinctive, non descriptive et ne pas se fonder sur des termes génériques ou usuels pour le type de produit que la marque désigne et ne doit pas heurter des droits antérieurs.

En l’espèce, dans le débat qui oppose les sociétés Marbis et Kapis à Monsieur [S] [V], les premières revendiquent une antériorité du terme Kapsaloon sur l’activité déployée après juin 2020 par Monsieur [V] et se fondent sur ce qui serait une page Facebook de l’enseigne Tacos and Co qui présenterait un menu à base de «cheese barquettes Kapsaloon» depuis le 2 février 2018 (pièce n°6) puis sur des échanges courriels entre une personne qu’elle présente comme un graphiste, Monsieur [C] [Y] et Monsieur [R] [M],  lui même co-gérant de la société Marbis (pièce 3 et 5). Toutefois, au-delà de ne pas être produite sous la forme d’une attestation dans la forme de l’article 202 du Code de Procédure civile, ce mail n’étant accompagné d’aucune précision, il ne permet pas d’en déduire l’existence d’une commande faite par Monsieur [M] pour la commercialisation de ses produits.

En réponse, Monsieur [V] produit une attestation (sa pièce n°13) de Monsieur [A] [N] qui contextualise les relations entre la société O’Naan et Monsieur [V] pour que celui-ci travaille sur le logo et la charte graphique,  souhaitant par là soutenir l’antériorité des droits de Monsieur [V] sur ceux de la société Marbis, ou au moins les amoindrir.

Mais surtout, il se déduit de cet échange et de l’ordonnance du juge de la mise en état du 10 mars 2023 qui a retenu la nullité de la cession de la marque Kapsaloon au bénéfice de Monsieur [V] le 1er août 2019, pour le déclarer irrecevable à agir en contrefaçon sur le fondement de la marque n°4407703, qu’au jour du dépôt de la marque n°4657706 déposée le 17 juin 2020, celle-ci ne pouvait être enregistrée en raison de la préexistence de droits au bénéfice de la société O’Naan qui n’avaient pu être transférés à Monsieur [V]. 

A cet égard, le juge de la mise en état a précisément relevé que le «dépôt d’une marque identique à la marque litigieuse , ainsi que l’indique le demandeur [le tribunal souligne], procédait de sa volonté maladroitement manifestée de faire inscrire son acte de cession à l’INPI».

Dès lors, il se déduit de ces éléments qu’en conscience,  Monsieur [V] n’a pas déposé une marque nouvelle mais a seulement entendu procéder au nouveau dépôt d’une marque préexistante, dont il a déjà été jugé que les droits ne lui avaient pas été régulièrement transférés.

En conséquence, il y a lieu de prononcer l’annulation de marque n°4657706 déposée le 17 juin 2020 en raison de l’antériorité de la marque préexistante n°4407703 déposée le 26 novembre  2017 pour  les mêmes services de restauration rapide.

Il y a lieu de dire que le jugement sera transmis par la partie la plus diligente à l’INPI pour inscription au Registre National des Marques.

Monsieur [V] ne pouvant revendiquer la titularité des droits sur une marque verbale, il doit nécessairement être débouté de sa demande au titre de la contrefaçon de marque.

3) sur la concurrence déloyale et parasitaire

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il est rappelé que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur les dispositions issues de cet article, mais sont caractérisés par l’application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance qu’à titre lucratif et de façon injustifiées, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements

En l’espèce, les sociétés de Monsieur [V] font valoir qu’en utilisant les mêmes barquettes en aluminium, en reproduisant les photographies et leur charte graphique, les sociétés Marbis et Kapis ont commis des actes de parasitisme et produisent au soutien de leur démonstration des photographies extraites de la base Google Earth datée selon la page à la date de juillet 2020 présentant sur la devanture du commerce Tacos and Co sis [Adresse 14] à [Localité 20] la photographie de plats de restauration rapide composés de salades et de frites en sauce (pièce 11/1 et 18/1) ainsi que le logo Kap Saloon survolant une barquette grise, repris sur l’icone Instagram des sociétés de Monsieur [V] (sa pièce n°1)

Pour justifier d’une exploitation antérieure, débutée avant les sociétés Marbis et Kapis, les demandeurs produisent l’attestation de Monsieur [N] qui indique «avoir travaillé avec Monsieur [V] [S] sur la créantion du logo Kapsaloon et sa charte graphique, accompagné d’un document PDF daté du 6 octobre 2017 qui rapporte le logo de la pièce 1. 

Pourtant, à cette date, Monsieur [N] reconnait avoir travaillé pour la société O’Naan et donc pas directement pour le bénéfice des sociétés de Monsieur [V].

Sur les photograpies, les demanderesses produisent l’attestation de Monsieur [G] (leur pièce n°14) qui explique avoir facturé le 21 janvier 2021 «des photographies pour un usage publicitaire» à la société Kap Saloon Concept dont ce photographe aurait ensuite retrouvé ses productions utilisées par la société Kap’Saloon [Localité 20] pour son site Facebook.

Toutefois, l’attestation de Monsieur [G] n’annexe pas la photographie qu’il a réalisée mais seulement une facture de la prestation et l’extrait de la page Facebook de Kap’S Saloon Tourcoing produite n’est pas éditée dans des conditions permettant au tribunal d’en déduire avec certitude la date à laquelle elle aurait été publiée.

Surtout la photographie est censée illustrer une publication qui ne consiste qu’en la reproduction d’un lien HTML vers le site Ubereats, de sorte qu’il ne peut s’en déduire que c’est effectivement le titulaire de la page Facebook qui aurait utilisé la photographie plutôt que le site de livraison en ligne.

S’agissant des photographies devant servir à illustrer les pages Uber, il ne peut se déduire du mail adressé par Madame [T], qui apparaît sous la référence d’une adresse Uber, que les sociétés de Monsieur [V] jouissaient de droits sur les photographies du site de livraison de repas alors que celle-ci indique «le shooting  33873 réalisé le lundi 25 juin 2018 au [Adresse 7] à [Localité 21] a été commandé par Uber et réalisé par la société Ocus» . Le seul fait qu’il ait été réalisé dans les locaux de la société Kw Food n’étant pas suffisant pour assurer à cette dernière des droits sur les images et la publicité faite par celles-ci.

Enfin, la présentation de ces plats dans des barquettes, y compris d’une couleur noire identique, ne saurait être regardée comme fautive compte tenu de la destination du produit, cette présentation apparaît nécessaire et ne peut être regardée comme constitutive d’un acte de parasitisme.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments mais aussi de la chronologie avec laquelle les sociétés de Monsieur [V] n’ont finalement exploité en leur nom personnel de manière certaine, ce plat de restauration rapide qu’au cours de l’année 2020, compte tenu des démarches entreprises par Monsieur [V] auprès des services de l’INPI, les faits de parasitisme reprochés ne sont pas caractérisés. De sorte qu’elles seront déboutées de leur demande indemnitaire sur ce fondement.

4) sur la demande reconventionnelle

Selon l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En réponse, les sociétés Kapis et Marbis reprochent à Monsieur [V] et ses sociétés d’avoir causé leur déréférencement préjudiciable du site UberEats et produisent au soutien de leur position le courrier de leur conseil adressé au service juridique de la société Uber.

Toutefois, cette pièce qui émane du mandataire des défenderesses qui n’est accompagné d’aucun élément objectif et notamment pas la preuve d’un référencement antérieur puis d’une disparition, notamment en ce qu’aucun contrat sur le référencement au sein de la plate-forme échouent à faire la preuve tant de la réalité objective de cette décision que du préjudice qu’elles estiment avoir subi.  

Elles seront déboutées de leur demande reconventionnelle en indeminisation. 

5) sur les autres demandes

Succombant en l’ensemble de leur demande, Monsieur [S] [V] et ses sociétés seront condamnées in solidum aux dépens.

Il n’y a pas lieu de prévoir d’y inclure le coût de l’inscription au registre des marques dans la mesure où il s’agit seulement d’une transmission pour régularisation et qu’elle ne constitue pas un dépens

Supportant les dépens, elles seront condamnées in solidum à payer aux sociétés Marbis et Kapis la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 Code de Procédure civile.

Il y a lieu de rappeler que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe, rendu en premier ressort:

Dit n’y avoir lieu à statuer sur la fin de non-recevoir invoquée par la SAS Marbis et la SAS Kapis;

DEBOUTE les SAS Marbis et Kapis de leur demande en annulation de la marque verbale française n°4407703 Kap Saloon ;

ANNULE la marque verbale française Kap Saloon °4657706, visant des services de restauration rapide déposée le 17 juin 2020 par Monsieur [S] [V] ;

DIT que la présente décision sera transmise à l’INPI aux fins d’inscription au Registre National des Marques par la partie la plus diligente ;

DEBOUTE Monsieur [S] [V] de sa demande au titre de la contrefaçon de marque Kap Saloon ;

DEBOUTE la SAS KW FOOD, la SAS BURN OUT, la SAS MSF ASSOCIES, la SAS KL FOOD et la SAS MFK ASSOCIES au titre de leur demande indemnitaire pour parasitisme;

DEBOUTE les SAS Marbis et Kapis de leur demande reconventionnelle en indemnisation pour déférencement ; 

CONDAMNE in solidum Monsieur [S] [V] et la SAS KW FOOD, la SAS BURN OUT, la SAS MSF ASSOCIES, la SAS KL FOOD et la SAS MFK ASSOCIES à payer à la SAS Marbis et Kapis la somme de 3.000€ (trois mille euros) au titre de l’article  700 du Code de Procédure civile ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [S] [V] et la SAS KW FOOD, la SAS BURN OUT, la SAS MSF ASSOCIES, la SAS KL FOOD et la SAS MFK ASSOCIES aux dépens en ce non compris le coût de l’inscription à l’INPI ;

RAPELLE que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER

 

 


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