Tribunal judiciaire de Lille, 27 novembre 2024, RG n° 24/02127
Tribunal judiciaire de Lille, 27 novembre 2024, RG n° 24/02127

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : Conditions d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie : Évaluation médicale et respect des procédures légales

Résumé

Le 17 novembre 2024, [V] [B] a été admis en hospitalisation complète à la demande de son père, suite à un certificat médical. Le 20 novembre, après évaluation, il a été décidé de maintenir cette hospitalisation. Le conseil de [V] [B] a contesté la mesure, évoquant des violations du code de la santé publique et l’absence de preuve des troubles. Cependant, le juge a confirmé l’urgence de l’admission, justifiée par des troubles tels que la bipolarité. En conséquence, la poursuite de l’hospitalisation a été ordonnée, en raison de l’incapacité de [V] [B] à consentir aux soins.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE

Magistrat Délégué
Dossier – N° RG 24/02127 – N° Portalis DBZS-W-B7I-Y7MF

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ORDONNANCE DU 27 Novembre 2024

DEMANDEUR
Monsieur LE DIRECTEUR DE [4] – SITE [Localité 5]
[Adresse 1]
Représenté par Mme [D],

DEFENDEUR
Monsieur [V] [B]
[4] – SITE [Localité 5]
[Adresse 1]
Présent, assisté de Maître ALLARD-FLAVIGNY Nicolas, avocat commis d’office,

TIERS
Monsieur [Y] [B]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Non comparant

MADAME LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Non comparant – conclusions écrites du procureur de la République en date du 26 novembre 2024

COMPOSITION

MAGISTRAT : Aurore JEAN BAPTISTE, Magistrat Délégué
GREFFIER : Louise DIANA

DEBATS

En audience publique du 27 Novembre 2024 qui s’est tenue dans la salle d’audience de L’EPSM de L’AGGLOMÉRATION LILLOISE, la décision ayant été mise en délibéré au 27 Novembre 2024.

Ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe le 27 Novembre 2024 par Aurore JEAN BAPTISTE, Magistrat délégué, assisté de Louise DIANA, Greffier.

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;Vu la requête en date du 25 Novembre 2024 présentée par LE DIRECTEUR DE [4] et les pièces jointes ;Vu les pièces visées par l’article R 3211-12 du code de la santé publique ;Vu la présence d’un avocat pour l’audience de ce jour ;Vu les conclusions du Ministère Public ;
Les parties présentes entendues.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

[V] [B] a fait l’objet le 17 novembre 2024 d’une admission en hospitalisation complète à [4] sur décision du directeur d’établissement selon la procédure prévue à l’article L3212-3 du code de la santé publique soit sur la demande d’un tiers (son père) en urgence.

Sur la base des certificats médicaux établis aux échéances de 24 et de 72 heures son maintien en hospitalisation complète a été décidé le 20 novembre suivant.

Par requête en date du 22 novembre 2024, le directeur de l’établissement psychiatrique a saisi le magistrat du siège désigné par le Président aux fins de contrôle à 12 jours de la mesure.

Par mention écrite au dossier, le ministère public a fait connaître son avis requérant le maintien de l’hospitalisation sous contrainte.

***

Entendu le conseil de [V] [B] demande la mainlevée de la mesure et développe les moyens suivants :
– sur la violation de l’article L3212-3 du code de la santé publique en ce que le certificat médical d’admission a été établi avant la demande de tiers alors que le certificat médical doit assoir la demande de tiers.
– sur la violation de l’article L3212-3 du code de la santé publique en ce qu’il n’est pas caractérisé dans le certificat médical d’admission la notion d’urgence et celle de la caractérisation du risque grave d’ atteinte à l’intégrité du malade.
– sur la violation de l’article L3212-1 du code de la santé publique en ce qu’il n’est pas établi dans le certificat médical d’admission l’existence de troubles rendant impossible le consentement aux soins et imposant la mise en place de soins immédiats.
– sur la violation de l’article R3211-24 du code de la santé publique en ce que dans l’avis motivé, il n’est pas caractérisé la nécessité de poursuite des soins et l’absence de consentement aux soins

Le directeur de l’établissement demande la poursuite de la mesure.

[V] [B] dit que son hospitalisation est due à un choc psychosomatique. On lui a volé son téléphone et il a été agressé. Il veut plus de liberté.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’établissement du certificat médical d’admission antérieurement à la demande du tiers

En application de l’article L.3212-3 du code de la santé publique, en cas d’urgence, lorsqu’il existe un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade, le directeur de l’établissement peut, à titre exceptionnel, prononcer à la demande d’un tiers l’admission en soins psychiatriques d’une personne malade au vu d’un seul certificat médical émanant le cas échéant d’un médecin exerçant dans l’établissement.

En l’espèce, le certificat médical d’admission est établi le 17 novembre 2024 à 20h45 par le docteur [I] et la demande du tiers a été rédigée le même jour à 21h50.

Le texte de l’article L3212-3 du code de la santé publique ne prescrit pas un ordre chonologique dans la rédaction des pièces nécessaires quant à l’admission d’un patient sur la demande d’un tiers en urgence et n’oblige pas notamment que le certificat médical d’admission découle de la demande écrite du tiers.

Dès lors, alors qu’il ressort que le directeur de l’établissement disposait au moment de sa décision du certificat médical d’admission et d’une demande manuscrite émanant d’un tiers, les conditions de mise en oeuvre de l’article L.3212-3 du code de la santé publique étaient remplies au moment de l’admission, ce moyen sera donc rejeté.

Sur l’absence de caractérisation de l’urgence et du risque d’atteinte à l’intégrité du patient dans le certificat médical d’admission :

En application de l’article L.3212-3 du code de la santé publique, en cas d’urgence, lorsqu’il existe un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade, le directeur de l’établissement peut, à titre exceptionnel, prononcer à la demande d’un tiers l’admission en soins psychiatriques d’une personne malade au vu d’un seul certificat médical émanant le cas échéant d’un médecin exerçant dans l’établissement.

Le juge ne peut substituer son avis à l’évaluation par les médecins tant des troubles psychiques du patient que de son consentement aux soins (Cour de cassation, civ 1ère, 27 septembre 2017, pourvoi n°16-22.544).

En l’espèce, le certificat médical d’admission établi le 17 novembre 2024 par le docteur [I] relève les troubles suivants: “patient bipolaire”, “agitation psychomotrice”, “logorrhée”, précisant que les troubles observés constituent un risque grave d’atteinte à l’intégrité du patient.

Si selon le conseil de [V] [B], la description des troubles constatés ne permettrait pas de caractériser l’urgence et un risque grave d’atteinte à l’intégrité du patient, il sera rappelé que le juge ne peut substituer son avis à l’évaluation faites par les médecins , que le certificat d’admission, en l’espèce, apparait suffisamment descriptifs des troubles présentés par [V] [B] et que l’urgence à agir se déduit de cette description.

Il peut être relevé que les troubles constatés sont ensuite précisés et confirmés dans les certificats médicaux des 24h et des 72h, permettant de confirmer le risque d’atteinte grave à l’intégrité du patient : “Il existe des idées délirantes mégalomaniaques”, “Il présente un état d’uncurie. La prise de traitement semble anarchique”, “la reconnaissance du caractère pathologique des symptômes reste fragile”.

L’état ainsi décrit étant effectivement susceptible d’entraîner des comportements de mise en danger pour autrui et pour le patient, notamment du fait d’idées délirantes et d’un état d’incurie, il n’appartient pas au juge de contredire cette conclusion, et ce d’autant qu’aucun élément médical du dossier ne permet de la contester, les certificats médicaux postérieurs ayant au contraire confirmé la nécessité de la mesure.

Dès lors, les conditions de mise en oeuvre de l’article L.3212-3 du code de la santé publique étant bien remplies au moment de l’admission, ce moyen sera donc rejeté.

Sur le contrôle de l’existence des troubles mentaux et de la nécessité des soins dans le certificat d’admission :

Il résulte de l’article L. 3212-1, I, du CSP que la décision d’admission ne peut être prise par le directeur
de l’établissement de santé que si deux conditions cumulatives sont remplies :
– les troubles mentaux présentés par la personne rendent impossible son consentement aux soins,
– l’état mental de la personne impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance
médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance régulière
justifiant une prise en charge sous une autre forme (programme de soins).

Le juge doit contrôler que les conditions de fond propres à chaque mesure de soins sont remplies au moment où il statue. Il doit, dans sa décision, mettre en évidence la réunion de ces conditions, compte tenu des éléments médicaux dont il dispose. Ce contrôle peut notamment porter sur l’existence des troubles mentaux et de la nécessité des soins.

Ce contrôle va s’opérer au vu des certificats ou avis médicaux produits aux débats. Il convient cependant de rappeler que le juge ne peut substituer son avis à celui des médecins. Aussi, en retenant que les constatations médicales sont imprécises, en discordance avec les propos tenus par le patient à l’audience et que celui-ci se dit prêt à voir un psychiatre, le premier président a substitué son avis à l’évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins (1 re Civ., 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-22.544, Bull. 2017, I, n° 206).

Toutefois, le juge vérifie que les certificats médicaux répondent aux prescriptions du code de la santé publique (notamment s’agissant de la condition d’extériorité du médecin par rapport à l’établissement d’accueil), sont suffisamment précis et circonstanciés pour lui permettre d’exercer son contrôle du bien-fondé de la mesure de soins.

En l’espèce, le certificat médical d’admission établi le 17 novembre 2024 par le docteur [I] relève l’existence des troubles suivants: “patient bipolaire”, “agitation psychomotrice”, “logorrhée”, précisant que ces troubles rendaient impossible le consentement du malade aux soins et qu’ils nécessitaient des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante.

Si selon le conseil de [V] [B], le certificat médical d’admission ne permet pas, tel rédigé, d’établir l’existence des troubles rendant impossible le consentement aux soins et nécessitant la mise en oeuvre de soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante, il sera rappelé que le juge ne peut substituer son avis à l’évaluation faites par les médecins , que le certificat d’admission, en l’espèce, apparaît suffisamment descriptif des troubles présentés par [V] [B] justifiant une hospitalisation complète.

Il peut être relevé que les troubles constatés sont ensuite précisés et confirmés dans les certificats médicaux des 24h et des 72h : “Il existe des idées délirantes mégalomaniaques”, “Il présente un état d’uncurie. La prise de traitement semble anarchique”, “la reconnaissance du caractère pathologique des symptômes reste fragile”.

Il n’appartient pas au juge de contredire cette conclusion, et ce d’autant qu’aucun élément médical du dossier ne permet de la contester, les certificats médicaux postérieurs ayant au contraire confirmé la nécessité de la mesure.

Dès lors, les conditions de mise en oeuvre de l’article L.3212-1 I du code de la santé publique étant bien remplies au moment de l’admission, ce moyen sera donc rejeté.

Sur l’absence de motivation de l’avis motivé quant au défaut de consentement aux soins et à la nécessité de poursuivre la mesure :

Au terme des dispositions de l’article R3211-24 du code de la santé publique, la saisine est accompagnée des pièces prévues à l’article R. 3211-12 ainsi que de l’avis motivé prévu au II de l’article L. 3211-12-1. Cet avis décrit avec précision les manifestations des troubles mentaux dont est atteinte la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques et les circonstances particulières qui, toutes deux, rendent nécessaire la poursuite de l’hospitalisation complète au regard des conditions posées par les articles L. 3212-1 et L. 3213-1.

L’article L3211-12-1 II du code de la santé publique dispose que la saisine mentionnée au I du présent article est accompagnée de l’avis motivé d’un psychiatre de l’établissement d’accueil se prononçant sur la nécessité de poursuivre l’hospitalisation complète.

Il ressort des textes précités que le certificat médical ou avis médical doit, quelque que soit le moment où il est établi, faire ressortir l’impossibilité de recueillir le consentement du patient aux soins. Dès lors, quand bien même la personne serait atteinte de troubles mentaux rendant des soins nécessaires, si l’impossibilité de consentir n’est pas caractérisée ou ne peut, le cas échéant, être déduite des constatations médicales, la mesure de soins sans consententement perd tout fondement légal, seule pouvant, le cas échéant, être envisagée une mesure de soins librement consentis.

Le juge ne peut substituer son avis à l’évaluation par les médecins tant des troubles psychiques du patient que de son consentement aux soins (Cour de cassation, civ 1ère, 27 septembre 2017, pourvoi n°16-22.544).

En l’espèce le certificat médical des 24 heures précisait que [V] [B] avait été hospitalisé pour une décompensation d’un trouble psychiatrique chronique. Il était relevé des idées délirantes mégalomaniaques et un état d’incurie avec une prise de traitement anarchique. De même, dans le certificat médcial des 72 heures, il était noté que l’agitation psychomotrice dont avait fait preuve [V] [B] avait nécessité une mise en contention aux urgences. Il persiste une logorrhée et une accélération psychique. La reconnaissance du caractère pathologique des symptômes reste fragile.

S’agissant de la question du consentement le docteur [T] dans son avis motivé du 22 novembre 2024 indique que, depuis son hospitalisation, [V] [B] demeure ambivalent par rapport aux soins. L’autocritique est partielle. [V] [B] présente toujours une nette tachypsychie et tachyphémie. Le discours est volontiers diffuent. L’humeur est exaltée. Il présente une proposention à la mégalomanie, éléments déjà précisés dans le certificat des 72 heures. Il était conclu que l’hospitalisation était à maintenir pour reprendre le traitement et assurer la stabilité clinique.

En conséquence le moyen soulevé sera rejeté, l’absence de consentement aux soins étant médicalement établie, de même que la nécessité de poursuivre la mesure.

Sur la poursuite de la mesure :

En application de l’article L.3212-1 du code de la santé publique, une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur décision du directeur de l’établissement que si ses troubles rendent impossible son consentement et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier.

Le juge ne peut substituer son avis à l’évaluation par les médecins tant des troubles psychiques du patient que de son consentement aux soins (Cour de cassation, civ 1ère, 27 septembre 2017, pourvoi n°16-22.544).

En l’espèce, il résulte des pièces médicales, de l’avis motivé établi par le docteur [T] le 22 novembre 2024 et des débats de l’audience que l’hospitalisation sous contrainte de l’intéressé doit être prolongée, en l’état de la persistance des troubles et de l’impossibilité pour le patient de consentir valablement aux soins nécessités par son état de santé.

Il ressort en effet de l’avis motivé précité que, depuis son hospitalisation, [V] [B] demeure ambivalent par rapport aux soins. L’autocritique est partielle. [V] [B] présente toujours une nette tachypsychie et tachyphémie. Le discours est volontiers diffuent. L’humeur est exaltée. Il présente une proposention à la mégalomanie.

PAR CES MOTIFS,

Le magistrat délégué statuant après débats, par ordonnance mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort

ORDONNE la poursuite de l’hospitalisation complète de Monsieur [V] [B].

DIT que cette mesure emporte effet jusqu’à levée médicale ou décision médicale de placement sous soins ambulatoires sans consentement et à défaut jusqu’à un délai de six mois suivant le prononcé de cette décision.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Novembre 2024.

Le Greffier, Le Magistrat Délégué,

Louise DIANA Aurore JEAN BAPTISTE

 


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