Tribunal judiciaire de Lille, 25 novembre 2024, RG n° 23/10619
Tribunal judiciaire de Lille, 25 novembre 2024, RG n° 23/10619

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : Responsabilité contractuelle et prescription : enjeux de la protection du consommateur face aux pratiques commerciales.

Résumé

Contexte de l’affaire

A la suite d’un démarchage à domicile, [J] [C] épouse [F] a contracté avec la société Evasol pour l’installation d’une installation photovoltaïque, pour un montant de 17 000 euros. Le financement a été réalisé par un crédit affecté de 16 400 euros souscrit auprès de la société Groupe Sofemo, remboursable en 180 mensualités.

Liquidation judiciaire de la société Evasol

La société Evasol a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon en septembre 2012, et la procédure a été clôturée en septembre 2016 pour insuffisance d’actif. La société Groupe Sofemo a ensuite fusionné avec Cofidis.

Assignation de la S.A Cofidis

En juillet 2023, [J] [C] épouse [F] a assigné la S.A Cofidis pour engager sa responsabilité et obtenir des réparations financières, tout en demandant la privation de sa créance de restitution du capital emprunté. L’affaire a été mise en délibéré pour une audience de plaidoiries prévue en septembre 2024.

Demandes de Madame [F]

Madame [F] a demandé au juge de déclarer ses demandes recevables, de reconnaître une faute de la S.A Cofidis dans le déblocage des fonds, et de condamner cette dernière à lui verser des sommes pour le capital emprunté et les intérêts payés. Elle a également demandé la déchéance du droit aux intérêts contractuels et des dommages pour préjudice moral.

Arguments de la S.A Cofidis

La S.A Cofidis a soulevé une fin de non-recevoir pour prescription, arguant que Madame [F] aurait dû connaître les irrégularités dès la réception des premières factures. Elle a également contesté avoir commis une faute dans le déblocage des fonds, affirmant que l’attestation de livraison acceptée par Madame [F] prouvait l’exécution conforme des travaux.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé que l’action en responsabilité fondée sur le dol était prescrite, car Madame [F] aurait dû se rendre compte de la tromperie dès la première facture de revente d’électricité. De plus, l’action pour faute dans le déblocage des fonds était également prescrite, le délai de prescription ayant commencé à courir au moment du déblocage des fonds.

Conséquences de la décision

En conséquence, le tribunal a déclaré Madame [F] irrecevable dans ses demandes, l’a déboutée de ses demandes au titre des frais non répétibles, et l’a condamnée à payer à la S.A Cofidis une somme pour les frais de justice. L’exécution provisoire de la décision a été ordonnée.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de LILLE
[Localité 2]

☎ :[XXXXXXXX01]

N° RG 23/10619 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XXQT

JUGEMENT

DU : 25 Novembre 2024

[J] [H] épouse [F]

C/

S.A. COFIDIS VENANT AUX DROITS DU GROUPE SOFEMO

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU 25 Novembre 2024

DANS LE LITIGE ENTRE :

DEMANDEUR(S)

Mme [J] [H] épouse [F], demeurant [Adresse 4]

représentée par Représentant : Me Jérémie BOULAIRE, avocat au barreau de DOUAI

ET :

DÉFENDEUR(S)

S.A. COFIDIS VENANT AUX DROITS DU GROUPE SOFEMO, dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Me Xavier HELAIN, avocat au barreau d’ESSONNE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS À L’AUDIENCE PUBLIQUE DU 30 Septembre 2024

Magali CHAPLAIN, Juge, assisté(e) de Deniz AGANOGLU, Greffier

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DÉLIBÉRÉ

Par mise à disposition au Greffe le 25 Novembre 2024, date indiquée à l’issue des débats par Magali CHAPLAIN, Juge, assisté(e) de Deniz AGANOGLU, Greffier

RG : 23/10619 PAGE

EXPOSE DU LITIGE :

A la suite d’un démarchage à domicile, suivant bon de commande du 23 septembre 2010, [J] [C] épouse [F] a contracté auprès de la société Evasol une prestation relative à la fourniture et la pose d’une installation photovoltaïque pour un montant total de 17 000 euros toutes taxes comprises (TTC).

L’acquisition a été financée le même jour au moyen d’un crédit affecté souscrit par [J] [C] épouse [F] auprès de la société anonyme Groupe Sofemo d’un montant de 16 400 euros, remboursable en 180 mensualités de 158,82 euros, avec assurance facultative, au taux contractuel annuel de 4,99 % l’an, après un différé de 360 jours.

Par jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 25 septembre 2012, la société Evasol a été placée en liquidation judiciaire et par jugement du 7 septembre 2016, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la clôture de la procédure de liquidation pour insuffisance d’actif.

La société Groupe Sofemo a fait l’objet d’une fusion absorption par la société anonyme Cofidis (ci-après désignée la S.A Cofidis).

Par exploit du 27 juillet 2023, [J] [C] épouse [F] a fait assigner la S.A Cofidis devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille aux fins de voir engager sa responsabilité et d’obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes d’argent avec privation de sa créance de restitution du capital emprunté.

L’affaire a été appelée à l’audience du 29 janvier 2024, lors de laquelle les parties, représentées par leurs conseils respectifs ont accepté l’application de l’article 446-2 du code de procédure civile et l’établissement d’un calendrier de procédure. L’audience de plaidoiries a été fixée au 30 septembre 2024.

A cette audience, les parties, représentées par leur conseil respectif, se sont expressément référées à leurs conclusions déposées et visées par le greffier à l’audience.

Aux termes de ses dernières écritures, Madame [F] demande au juge des contentieux de la protection de :

déclarer ses demandes recevables,
A titre principal :

déclarer que la S.A Cofidis, venant aux droits de la société Groupe Sofemo, a commis une faute dans le déblocage des fonds à son préjudice et qu’elle doit être privée de sa créance de restitution du capital emprunté,condamner la S.A Cofidis, venant aux droits de la société Groupe Sofemo, à lui verser les sommes suivantes au titre des fautes commises :16 400 euros correspondant au montant du capital emprunté, en raison de la privation de sa créance de restitution,12 187,60 euros correspondant au montant des intérêts conventionnels et frais payés par elle en exécution du prêt souscrit,

A titre subsidiaire :

prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels à l’encontre de la société Cofidis venant aux droits du Groupe Sofemo et la condamner en conséquence à lui payer l’ensemble des intérêts versés par elle au titre de l’exécution normale du contrat de prêt affecté,
en tout état de cause :
débouter la S.A Cofidis de ses demandes,condamner la S.A Cofidis à lui payer les sommes de 5 000 euros au titre du préjudice moral et de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
En réponse à la fin de non-recevoir soulevée en défense, elle fait valoir que le point de départ du délai de prescription n’est pas fixé au jour de la signature des contrats mais au jour où le titulaire du droit d’agir a connu les irrégularités et manœuvres dénoncées lui permettant d’agir ou aurait dû les connaître; que s’agissant d’une action en responsabilité contractuelle, ce point de départ ne peut être fixé à la date de la seule connaissance du dommage mais à celle à laquelle elle a eu ou aurait dû avoir non seulement connaissance du dommage, dans toute son ampleur, mais également du fait générateur de responsabilité. S’agissant du fait générateur de responsabilité, elle estime qu’elle ne pouvait pas avoir connaissance du manquement de la banque à son obligation d’information et d’alerte sur la régularité du bon de commande puisque cette obligation est précisément faite à celle-ci pour pallier l’ignorance du consommateur en la matière, notamment s’agissant des vices pouvant affecter le contrat de vente. Elle ajoute que les irrégularités du bon de commande consistant en des mentions absentes ne pouvaient ressortir de la « seule lecture » des documents contractuels, sauf à exiger de l’emprunteur qu’il procède à une analyse approfondie du contrat que seul un professionnel ou un sachant peut réaliser, et qu’elle n’était donc pas en mesure de déterminer, au moment de la signature du bon de commande, l’existence d’irrégularités. Elle soutient que la Cour de cassation a récemment jugé que la reproduction des dispositions du code de la consommation, même lisible, dans le bon de commande, ne permet pas d’avoir une connaissance effective du vice résultant de l’inobservation de l’inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat. Enfin, elle considère qu’il appartient à la SA Cofidis d’apporter la preuve de la connaissance par elle des irrégularités dès la date de signature du contrat de vente. Elle en conclut que la prescription doit être écartée par souci d’efficacité et d’effectivité du droit de la consommation. Enfin, sur le fondement de l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme, elle fait valoir que le principe d’égalité des armes impose de garantir aux parties un droit d’agir ou de se défendre dans les mêmes conditions notamment face à la prescription. Elle estime que si le banquier est recevable à agir pendant toute l’exécution du contrat de prêt pour obtenir le paiement des sommes échues impayées, elle doit également l’être même si le contrat a été souscrit il y a plusieurs années.

Sur le fond, elle fait d’abord valoir que la banque a commis une faute en finançant un contrat dont la conclusion a été obtenue par dol, comme en atteste le report de 12 mois des échéances de remboursement confortant la présentation faite par le vendeur selon laquelle l’installation était autofinancée. Elle soutient que l’installation ne satisfait pas aux promesses de rendement qui lui ont été faites, comme le prouve l’étude qu’elle a faite réaliser démontrant que pour amortir le coût de l’installation, une durée de 21 ans d’utilisation est nécessaire. Elle estime avoir été trompée par le vendeur qui lui aurait dit que l’installation lui permettrait de réaliser des économies d’énergie substantielles. Elle indique que cette promesse de rentabilité résulte d’une part des documents contractuels puisque le vendeur lui a présenté une série de documents commerciaux et fait des promesses permettant de réaliser des économies d’énergie mais aussi divers avantages permettant de réduire le coût de l’installation.

D’autre part, elle estime que cette promesse de rentabilité procède de la nature même de la chose vendue puisque ce type d’installation disgracieuse n’est pas acquise à des fins purement écologiques ou esthétiques mais dans un but de rentabilité qui est donc un élément déterminant du consentement, étant entré dans le champ contractuel.

Enfin, elle souligne que cette promesse de rentabilité est mensongère puisque le rendement des panneaux photovoltaïques ne permet pas de couvrir les échéances du prêt, et ce alors que la société venderesse ne peut ignorer que l’installation litigieuse ne produira jamais les valeurs annoncées. Elle considère que la société Evasol utilise ainsi des pratiques déloyales et trompeuses, constitutives de manœuvres dolosives, puisque c’est en pleine conscience qu’elle, comme la société Cofidis, lui a fait souscrire des contrats, alors que l’opération ne pouvait pas lui permettre d’autofinancement ou ne serait-ce que des économies d’énergie.

Elle fait valoir ensuite que la banque a commis une faute en débloquant les fonds alors qu’à la simple lecture du contrat de vente, elle aurait dû constater que sa validité était douteuse au regard des dispositions protectrices du code de la consommation et aurait dû relever les anomalies du bon de commande avant de se dessaisir du capital prêté. Elle considère qu’il appartenait à la SA Cofidis de l’alerter sur les irrégularités affectant le contrat de vente ainsi que sur les conséquences financières de l’opération envisagée.

La S.A Cofidis sollicite du juge des contentieux de la protection de :

déclarer Madame [F] prescrite, irrecevable et à titre subsidiaire mal fondée en ses demandes ;en conséquence, la débouter de l’intégralité de ses demandes ;
En tout état de cause :

condamner Madame [F] à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;rappeler l’exécution provisoire de droit.
Au soutien de sa fin de non-recevoir, au visa de l’article 2224 du code civil, elle considère que l’action en responsabilité de la banque fondée sur le dol est prescrite en ce que Madame [F] s’est nécessairement aperçue des mensonges de la société dès réception de la première facture ou a minima de la deuxième facture de production d’énergie. Elle ajoute que l’emprunteuse n’apporte pas la preuve que des promesses d’autofinancement de l’installation ont été faites. Elle expose en outre que la requérante est encore prescrite en sa demande indemnitaire fondée sur la faute dans le déblocage des fonds en ce qu’elle n’a pas agi dans les cinq ans de la signature de l’attestation de livraison le 27 août 2014 ou des premières mensualités de remboursement du prêt en 2015, dates auxquelles les fonds étaient nécessairement débloqués. Elle fait valoir enfin que la demande de déchéance du droit aux intérêts est également prescrite pour ne pas avoir été introduite dans les cinq ans suivant la signature du contrat de prêt.

Elle conteste avoir commis une faute dans le déblocage des fonds et rappelle les avoir débloqués à la remise d’une attestation de livraison acceptée sans réserve par l’emprunteuse. Elle ajoute que cette attestation, précise et dénuée d’ambiguïté, mentionne la réalisation de tous les travaux et prestations accessoires et lui laissait légitimement présumer une exécution conforme au bon de commande, en ce compris le raccordement au réseau électrique.

Enfin, elle fait valoir que Madame [F] ne démontre pas avoir subi de préjudice, dès lors que l’installation fonctionne, produit de l’électricité et génère des revenus. Elle ajoute en toute hypothèse que le montant du préjudice ne peut être équivalent au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat principal et qu’il est apprécié souverainement par les juges du fond. Elle fait remarquer que la demanderesse conservera le bénéfice de l’installation compte tenu de la liquidation judiciaire du vendeur et que le prix de la centrale photovoltaïque est déjà amorti par les revenus tirés des panneaux depuis plusieurs années et du crédit d’impôt.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il sera expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

La S.E.L.A.R.L MJ ET ASSOCIES, es qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L B.E.S, n’a pas comparu et ne s’est pas faite représenter.

L’affaire a été mise en délibéré au 25 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.

PAR CES MOTIFS

Le juge des contentieux de la protection, statuant après débats tenus en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DECLARE [J] [H] épouse [F] irrecevable en ses demandes ;

DEBOUTE [J] [H] épouse [F] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [J] [H] épouse [F] à payer à la S.A. Cofidis la somme de 700 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [J] [H] épouse [F] aux dépens de l’instance ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

LE GREFFIER LE JUGE
D. AGANOGLU M.CHAPLAIN

 


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