Tribunal judiciaire de Lille, 17 janvier 2025, RG n° 22/04940
Tribunal judiciaire de Lille, 17 janvier 2025, RG n° 22/04940

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : Responsabilité fiscale du dirigeant : manquements et conséquences financières

Résumé

Exposé du litige

La société Fhoenix Productions, immatriculée le 31 décembre 2014, a pour objet l’édition et la production d’œuvres de l’esprit, ainsi que diverses activités de communication et de management artistique. Après la démission de son premier gérant, M. [S] [X], en mai 2017, la société a connu des difficultés financières. En avril 2018, le service des impôts a notifié une proposition de rectification concernant des impayés de TVA et d’impôt sur les sociétés pour les années 2015 et 2016.

Procédures judiciaires

Le 15 juin 2018, un avis de mise en recouvrement a été notifié à la société GF Événements, nouvelle dénomination de Fhoenix Productions, pour un montant de 272.245,00 euros. Le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire le 27 janvier 2020, reportant la date de cessation des paiements au 28 juillet 2018. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 24 juin 2020.

Responsabilité de M. [S] [X]

Le comptable public a demandé, en mars 2022, que M. [S] [X] soit déclaré solidairement responsable des impositions dues par la société, invoquant des manquements graves aux obligations fiscales. M. [S] [X] a contesté cette demande, arguant qu’il n’était pas le dirigeant de fait et que d’autres gérantes avaient omis de contester les rectifications fiscales.

Arguments des parties

Le comptable public a soutenu que M. [S] [X] avait été le dirigeant effectif de la société et avait omis de faire les déclarations fiscales nécessaires, rendant la créance irrécouvrable. M. [S] [X] a, quant à lui, affirmé que la société n’avait pas d’activité réelle et que les montants réclamés étaient liés à une autre société, Man Sécurité.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé que M. [S] [X] était solidairement responsable des impositions et pénalités dues par la société, en raison de ses manquements aux obligations fiscales. Il a été condamné à payer la somme de 258.822,61 euros au comptable public, tout en rejetant les demandes d’intérêts et d’autres demandes accessoires.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01

N° RG 22/04940 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WMH7

JUGEMENT DU 17 JANVIER 2025

DEMANDERESSE :

Le COMPTABLE DES FINANCES PUBLIQUES EN CHARGE DU POLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DU NORD – dit PRS Nord,
agissant sur autorisation du Directeur Régional des Finances Publiques
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEUR :

M. [S] [X]
[Adresse 3]
[Localité 2] / FRANCE
représenté par Me Morgane DELANNOY, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Présidente : Marie TERRIER, Vice- Présidente agissant sur délégation du Président du tribunal judiciaire, en application de l’article L267 du livre des procédures fiscales.

Greffier : Benjamin LAPLUME,

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture rendue en date du 23 Février 2024, avec effet différé au 29 Mars 2024 ;

A l’audience publique du 04 Novembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 17 Janvier 2025.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 17 Janvier 2025, et signé par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige

La société Fhoenix Productions dont le siège social était initialement fixé à [Adresse 4] et qui avait pour objet « l’édition et production des œuvres de l’esprit, conception et réalisation de tous supports publicitaires et de communication, production artistique et audiovisuelle, communication événementielle et institutionnelle, relations publiques, management et promotion artistique et culturelle », avait été immatriculée le 31 décembre 2014 et pour premier gérant, M. [S] [X] jusqu’à sa démission publiée au registre du commerce et des sociétés le 26 mai 2017 et à laquelle Mesdames [W] [G] [B] [N] et [D] [H] [K] ont succédé.

Après plusieurs vérifications de comptabilité, le service des impôts a notifié à la société une proposition de rectification en date du 9 avril 2018, portant notamment sur des impayés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d’impôt sur les sociétés (IS) pour les années 2015 et 2016.

Par la suite, le comptable public a notifié le 15 juin 2018 à la société GF évents, nouvelle dénomination de la société Fhoenix Productions un avis de mise en recouvrement de la somme de 272.245,00 euros et une mise en demeure valant commandement de payer le 10 juillet 2018.

Par jugement en date du 27 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nanterre, saisi par une assignation du comptable public a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société et a reporté la date de cessation des paiements au 28 juillet 2018.

Le 19 mars 2020, le comptable public a déclaré ses créances pour un montant de 258.822,61 euros entre les mains du liquidateur principalement pour la TVA des années 2015 et 2016. Par jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 24 juin 2020, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.

Au visa du caractère irrécouvrable de sa créance, le comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du Nord a, sur autorisation du Directeur régional des Finances publiques de Lille du 30 mars 2022, sollicité du président du Tribunal judiciaire de Lille, l’autorisation d’assigner à jour fixe M. [S] [X] aux fins de le voir déclarer solidairement responsable du paiement des impositions dues par la société en raison des manquements aux obligations fiscales, sur le fondement de l’article L.267 du livre des procédures fiscales.

Autorisation a été donnée suivant ordonnance du 30 juin 2022 pour l’audience du 5 septembre 2022 à laquelle M. [S] [X] a été assigné suivant acte du 19 juillet 2022.

Sur cette assignation, M. [S] [X] a constitué avocat, l’affaire a été renvoyée en mise en état et les parties ont échangé leurs conclusions.

Par ordonnance du 20 octobre 2022, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer formée par M. [S] [X], dans l’attente de la mise en cause de M. [P] [R] [V] et des Mesdames [W] [G] [B] [N] et [D] [H] et a renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 1er décembre 2023.

Sur ordonnance du juge de la mise en état du 23 février 2024, la clôture de l’instruction de l’affaire a été ordonnée au 29 mars 2024 et l’affaire a été fixée à plaider à l’audience prise à juge rapporteur du 4 novembre 2024.

Aux termes des dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 7 février 2024, le comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du Nord sollicite du tribunal de :

Déclarer Monsieur [S] [X] solidairement responsable des impositions et pénalités dues par la Sarl GF Events anciennement dénommée Fhoenix Productions ;
Le condamner à payer au comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du nord la somme de 258.822,61 € avec les intérêts à compter de l’assignation ;
Le condamner à payer au comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du nord la somme de 5.000 € et les dépens.

Au soutien de ses prétentions, le comptable public souligne que les conditions de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales sont réunies puisque M. [S] [X] a été le dirigeant effectif de la société de 2014 à 2016 et a commis sur plusieurs exercices, des manquements graves et répétés aux obligations fiscales en omettant notamment d’effectuer toute déclaration fiscale de son activité et éludant ainsi tous les impôts (TVA, impôt sur les sociétés, taxe d’apprentissage et autres droits). Il soutient que l’activité de la société n’était pas une activité d’édition, telle que reprise à son objet social mais une activité de gardiennage.

Il allègue que la dette fiscale est irrécouvrable en raison des manquements de son dirigeant qui a ensuite quitté la société sans régulariser la situation, la laissant par ailleurs insolvable.

S’agissant du délai d’action, le comptable public soutient que le délai raisonnable visé par les instructions du BOFIP ne doit pas s’entendre d’un délai de moins de deux ans et ajoute qu’il ne pouvait agir avant que sa créance ne devienne incontestable par son admission au passif de la liquidation le 22 février 2022.

Quant à la vérification fiscale, il explique qu’elle a été effectuée avec les dirigeants de droit qui pouvaient se faire accompagner notamment par un expert-comptable et que M. [X] pouvait intervenir s’il le souhaitait.

Il invoque que lors du redressement, aucun relevé de compte ne lui a été volontairement transmis par les parties mais qu’il a chiffré les impositions fraudées à partir des relevés obtenus dans l’exercice de son droit de communication.

Il déplore une absence de collaboration de M. [X] avec le liquidateur pour lui transmettre sa comptabilité.

Sur la responsabilité fiscale de M. [X], le comptable public expose que l’arrêt de la cour d’appel de Versailles dont se prévaut le défendeur concerne une autre société que celle des présents débats, à savoir la société Fhoenix dont il était également le gérant et qui a fait l’objet d’un redressement fiscal, d’une liquidation judiciaire ainsi que d’une condamnation de M. [X] en comblement de passif et à une interdiction de gérer pendant cinq ans.

Il soutient que l’argument de M. [X] selon lequel la société Fhoenix Productions n’a eu aucune activité mais a seulement servi à encaisser les factures de la société Man sécurité, doit être expliqué non pas dans la présente instance en responsabilité mais lors d’une réclamation face aux redressements.

Enfin, il fait valoir que si M. [X] estime devoir partager la charge finale de sa condamnation, il lui appartient d’assigner les autres parties et d’intenter une action récursoire à leur encontre mais qu’à son égard, en tant que dirigeant de droit pour la période considérée, il était tenu de tenir une comptabilité et de déclarer ses impôts et est donc le seul responsable.

Par conclusions récapitulatives signifiées par la voie électronique le 29 novembre 2023, M. [S] [X] sollicite du tribunal :

Vu l’article L. 267 du livre des procédures fiscale ;

Vu les pièces du dossier ;

Déclarer le comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du Nord, dit PRS NORD irrecevable et mal fondé en ses demandes ;
En conséquence :

A titre principal,

Rejeter les moyens, fins et conclusions du comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du Nord, dit PRS NORD à l’égard de Monsieur [S] [X] ;
Déclarer irrecevable l’action en recouvrement fiscal engagée par le comptable des finances publiques en charge du pôle de recouvrement spécialisé du Nord, dit PRS NORD à l’égard de Monsieur [S] [X] ;
A titre subsidiaire,

Mettre hors de cause Monsieur [S] [X] en sa qualité gérant de Fhoenix Productions ;
En tout état de cause,

Mettre à la charge du trésor public la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner le trésor public aux entiers dépens.

M. [S] [X] soutient que l’action en recouvrement engagée par le comptable public à son encontre est irrecevable comme tardive car survenue plus de 24 mois après le jugement de liquidation de la société.

A titre subsidiaire, il invoque que s’il a été le dirigeant de droit, il n’était pas le dirigeant de fait et qu’ainsi M. [P] [R] [V], comptable de formation était le véritable gérant et devrait être dans la cause. Il ajoute que le comptable public ne justifie pas des raisons pour lesquelles il s’abstient de poursuivre également les deux gérantes qui lui ont succédé alors qu’elles ont omis de contester les rectifications et engagent leur responsabilité fiscale.

Il fonde ses motifs sur un arrêt de la cour d’appel de Versailles en date du 9 avril 2019 rendu sur appel de sa part au regard des sanctions prononcées par le tribunal de commerce de Nanterre et souligne que la cour d’appel n’a retenu que partiellement sa responsabilité.

Il explique que les montants réclamés relèvent en réalité de la société Man Sécurité et qu’ils n’ont été encaissés sur les comptes de la société Phoenix Productions qu’en raison des difficultés qu’elle rencontrait avec ses comptes bancaires. Il soutient que la société Fhoenix Productions n’exerçait aucune activité et n’avait aucune recette et qu’il a donc satisfait à ses obligations comptables.

Enfin, il allègue que les déclarations du comptable public sont contradictoires puisqu’il invoque qu’aucun relevé de compte ne lui a été transmis puis que lesdits relevés ont permis de procéder à une reconstitution de TVA.

La décision a été mise en délibéré au 17 janvier 2025.

Sur ce,

Le tribunal rappelle, à titre liminaire, qu’il n’est pas tenu de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Sur la responsabilité solidaire du dirigeant

L’article L. 267 du livre des procédures fiscales énonce que « Lorsqu’un dirigeant d’une société, d’une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.

Les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal judiciaire ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor. »

L’article L. 267 du livre des procédures fiscales permet de déclarer le dirigeant personnellement et solidairement tenu au paiement des impositions et pénalités dues par la société lorsque celui-ci, par des manœuvres frauduleuses et/ou une inobservation grave et répétée des diverses obligations fiscales, a fait obstacle au recouvrement des sommes dont la société était normalement redevable.

Aux termes des dispositions de l’article R267-1 du même code, en cas d’assignation prévue par le premier alinéa de l’article L. 267, le président du tribunal statue selon la procédure à jour fixe.

Le comptable public compétent mentionné par le même alinéa est un comptable de la direction générale des finances publiques.

Sur la recevabilité de la demande principale au regard du délai d’action du requérant

L’Administration fiscale est tenue d’engager l’action prévue à l’article L267 du livre des procédures fiscales dans des délais satisfaisants.

Le caractère satisfaisant ou non de ce délai relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, tenus de motiver leur décision.

Le dirigeant de la société ne peut être tenu du paiement de la dette fiscale que dans la mesure où son recouvrement sur la société elle-même est rendu impossible.

En l’espèce, l’impécuniosité de la société n’a été caractérisée qu’à la date de notification à l’administration fiscale de l’admission de sa créance et de son irrécouvrabilité établies selon les pièces produites aux débats le 22 février 2022 (pièce n°9) par le liquidateur car si en effet, la société a été placée en redressement judiciaire le 27 janvier 2020, convertie en liquidation judiciaire le 24 juin 2020, aucune reconstitution de l’actif n’avait pu être opérée. Le seul fait que les saisies bancaires réalisées par l’administration fiscale se soient révélées infructueuses ne peut suffire à caractériser que le redressement de l’entreprise était manifestement impossible.

Aussi, le délai écoulé de 4 mois et demi entre l’admission de la créance et l’assignation apparaît satisfaisant au regard des circonstances du litige.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

REJETTE la fin de non recevoir soutenue par M. [S] [X] au titre de la tardiveté de l’action du requérant ;

DECLARE M. [S] [X] solidairement et personnellement responsable du paiement des impositions et pénalités de la société Fhoenix Productions désormais GF Events, en tant que dirigeant de droit jusqu’à sa démission le 15 mai 2016 ;

CONDAMNE M. [S] [X] à payer au Comptable public du Pôle recouvrement spécialisé du Nord la somme globale de deux cent cinquante-huit mille huit cent vingt-deux euros et soixante et un centimes (258.822,61 euros) au titre de la dette fiscale ;

DEBOUTE le Comptable public du Pôle recouvrement spécialisé du Nord s’agissant de sa demande relative aux intérêts ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DEBOUTE M. [S] [X] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [S] [X] à payer au Comptable des finances publiques responsable du pôle de recouvrement spécialisé du Nord la somme de mille huit cents euros (1.800,00 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [S] [X] aux dépens de l’instance.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUME Marie TERRIER

 


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