Tribunal judiciaire de Lille, 10 janvier 2025, RG n° 22/02892
Tribunal judiciaire de Lille, 10 janvier 2025, RG n° 22/02892

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : Validité des testaments et capacité mentale de la testatrice : enjeux successoraux et contestations familiales.

Résumé

Décès et héritiers

[V] [P], née en 1925, est décédée en 2017, laissant derrière elle cinq enfants : [A] [I] épouse [O], [X] [I], [K] [I] épouse [U], [S] [I], et [J] [I] épouse [L]. Les opérations de succession ont été confiées à Maître [D], notaire.

Testaments établis

Un premier testament olographe a été rédigé le 28 septembre 2010, suivi d’un second le 29 septembre 2016, ce dernier étant remis à Maître [C] [D]. Un conflit a émergé entre les enfants concernant la validité des testaments, entraînant la rédaction d’un procès-verbal de difficultés par Maître [D] en décembre 2021.

Procédures judiciaires

Le 31 mars et le 6 avril 2022, [S] [I] a assigné plusieurs de ses frères et sœurs devant le tribunal judiciaire de Lille pour contester le second testament. [S] [I] est décédé pendant la procédure, et ses enfants ont ensuite été autorisés à intervenir dans l’affaire.

Demandes des héritiers

Les enfants de [S] [I] ont demandé la nullité du testament de 2016 pour insanité d’esprit, ainsi que des dommages et intérêts. Ils soutiennent que leur mère ne disposait pas de toutes ses facultés mentales lors de la rédaction du testament, citant des problèmes de santé et des troubles cognitifs.

Réponses des défendeurs

Les défendeurs, dont [A] [I], ont contesté les allégations d’insanité d’esprit, affirmant que la testatrice avait des moments de lucidité. Ils ont également demandé l’ouverture des opérations de compte et de liquidation de la succession, tout en réfutant les accusations de violence psychologique.

Décès d’une partie et interruption de l’instance

Le 28 octobre 2024, il a été notifié que [A] [I] était décédée, entraînant l’interruption de l’instance. Le tribunal a ordonné que les héritiers de [A] [I] soient mis en cause dans la procédure.

Décision du tribunal

Le tribunal a prononcé la révocation de l’ordonnance de clôture, constaté l’interruption de l’instance, et a renvoyé l’affaire à une audience de mise en état pour la mise en cause des héritiers de [A] [I]. Les dépens ont été réservés.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 22/02892 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WBPH

JUGEMENT DU 10 JANVIER 2025

DEMANDEURS:

Mme [Y] [I]
[Adresse 4]
[Localité 15]
représentée par Me Stéphanie DUMETZ, avocat au barreau de LILLE

Mme [C] [I]
[Adresse 7]
[Localité 11]
représentée par Me Stéphanie DUMETZ, avocat au barreau de LILLE

M. [F] [I]
[Adresse 2]
[Localité 13]
représenté par Me Stéphanie DUMETZ, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEURS:

Mme [A] [I] épouse [O]
[Adresse 5]
[Localité 20]
représentée par Me Virginie STIENNE-DUWEZ, avocat au barreau de LILLE

M. [X] [I]
[Adresse 9]
[Localité 1]
représenté par Me Alain REISENTHEL, avocat au barreau de DOUAI

Mme [K] [I] épouse [U]
[Adresse 14]
[Localité 12]
représentée par Me Alain REISENTHEL, avocat au barreau de DOUAI

Mme [J] [I] épouse [L]
[Adresse 3]
[Localité 20]
représentée par Me Alain REISENTHEL, avocat au barreau de DOUAI

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Nicolas VERMEULEN,

Greffier : Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 09 Février 2024.

A l’audience publique du 05 Novembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 10 Janvier 2025.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Nicolas VERMEULEN, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 10 Janvier 2025 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige

[V] [P], née le [Date naissance 6] 1925, veuve de [T] [I], est décédée le [Date décès 8] 2017 à [Localité 20].

Elle laisse pour lui succéder ses cinq enfants :

[A] [I] épouse [O] ;[X] [I] ;[K] [I] épouse [U] ;[S] [I] ;[J] [I] épouse [L].
Les opérations de succession ont été ouvertes chez Maître [D], notaire à [Localité 18].

[V] [P] a établi un testament olographe le 28 septembre 2010, déposé chez Maître [G], notaire à [Localité 18] et enregistré au fichier central des dispositions des dernières volontés.

Puis un second testament olographe a été rédigé le 29 septembre 2016 et remis à Maître [C] [D], notaire à [Localité 18].

Suite au conflit entre les enfants quant à l’applicabilité et la validité des testaments remis au notaire, un procès-verbal de difficultés a été dressé par Maître [D], le 2 décembre 2021.

Par actes d’huissier en date du 31 mars et 6 avril 2022, [S] [I] a fait assigner Mme [A] [I], M. [X] [I], Mme [K] [I], Mme [J] [I] devant le tribunal judiciaire de Lille en nullité du second testament.

Les défendeurs ont constitué avocat.

[S] [I] est décédé en cours d’instance le [Date décès 10] 2022.

Par conclusions aux fins d’intervention volontaire, signifiées par la voie électronique le 17 octobre 2022, ses enfants, Mmes [Y] et [C] [I] et M. [F] [I] sont intervenus volontairement à l’instance.

Sur ordonnance du juge de la mise en état du 9 février 2024, la clôture de l’instruction de l’affaire a été ordonnée et l’affaire fixée à l’audience de plaidoiries du 5 novembre 2024.
 

Aux termes des dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 2 novembre 2023, Mmes [Y] et [C] [I] et M. [F] [I] sollicitent du tribunal de :

Accueillir la demande de Mmes [Y] et [C] et M. [F] [I] ;
Prononcer la nullité du testament rédigé par [V] [P] le 29 septembre 2016 pour insanité d’esprit ;
Condamner solidairement M. [X] [I], Mme [K] [I] et Mme [J] [I] à régler à verser à Mmes [Y] et [C] et M. [F] [I] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts et de résistance abusive ;
Débouter M. [X] [I], Mme [K] [I] et Mme [J] [I] de leurs demandes, fins et conclusions ;
Les condamner à leur payer la somme de 4.500 € au titre de l’article 700 du CPC ;
Les condamner solidairement aux entiers frais et dépens.

Les requérants font valoir que le second testament ne résulte que d’une initiative des héritiers évincés par le premier testament et le conteste en soutenant que [V] [P] ne disposait plus de toutes ses facultés mentales et ne pouvait écrire seule un tel testament. Ils constatent que contrairement au premier testament, celui-ci présente une écriture très fragile, une rédaction qui n’est pas claire, une rature, des fautes et une absence d’enregistrement au FCDDV.

Ils exposent que depuis son AVC survenu le 3 mai 2016, son état physique et psychique continuait de se dégrader, qu’elle était dépendante pour tous les actes de la vie courante et que si l’intensité de certains troubles demeurait variable, ils ne cessaient pas pour autant d’exister. Ils soulignent que le notaire a sollicité la production d’un certificat et que le médecin traitant a refusé d’en établir un pour attester des capacités intellectuelles de la testatrice et qu’au contraire son certificat relate l’existence de troubles cognitifs sévères.

Relativement aux demandes reconventionnelles de rapports de sommes d’argent, ils font valoir qu’elles sont irrecevables comme étant demandées en dehors d’une action en partage judiciaire et qu’au surplus, ils ne peuvent engager cette action faute de démarche amiable préalable.

A titre subsidiaire, ils soulignent l’absence de preuve de l’encaissement desdites sommes par leur père et d’une atteinte à leur réserve héréditaire. Ils expliquent la réception de certaines sommes comme étant la contrepartie de travaux effectués par leur père ou pour rétablir une égalité entre les héritiers puisque deux d’entre eux ont accepté un contrat d’assurance-vie à leur profit.

Par conclusions récapitulatives signifiées par la voie électronique le 31 octobre 2023, Madame [A] [I] sollicite du tribunal :

Prononcer la nullité du testament rédigé par Madame [V] [P] le 29 septembre 2016 pour insanité d’esprit ;
Condamner solidairement M. [X] [I], Madame [K] [I] et Madame [J] [I] à lui payer régler la somme de 5000 euros en réparation de son préjudice moral et pour résistance abusive à la succession ;

Les condamner à lui payer la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Les condamner aux entiers dépens.
Les débouter de leurs demandes.
Mme [A] [I] soutient que la demande en réintégration est irrecevable s’agissant en l’espèce d’une action visant uniquement à statuer sur la validité du second testament. Elle ajoute que le contrat d’assurance-vie et les chèques dont elle a bénéficié ont été faits par sa mère en pleine possession de ses moyens dans le but de rétablir une égalité entre les héritiers.

Elle conteste les violences qui lui sont reprochées à l’égard de sa mère et soutient qu’aucune preuve en ce sens n’est apportée par les défendeurs.

S’agissant du second testament, elle soutient que sa mère, étant dans l’incapacité de pourvoir seule à ses besoins et tenant des propos incohérents, ne disposait pas de toutes ses facultés pour rédiger un tel testament et fait valoir qu’il a été rédigé en raison des violences psychologiques qui ont été exercées à son égard.

Elle souligne que c’est en raison des doutes qui existaient sur la capacité de la testatrice que son testament n’a pas fait l’objet d’un enregistrement, contrairement au premier.

Elle constate que si les défendeurs soutiennent la variation dans les troubles de la testatrice, ils échouent à rapporter la preuve que le testament a été établi dans un moment de lucidité, en pleine possession de ses moyens.

Par conclusions récapitulatives signifiées par la voie électronique le 19 septembre 2023, M. [X] [I] et Mmes [K] et [J] [I] sollicitent du tribunal :

Dire y avoir lieu à ouvrir les opérations de compte liquidation partage de la succession [I] ;
débouter les demandeurs de toutes fins et conclusions ;
A titre reconventionnel, dire et juger devront être rapportées à la succession les sommes suivantes :
[A] [I] :

– 2.034,04 Frs le 7 Septembre 1987 Chèque 2090485 [17]
– 2.450 Frs le 23 Septembre 1990 Chèque 9391939 [17]
– 200 € le 23 Mars 2003 Chèque 3814558 [17]
– 300 € en septembre 2003 Chèque 7080383 ou 84 [17]
– 2.000 € le 21 Novembre 2007 Chèque 7573526 [17]
– 10.000 € le 23 Décembre 2013 Chèque 0342920 [17]
– Et une assurance vie de 12.487,72 € à son seul profit que [A] a touché au décès de [V] [P].

[S] [I] par ses héritiers les sommes suivantes :

– 15.000 Frs le 22 Août 1986 Chèque 8242197 [S] CPM [Localité 21]
– 3.500 Frs le 20 Septembre 1994 Chèque 6855473
– 1.350 Frs en Juillet 1997 Chèque 1072403 [17]
– 5.000 Frs en Octobre 1999 Chèque 2040986 [17]

– 8.000 € le 2 Juillet 2004 Chèque 0193333 [17]
– 2.000 € le 10 Août 2004 Chèque 0193346 [17]
– 2.000 € en Juin ou Juillet 2005 Chèque 0698131 [17]
– 2.000 € le 21 Novembre 2007 Chèque 7573528 [17]
– 900 € le 30 Juillet 2009 Chèque 8050718 [17]
– 10.000 € le 23 Décembre 2013 Chèque 0342919 [17]

Les condamner à payer aux concluants la somme de 4.000 € au titre de l’Article 700 du CPC et les entiers frais et dépens.

Sur la nullité du testament, les défendeurs font valoir que la testatrice disposait de toutes ses facultés mentales lors de la rédaction de celui-ci malgré son AVC survenu quelques mois plus tôt en soutenant qu’il est possible dans ce type de pathologie, d’avoir des moments de lucidité.

Ils soulignent que son décès est survenu plus d’un an après la rédaction dudit testament et qu’il a été reçu devant le notaire, spécialement formé pour apprécier le consentement libre et éclairé de ses clients avant qu’il ne procède à son enregistrement en son étude.

Ils font état de rapports médicaux attestant de l’amélioration de l’état de santé de la testatrice et constatent qu’elle pouvait rédiger elle-même ses propres chèques.

Ils contestent les attestations produites par les demandeurs comme étant de complaisance. Ils ajoutent qu’elles émanent de personnes qui ne sont pas neurologues et que le certificat médical du médecin traitant a été fait sur la demande de Mme [A] [I], est dactylographié, ne reprenant que partiellement les rapports médicaux et établi sans qu’il ne se soit déplacé à une date proche de la rédaction du testament alors que s’agissant d’une pathologie et de troubles variables, la testatrice pouvait disposer d’un consentement valable.

Par ailleurs, ils sollicitent le rapport de différents versements effectués par chèques au profit de certains héritiers et s’il est nécessaire pour cela, d’ouvrir les opérations de compte, liquidation et partage.

La décision a été mise en délibéré au 10 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

PRONONCE la révocation de l’ordonnance de clôture ;

CONSTATE l’interruption d’instance au 28 octobre 2024 ;

SURSOIT à STATUER sur l’intégralité des prétentions

RENVOIE l’affaire et les parties à l’audience de mise en état électronique du 2 mai 2025 pour la mise en cause des héritiers de [A] [I] épouse [O] ;

RESERVE les dépens

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUME Marie TERRIER

 


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