Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Créteil
Thématique : Fixation du loyer commercial : enjeux de déplafonnement et évaluation locative
→ RésuméContexte du Bail CommercialLa SCI Delcan, représentée par la SCI Saint Michel Luxembourg et actuellement par la SA A.G.L.C., a conclu un bail commercial avec la SA Banque parisienne de crédit au commerce et à l’industrie, aujourd’hui la SA BNP Paribas, pour des locaux situés à [Adresse 2] à [Localité 9]. Ce bail, initialement signé le 26 octobre 1978, a été renouvelé plusieurs fois, le dernier renouvellement ayant eu lieu le 3 mars 2011 pour une durée de neuf ans, avec un loyer annuel de 112 540 euros HT et HC. Congé et Négociations de RenouvellementEn décembre 2017, la SCI Saint Michel Luxembourg a signifié un congé à la SA BNP Paribas, avec une offre de renouvellement à un loyer annuel de 140 000 euros HT et HC, prenant effet le 1er juillet 2018. Faute d’accord, la SA BNP Paribas a demandé en juin 2020 la fixation du loyer à 88 195 euros HT et HC, et a également sollicité la désignation d’un expert. Procédures Judiciaires et ExpertiseLa SA BNP Paribas a assigné la SCI Saint Michel Luxembourg et la SAS A.G.L.C. devant le tribunal judiciaire de Créteil en mai 2022, demandant la fixation du loyer à 97 479 euros HT et HC. Le tribunal a ordonné une expertise pour évaluer la valeur locative des locaux, et l’affaire a été plaidée en novembre 2024. Demandes de la SA BNP ParibasLa SA BNP Paribas a demandé au juge de fixer le loyer à 90 912 euros, de juger que les loyers trop perçus porteraient intérêts au taux légal, et de rejeter les demandes de la SCI Saint Michel Luxembourg et de la SAS A.G.L.C. Elle a également demandé des condamnations au titre des frais de justice. Arguments de la SCI Saint Michel Luxembourg et de la SAS A.G.L.C.Les défenderesses ont demandé la fixation du loyer à 136 000 euros HT et HC, soutenant que des travaux importants avaient été réalisés, justifiant un déplafonnement. Elles ont également contesté les évaluations de l’expert et proposé des ajustements sur les coefficients de surface et de valeur unitaire. Évaluation de l’Expert et Décision du TribunalL’expert a évalué le loyer plafond à 122 552,81 euros, tandis que le loyer contractuel était de 123 479,32 euros. Le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de modification notable des caractéristiques des locaux justifiant un déplafonnement et a fixé le loyer à la valeur locative de 120 800 euros, inférieure au loyer plafonné. Conclusion et Décision FinaleLe tribunal a rejeté la demande de déplafonnement, fixé le loyer à 120 800 euros par an à compter du 1er juillet 2018, et a ordonné le paiement d’intérêts sur le différentiel de loyer. La SCI Saint Michel Luxembourg et la SAS A.G.L.C. ont été condamnées aux dépens, incluant les frais d’expertise, et l’exécution provisoire de la décision a été ordonnée. |
MINUTE N° :
DOSSIER N° : N° RG 22/00015 – N° Portalis DB3T-W-B7G-TNIH
JUGEMENT DU : 14 Janvier 2025
AFFAIRE : S.A. BNP PARIBAS C/ S.C.I. SAINT MICHEL LUXEMBOURG RCS PARIS, S.A.S. A.G.L.C.
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRÉTEIL
TROISIEME CHAMBRE CIVILE – BAUX COMMERCIAUX
JUGEMENT DU 14 JANVIER 2025
Madame LAMBERT, Vice-Présidente, statuant par délégation du Président du Tribunal et dans les conditions prévues aux articles R 145-23 et suivants du Code de Commerce, assistée de Mme REA, Greffier
PARTIES
DEMANDERESSE
S.A. BNP PARIBAS, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Valérie PANEPINTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0102
DEFENDERESSE
S.C.I. SAINT MICHEL LUXEMBOURG, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Jean-David ZERDOUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0298
S.A.S. A.G.L.C., dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Jean-David ZERDOUN, avocat au barreau de PARIS,, vestiaire : E0298
L’affaire a été débattue à l’audience du 12 novembre 2024.
Les parties ont été avisées que le délibéré serait prononcé le 14 janvier 2025.
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte sous signature privée du 26 octobre 1978, la SCI Delcan, aux droits de laquelle est venue la SCI Saint Michel Luxembourg et désormais la SA A.G.L.C., a donné à bail à la SA Banque parisienne de crédit au commerce et à l’industrie, aux droits de laquelle vient la SA BNP Paribas, des locaux à usage commercial situés [Adresse 2] à [Localité 9]. Ce bail a été consenti pour une durée de neuf années à compter du 15 octobre 1978 et a fait l’objet de plusieurs renouvellements.
Le dernier renouvellement est intervenu par acte sous signature privée du 3 mars 2011 conclu entre la SCI Saint Michel Luxembourg et la SA BNP Paribas, ce pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2009 pour se terminer le 30 juin 2018, et moyennant le paiement d’un loyer annuel en principal de 112 540 euros HT et HC, payable trimestriellement d’avance.
La destination contractuelle des lieux est l’exploitation de tous commerces, avec liberté de cession et de sous-location, les lieux étant alors utilisés à usage de banque.
Au deuxième trimestre 2018, le loyer trimestriel en principal s’élevait à 30 869,83 euros, soit 123 479,32 euros HT et HC par an.
Par acte d’huissier du 21 décembre 2017, la SCI Saint Michel Luxembourg a signifié à la SA BNP Paribas un congé avec offre de renouvellement, pour une prise d’effet du congé au 30 juin 2018 et pour une prise d’effet du renouvellement au 1er juillet 2018, aux clauses et conditions du bail expiré, moyennant le versement d’un loyer annuel de 140 000 HT et HC.
À défaut d’accord entre les parties, par acte d’huissier du 29 juin 2020, la SA BNP Paribas a signifié à la SCI Saint Michel Luxembourg un mémoire préalable aux fins de voir fixer le loyer du bail renouvelé pour neuf ans à compter du 1er juillet 2018 à la somme annuelle en principal de 88 195 HC et HT et subsidiairement de voir désigner un expert.
Suivant acte notarié du 28 octobre 2021, la SAS A.G.L.C. est devenue propriétaire des locaux objets du bail.
La SA BNP Paribas a ensuite fait assigner la SCI Saint Michel Luxembourg et la SAS A.G.L.C. devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Créteil par actes d’huissier signifiés le 4 mai 2022, aux fins de voir fixer le loyer du bail renouvelé à la somme annuelle en principal de 97 479 euros HT et HC, outre subsidiairement de voir désigner un expert.
Suivant décision en date du 7 février 2023, le Tribunal de céans a constaté le renouvellement du bail commercial à comptre du 1er juillet 2018 et ordonné une expertise aux fins d’évaluation de la valeur locative des locaux.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 12 novembre 2024 lors de laquelle la SA BNP Paribas, reprenant les termes de son dernier mémoire notifié par RPVA le 20 septembre 2024, demande au juge des loyers commerciaux :
“A titre principal, de :
– fixer le loyer du bail renouvelé au 1er juillet 2018 à la somme annuelle en principal de 90912 euros, doit être fixé à la valeur locative,
– juger que les loyers trop perçus porteront intérêts au taux légal, de plein droit à compter de chaque échéance, et que les intérêts échus depuis plus d’une année produiront eux-mêmes intérêts,
Très Subsidiairement :
– faute pour la SCI Saint Michel Luxembourg et la SAS A.G.L.C. de rapporter la preuve d’une modification notable des caractéristiques des locaux, fixer le loyer plafonné, calculé conformément aux prévisions de l’article L145-34 du code de commerce à la somme annuelle en principal de 122552.81 euros au 1er juillet 2018,
En toute hypothèse, de :
– rejeter les demandes de la SCI Saint Michel Luxembourg et de la SAS A.G.L.C.,
– rappeler que l’exécution provisoire est de droit,
– condamner in solidum la SCI Saint Michel Luxembourg et la SAS A.G.L.C. à lui payer 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.”
Au soutien de ses demandes, la SA BNP PARIBAS fait exposer en substance que :
– ainsi que relevé par l’expert, l’agence n’est pas au meilleur emplacement de [Localité 9] et se situe sur le côté de la voie de moindre commercialité, l’immeuble édifié durant les années 70 présente unravalement un peu ancien et est d’une époque de construction peu recherchée,une part importante de la façade des locaux donne sur un parvis dénué de toute commercialité, il n’y a aucun accès du public à l’agence par l’esplanade, l’agence n’est pas accessible de plein pied depuis la [Adresse 6], les locaux sont agencés en profondeur et sont donc très faiblement éclairés et très souvent sans jour. La partie des locaux réservée au public est en rétrécissement, le local technique sécurité, les bureaux et les locaux réservés au personnel sont sans jour et nécesitent un éclairage artificiel, les salons clientèle sont faiblement éclairés, la partie arrière des locaux est surélevée de 5 marches, interdisant son accès aux PMR, l’accès au sol sol leur étant impossible;
– bien que s’agissant de locaux à usage exclusif de bureaux, le loyer doit être fixé à la valeur locative dès lors qu’elle est inférieure au loyer contractuel en vigueur à la date d’effet du renouvellement ;
– sur la valeur locative, les coefficients retenus par l’expert appellent les observations suivantes : le coefficient des annexes ne devrait pas excéder 0.20 en raison de la faible hauteur sous plafond ; le coefficient de 0.10 pour la mezzanine constitue un maximum dans la mesure où elle est en état brut de béton et basse de plafond ; l’effet vitrine du rez de chaussé est inexistant le parvis étant dénué de commercialité et aucun accès du public par l’esplanade justifiant un coefficient de 1 au lieu de 1.10 ; pour la zone sur l’[Adresse 4], le coefficient de 0.80 ne correspond pas aux principes de pondération dégagés par la charte de l’expertise et interdit donc toute comparaison avec les éléments de référence retenus faute de méthode de pondération identique, la profondeur de cette zone est à plus de 20 mètres de la façade ; pour la zone 2 bis, le coefficient retenu ne correspond pas aux usages en la matière dès lors que la zone est à plus de 20 mètres de la façade,
– sur le prix unitaire, la demanderesse souligne que les éléments postérieurs au 1er juillet 2018 n’ont pas à apparaitre et il convient de tenir compte exclusivement du loyer facial à l’exclusion de toute réintégration, les locaux n’étant pas à usage exclusif de bureau, excluant les dispositions de l’article R145-11 du code de commerce, le prix de 480euros par m² est davantage justifié au regard des éléments de l’expert et de ceux du fichier de Monsieur [D], les références présentées par la preneuse n’étant pas pertinentes en raison de la superficie qui n’est pas comparable et de la localisation des lieux.
– sur les facteurs de majoration, la BNP PARIBAS rappelle que la clause tous commerces présente un intérêt limité au vu de la destination visée au contrat et de la vocation de celle-ci, qu’un taux de 5% est un maximum pour prendre en compte la possibilité de céder et sous louer les locaux.
À titre subisidiaire, la preneuse fait valoir que c’est à la bailleresse de prouver un motif de déplafonnement et donc l’existence de la modification invoquée, ce à quoi elle échoue. Elle souligne que l’expert a comparé des plans datés du 08 avril 2010 avec des plans de septembre 2023 soient postérieurs au 1er juillet 2018. Elle ajoute que ne peuvent constituer une cause de déplafonnement des travaux destinés à l’exploitation des locaux en conformité avec la destination contractuelle, ce qui est le cas en l’espèce au vu du local livré brut de gros oeuvre. Il en va de même pour les travaux imposés par la loi ou le règlement relatifs aux conditions d’accès aux établissements recevant du public des PMR. Elle ajoute enfin que la régularisation de l’avenant de renouvellement le 3 mars 2011 soit postérieurement à la notice descriptive du projet de réaménagement de l’agence permet d’affimer que les travaux invoqués ont été pris en compte. Les travaux à l’extérieur des locaux ne peuvent constituer une modification des caractéristiques des locaux et il n’y a aucune évolution des activités. Elle soutient que les locaux ne sont pas à usage exclusif de bureaux.
En réplique et développant les termes de leur dernier mémoire notifié par RPVA le 08/11/2024, la SCI Saint Michel Luxembourg et la société AGLC demandent au juge des loyers commerciaux de:
“- déclarer la société AGLC et la SCI SAINT MICHEL LUXEMBOURG recevables et bien fondées en leurs demandes,
– fixer le loyer annuel du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2018 à 136 000 euros HT et HC,
A titre subsidiaire, de :
– fixer le loyer annuel du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2018 au loyer plafond calculé en fonction de la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires soit 124220.88 euros HT et HC,
En tout état de cause, de :
– rejeter les demandes de la SA BNP Paribas,
– de condamner la SA BNP Paribas à payer à la SAS A.G.L.C. et à la SCI Saint Michel Luxembourg la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la SA BNP Paribas aux dépens en ce compris les frais d’expertise.”
Les défenderesses font valoir :
– un motif de déplafonnement au regard de la réalisation d’importants travaux de modification qui se sont traduits par une augmentation des surfaces accessibles au public et par un changement total de la distribution des lieux loués : ajout de cloisons avec création de bureau, création d’un espace libre service, supression du sas d’entrée, ajout en mezzanine de 21.40 m², suppression du renforcement de l’entrée de l’agence et alignement de la façade et de l’entrée de l’agence, ce qui s’est traduit par une augmentation de la surface, agrandissement du local blindé, modification de la distribution et de l’emplacement des corps de chauffe, installation d’un nouveau système de climatisation traduisant une amélioration du confort des locaux et des conditions d’accueil du public, amélioration significative de l’accès des locaux pour le public, accroissement de la visibilité et de l’attractivité des locaux par le remplacement de la totalité de la façade commerciale.
– le fait pour la preneuse de ne pas produire les éléments sollicités par l’expert implique d’en tirer les conséquences au titre de la modification des caractéristiques des locaux.
– les travaux ont consisté en une véritable transformation de l’agence exploitée dans les locaux pour l’adapter à l’évolution des activités qui y sont exercées à savoir une agence dédiée exclusivement aux professionnels offrant un espace libre service accessible sept jour sur sept, les travaux ne consistant pas en une simple mise aux normes. Aucun des travaux réalisés n’étaient nécessaires à l’exercice de l’activité autorisée au bail, l’avenant au contrat de bail ne faisant pas mention des travaux réalisés puisque le renouvellement est réalisé le 3 mars 2011 sur la base de l’estimation de l’expertise de Monsieur [T] réalisé le 22 décembre 2010 soit avant la notice descriptive des travaux.
– sur la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative, les défenderesses retiennent la surface pondérée proposée par l’expert et y font des ajustements pour la mezzanine (0.20) au vu de locaux affectés en partie à l’archivage et au regard de la grande hauteur sous plafond, pour la zone 3bis (0.50) au regard de son très bon éclairement et pour les annexes du rez de chaussée 0.40) au regard du coefficient retenu par le précédent expert et compte tenu de l’utilité des annexes.
– sur la valeur unitaire, les défenderesses estiment que la valeur de 561 euros par mètre carré apparait la plus pertinente car elle se rapporte à un emplacement présentant une commercialité équivalente à celle des locaux loués (située à 40 mètres) et pour lequel l’activité exercée est celle d’agence bancaire,
– sur la maoration applicable, elle se justifie au regard de la clause tous commerce et de clause de libre cessiondu droit au bail et sous location libre.
A titre subsidiaire, elles soutiennent qu’il convient de tenir compte de la variation de l’indice trimestriel des loyers d’activité tertiaire qui est applicable aux activité d’agence bancaire quand bien même cet indice n’aurait pas fait l’objet de discussion avec l’expert.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux mémoires des parties pour l’exposé de leurs moyens en droit et en fait.
À l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 14 janvier 2025.
PAR CES MOTIFS
Le juge des loyers commerciaux, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Dit n’y avoir lieu à déplafonnement,
Fixe à la somme de 120800 en principal, hors taxes et hors charges, par an, à compter du 1er juillet 2018, le montant du loyer annuel du bail renouvelé entre la SA BNP Paribas d’une part et la SCI Saint Michel Luxembourg puis la SAS A.G.L.C. d’autre part, et portant sur les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 9],
Dit qu’ont couru des intérêts au taux légal sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer finalement dû, à compter du 1er juillet 2018 pour les loyers échus avant cette date, puis à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date,
Condamne in solidum la SCI Saint Michel Luxembourg et la SAS A.G.L.C. aux dépens, incluant les frais d’expertise,
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision,
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
FAIT JUGÉ ET SIGNÉ A CRÉTEIL, L’AN DEUX MIL VINGT CINQ ET LE QUATORZE JANVIER,
La minute étant signée par :
LE GREFFIER LE JUGE DES LOYERS COMMERCIAUX
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