Tribunal administratif de Paris, 27 septembre 2022, n° 2107678
Tribunal administratif de Paris, 27 septembre 2022, n° 2107678
Type de juridiction : Tribunal administratif Juridiction : Tribunal administratif de Paris Thématique : Factures des dépenses de l’État : le Monde obtient gain de cause

Résumé

Un journaliste du Monde a obtenu la communication des justificatifs de frais de représentation du ministre de l’intérieur et de ses collaborateurs, suite à un avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Cette décision, rendue le 27 septembre 2022, annule le refus implicite du ministre, qui avait jugé la demande abusive en raison de son ampleur. Toutefois, la requérante a précisé sa demande, limitant les documents aux notes de frais et factures pour des mois spécifiques entre 2017 et 2019. Le tribunal a enjoint le ministre de procéder à cette communication dans un délai de trois mois.

Les journalistes sont en droit d’obtenir la communication des factures concernant les frais de représentation du ministre de l’intérieur et de tous ses collaborateurs (sur une période déterminée).   

Droit de communication des journalistes

Un journaliste du journal le Monde a obtenu la communication de l’ensemble des justificatifs de frais de représentation du ministre de l’intérieur et de tous ses collaborateurs.

Avis favorable de la CADA

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a émis un avis favorable à la communication de ces documents, sous réserve qu’il soit permis au ministre d’étaler cette communication dans le temps, compte tenu du nombre important de documents demandés

Transmission de documents sans abus

Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Et, aux termes du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du même code : « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ».

Il ressort des dispositions précitées du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
 
Tribunal administratif de Paris
6e section – 2e chambre
27 septembre 2022
 
N° 2107678
 
Vu la procédure suivante :
 
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril 2021 et 1er juillet 2022, Mme A B doit être regardée comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
 
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de lui communiquer certains documents relatifs au frais de représentation des membres du cabinet du ministre ;
 
2°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur de lui communiquer les notes de frais et les factures du ministre de l’intérieur et de son conseiller aux affaires réservées pour les mois de février, mars, août, octobre et décembre de chaque année, entre juin 2017 et décembre 2019.
 
Elle soutient que ces documents sont communicables en application des dispositions de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration.
 
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2022, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.
 
Il soutient que :
 
— à titre principal, il n’y a plus lieu de statuer sur la requête dès lors que le ministre s’est prononcé en faveur de cette communication ;
 
— à titre subsidiaire, la demande de Mme B est abusive dès lors que le volume des documents demandés fait peser une charge disproportionnée sur l’administration.
 
Par une ordonnance du 19 août 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 2 septembre 2022.
 
Vu les autres pièces du dossier.
 
Vu :
 
— le code des relations entre le public et l’administration,
 
— le code de justice administrative.
 
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
 
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 
— le rapport de M. C,
 
— et les conclusions de M. Guérin-Lebacq, rapporteur public.
 
Considérant ce qui suit :
 
1. Par un courriel du 3 décembre 2019, Mme A B, journaliste au « Monde », a demandé la communication de l’ensemble des justificatifs de frais de représentation du ministre de l’intérieur et de tous ses collaborateurs, depuis juin 2017. Le 20 février 2020, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a émis un avis favorable à la communication de ces documents, sous réserve qu’il soit permis au ministre d’étaler cette communication dans le temps, compte tenu du nombre important de documents demandés. Le 12 octobre 2021, le ministre de l’intérieur n’a donné son accord à cette communication qu’à la condition que l’intéressée précise la nature des dépenses et la période sur lesquelles porte sa demande. Mme B doit être regardée comme demandant, dans le dernier état de ses écritures, l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a rejeté sa demande de communication des documents sollicités en tant que cette demande porte sur les notes de frais et les factures du ministre et de son conseiller aux affaires réservées pour les mois de février, mars, août, octobre et décembre de chaque année, entre juin 2017 et décembre 2019.
 
Sur le non-lieu à statuer :
 
2. Le ministre de l’intérieur soutient que par sa décision du 12 octobre 2021, intervenue en cours d’instance, il a donné une suite favorable à la demande de Mme B et que la requête de celle-ci est donc devenue sans objet. Toutefois, cette décision n’avait pas pour objet de procéder à la communication des documents litigieux, mais de demander à l’intéressée de préciser les dépenses concernées par sa demande au motif que le nombre de documents initialement demandé serait trop important. Au demeurant il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre ait procédé à une quelconque communication. Par suite, le ministre n’est pas fondé à soutenir que la demande de Mme B est devenue sans objet.
 
Sur les conclusions à fin d’annulation :
 
3. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Et, aux termes du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du même code : « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ».
 
4. Il ressort des dispositions précitées du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
 
5. Le ministre de l’intérieur soutient que la demande de Mme B est abusive dès lors, qu’ainsi le relève l’avis de la CADA, les fonctionnalités de l’application CHORUS ne permettent pas à l’administration de procéder à un traitement automatisé de cette demande et que l’extraction des documents demandés ferait peser une charge disproportionnée au regard des moyens dont dispose l’administration. Toutefois, dans le dernier état de ses écritures, la requérante a précisé la nature des documents dont elle demande la communication, limitant celle-ci aux seules notes de frais et factures du ministre et de son conseiller aux affaires réservées pour les mois de février, mars, août, octobre et décembre de chaque année entre juin 2017 et décembre 2019. Dès lors que le ministre n’apporte aucun élément à même d’établir que, eu égard aux restrictions consenties par la requérante, sa demande ferait peser une charge disproportionnée sur l’administration, le moyen doit être écarté.
 
6. Par suite Mme B est fondée à demander l’annulation de la décision implicite du ministre de l’intérieur en tant qu’elle refuse la communication des notes de frais et des factures du ministre et de son conseiller aux affaires réservées pour les mois de février, mars, août, octobre et décembre de chaque année entre juin 2017 et décembre 2019.
 
Sur les conclusions à fin d’injonction :
 
7. Il résulte des motifs énoncés aux points 5 et 6 que l’annulation de la décision attaquée implique la communication à Mme B des notes de frais et des factures du ministre et de son conseiller aux affaires réservées pour les mois de février, mars, août, octobre et décembre de chaque année entre juin 2017 et décembre 2019. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre au ministre de l’intérieur et des Outre-mer de procéder à cette communication dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
 
D E C I D E :
 
Article 1er : La décision implicite du ministre de l’intérieur contestée est annulée en tant qu’elle refuse la communication à Mme B des notes de frais et des factures du ministre et de son conseiller aux affaires réservées pour les mois de février, mars, août, octobre et décembre de chaque année entre juin 2017 et décembre 2019.
 
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur et des Outre-mer de procéder à la communication de ces documents dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
 
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme B et au ministre de l’intérieur et des Outre-mer.
 
Délibéré après l’audience du 13 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
 
M. Laloye, président,
 
Mme Roussier, première conseillère,
 
M. Théoleyre, conseiller.
 
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2022.
 
Le rapporteur,
 
M. Théoleyre
 
Le président,
 
P. Laloye
 
Le greffier,
 
A. Lemieux
 
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
 
   

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