Tribunal administratif de Marseille, 18 octobre 2022
Tribunal administratif de Marseille, 18 octobre 2022

Type de juridiction : Tribunal administratif

Juridiction : Tribunal administratif de Marseille

Thématique : Vidéos sur TikTok : une preuve recevable de violences entre élèves

Résumé

Un élève d’un établissement professionnel peut être sanctionné sur la base d’une vidéo TikTok montrant son comportement fautif, tel que raser la tête d’un autre élève. Cet acte constitue une violence physique, en violation du règlement intérieur qui impose le respect et l’absence de violence. La sanction d’exclusion définitive de l’internat, prononcée par le conseil de discipline, est jugée proportionnée et individualisée, tenant compte de la situation de l’élève. Ainsi, la décision du directeur régional confirmant cette exclusion est légale et ne méconnaît pas les droits de la défense.

Vidéos sur TikTok : une preuve recevable 

Un élève d’établissement professionnel peut être sanctionné sur la base d’une vidéo publiée sur TikTok établissant son comportement fautif (avoir rasé la tête d’un autre élève).

Manquement au règlement intérieur 

Aux termes du I de l’article R. 811-83-9 du code rural et de la pêche maritime : « Le directeur du lycée ou le directeur de centre mentionné à l’article R. 811-30 engage les actions disciplinaires en cas de manquement au règlement intérieur ».

L’article 2.2.2 du règlement intérieur du lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane dispose que : « l’apprenant est tenu à un devoir de tolérance et de respect d’autrui dans sa personnalité et dans ses convictions ainsi qu’au devoir de n’user d’aucune violence, ni physique, ni morale, ni verbale ».

Une forme de violence physique

En l’espèce, l’élève a rasé la tête d’un autre élève sous la contrainte, ce qui constitue un acte de violence physique. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’autorité compétente n’ait pas pris en compte l’ensemble de sa situation personnelle de l’intéressé, et se soit bornée à appliquer une sanction, sans individualiser la mesure au regard des faits précisément reprochés au requérant, qui a pu continuer sa scolarité au lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane comme demi-pensionnaire.

Sanction d’exclusion définitive

Il suit de là que la sanction d’exclusion définitive de l’internat, prononcée à l’encontre de l’élève ne méconnaît pas le principe d’individualisation et ne présente pas un caractère disproportionné.

Tribunal administratif de Marseille, 7ème chambre, 18 octobre 2022, n° 2103149

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 11 avril 2021, M. B A, agissant en sa qualité de représentant légal de son fils alors mineur C A, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision du 10 février 2021 par laquelle le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur a confirmé la décision du conseil de discipline du lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane portant exclusion définitive de l’internat de son fils, C A, à compter du 15 janvier 2021 ;

2°) d’enjoindre à l’administration de réintégrer son fils à l’internat du lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane, de préférence dès l’année 2021-2022 ;

3°) de notifier les vices entachant la procédure disciplinaire aux personnes concernées telles que le directeur du lycée et le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt.

Il soutient que :

— son fils n’a pas disposé d’un délai de trois jours pour présenter sa défense avant que ne soit prise la décision de sanction, en méconnaissance de l’article R. 421-10-1 du code de l’éducation ;

— le principe du contradictoire, prévu par le décret n°2020-1171 du 24 sept 2020 et la note de service DGER/SDPFE/2020-712, a été méconnu ;

— lorsqu’il s’est rendu au lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane pour prendre connaissance du dossier de son fils, seul le rapport d’incident rédigé par un surveillant lui a été remis, contrairement à ce que prévoit l’article D. 511-32 du code de l’éducation ;

— les questions posées au cours du conseil de discipline n’avaient pas un caractère pédagogique et étaient subjectives ;

— les preuves des faits évoquées pendant le conseil de discipline n’apparaissent pas dans le dossier de William qui lui a été remis ;

— aucun témoin n’a été convoqué au conseil de discipline contrairement à ce que prévoit l’article D. 511-31 du code de l’éducation ;

— la sanction litigieuse a été notifiée le 18 janvier 2021 alors que le conseil de discipline s’est prononcé le 17 janvier, en méconnaissance de l’article D. 511-42 du code de l’éducation qui prévoit que la décision est confirmée par pli recommandé le jour même ;

— la matérialité des faits fondant cette sanction n’est pas établie ;

— la sanction litigieuse méconnaît les principes de proportionnalité et d’individualisation prévus par le décret n°2020-1171 du 24 septembre 2020 et la note de service DGER/SDPFE/2020-712.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juin 2022, le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 21 juin 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 12 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— le code rural et de la pêche maritime ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Pouliquen, rapporteure,

— et les conclusions de Mme Caselles, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le jeune C A, alors mineur, était élève en classe de première au sein du lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane au titre de l’année scolaire 2020-2021. Il a été accusé d’avoir rasé la tête d’un élève le 5 janvier 2021. L’accès à l’établissement lui a été interdit à titre conservatoire. Par une décision du 15 janvier 2021, le conseil de discipline du lycée a prononcé à son encontre, avec effet immédiat, une sanction d’exclusion définitive de l’internat. Après consultation de la commission d’appel régionale de la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur, le directeur régional a, par décision du 10 février 2021, confirmé la décision d’exclusion définitive de l’internat infligée à William. M. B A, agissant en sa qualité de représentant légal de son fils, demande l’annulation de cette décision.

2. En premier lieu, aux termes de l’article D. 811-83-10 du code rural et de la pêche maritime, relatif au régime disciplinaire applicable dans les établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles :  » Le président du conseil de discipline convoque par tout moyen permettant de conférer date certaine, y compris la remise en mains propres contre signature, au moins cinq jours avant la séance, dont il fixe la date : / 1° L’élève en cause ; / 2° S’il est mineur, son représentant légal ; / 3° Le cas échéant, la personne chargée d’assister l’élève pour présenter sa défense. / La convocation comporte les griefs retenus à l’encontre de l’élève et reproduit les dispositions du chapitre 2 du titre II du livre 1er du code des relations entre le public et l’administration. Le représentant légal de l’élève mineur est informé du droit à être entendu à sa demande par le directeur et par le conseil de discipline. / Le président du conseil de discipline convoque par tout moyen permettant de conférer date certaine, au moins cinq jours avant la séance, les membres du conseil de discipline ainsi que les témoins ou les personnes susceptibles d’éclairer le conseil sur les faits motivant la comparution de l’élève « . Au sein du chapitre II du titre II du livre 1er du code des relations entre le public et l’administration, l’article L. 122-1 dispose que : » Les décisions mentionnées à l’article L. 211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (). « . L’article L. 122-2 du même code dispose que : » Les mesures mentionnées à l’article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant « . Figurent à l’article L. 211-2 du même code, les décisions qui infligent une sanction. L’article D. 811-83-22 du code rural et de la pêche maritime, relatif à la commission d’appel régionale dispose que : » Les modalités d’exercice des droits de la défense sont celles prévues aux articles D. 811-83-10 et D. 811-83-16 à D. 811-83-19 « .

3. L’institution par ces dispositions, d’un recours administratif préalable obligatoire devant le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt pour les sanctions d’exclusion de plus de huit jours prononcées par le conseil de discipline des lycées d’enseignement général et technologique agricole, a pour effet de laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration avant une éventuelle saisine du tribunal. Il s’ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale qui est seule susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir. Si l’exercice d’un tel recours a pour but de permettre à l’autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l’intervention du juge, la décision prise sur le recours n’en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité.

4. La procédure conduisant à la décision du directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur présente les mêmes garanties pour l’élève que celle conduisant à la décision du conseil de discipline à laquelle elle s’est substituée, notamment en matière d’exercice des droits de la défense. Par suite, M. A, qui ne critique pas la régularité de la procédure suivie devant la commission d’appel régionale, ne peut utilement invoquer les moyens dirigés uniquement contre la procédure propre au conseil de discipline, tirés de la méconnaissance des principes du contradictoire et du respect des droits de la défense, de l’impossibilité de consulter le dossier de son fils dans son intégralité, du caractère incomplet de ce dossier en tant qu’il ne comportait pas les preuves des faits évoquées pendant le conseil de discipline, de l’absence de convocation de témoin devant ce conseil, ainsi que du caractère subjectif des questions posées au cours de sa réunion, le 15 janvier 2021. Il suit de là que l’ensemble de ces moyens doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article D. 811-83-12 du code rural et de la pêche maritime : « Sous réserve du droit à consultation du dossier, le directeur du lycée ou le directeur de centre mentionné à l’article R. 811-30 peut interdire, à titre conservatoire et afin d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement, l’accès de l’établissement à l’élève en attendant la comparution de celui-ci devant le conseil de discipline. S’il est mineur, l’élève est remis à son représentant légal. Cette mesure ne présente pas le caractère d’une sanction ». En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que, le lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane n’ayant pas réussi à joindre par téléphone les parents de William A, ce dernier a regagné son domicile en bus, aux fins d’exécution de la décision prise à titre conservatoire d’interdiction d’accès à l’établissement. Toutefois, le requérant ne peut utilement invoquer ces dispositions, qui sont uniquement applicables à la décision prise à titre conservatoire, au soutien de ses conclusions à fin d’annulation de la sanction prise le 10 février 2021 par le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Par suite, le moyen doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l’article D. 811-83-20 du code rural et de la pêche maritime : « A l’issue de la délibération, le président notifie aussitôt à l’élève et, le cas échéant, à son représentant légal la décision du conseil de discipline. Cette décision est confirmée le jour même par tout moyen permettant de conférer date certaine ». S’il n’est pas contesté que la décision du 15 janvier 2021 n’a été notifiée que le 18 janvier 2021, le défaut de notification de cette décision le jour même est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée prise par le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur le 10 février 2021. Par suite le moyen tiré du retard de la notification de la décision initiale est inopérant et ne peut qu’être écarté.

7. En quatrième lieu, M. A produit, à l’appui de sa contestation de la matérialité des faits, six attestations dactylographiées, établies un mois après les faits, prérédigées dans des termes identiques, et émanant de plusieurs élèves, dont la victime, selon lesquelles son fils n’aurait pas rasé la tête de cette dernière sous la contrainte mais que celle-ci était consentante. Aucune pièce d’identité n’est produite à l’appui de ces témoignages peu circonstanciés et rédigés dans des termes convenus. En regard, le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui conteste la crédibilité de ces derniers témoignages, a versé au débat le rapport d’incident établi le soir-même des faits par la surveillante qui est intervenue pour mettre fin à la scène de rasage. Celle-ci rapporte, de façon circonstanciée, que la victime été maintenue par plusieurs élèves pendant les faits, que William A avait une tondeuse en mains et qu’une vidéo de la scène a été diffusée sur le réseau socialTik Tok. Au vu des documents respectivement produits par les parties, de leur teneur et des conditions dans lesquelles ils ont été élaborés, le moyen tiré de ce que la matérialité des faits fondant la sanction litigieuse ne serait pas établie, doit être écarté.

8. En cinquième et dernier lieu, aux termes du I de l’article R. 811-83-9 du code rural et de la pêche maritime : « Le directeur du lycée ou le directeur de centre mentionné à l’article R. 811-30 engage les actions disciplinaires en cas de manquement () au règlement intérieur ». L’article 2.2.2 du règlement intérieur du lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane dispose que : « l’apprenant est tenu à un devoir de tolérance et de respect d’autrui dans sa personnalité et dans ses convictions ainsi qu’au devoir de n’user d’aucune violence, ni physique, ni morale, ni verbale ». En l’espèce, ainsi qu’il l’a été dit au point précédent, le jeune C A a rasé la tête d’un élève sous la contrainte, ce qui constitue un acte de violence physique. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’autorité compétente n’ait pas pris en compte l’ensemble de sa situation personnelle de l’intéressé, et se soit bornée à appliquer une sanction, sans individualiser la mesure au regard des faits précisément reprochés au requérant, qui a pu continuer sa scolarité au lycée d’enseignement général et technologique agricole de Digne Carmejane comme demi-pensionnaire. Il suit de là que la sanction d’exclusion définitive de l’internat, prononcée à l’encontre de William A ne méconnaît pas le principe d’individualisation et ne présente pas un caractère disproportionné.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions tendant à ordonner des mesures spéciales de publicité du présent jugement, que la requête de M. A doit être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B A, à M. C A et au directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Délibéré après l’audience du 4 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Menasseyre, présidente,

Mme Bruneau, conseillère,

Mme Pouliquen, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.

La rapporteure,

signé

G. Pouliquen

La présidente,

signé

A. MenasseyreLa greffière,

signé

A. Vidal

La République mande et ordonne au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

 


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