Transmission d’une question sur la représentation syndicale en entreprise de moins de 50 salariés

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Transmission d’une question sur la représentation syndicale en entreprise de moins de 50 salariés

L’Essentiel : Le 12 avril 2024, M [O] [T] a été désigné représentant de section syndicale par la fédération Sud Energie au sein de SPIE Batignolles Technologies. En réponse, la société a demandé l’annulation de cette désignation le 29 avril. Le 29 novembre, la fédération et M [T] ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article L. 2142-1-4 du code du travail, programmée pour examen le 8 janvier 2025. Le tribunal a jugé la question sérieuse et a décidé de la transmettre à la Cour de cassation, suspendant ainsi la demande d’annulation de la société.

Contexte de l’affaire

La société SPIE Batignolles Technologies est spécialisée dans la maintenance d’installations industrielles. Le 12 avril 2024, la fédération Sud Energie a désigné M [O] [T] comme représentant de section syndicale au sein de l’entreprise.

Demande d’annulation

Le 29 avril 2024, la société SPIE Batignolles Technologies a introduit une requête pour annuler cette désignation. En réponse, la fédération Sud Energie et M [T] ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité le 29 novembre 2024, qui a été programmée pour examen le 8 janvier 2025.

Arguments des parties

La fédération Sud Energie et M [T] demandent au tribunal de transmettre la question de la constitutionnalité de l’article L. 2142-1-4 du code du travail, arguant qu’il porte atteinte aux principes de participation des travailleurs et de liberté syndicale. De son côté, la société SPIE Batignolles Technologies conteste cette transmission, affirmant que les dispositions ne s’appliquent pas à son cas et que la question n’est pas sérieuse.

Position du procureur

Le procureur de la République a émis un avis défavorable à la transmission, soulignant que bien que les dispositions soient applicables, elles ne portent pas atteinte à la liberté des syndicats de désigner un représentant.

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

Le tribunal a examiné les conditions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité. Il a constaté que les dispositions contestées sont applicables au litige et n’ont jamais été déclarées conformes à la Constitution, ce qui confère à la question un caractère sérieux.

Décision du tribunal

Le tribunal a décidé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et de surseoir à statuer sur la demande d’annulation de la société SPIE Batignolles jusqu’à la décision de la Cour. La demande de la société concernant les frais de l’instance a été rejetée.

Conclusion

Le tribunal a rappelé aux parties que sa décision n’est pas susceptible de recours et a précisé les modalités de présentation d’observations devant la Cour de cassation.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article L. 2142-1-4 du code du travail dans le cadre de la désignation des représentants de section syndicale ?

L’article L. 2142-1-4 du code du travail précise les conditions de désignation des représentants de section syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Cet article stipule que :

« Dans les entreprises qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats non représentatifs dans l’entreprise qui constituent une section syndicale peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un membre de la délégation du personnel au comité social et économique comme représentant de la section syndicale.

Par disposition conventionnelle, ce mandat de représentant peut ouvrir droit à un crédit d’heures.

Le temps dont dispose le membre de la délégation du personnel au comité social et économique pour l’exercice de son mandat peut être utilisé dans les mêmes conditions pour l’exercice de ses fonctions de représentant de la section syndicale. »

Ainsi, cet article encadre strictement la possibilité pour les syndicats de désigner un représentant dans les petites entreprises, limitant cette possibilité aux syndicats non représentatifs et sous certaines conditions.

Cela soulève des questions sur la liberté syndicale et la représentation des travailleurs, notamment dans les entreprises où la représentation est déjà limitée par la taille.

En effet, la restriction de la désignation d’un représentant de section syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés peut être perçue comme une atteinte à la liberté syndicale, ce qui est au cœur du litige actuel.

Quelles sont les conditions de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité selon l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 ?

L’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 énonce les conditions de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la Cour de cassation.

Il stipule que :

« La juridiction saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité la transmet à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. »

Ces conditions sont essentielles pour déterminer si une QPC peut être examinée par la plus haute juridiction.

Dans le cas présent, la question de la constitutionnalité de l’article L. 2142-1-4 du code du travail a été jugée applicable au litige, n’ayant pas été déclarée conforme à la Constitution, et présentant un caractère sérieux, ce qui a conduit à sa transmission à la Cour de cassation.

Comment l’article 6 du préambule de la Constitution de 1946 est-il pertinent dans ce litige ?

L’article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 est fondamental pour la protection des droits des travailleurs et de leur représentation syndicale.

Il énonce que :

« Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. »

Cet article souligne l’importance de la liberté syndicale et du droit des travailleurs à se regrouper pour défendre leurs intérêts.

Dans le contexte du litige, les dispositions de l’article L. 2142-1-4 du code du travail, qui limitent la désignation de représentants de section syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés, peuvent être interprétées comme une atteinte à ce droit fondamental.

Les défendeurs soutiennent que ces dispositions méconnaissent les principes constitutionnels de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, ce qui soulève des questions sur la conformité de la législation actuelle avec les droits garantis par la Constitution.

Quelles sont les implications de la décision de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ?

La décision de ne pas transmettre une question prioritaire de constitutionnalité a des implications significatives pour le litige en cours.

Si le tribunal avait choisi de ne pas transmettre la QPC, cela aurait signifié que les dispositions contestées de l’article L. 2142-1-4 du code du travail seraient appliquées sans examen de leur conformité à la Constitution.

Cela aurait pu renforcer l’application de ces dispositions, limitant ainsi la capacité des syndicats à représenter les travailleurs dans les petites entreprises.

Cependant, dans ce cas, le tribunal a décidé de transmettre la question à la Cour de cassation, ce qui permet un examen approfondi de la constitutionnalité des dispositions en question.

Cette transmission ouvre la voie à une éventuelle réévaluation des droits des travailleurs et de la liberté syndicale, en particulier dans le contexte des entreprises de moins de 50 salariés, où la représentation est déjà limitée.

Ainsi, la décision de transmettre la QPC est un pas vers une potentielle réforme législative qui pourrait renforcer les droits syndicaux et la représentation des travailleurs.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
Pôle social

JUGEMENT DU 29 Janvier 2025

SURSIS A STATUER EN ATTENTE DE DÉCISION
SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
Contentieux des Elections professionnelles

N° RG 24/00114 – N° Portalis DB3R-W-B7I-2BAL
Dossier initial : N°RG 24/00065 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZRFI

N° MINUTE :
25/00009

AFFAIRE :

S.A. SPIE BATIGNOLLES TECHNOLOGIES

c/

UNION SYNDICALE SOLIDAIRES – FEDERATION SUD-ENERGIE

Monsieur [O] [T]

Copie conforme délivrée
le :
à :
Me Lou PATEZ ACTANCE
Me Xavier COURTEILLE
SPIE BATIGNOLLES
FEDERATION SUD-ENERGIE
Monsieur [O] [T]
au Ministère public
DEMANDEUR :

Défendeur à la prioritaire de constitutionnalité :

S.A. SPIE BATIGNOLLES TECHNOLOGIES, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Lou PATEZ, SAS ACTANCE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168

DÉFENDEURS :

Demandeurs à la question prioritaire de constitutionnalité :

UNION SYNDICALE SOLIDAIRES – FEDERATION SUD-ENERGIE, sise [Adresse 1]

Monsieur [O] [T], demeurant [Adresse 3]

représentés par Maître Xavier COURTEILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G539

Date des débats : Audience publique du 8 janvier 2025

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Vincent SIZAIRE, Vice-président, assisté de Pascale GALY, Greffier,
présents lors des débats et du prononcé.

______________________________

Vu l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile, notamment l’article 126-5 ;

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité transmis dans un écrit distinct et motivé par message électronique le 29 novembre 2024par Maître Xavier COURTEILLE, avocat au barreau de PARIS ;

Vu les observations transmises par message électronique le 27 décembre 2024 par Maître Lou PATEZ, SAS ACTANCE, avocat au barreau de PARIS ;

Vu l’avis du ministère public en date du 23 décembre 2024 ;

JUGEMENT

Jugement contradictoire, prononcé publiquement et en dernier ressort, par mise à disposition le 29 janvier 2025.

EXPOSE DU LITIGE

La société SPIE Batignolles Technologies a pour activité la maintenance d’installations industrielles.

Le 12 avril 2024, la fédération Sud Energie a notifié à la direction de la société la désignation de M [O] [T] en qualité de représentant de section syndicale.

Par requête enregistrée le 29 avril 2024, la société SPIE Batignolles Technologies a saisi la présente juridiction d’une demande d’annulation de cette désignation.

Le 29 novembre 2024, par conclusions distinctes et motivées, la fédération Sud Energie et M [T] ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

L’examen de cette question a été renvoyé à l’audience du 8 janvier 2025.

Dans le dernier état de leurs écritures et de leurs observations, la fédération Sud Energie et M [T] demandent au tribunal de transmettre à la Cour de cassation la question de la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 2142-1-4 du code du travail.

Ils soutiennent que ces dispositions n’ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et qu’elles sont bien applicables au litige. Ils soutiennent par ailleurs qu’elles méconnaissent les principes constitutionnels de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et de liberté syndicale en ce qu’elles privent les salariés de toute représentation du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés et interdisent aux organisations syndicales d’y désigner un représentant.

Dans le dernier état de ses écritures et de ses observations, la société SPIE Batignolles Technologies demande au tribunal :
– De ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ;
– La condamnation des défendeurs à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que les dispositions litigieuses ne sont pas applicables au litige, que la question n’est pas nouvelle dès lors que la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur des dispositions similaires, et qu’elle n’est pas sérieuse en l’absence d’atteinte aux principes de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et de liberté syndicale.

Dans ses observations, le procureur de la République émet un avis défavorable à la transmission, soutenant que si les dispositions litigieuses sont applicables au litige et n’ont jamais été déclarées conforme à la Constitution, la question n’est pas nouvelle en ce qu’elles ne portent pas atteinte à la liberté des syndicats de désigner un représentant de section syndicale.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

En vertu de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la juridiction saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité la transmet à la Cour de cassation « si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ».

En ce qui concerne l’applicabilité au litige

Les dispositions de l’article L. 2142-1-4 du code du travail déterminent les conditions de désignation des représentants de section syndicale au sein des entreprises de moins de 50 salariés. Or il n’est pas contesté que la société SPIE Batignolles Technologie compte moins de 50 salariés. Cette dernière, qui invoque expressément ces dispositions au soutien de sa demande d’annulation, ne saurait dès lors utilement prétendre qu’elles ne sont pas applicables au litige.

En ce qui concerne l’absence de déclaration de conformité

A la supposée avérée, la circonstance que la Cour de cassation ait refusé de transmettre la question de la constitutionnalité des dispositions litigieuses ne saurait être regardée comme une déclaration de conformité à la Constitution.

En toutes hypothèses, il est constant que ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour de cassation ne se sont prononcées sur les dispositions de l’article L. 2142-1-4 du code du travail. La question posée présente donc bien un caractère inédit.

En ce qui concerne le caractère sérieux

L’article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Son article 8 proclame que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

En l’occurrence, l’article L. 2142-1-4 du code du travail énonce : « dans les entreprises qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats non représentatifs dans l’entreprise qui constituent une section syndicale peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un membre de la délégation du personnel au comité social et économique comme représentant de la section syndicale. Par disposition conventionnelle, ce mandat de représentant peut ouvrir droit à un crédit d’heures. Le temps dont dispose le membre de la délégation du personnel au comité social et économique pour l’exercice de son mandat peut être utilisé dans les mêmes conditions pour l’exercice de ses fonctions de représentant de la section syndicale ».

Le représentant de section syndicale n’étant investi d’aucun mandat de représentation du personnel au titre de la gestion de l’entreprise dans laquelle il est désigné, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ne présente pas de caractère sérieux.

En revanche, les dispositions contestées ont pour effet d’interdire aux organisations syndicales, au seul motif que l’entreprise compte moins de cinquante salariés, de nommer un représentant de section syndicale lorsqu’elles n’ont pas présenté de candidats à l’élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique ou lorsque leurs candidats n’ont pas été élus. Ces dispositions peuvent ainsi être regardées comme portant à la liberté syndicale une atteinte disproportionnée. La question de leur constitutionnalité n’est donc pas dépourvue de tout caractère sérieux.

Il convient en conséquence de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité et de sursoir à statuer dans l’attente de l’arrêt de la Cour de cassation.

Sur les frais de l’instance

La transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité étant une mesure avant-dire droit ne préjugeant pas de l’issue du litige, la demande présentée par la société SPIE Batignolles Technologie au titre des frais de l’instance ne peut qu’être rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, publiquement et en dernier ressort :

Transmet la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la fédération Sud Energie et M [T] à la Cour de cassation.

Sursoit à statuer sur la demande d’annulation présentée par la société SPIE Batignolles jusqu’à la décision de la Cour de cassation.

Déboute la société SPIE Batignolles de sa demande présentée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Rappelle aux parties que la présente décision n’est susceptible d’aucun recours et que si elles entendent présenter des observations devant la Cour de cassation, elles doivent, conformément aux dispositions de l’article 126-9 du code de procédure civile, les transmettre dans le délai d’un mois à compter de la présente décision par l’intermédiaire d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation. Le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée ou son délégué, à la demande de l’une des parties ou d’office, peut, en cas d’urgence, réduire le délai de présentation des observations.

Et le présent jugement est signé par Vincent SIZAIRE, Vice-président et par Pascale GALY, Greffier, présents lors du prononcé.

LE GREFFIER       LE PRÉSIDENT


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