L’Essentiel : Le 18 juillet 2019, un accident du travail a été déclaré par la société [8] concernant Madame [C] [L], survenu le 16 juillet lors de la manipulation de palettes. La CPAM du Rhône a pris en charge l’accident, mais la société a contesté l’imputabilité des soins et des arrêts de travail. En mai 2023, elle a saisi le tribunal pour demander une expertise médicale. La CPAM a rejeté ces demandes, affirmant que les soins étaient opposables à l’employeur. Le tribunal a ordonné une consultation médicale pour évaluer l’imputabilité des arrêts de travail à l’accident.
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Contexte de l’accidentLe 18 juillet 2019, la société [8] a déclaré un accident du travail survenu à Madame [C] [L] le 16 juillet 2019, alors qu’elle chargeait des palettes et a trébuché. Le certificat médical initial a mentionné des contusions à la cheville droite et à l’épaule gauche. Décision de la CPAMLe 25 juillet 2019, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du Rhône a décidé de prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle. Contestation de la société [8]Le 2 mai 2023, la société [8] a contesté l’imputabilité de la durée des soins et des arrêts de travail liés à l’accident. Par la suite, elle a saisi le tribunal d’un recours contre la décision implicite de rejet de la commission médicale de recours amiable. Demandes de la société [8]La société [8] a demandé au tribunal d’enjoindre à la CPAM de transmettre le dossier médical de Madame [L] à son médecin désigné, de surseoir à statuer, et d’ordonner une expertise médicale judiciaire pour vérifier la justification des arrêts de travail. Réponse de la CPAMLa CPAM a demandé le rejet des demandes de la société [8], affirmant que la transmission des éléments médicaux ne pouvait se faire que par la commission médicale de recours amiable et que les soins et arrêts de travail étaient opposables à la société. Indépendance des rapportsLe tribunal a souligné que les rapports entre la CPAM et l’employeur sont indépendants, et que la décision de la CPAM ne porte pas atteinte aux droits de l’assuré. Transmission du dossier médicalLe tribunal a précisé que la transmission du dossier médical à l’employeur ne peut se faire que dans le cadre d’une expertise médicale judiciaire, et a rejeté la demande de la société [8] à cet égard. Imputabilité des soins et arrêts de travailLa société [8] a soutenu qu’il existait un doute sur l’imputabilité des arrêts de travail, invoquant des éléments médicaux et des antécédents de santé de Madame [L]. La CPAM a rétorqué que la société n’avait pas renversé la présomption d’imputabilité. Décision du tribunalLe tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces pour déterminer si les arrêts de travail étaient directement imputables à l’accident du 16 juillet 2019, tout en réservant les dépens et en sursis à statuer sur les demandes jusqu’à la réception du rapport de consultation médicale. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les implications de l’indépendance des rapports entre la CPAM, l’employeur et l’assuré ?L’indépendance des rapports entre la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), l’employeur et l’assuré est un principe fondamental du droit de la sécurité sociale. Selon la jurisprudence, les intérêts de l’assuré et de l’employeur sont distincts, ce qui signifie que les décisions prises par la CPAM concernant l’imputabilité d’un accident du travail n’affectent pas les droits de l’assuré à recevoir des prestations. En effet, la décision de la CPAM de prendre en charge un accident du travail ne peut être contestée par l’employeur sans que cela n’impacte les droits de l’assuré. Ce principe est renforcé par l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale, qui stipule que tout accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail est considéré comme un accident du travail, et ce, quelle qu’en soit la cause. Ainsi, même si l’employeur conteste la décision de la CPAM, l’assuré conserve le bénéfice des prestations qui lui ont été attribuées. Cela garantit que les droits de l’assuré ne sont pas compromis par les litiges entre la CPAM et l’employeur. Quels sont les droits de l’employeur concernant la communication du dossier médical de l’assuré ?L’employeur a des droits spécifiques concernant la communication du dossier médical de l’assuré, notamment en cas de contestation de l’imputabilité d’un accident du travail. Selon l’article R.142-8-2 du code de la sécurité sociale, dès la réception d’un recours de l’employeur, la commission médicale de recours amiable (CMRA) doit transmettre une copie du recours au service du contrôle médical de la CPAM. De plus, l’article L.142-6 précise que le rapport médical, qui comprend les constatations de l’examen clinique de l’assuré, doit être notifié au médecin que l’employeur mandate. Cela permet à l’employeur de contester la décision de la CPAM en ayant accès aux éléments médicaux pertinents. Cependant, il est important de noter que l’absence de communication de ce rapport médical n’entraîne pas de sanction pour la CPAM. L’employeur peut toujours contester la décision de la CPAM dans le cadre d’une procédure contentieuse, où il pourra formuler toutes les observations nécessaires et demander une expertise médicale. Quelles sont les conditions pour ordonner une expertise médicale judiciaire ?L’expertise médicale judiciaire peut être ordonnée lorsque des doutes subsistent quant à l’imputabilité des soins et arrêts de travail liés à un accident du travail. Selon l’article R.142-16 du code de la sécurité sociale, la juridiction peut ordonner toute mesure d’instruction, y compris une consultation médicale, pour éclairer le juge sur des questions de fait nécessitant l’avis d’un expert. L’article 232 du code de procédure civile précise également que le juge peut commettre une personne de son choix pour réaliser une expertise sur une question de fait. En outre, l’article 263 du même code indique que l’expertise n’est ordonnée que si des constatations ou une consultation ne suffisent pas à éclairer le juge. Dans le cas présent, la société [8] a soulevé des doutes quant à l’imputabilité des arrêts de travail de Madame [L] à l’accident du travail. Les éléments fournis par la société, notamment l’avis de son médecin conseil, peuvent constituer un commencement de preuve justifiant la demande d’expertise. Ainsi, le tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces pour déterminer si les arrêts de travail sont directement imputables à l’accident du travail. Quels sont les frais liés à l’expertise médicale et qui en supporte le coût ?Les frais liés à l’expertise médicale sont généralement pris en charge par l’organisme de sécurité sociale. Selon l’article L.142-11 du code de la sécurité sociale, les frais résultant des consultations et expertises ordonnées par les juridictions compétentes dans le cadre des contentieux sont pris en charge par l’organisme mentionné à l’article L.221-1. Cela signifie que la CPAM est responsable des frais d’expertise médicale, ce qui inclut les consultations nécessaires pour éclairer le tribunal sur les questions d’imputabilité des soins et arrêts de travail. Le tribunal a rappelé que ces frais seront avancés par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, garantissant ainsi que l’employeur ne supporte pas le coût de l’expertise. En conséquence, la société [8] n’aura pas à payer les frais d’expertise, ce qui facilite l’accès à la justice et permet à l’employeur de contester la décision de la CPAM sans être dissuadé par des coûts potentiellement élevés. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
PÔLE SOCIAL
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JUGEMENT DU 07 JANVIER 2025
N° RG 23/01939 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XTCO
DEMANDERESSE :
Société [8]
[Adresse 10]
[Localité 5]
représentée par Me Michaël RUIMY, avocat au barreau de LYON substitué par Me SANCHEZ
DEFENDERESSE :
CPAM DU RHONE
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 6]
dispensée de comparaître
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Fanny WACRENIER, Vice-Présidente
Assesseur : Anne JALILOSSOLTAN, Assesseur du pôle social collège employeur
Assesseur : Samuel GAILLARD, Assesseur du pôle social collège salarié
Greffier
Christian TUY,
DÉBATS :
A l’audience publique du 12 novembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 07 Janvier 2025.
Le 18 juillet 2019, la société [8] a adressé à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du RHONE une déclaration d’accident du travail survenu à Madame [C] [L] le 16 juillet 2019 dans les circonstances suivantes : » le collaborateur chargeait des palettes, il a trébuché entre deux palettes au sol « .
Le certificat médical initial du 16 juillet 2019 mentionne : » contusion cheville droite et épaule gauche « .
Le 25 juillet 2019, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du RHONE a notifié à la société [8] une décision de prise en charge de l’accident du 16 juillet 2019 de Madame [C] [L] au titre de la législation professionnelle.
Le 2 mai 2023, la société [8] a saisi la commission médicale de recours amiable aux fins de contester l’imputabilité à l’accident du travail de la durée des soins et arrêts de travail pris en charge au titre de la législation professionnelle.
Par courrier recommandé expédié le 5 octobre 2023, la société [8] a saisi le tribunal d’un recours à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission médicale de recours amiable.
L’affaire, appelée à l’audience de mise en état du 7 mars 2024, a été entendue à l’audience de renvoi fixée pour plaidoirie du 12 novembre 2024.
Lors de celle-ci, la société [8], par l’intermédiaire de son conseil, a déposé des conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses demandes, moyens et prétentions soutenus oralement.
Elle demande au Tribunal de :
A titre liminaire,
– Enjoindre à la CPAM et à son service médical de transmettre l’entier dossier médical de Madame [L] visé à l’article R142-1-A du code de la sécurité sociale au médecin désigné par la société, le Docteur [R],
– Surseoir à statuer,
– Rouvrir les débats dès réception effective du dossier médical par le médecin consultant désigné par la société,
A titre principal et avant dire droit,
– Ordonner une expertise médicale judiciaire sur pièces afin de vérifier la justification des arrêts de travail pris en charge en relation directe avec l’accident du travail du 16 juillet 2019,
– Ordonner la communication de l’entier dossier médical de Madame [L] au Docteur [R],
– Juger que les frais d’expertise seront mis à la charge entière de la CPAM,
– Juger, dans l’hypothèse où les arrêts de travail ne seraient pas en lien de causalité direct et certain avec la lésion initiale, ces arrêts inopposables à la société,
A titre subsidiaire,
– Constater que son médecin consultant n’a pas été destinataire du dossier médical complet de Madame [L],
– Juger que par sa carence la CPAM a fait obstacle à la procédure d’échanges contradictoires du dossier médical de Madame [L],
– Constater la violation des articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l’homme et des principes directeurs du procès,
– Ordonner l’inopposabilité à la société de l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à Madame [L] au titre de l’accident du travail du 16 juillet 2019.
En réponse, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du RHONE a sollicité une dispense de comparution et a déposé des écritures auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses demandes, moyens et prétentions.
Elle demande au Tribunal de :
– Rejeter la demande de transmission des éléments médicaux à l’employeur,
– Rejeter la demande d’expertise médicale,
– Confirmer l’opposabilité à la société [8] de l’ensemble des soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l’accident du travail du 16 juillet 2019 et ses conséquences pécuniaires,
– Débouter la société [8] de l’ensemble ses demandes.
Sur l’indépendance des rapports caisse/employeur et salarié/ employeur.
Les rapports CAISSE/ASSURE et les rapports CAISSE/EMPLOYEUR sont indépendants car le salarié et son employeur ont des intérêts distincts à contester les décisions de la CPAM.
En conséquence, la présente décision n’aura aucun effet sur les droits reconnus à l’assuré qui conservera, quelle que soit la décision rendue avec ce jugement, le bénéfice des prestations qui lui ont été attribuées par la décision initiale de la CPAM.
Sur la demande liminaire en injonction de transmission du rapport médical visé à l’article R142-1-A du code de la sécurité sociale au Docteur [R], médecin désigné par la société et le sursis à statuer
En application de l’article R.142-8-5 du code de la sécurité sociale, pour les contestations soumises à une commission de recours amiable, l’absence de décision de l’organisme de prise en charge dans le délai de quatre mois à compter de l’introduction du recours préalable, vaut rejet de la demande.
Les articles L.142-6, R.142-8-2, R.142-8-3 du code de la sécurité sociale organisent la communication du dossier médical à l’employeur dès la saisine de la commission médicale de recours amiable :
– dès réception du recours, le secrétariat de la commission médicale de recours amiable transmet la copie du recours préalable effectué par l’employeur au service du contrôle médical fonctionnant auprès de l’organisme dont la décision est contestée (article R.142-8-2 alinéa 1er) ;
– Dans un délai de dix jours à compter de la date de la réception de la copie du recours préalable, le praticien-conseil transmet alors à la commission, par tout moyen conférant date certaine, l’intégralité du rapport mentionné à l’article L.142-6 (article R.142-8-2 alinéa 2) ;
– le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l’introduction du recours le rapport mentionné à l’article L.142-6 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur à cet effet (article R.142-8-3 al.1) ;
– dans un délai de vingt jours à compter de la réception du rapport médical, le médecin mandaté par l’employeur peut, par tout moyen conférant date certaine, faire valoir ses observations (article R.142-8-3 alinéa 3).
En application de l’article L.142-6 du code de la sécurité sociale, à la demande de l’employeur et pour les contestations de nature médicale, le rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision est notifié au médecin que l’employeur mandate à cet effet.
En application de l’article R.142-1-A du code de la sécurité sociale, V. – le rapport médical mentionné aux articles L. 142-6 et L. 142-10 comprend :
1° L’exposé des constatations faites, sur pièces ou suite à l’examen clinique de l’assuré, par le praticien-conseil à l’origine de la décision contestée et ses éléments d’appréciation ;
2° Ses conclusions motivées ;
3° Les certificats médicaux, détenus par le praticien-conseil du service du contrôle médical et, le cas échéant, par la caisse, lorsque la contestation porte sur l’imputabilité des lésions, soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.
Il ressort de l’ensemble de ces dispositions que le code de la sécurité sociale organise notamment à la demande de l’employeur, et ce dès saisine par l’employeur de la commission de recours amiable, la transmission à son médecin-conseil du rapport médical devant comprendre :
– l’ensemble des constatations sur pièce ou suite à l’examen clinique de l’assuré ;
– l’ensemble des certificats médicaux prescrits au salarié.
L’absence de communication ou la communication hors délais de ce rapport médical au médecin-conseil désigné par l’employeur n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
Si l’absence de communication de documents au stade de la phase de recours préalable prive la commission du bénéfice éventuel des observations du médecin mandaté par l’employeur, elle ne saurait faire grief à l’employeur qui conserve toute possibilité de contester la décision de la caisse dans le cadre d’une procédure contentieuse au sein de laquelle, au regard des règles du procès équitable, l’employeur a la possibilité de formuler toutes observations utiles et de solliciter le cas échéant une expertise dans le cadre de laquelle les éléments médicaux seraient communiqués à son médecin conseil.
Ainsi, l’inobservation de ces dispositions n’entraîne pas l’inopposabilité à l’égard de l’employeur de la décision de prise en charge dès lors que celui-ci dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l’expiration du délai de rejet implicite de quatre mois prévus à l’article R. 142-8-5 et d’obtenir, à l’occasion de ce recours, la communication de ce rapport.
L’avis rendu par la Cour de Cassation le 17 juin 2021 a été confirmé dans un arrêt du 11 janvier 2024.
Par ailleurs, aux termes de l’article R 142-6-3 du code de la sécurité sociale, applicable à compter du 1er janvier 2020, il est énoncé que :
» Le greffe demande par tous moyens, selon le cas à l’organisme de sécurité sociale, au président du conseil départemental ou la maison départementale des personnes handicapées, de transmettre à l’expert ou au consultant désigné l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L. 142-6 et du rapport mentionné au premier alinéa de l’article L. 142-10 ou l’ensemble des éléments ou informations à caractère secret au sens du deuxième alinéa de l’article L. 142-10 ayant fondé sa décision.
Dans le délai de dix jours à compter de la notification, à l’employeur de la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, lorsque ce dernier est partie à l’instance, de la décision désignant l’expert, celui-ci peut demander, par tous moyens conférant date certaine, à l’organisme de sécurité sociale, de notifier au médecin, qu’il mandate à cet effet, l’intégralité des rapports précités. S’il n’a pas déjà notifié ces rapports au médecin ainsi mandaté, l’organisme de sécurité sociale procède à cette notification, dans le délai de vingt jours à compter de la réception de la demande de l’employeur. Dans le même délai, l’organisme de sécurité sociale informe la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle de la notification de l’intégralité de ces rapports au médecin mandaté par l’employeur »
Il suit de là que lorsque le rapport n’a pas été préalablement transmis durant la phase pré contentieuse, l’employeur peut demander à la Caisse, dans le délai de 10 jours à compter de la notification de la décision désignant l’expert, de notifier au médecin mandaté à cet effet l’intégralité des rapports visés aux articles L142-6 et R142-8-5 du code de la sécurité sociale.
En l’espèce, la société [8] a saisi la commission médicale de recours amiable le 2 mai 2023 en contestation l’imputabilité à l’accident du travail de la durée des soins et arrêts de travail pris en charge au titre de la législation professionnelle.
Elle soutient que la commission médicale de recours amiable n’ayant pas transmis le dossier médical de Madame [L] à son médecin conseil désigné, le Docteur [R], dans le cadre du recours préalable conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, elle a été privée de toute discussion sur le dossier médical de l’assuré en phase amiable.
Elle ajoute avoir renouvelé sa demande de transmission du dossier médical en phase contentieuse dans sa requête aux fins de saisine du tribunal.
Elle sollicite dès lors qu’il soit fait injonction à la CPAM et à son service médical de transmettre l’entier dossier médical de Madame [L] au médecin désigné par la société, le Docteur [R], et de surseoir à statuer dans cette attente.
En réponse, la CPAM relève que la transmission du rapport médical du praticien conseil du service médical ne peut se faire que par l’autorité médicale chargée d’examiner le recours préalable, soit la CMRA, et non par le service administratif de la CPAM qui ne détient pas le dossier médical des assurés.
Le tribunal rappelle que la CMRA est une commission dépourvue de tout pouvoir juridictionnel et les exigences d’un procès équitable ne s’appliquent pas aux recours préalables obligatoires. Les seules règles de fonctionnement de la CMRA, même non respectées, ne sont pas prescrites à peine de sanction.
Par ailleurs, en application de l’article R142-8-5 du code de la sécurité sociale, la décision implicite de rejet de la CMRA est régulière même en l’absence de communication du rapport mentionné à l’article L142-6 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur.
Il suit de là que lorsque le rapport médical n’a pas été préalablement transmis durant la phase pré-contentieuse, l’employeur peut demander à la Caisse, dans le délai de 10 jours à compter de la notification de la décision désignant l’expert, de notifier au médecin mandaté à cet effet l’intégralité des rapports visés aux articles L142-6 et R142-8-5 du code de la sécurité sociale.
Le dossier médical de l’assuré détenu par le seul service médical de la CPAM ne peut être transmis à l’employeur et/ou au médecin conseil désigné par lui que dans le cadre d’une mesure d’expertise médicale judiciaire qu’il aura préalablement sollicité.
Dès lors, la demande de la société [8] tenant à ce que le tribunal fasse injonction à la CPAM et à son service médical de transmettre l’entier dossier médical de Madame [L] au médecin désigné par la société, le Docteur [R], et de surseoir à statuer dans cette attente devra être rejetée.
Sur la demande d’inopposabilité des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse et la demande d’expertise
En vertu de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeur ou chefs d’entreprise.
La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite de l’accident du travail institué par l’article L.411-1 s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l’état de la victime et il appartient à l’employeur dans ses rapports avec la Caisse, dès lors que le caractère professionnel de l’accident est établi, de prouver que les lésions invoquées ne sont pas imputables à l’accident.
Cette présomption simple peut toutefois être renversée par l’employeur si celui-ci apporte la preuve contraire notamment en se prévalant des conclusions d’une expertise qu’il aura préalablement sollicitée et obtenue.
En l’espèce, suite à la déclaration d’accident du travail et au certificat médical initial du 16 juillet 2019 qui a fixé un arrêt de travail jusqu’au 23 juillet 2019 pour une » contusion cheville droite et épaule gauche « , les arrêts de travail et les soins prescrits à Madame [C] [L] ont été renouvelés à plusieurs reprises.
La CPAM précise que Madame [L] a repris le travail le 8 juin 2020 mais a continué à bénéficier de soins jusqu’au 26 novembre 2021.
Le service médical de la CPAM a fixé la consolidation de l’état de santé de Madame [L] à la date du 26 novembre 2021. Un taux d’IPP de 4% a été attribué à compter du 27 novembre 2021.
Au soutien de ses prétentions, la société [8] expose qu’il a été imputé 183 jours d’arrêts de travail sur son compte employeur.
Elle fait valoir qu’il existe un réel doute quant à l’imputabilité des arrêts de travail pris en charge au titre de l’accident du travail en ce qu’il s’agissait à l’origine d’une lésion bénigne, qu’il y a eu une reprise du travail à temps partiel thérapeutique 8 jours après l’accident, que le certificat médical de prolongation du 23 juillet 2019 fait état de nouvelles lésions qui semblent dégénératives et constituer un état pathologique antérieur.
Elle se fonde sur l’avis de son médecin conseil, le Docteur [R] du 6 mars 2024, qui a relevé en substance que » Compte tenu des éléments en notre possession, l’AT du 16 juillet 2019 est responsable d’une contusion de la cheville droite et de l’épaule gauche, l’absence de transmission de l’intégralité des pièces médicales du dossier rend difficile toute étude du dossier. En l’état actuel, seul l’arrêt de travail jusqu’au 23 juillet 2019 est médicalement justifié. « .
La CPAM soutient que la société [8] ne renverse pas la présomption d’inopposabilité et qu’elle ne rapporte pas d’éléments susceptible de constituer une difficulté d’ordre médical justifiant le recours à une expertise médicale judiciaire.
Elle souligne que son médecin conseil s’est prononcé favorablement sur la justification des arrêts de travail, sur la reprise du travail à mi-temps thérapeutique et sur l’attribution d’un taux d’IPP après la consolidation. Elle ajoute qu’aucune nouvelle lésion n’a été prise en charge au titre de l’accident.
Elle souligne également que même dans l’hypothèse d’un état pathologique antérieur, les arrêts de travail sont pris en charge dès lors que l’état antérieur est révélé ou aggravé par l’accident du travail.
Elle relève enfin que le Docteur [R] s’est contenté d’invoquer des généralités et n’a pas été en mesure de rendre une étude pertinente du dossier.
La jurisprudence de la cour de cassation pose qu’en l’absence de communication par la CPAM de l’intégralité des pièces du dossier médical de la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle à l’employeur, ce dernier apparaît bien fondé à demander une mesure d’expertise médicale judiciaire afin d’accéder aux pièces dans le respect du secret médical, en vue d’une contestation de l’imputabilité d’un sinistre AT/MP.
Les éléments d’ordre médical produits par la société [8] sont de nature à constituer un commencement de preuve et à soulever un doute quant à la durée des arrêts de travail pris en charge et aux soins, de nature à caractériser un litige d’ordre médical et justifiant le recours à une consultation médicale judiciaire.
Le recours à une consultation médicale judiciaire se justifie par ailleurs par la décision de rejet implicite de la CMRA, laquelle n’est, de fait, assortie d’aucune motivation.
Aux termes de l’article R. 142-16 du code de la sécurité sociale : » La juridiction peut ordonner toute mesure d’instruction, qui peut prendre la forme d’une consultation clinique ou sur pièces exécutée à l’audience, par un consultant avisé de sa mission par tous moyens, dans des conditions assurant la confidentialité, en cas d’examen de la personne intéressée « .
L’article 232 du code de procédure civile dispose que : » Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien « .
L’article 263 du code de procédure civile précise que : » L’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge « .
Il convient dès lors, en application des articles sus-mentionnés, d’ordonner une mesure de consultation médicale sur pièces.
Par ailleurs, l’article L142-11 du code de la sécurité sociale, en vigueur depuis le 1er janvier 2022, précise que :
» Les frais résultant des consultations et expertises ordonnées par les juridictions compétentes dans le cadre des contentieux mentionnés aux 1°et 4°, 5°, 6°, 8° et 9° de l’article L. 142-1 sont pris en charge par l’organisme mentionné à l’article L. 221-1.
Un décret fixe les conditions dans lesquelles les frais exposés à ce titre peuvent être avancés par l’Etat ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont, dans ce cas, remboursés à ce dernier par l’organisme mentionné à l’article L221-1.
Un arrêté détermine les conditions dans lesquelles les dépenses acquittées par la Caisse nationale de l’assurance maladie en application du présent article sont réparties entre les organismes du régime général de sécurité sociale, du régime de la mutualité sociale agricole, des régimes spéciaux mentionnés au livre VII et les organismes institués par le livre VI. »
Il suit de là que les frais de consultation sont aux frais avancés de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du RHONE.
Dans l’attente du jugement à intervenir après consultation, il y a lieu de surseoir à statuer.
Sur les dépens
Les dépens de la présente instance seront réservés.
Le Tribunal statuant, après débats en audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe,
DIT la société [8] recevable en son recours,
DÉBOUTE la société [8] de sa demande tenant à ce que le tribunal fasse injonction à la CPAM et à son service médical de transmettre l’entier dossier médical de Madame [L] au médecin désigné par la société, le Docteur [R], et de surseoir à statuer dans cette attente,
AVANT DIRE DROIT sur la demande d’inopposabilité des soins et arrêts de travail prescrits à Madame [C] [L] postérieurement au 16 juillet 2019,
ORDONNE une Consultation médicale sur pièces au titre de l’article R142-16 et suivants du code de la sécurité sociale,
DÉSIGNE pour y procéder le Docteur [E] [T] – [Adresse 3] [Localité 4], avec pour mission, de :
1) Prendre connaissance de l’intégralité du dossier médical de l’assuré, dont le rapport médical mentionné à l’article R 142-16-3, que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du RHONE et/ou son service médical, devra transmettre dans un délai de 2 mois à compter de la notification du présent jugement,
2) Prendre connaissance des observations éventuelles du médecin conseil de la société [8] qui devront être transmises dans un délai de 2 mois à compter de la notification du présent jugement,
3) Dire si les arrêts de travail prescrits postérieurement au certificat médical initial sont directement et exclusivement imputables à l’accident du travail du 16 juillet 2019,
4) Dans la négative, dire dans quelle proportion ils sont rattachables à une pathologie intercurrente ou à une pathologie antérieure non révélée ou aggravée par l’accident du travail et la décrire,
5) Déterminer la date à partir de laquelle les arrêts de travail ont une cause totalement étrangère à l’accident du travail,
RAPPELLE à la société [8] qu’elle dispose d’un délai de dix jours à compter de la notification de la présente décision pour demander, par tous moyens conférant date certaine, à l’organisme de sécurité sociale, de notifier au médecin qu’il mandate à cet effet, l’intégralité des rapports précités, qui lui seront transmis, si cela n’a pas déjà été fait, dans le délai de vingt jours à compter de la réception de la demande de l’employeur ;
DÉSIGNE le magistrat ayant ordonné la mesure pour suivre la mesure d’instruction et statuer sur tous incidents ;
DIT que le médecin consultant désigné devra adresser un rapport écrit en 4 exemplaires au greffe du Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Lille, [Adresse 2], [Localité 9], dans un délai de 6 mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé de sa mission ;
DIT qu’une copie du rapport écrit de la consultation médicale sur pièces dès réception sera adressée aux parties par le greffe du Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Lille par lettre simple,
RENVOIE l’affaire après consultation à l’audience de Mise en Etat dématérialisée du :
JEUDI 3 JUILLET 2025 à 09 heures
Devant la chambre du POLE SOCIAL
Du TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE,
[Adresse 1] à [Localité 9].
DIT que le présent jugement notifié vaut convocation des parties à l’audience de Mise en Etat du Jeudi 3 JUILLET 2025 à 09 heures ;
SURSOIT à statuer sur les demandes dans l’attente de la réception du rapport de consultation médicale ;
RÉSERVE les dépens ;
RAPPELLE qu’en vertu de l’article L142-11 du code de la sécurité sociale, les frais de consultation médicale seront pris en charge par la caisse nationale d’assurance maladie;
DIT que le présent jugement sera notifié à chacune des parties conformément à l’article R.142-10-7 du Code de la Sécurité Sociale par le greffe du Tribunal.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe du Tribunal les jours, mois et an sus-dit.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Christian TUY Fanny WACRENIER
Expédié aux parties le :
– 1 CCC à Me RUIMY, à [8], à la CPAM du Rhône et au docteur [T]
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