L’Essentiel : En décembre 2002, Monsieur [F] [X] a vendu un terrain à bâtir à la société Norminter Est pour 259163,33 euros, avec l’intention d’y construire un supermarché. L’acte de vente incluait une clause permettant au vendeur de récupérer la terre végétale, sous conditions. Cependant, le projet n’a pas été réalisé, entraînant une assignation de Monsieur [X] par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires en 2019. Le tribunal d’Épinal a débouté la société de ses demandes en juin 2023, condamnant celle-ci à verser 5000 euros à Monsieur [X]. L’appel de la société a été rejeté, confirmant le jugement initial.
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Contexte de la ventePar acte notarié du 28 décembre 2002, Monsieur [F] [X], agriculteur, a vendu un terrain à bâtir à la société Norminter Est, aujourd’hui représentée par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires, pour un montant de 259163,33 euros. Cette acquisition visait la création d’un supermarché. Clause de récupération de terre végétaleL’acte de vente incluait une clause stipulant que le vendeur pouvait récupérer la terre végétale sur les parcelles vendues, sous certaines conditions. La société Norminter Est devait notifier le vendeur d’un mois à l’avance la date d’enlèvement, qui devait se faire à ses frais dans un rayon de 5 km, à condition que le lieu soit accessible. Non-réalisation du projetLe projet de construction d’un supermarché sur le terrain acquis n’a pas été réalisé. En conséquence, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a assigné Monsieur [X] devant le tribunal judiciaire d’Épinal en 2019 et 2020, contestant la clause de récupération de terre végétale. Demandes de la SA Immobilière Européenne des MousquetairesLa SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a demandé au tribunal de reconnaître que la clause de récupération de terre végétale était une obligation personnelle non transmissible, et de condamner Monsieur [X] à des dommages et intérêts pour son comportement fautif, ainsi qu’aux dépens. Jugement du tribunal judiciaire d’ÉpinalLe 8 juin 2023, le tribunal a débouté la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires de toutes ses demandes et a condamné cette dernière à verser 5000 euros à Monsieur [X] pour dommages et intérêts, tout en ordonnant l’exécution provisoire du jugement. Appel de la SA Immobilière Européenne des MousquetairesLa SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a interjeté appel de ce jugement le 28 août 2023, demandant la réformation de la décision et la reconnaissance de l’intransmissibilité de la clause de récupération de terre végétale. Arguments de la SA Immobilière Européenne des MousquetairesDans ses conclusions, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a soutenu que la clause litigieuse était inopposable aux sous-acquéreurs et que sa réalisation dépendait de conditions non remplies. Elle a également affirmé que le comportement de Monsieur [X] avait causé un préjudice en bloquant la vente de ses terrains. Réponse de Monsieur [X]Monsieur [X] a demandé la confirmation du jugement initial, arguant que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne présentait pas de prétentions valables et que son appel était abusif. Il a également contesté les allégations de blocage des négociations. Décision de la cour d’appelLa cour a confirmé le jugement du tribunal d’Épinal, déclarant irrecevables les demandes de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires concernant l’intransmissibilité de la clause. Elle a également débouté Monsieur [X] de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif. Conséquences financièresLa SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a été condamnée à payer 5000 euros à Monsieur [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel, et a été déboutée de sa propre demande sur ce même fondement. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature de l’obligation de récupération et livraison de la terre végétale selon l’acte de vente ?L’obligation de récupération et livraison de la terre végétale stipulée dans l’acte de vente du 28 décembre 2002 est considérée comme une obligation personnelle, c’est-à-dire qu’elle est attachée à la personne du vendeur et de l’acquéreur, et non au bien lui-même. Selon l’article 1165 du Code civil, « les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Elles ne peuvent déroger à l’ordre public ni aux bonnes mœurs. » Cela signifie que les obligations contractuelles doivent être respectées selon les termes convenus, mais elles peuvent être intransmissibles si cela a été stipulé dans le contrat. Dans ce cas, la clause de récupération de la terre végétale ne peut être imposée à un sous-acquéreur, car elle est liée à l’opération spécifique décrite dans l’acte de vente. Ainsi, la cour a jugé que l’obligation de récupération de la terre végétale ne se transmet pas aux futurs acquéreurs, ce qui renforce l’idée que cette obligation est personnelle et non transmissible. Quelles sont les conséquences de la non-réalisation du projet de construction sur l’obligation de récupération de la terre ?La non-réalisation du projet de construction a des conséquences directes sur l’obligation de récupération de la terre végétale. En effet, l’article 1176 du Code civil stipule que « l’obligation est conditionnelle lorsque son exécution dépend d’un événement futur et incertain. » Dans le cas présent, la clause stipule que la récupération de la terre végétale est conditionnée à la réalisation d’un projet de construction. Puisque ce projet n’a pas été réalisé, cela remet en question la validité de l’obligation de récupération de la terre. Le tribunal a conclu que, dans le silence de l’acte de vente, rien n’empêchait la récupération de la terre végétale, même si le projet de construction n’a pas été mené à bien. Cela signifie que l’obligation de récupération pourrait être considérée comme nulle et sans effet en raison de la défaillance des conditions prévues à l’acte. La clause de récupération de la terre végétale est-elle opposable aux sous-acquéreurs ?La clause de récupération de la terre végétale n’est pas opposable aux sous-acquéreurs, car elle est considérée comme une obligation personnelle. L’article 1165 du Code civil précise que « les conventions ne peuvent déroger à l’ordre public ni aux bonnes mœurs. » Cela implique que les obligations contractuelles doivent être respectées, mais elles ne peuvent pas être imposées à des tiers qui n’ont pas accepté ces obligations. Dans ce cas, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a soutenu que la clause ne pouvait pas être imposée à un sous-acquéreur, car elle est attachée à la personne du vendeur et de l’acquéreur. Le tribunal a donc jugé que la clause de récupération de la terre végétale ne pouvait pas être appliquée à un sous-acquéreur, renforçant ainsi l’idée que cette obligation est intransmissible. Quelles sont les implications de la défaillance des conditions prévues à l’acte de vente ?La défaillance des conditions prévues à l’acte de vente a des implications significatives sur la validité de la clause de récupération de la terre végétale. Selon l’article 1176 du Code civil, « l’obligation est conditionnelle lorsque son exécution dépend d’un événement futur et incertain. » Dans ce cas, la clause stipule que la récupération de la terre végétale dépend de la réalisation de plusieurs conditions, notamment l’achat d’autres parcelles et la réalisation de travaux de construction. Étant donné que ces conditions ne se sont pas réalisées, la cour a jugé que la clause de récupération de la terre végétale est devenue sans effet. Cela signifie que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne peut pas revendiquer cette obligation, car les conditions nécessaires à son application n’ont pas été remplies. Quelles sont les conséquences de la procédure abusive sur les demandes de dommages et intérêts ?La procédure abusive peut avoir des conséquences sur les demandes de dommages et intérêts. Selon l’article 700 du Code de procédure civile, « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Dans ce cas, Monsieur [X] a demandé des dommages et intérêts pour procédure abusive, mais le tribunal a jugé que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires n’avait pas agi de manière abusive. Il a été établi que l’exercice d’une action en justice est un droit, et qu’il ne devient abusif que s’il est prouvé qu’il y a eu malice, mauvaise foi ou erreur grossière. Ainsi, la demande de Monsieur [X] a été rejetée, car il n’a pas démontré en quoi l’appel de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires serait abusif. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 25 NOVEMBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01890 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FHMN
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire d’EPINAL,
R.G.n° 19/02186, en date du 08 juin 2023
APPELANTE :
S.A. L’IMMOBILIERE EUROPÉENNE DES MOUSQUETAIRES, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 13] – [Localité 23]
Représentée par Me Adeline MARCHETTI de la SCP BOURDEAUX-MARCHETTI, avocat au barreau d’EPINAL, avocat postulant
Plaidant par Me Pauline LE GALLO, substituant Me Servanne ROUSTAN, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [F] [X]
né le 06 Novembre 1952 à [Localité 26] (54)
domicilié [Adresse 10] – [Localité 24]
Représenté par Me Alain BÉGEL de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d’EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Septembre 2024, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, chargé du rapport,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2024, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 25 Novembre 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte notarié du 28 décembre 2002, Monsieur [F] [X], agriculteur, a vendu à la société Norminter Est, aux droits de laquelle se trouve la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires, un terrain à bâtir composé de différentes parcelles à [Localité 27] pour le prix de 259163,33 euros.
La société Norminter Est avait fait cette acquisition en vue de la création d’un magasin de commerce à usage de supermarché.
Il est stipulé en page 6 de l’acte une clause de ‘Récupération et livraison de la terre végétale’ rédigée de la façon suivante :
‘Le vendeur aura la possibilité de récupérer la terre végétale, soit une épaisseur entre 15 et 25 cms de la première couche, sur toutes les parcelles acquises par la SNC NORMINTER EST, dans le cadre de l’opération projetée et à venir, c’est à dire, tant sur les parcelles objet des présentes que sur celles devant être acquises concomitamment par la SNC NORMINTER EST et dont la désignation suit : […]
L’acquéreur notifiera au vendeur, par lettre recommandée avec accusé de réception, la date d’enlèvement de la terre végétale, et ce, au moins un mois avant ladite date d’enlèvement, qui se fera en fonction de l’état d’avancement des travaux, la SNC NORMINTER EST s’engageant à adresser un planning des travaux au vendeur.
La livraison se fera aux frais exclusifs de la SNC NORMINTER EST, à l’endroit indiqué par Monsieur [X], et ce, dans un rayon maximal de 5 kms du lieu des travaux, à la condition expresse que l’endroit indiqué soit accessible par les engins et véhicules de transport habituels en la matière, et qu’aucun travail d’aménagement ne soit rendu obligatoire ou nécessaire pour livrer la terre’.
Le projet de construction n’a pas été réalisé sur le terrain acquis.
Par acte signifié le 13 novembre 2019, puis par acte signifié le 4 février 2020, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a fait assigner Monsieur [X] devant le tribunal judiciaire d’Épinal sur le fondement des articles 1134, 1168, 1176 et 1615 anciens du code civil aux fins notamment de :
– constater que la clause de récupération et de livraison de la terre végétale s’analyse en une obligation consentie intuitu personae,
– juger que l’obligation de « Récupération et livraison de la terre végétale » est une obligation non transmissible en cas de cession ou transmission des parcelles,
– juger qu’en conséquence, en cas de cession ou transmission des parcelles situées à [Localité 27] cadastrées section BI n°[Cadastre 25], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], l’obligation consistant en la récupération et la livraison de la terre végétale ne pourra être transmise au futur acquéreur,
À titre subsidiaire :
– constater que la clause de récupération et de livraison de la terre végétale stipulée dans l’acte de vente du 28 décembre 2002 est une obligation conditionnelle,
– juger nulle et sans effet la clause relative à la « Récupération et livraison de la terre végétale » en raison de la défaillance des conditions prévues à l’acte,
En tout état de cause :
– condamner Monsieur [X] en raison de son comportement fautif au paiement de la somme de 50000 euros au titre de dommages et intérêts,
– condamner Monsieur [X] aux dépens et à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 8 juin 2023, le tribunal judiciaire d’Épinal a :
– débouté la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires de l’ensemble de ses demandes,
– condamné la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires à payer à Monsieur [X] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– condamné la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires aux dépens et à payer à Monsieur [X] la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses motifs, le premier juge a indiqué que la validité de la clause litigieuse n’a pas été conditionnée à la réalisation du projet déclaré par l’acquéreur, lequel a unilatéralement et discrétionnairement fait le choix de ne pas procéder à l’implantation de la zone commerciale pour convenances personnelles sur les terrains acquis. Il en a conclu que, dans le silence de l’acte de vente, rien ne s’opposait à la récupération de la terre végétale sur les parcelles cédées dans le cadre de la construction par le sous-acquéreur au bénéfice tant du vendeur que d’un sous-acquéreur.
Concernant la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive, le premier juge a indiqué que le vendeur s’était contractuellement engagé aux conditions librement acceptées et qu’il avait ensuite fait le choix unilatéral et discrétionnaire de ne pas procéder à l’implantation de la zone commerciale sur le terrain à bâtir acquis, pour finalement réaliser cette implantation en un autre lieu. Il a considéré que cette procédure initiée par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne visait qu’à contourner ses engagements contractuels et qu’elle était manifestement abusive.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 28 août 2023, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 10 juin 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires demande à la cour, sur le fondement des articles 1134, 1168, 1176 et 1615 anciens du code civil, de :
– la juger recevable en son appel,
– la recevoir et la dire bien fondée en ses demandes,
– juger irrecevable autant que mal fondé Monsieur [X] en toutes ses demandes,
En conséquence :
– réformer le jugement prononcé par le tribunal judiciaire d’Épinal le 8 juin 2023 en ce qu’il l’a :
o déboutée de l’ensemble de ses demandes,
o condamnée à payer à Monsieur [X] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts,
o condamnée aux dépens et à payer à Monsieur [X] la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
En conséquence, statuant à nouveau :
À titre principal :
– juger que l’obligation de « Récupération et livraison de la terre végétale » insérée à l’acte de vente du 28 décembre 2002 est une obligation non transmissible en cas de cession ou transmission des parcelles,
– juger qu’en conséquence, en cas de cession ou transmission des parcelles situées à [Localité 27] cadastrées section BI n°[Cadastre 25], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], l’obligation consistant en la récupération et la livraison de la terre végétale n’est pas transmissible aux successifs du demandeur,
À titre subsidiaire :
– juger sans effet la clause relative à la « Récupération et livraison de la terre végétale » insérée au contrat de vente du 28 décembre 2002 en raison de la défaillance des conditions prévues à l’acte,
En tout état de cause :
– condamner Monsieur [X] en raison de son comportement fautif au paiement de la somme de 50000 euros au titre de dommages et intérêts,
– condamner Monsieur [X] à lui payer la somme de 10000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Monsieur [X] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Adeline Marchetti – SCP Bourdeaux-Marchetti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de son recours, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires fait valoir à titre principal que la stipulation litigieuse est inopposable au sous-acquéreur, dès lors qu’il ressort de la rédaction de la clause que la faculté de récupération de la terre végétale n’est pas attachée au fonds, mais à la personne du vendeur et de l’acquéreur, ainsi qu’à l’opération décrite à l’acte. Elle en déduit qu’il s’agit d’une obligation personnelle intransmissible qui s’inscrivait dans le cadre de l’opération spécifiquement décrite à l’acte de vente, le jugement ne précisant pas comment cette stipulation très spécifique pourrait être concrètement appliquée par un sous-acquéreur.
Elle ajoute qu’en application des dispositions de l’article 1165 du code civil, les termes et conditions de la clause litigieuse ne peuvent pas être imposés à un tiers ne les ayant pas acceptés expressément.
À titre subsidiaire, elle affirme que cette clause ne peut produire effet car sa réalisation dépendait de trois conditions cumulatives, l’achat par la société Norminter Est d’autres parcelles, la réalisation de travaux de construction d’un magasin, ainsi que la livraison des terres dans un endroit accessible.
Elle fait valoir qu’il s’agit d’une obligation de faire conditionnelle et que les trois événements ne se sont pas réalisés, l’autorisation de la commission départementale d’équipement commercial obtenue le 1er juillet 2002 étant périmée et aucune demande de permis de construire n’ayant été déposée dans le délai imparti de deux ans. Elle explique que l’opération envisagée de création d’un magasin n’a pas abouti, que les parcelles visées par la clause ne lui appartiennent pas et que la défaillance de la condition est acquise.
En réplique, concernant l’existence de prétentions et son intérêt à agir, la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires rétorque qu’une prétention ne se définit pas par sa forme, mais par son objet qui tend à l’obtention d’un avantage mettant fin à une contestation.
Elle affirme que sa demande principale tend à ce que le caractère incessible de la clause soit reconnu pour mettre fin à une contestation née de l’impossibilité de trouver une solution amiable avec Monsieur [X], sa prétention subsidiaire tendant à ce que la clause soit reconnue de nul effet en raison de la défaillance d’une condition.
Elle conteste solliciter une interprétation de la clause, qui est claire et précise.
Elle prétend que la contestation existe déjà, puisqu’elle est empêchée de vendre son terrain en raison du comportement de Monsieur [X] s’étant opposé à tout accord amiable.
Elle souligne que Monsieur [X] ne tire aucune conséquence de ses affirmations puisqu’il ne présente aucune prétention dans le dispositif de ses dernières conclusions concernant l’absence alléguée de prétentions, ainsi que leur irrecevabilité. Elle en déduit qu’il ne s’agit que de moyens ne venant à l’appui d’aucune prétention et que le jugement ne s’est d’ailleurs pas prononcé sur ces allégations déjà soulevées en première instance.
S’agissant de son intérêt à agir, elle soutient qu’il est personnel et direct puisque, s’il était fait droit à ses demandes, cela lui permettrait de conclure la vente avec l’acquéreur de son choix.
Elle ajoute qu’il est juridique et légitime puisqu’il tend à ce qu’il soit jugé que Monsieur [X] ne peut pas se prévaloir de la clause litigieuse en raison de son intransmissibilité ou à titre subsidiaire du fait de la défaillance de la condition et qu’il ne s’agit nullement d’interroger la juridiction sur l’interprétation de la clause.
Elle affirme enfin que cet intérêt à agir est né et actuel puisque des négociations et discussions ont été engagées, que ces pourparlers n’ont pas abouti et qu’elle est empêchée de céder son bien à l’acquéreur de son choix.
Elle en déduit qu’il ne s’agit pas pour elle de prévenir un litige et elle souligne qu’elle demande par ailleurs l’indemnisation du préjudice qu’elle subit.
Concernant l’indemnisation de son préjudice, elle affirme que le comportement de Monsieur [X] expose son acquéreur à une revendication infondée et préjudiciable, qu’elle a été contrainte d’interrompre les pourparlers engagés avec la communauté de communes de l’ouest vosgien, que Monsieur [X] est à l’origine de la situation de blocage des négociations entamées pour trouver une solution amiable et qu’elle est dans l’impossibilité de commercialiser les parcelles acquises à leur juste valeur.
S’agissant de la demande de Monsieur [X] de dommages et intérêts pour procédure abusive, elle expose qu’elle était libre de disposer des terrains acquis sans que cela caractérise un comportement fautif de sa part, qu’elle ne s’était pas engagée à réaliser le projet de construction et que le tribunal a dénaturé le contrat en affirmant que son action visait à contourner ses engagements contractuels.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 15 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [X] demande à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
– condamner la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires à lui verser les sommes de :
– 10000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,
– 10000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires aux dépens d’appel.
Monsieur [X] fait valoir que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne présente pas de prétentions et ne fait que demander à la cour de donner son interprétation concernant une clause pour connaître ses obligations dans une hypothèse qui ne s’est pas encore produite. Il souligne que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne demande pas la nullité de cette clause.
Il rétorque que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne démontre pas qu’il s’est opposé à une solution amiable puisque le courrier qui lui a été adressé affirme que la clause litigieuse n’est pas valable, qu’elle ne peut pas être appliquée et qu’il ne lui est rien demandé.
Il en conclut qu’à l’exception des demandes de condamnation financière, la cour n’est saisie d’aucune prétention.
Concernant l’absence d’intérêt à agir, il fait valoir que l’exigence d’un intérêt né et actuel exclut les actions préventives visant à obtenir une décision sur l’existence d’une situation juridique non contestée, mais susceptible de l’être. Il affirme que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires veut éviter un procès susceptible d’être éventuellement engagé.
Concernant sa demande de confirmation du jugement ayant rejeté les demandes de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires, Monsieur [X] fait valoir que cette dernière ne rapporte pas la preuve de ses assertions relatives à ses tentatives de résolution amiable, à son intention de nuire, et il ajoute qu’elle ne démontre pas son impossibilité de commercialiser le terrain. Il soutient que si les parcelles acquises n’ont pas servi à la réalisation du projet, c’est parce que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires l’a décidé.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 30 juillet 2024.
L’audience de plaidoirie a été fixée au 23 septembre 2024 et le délibéré au 25 novembre 2024.
SUR LES DEMANDES PRINCIPALES
Concernant l’existence de prétentions présentées par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires et l’intérêt à agir de cette dernière
Monsieur [X] soutient que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne présente pas de prétentions, à l’exception des demandes de condamnation financière. Il ajoute que l’exigence d’un intérêt à agir né et actuel exclut les actions préventives.
La SA Immobilière Européenne des Mousquetaires fait valoir que Monsieur [X] ne présente aucune prétention dans le dispositif de ses dernières conclusions concernant l’absence alléguée de prétentions, ainsi que leur irrecevabilité. Elle en déduit qu’il ne s’agit que de moyens.
Il est exact que Monsieur [X] ne formule pas de demande à ce titre dans le dispositif de ses conclusions. Cependant, la cour ne peut statuer que sur des prétentions et il lui appartient en tout état de cause de vérifier l’existence de ces dernières dans les conclusions de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires.
Par ailleurs, le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, étant ajouté qu’en l’espèce, les deux parties se sont exprimées à ce sujet dans le cadre d’un débat contradictoire.
En conséquence, il convient tout d’abord de déterminer si la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires présente bien des prétentions et, dans l’affirmative, de statuer sur son intérêt à agir.
Contrairement à ce que soutient Monsieur [X], la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne se contente pas de demander à la cour d’interpréter la clause litigieuse, puisqu’elle lui demande de juger qu’en cas de cession, l’obligation attachée à cette clause n’est pas transmise aux acquéreurs et, à titre subsidiaire, de juger que cette clause est désormais sans effet en raison de la défaillance des conditions prévues à l’acte. Il s’agit donc en réalité d’une demande de rejet anticipé de l’éventuelle prétention qui pourrait être présentée par Monsieur [X] tendant à ce que le sous-acquéreur soit tenu de respecter les obligations prévues dans la clause litigieuse.
Il reste à déterminer si ces prétentions sont recevables et, en particulier, si la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires dispose d’un intérêt à agir.
La SA Immobilière Européenne des Mousquetaires soutient disposer d’un intérêt à agir né et actuel puisque des pourparlers n’ont pas abouti et qu’elle est empêchée de céder son bien en raison du comportement de Monsieur [X] s’étant opposé à tout accord amiable.
Cependant, Monsieur [X] rétorque à bon droit que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne démontre pas qu’il s’est opposé à une solution amiable.
Ainsi cette dernière produit en pièce n° 5 un courrier recommandé en date du 24 janvier 2018 que son avocat a envoyé à Monsieur [X]. Il lui est indiqué que, à supposer que la stipulation litigieuse soit valable, elle ne peut pas recevoir application et que les terrains ne doivent faire l’objet d’aucune revendication au titre d’un droit d’occupation quelconque. En d’autres termes, il n’est pas demandé à Monsieur [X] de prendre position et il n’est produit aucun courrier que ce dernier aurait adressé en réponse.
La SA Immobilière Européenne des Mousquetaires communique par ailleurs en pièce n° 7 un projet de compromis de vente entre elle-même, vendeur, et la communauté de communes de l’ouest vosgien, acquéreur, dans lequel est mentionnée en page 6 une renonciation de Monsieur [X] à la condition particulière lui bénéficiant moyennant une indemnité de 30000 euros, ce dernier devant supporter la charge du coût du transport de la terre végétale, l’intervention de Monsieur [X] à l’acte étant en outre prévue en page 11.
Force est de constater que ces deux pièces ne démontrent nullement une quelconque opposition manifestée par Monsieur [X] à la cession du bien par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires, ni une revendication liée à la clause litigieuse.
Il en résulte que les demandes de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires, tendant à ce qu’il soit jugé que l’obligation résultant de la clause litigieuse n’est pas transmise au sous-acquéreur et subsidiairement qu’elle est devenue sans effet en raison d’une défaillance des conditions, sont purement déclaratoires puisque la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne justifie pas d’un intérêt né et actuel à agir.
En conséquence, ces prétentions seront déclarées irrecevables et le jugement sera infirmé en ce qu’il les a rejetées.
Sur la condamnation à indemnisation de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires
Bien que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires demande à la cour de réformer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à Monsieur [X] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts, elle ne présente ensuite aucune prétention à ce sujet dans le dispositif de ses conclusions. En particulier, elle ne sollicite pas le rejet de cette prétention de Monsieur [X], ni la diminution de la somme allouée.
Monsieur [X] ne faisant que solliciter la confirmation du jugement, il n’y a pas lieu de statuer à ce sujet.
Sur la demande d’indemnisation présentée par la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires
La SA Immobilière Européenne des Mousquetaires sollicite la condamnation de Monsieur [X] à lui payer la somme de 50000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle affirme que le comportement de Monsieur [X] expose son acquéreur à une revendication infondée et préjudiciable, qu’elle a été contrainte d’interrompre les pourparlers engagés avec la communauté de communes de l’ouest vosgien, que Monsieur [X] est à l’origine de la situation de blocage des négociations entamées pour trouver une solution amiable et qu’elle est dans l’impossibilité de commercialiser les parcelles acquises à leur juste valeur.
Cependant, il résulte des développements qui précèdent que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires ne démontre nullement que Monsieur [X] serait à l’origine de la rupture des pourparlers engagés avec la communauté de communes de l’ouest vosgien, et moins encore qu’il aurait commis une faute quelconque à ce sujet.
Elle sera donc déboutée de sa demande d’indemnisation et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif présentée par Monsieur [X]
L’exercice d’une action en justice ou d’une voie de recours constitue un droit et ne dégénère en abus qu’en cas de malice, de mauvaise foi, ou d’erreur grossière équipollente au dol.
En l’espèce, Monsieur [X] n’explique nullement en quoi l’appel de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires serait abusif.
Il sera donc débouté de cette demande.
SUR LES DÉPENS ET L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Bien que la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires demande à la cour de réformer le jugement en ce qu’il l’a condamnée aux dépens et à payer à Monsieur [X] la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, elle ne présente ensuite aucune prétention à ce sujet dans le dispositif de ses conclusions. En particulier, elle ne sollicite ni la condamnation de Monsieur [X] aux dépens de première instance, ni le rejet de la demande de ce dernier au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance, ni la diminution de la somme allouée.
Monsieur [X] ne faisant que solliciter la confirmation du jugement, il n’y a pas lieu de statuer sur ces chefs de jugement.
La SA Immobilière Européenne des Mousquetaires succombant dans ses prétentions devant la cour, elle sera condamnée aux dépens d’appel, à payer à Monsieur [X] la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel et elle sera déboutée de sa propre demande présentée sur ce même fondement.
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Épinal le 8 juin 2023 en ses chefs de décision contestés, sauf en ce qu’il a débouté la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires de ses demandes tendant à ce qu’il soit jugé que l’obligation de « Récupération et livraison de la terre végétale » insérée à l’acte de vente du 28 décembre 2002 est une obligation non transmissible en cas de cession ou transmission des parcelles et subsidiairement une clause sans effet en raison de la défaillance des conditions prévues à l’acte ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Déclare irrecevables les demandes de la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires tendant :
À titre principal :
– à ce qu’il soit jugé que l’obligation de « Récupération et livraison de la terre végétale » insérée à l’acte de vente du 28 décembre 2002 est une obligation non transmissible en cas de cession ou transmission des parcelles,
– à ce qu’il soit jugé qu’en conséquence, en cas de cession ou transmission des parcelles situées à [Localité 27] cadastrées section BI n°[Cadastre 25], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], l’obligation consistant en la récupération et la livraison de la terre végétale n’est pas transmissible ‘aux successifs du demandeur’,
À titre subsidiaire :
– à ce que soit jugée sans effet la clause relative à la « Récupération et livraison de la terre végétale » insérée au contrat de vente du 28 décembre 2002 en raison de la défaillance des conditions prévues à l’acte ;
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [F] [X] de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires à payer à Monsieur [F] [X] la somme de 5000 euros (CINQ MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Déboute la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA Immobilière Européenne des Mousquetaires aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en dix pages.
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