Sévère revers pour l’une des plus importantes sociétés de production et de distribution cinématographique allemande (Constantin Film Verleih) dans le litige l’opposant à Youtube. Depuis plusieurs années, ses œuvres (« Parker », « Scary Movie 5 » …) sont uploadées sur YouTube. Afin d’obtenir la communication des adresses IP des contrefacteurs, la société a saisi les juridictions qui, elles-mêmes, ont saisi la CJUE. Cette dernière a jugé que la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle ne vise que la communication de l’adresse physique des internautes. Plus encore, la notion d’« adresses » n’inclut pas non plus les adresses courriel, les numéros de téléphone et les adresses IP des personnes. La directive, n’oblige donc pas les autorités judiciaires à ordonner à l’exploitant de la plateforme vidéo de fournir l’adresse courriel, l’adresse IP ou le numéro de téléphone de l’utilisateur ayant téléversé un film. La directive, qui prévoit la fourniture des « adresses » des personnes ayant porté atteinte à un droit de propriété intellectuelle, vise uniquement l’adresse postale. Ouverture d‘un compte YoutubeL’ouverture d’un compte Youtube ne requiert, de la part des utilisateurs, que l’indication d’un nom, d’une adresse courriel et d’une date de naissance. Ces données ne sont habituellement pas vérifiées et l’adresse postale de l’utilisateur n’est pas demandée. Cependant, pour pouvoir publier sur la plateforme YouTube des vidéos d’une durée supérieure à 15 minutes, l’utilisateur doit renseigner un numéro de téléphone mobile pour lui permettre de recevoir un code d’activation, qui est nécessaire pour effectuer une telle publication. Par ailleurs, selon les conditions générales d’utilisation et de protection des données communes de YouTube et de Google, les utilisateurs de la plateforme YouTube autorisent le stockage des journaux de serveur, y compris l’adresse IP, la date et l’heure d’utilisation et les différentes requêtes ainsi que l’utilisation à l’échelle du groupe de ces données. Ces informations supplémentaires portent, d’une part, sur les adresses courriel et les numéros de téléphone mobile ainsi que les adresses IP qui ont été utilisées par les utilisateurs en cause pour le téléversement des fichiers, avec le moment exact de ce téléversement indiquant la date et l’heure, y compris les minutes, les secondes et le fuseau horaire, soit le moment du téléversement, et, d’autre part, sur l’adresse IP utilisée en dernier lieu par ces utilisateurs pour accéder à leur compte Google en vue d’accéder à la plateforme YouTube, également avec le moment exact de l’accès indiquant la date et l’heure, y compris les minutes, les secondes et le fuseau horaire, soit le moment de l’accès. L’adresse, une notion restrictiveLa directive 2004/48 ne définissant pas cette notion, la détermination de la signification et de la portée de celle-ci a été établie conformément à son sens habituel dans le langage courant. S’agissant, en premier lieu, du sens habituel du terme « adresse », dans le langage courant, celui-ci ne vise que l’adresse postale, c’est-à-dire le lieu de domicile ou de résidence d’une personne déterminée. Il s’ensuit que ce terme, lorsqu’il est utilisé sans autre précision, ne vise pas l’adresse courriel, le numéro de téléphone ou l’adresse IP. En deuxième lieu, les travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de la directive 2004/48 ne comportent aucun indice de nature à suggérer que le terme « adresse » devrait être compris comme visant non seulement l’adresse postale, mais également l’adresse courriel, le numéro de téléphone ou l’adresse IP des personnes visées. En troisième lieu, le contexte dans lequel la notion en cause est utilisée corrobore une telle interprétation. En effet, l’examen d’autres actes de droit de l’Union visant l’adresse courriel ou l’adresse IP fait apparaître qu’aucun de ceux-ci n’utilise le terme « adresse », sans autre précision, pour désigner le numéro de téléphone, l’adresse IP ou l’adresse courriel. En quatrième lieu, une interprétation stricte est conforme à la finalité poursuivie par la directive 2004/48, compte tenu de l’objectif général de ladite directive. À cet égard, il est vrai que le droit d’information vise à rendre applicable et à concrétiser le droit fondamental à un recours effectif garanti à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et à assurer de la sorte l’exercice effectif du droit fondamental de propriété, dont fait partie le droit de propriété intellectuelle en permettant au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle d’identifier la personne qui porte atteinte à ce dernier et de prendre les mesures nécessaires afin de protéger ce droit. Toutefois, lors de l’adoption de la directive 2004/48, le législateur de l’Union a choisi de procéder à une harmonisation minimale concernant le respect des droits de propriété intellectuelle en général. Ainsi, cette harmonisation est limitée à des éléments d’information bien circonscrits. Par ailleurs, la directive 2004/48 a pour objet d’établir un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt des titulaires à la protection de leur droit de propriété intellectuelle, consacrée par la charte des droits fondamentaux, et, d’autre part, la protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés ainsi que de l’intérêt général. Il s’agit de concilier le respect de différents droits, notamment le droit d’information des titulaires et le droit à la protection des données à caractère personnel des utilisateurs. Quid du droit français?C’est acquis, l’adresse IP est une donnée nominative. Une communication d’adresse IP devra être soumise au juge judiciaire qui devra opérer son contrôle de proportionnalité. La LCEN (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004) prévoit bien l’obligation pour les hébergeurs de conserver les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires. Le juge judiciaire peut en ordonner communication aux titulaires de droits. La liste de ces données (fixée par le décret n° 2011-219 du 25 février 2011) est la suivante : a) L’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; Pour les créations d’un compte : a) Au moment de la création du compte, l’identifiant de cette connexion ; Le passage par le juge judiciaire reste donc un impératif. A noter aussi l’existence de deux barrières de procédure: Par une ordonnance de référé du 2 août 2019, la société Orange a fait valoir avec succès que la communication d’une adresse IP ne peut être légalement admissible que si la collecte des adresses IP des contrefacteurs présumés a été elle-même effectuée légalement. Le titulaire de droits doit verser aux débats des éléments tangibles permettant de s’assurer de la légalité du traitement de données personnelles des adresses IP qu’il a pu collecter. Plus encore, il doit justifier de la légalité du traitement mis en œuvre pour collecter ces adresses IP. En second lieu, les informations permettant l’identification d’un utilisateur ne peuvent être conservées par un opérateur de communication électronique plus d’un an après leur enregistrement, et ce, seulement pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ou d’un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle ou encore pour les besoins de la prévention des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données prévues et réprimées par les articles 323-1 à 323-3-1 du code pénal. Une mesure de conservation ordonnée par le juge des requêtes pourrait aussi être contestable en ce qu’elle autoriserait une conservation des données supérieure à la durée légale d’un an. Télécharger la décision |
→ Questions / Réponses juridiques
Quel est le litige entre Constantin Film Verleih et YouTube ?Le litige oppose Constantin Film Verleih, une société de production et de distribution cinématographique allemande, à YouTube concernant la diffusion non autorisée de ses œuvres, telles que « Parker » et « Scary Movie 5 ». Depuis plusieurs années, ces films sont uploadés sur la plateforme YouTube sans l’autorisation de la société. Pour obtenir les adresses IP des utilisateurs ayant téléversé ces contenus, Constantin Film a saisi les juridictions compétentes, qui ont ensuite référé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La CJUE a statué que la directive 2004/48, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, ne permet pas la communication des adresses IP, mais uniquement des adresses postales. Cela signifie que les autorités judiciaires ne peuvent pas exiger d’YouTube qu’elle fournisse des informations telles que les adresses courriel ou les numéros de téléphone des utilisateurs. Quelles sont les exigences pour ouvrir un compte YouTube ?Pour ouvrir un compte YouTube, les utilisateurs doivent fournir un nom, une adresse courriel et une date de naissance. Ces informations ne sont généralement pas vérifiées, et l’adresse postale n’est pas requise. Cependant, pour publier des vidéos de plus de 15 minutes, un numéro de téléphone mobile est nécessaire pour recevoir un code d’activation. Les conditions d’utilisation de YouTube stipulent également que les utilisateurs acceptent le stockage de certaines données, y compris l’adresse IP, la date et l’heure d’utilisation, ainsi que les requêtes effectuées sur la plateforme. Ces données permettent à YouTube de suivre les activités des utilisateurs, notamment le moment exact du téléversement et de l’accès à leur compte Google, ce qui peut être déterminant dans le cadre de litiges liés à la propriété intellectuelle. Comment la directive 2004/48 définit-elle la notion d’adresse ?La directive 2004/48 ne définit pas explicitement la notion d’adresse, mais son interprétation repose sur le sens habituel du terme dans le langage courant. Dans ce contexte, le terme « adresse » se réfère uniquement à l’adresse postale, c’est-à-dire le lieu de résidence d’une personne. Les travaux préparatoires de la directive ne suggèrent pas que le terme « adresse » inclut d’autres formes de contact, telles que les adresses courriel, les numéros de téléphone ou les adresses IP. De plus, l’examen d’autres textes de l’Union européenne montre que le terme « adresse » n’est pas utilisé pour désigner ces autres types de données. Une interprétation stricte de la directive est également conforme à son objectif, qui est de protéger les droits de propriété intellectuelle tout en respectant les droits des utilisateurs. Quel est le cadre juridique français concernant les adresses IP ?En France, l’adresse IP est considérée comme une donnée nominative. Par conséquent, toute demande de communication d’adresse IP doit être soumise à un juge judiciaire, qui effectuera un contrôle de proportionnalité. La loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) impose aux hébergeurs de conserver les données permettant d’identifier les contributeurs de contenu. Le juge peut ordonner la communication de ces données aux titulaires de droits. Les données à conserver incluent l’identifiant de connexion, les types de protocoles utilisés, ainsi que les dates et heures des opérations. Pour la création d’un compte, des informations supplémentaires comme le nom, l’adresse postale et l’adresse courriel doivent également être conservées. Quelles sont les conditions de conservation des données en France ?En France, les informations permettant d’identifier un utilisateur ne peuvent être conservées par un opérateur de communication électronique que pour une durée maximale d’un an après leur enregistrement. Cette conservation est limitée aux besoins de recherche et de poursuite des infractions pénales. De plus, toute mesure de conservation ordonnée par un juge doit respecter cette durée légale d’un an. Si un juge des requêtes ordonne une conservation plus longue, cela pourrait être contesté, car cela irait à l’encontre des dispositions légales en vigueur. Ainsi, le cadre juridique français impose des restrictions strictes sur la conservation et la communication des données personnelles, y compris les adresses IP, afin de protéger les droits des utilisateurs tout en permettant aux titulaires de droits d’exercer leurs recours. |
Laisser un commentaire