Suspension des obligations locatives en période de crise sanitaire : enjeux et conséquences

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Suspension des obligations locatives en période de crise sanitaire : enjeux et conséquences

L’Essentiel : La S.A. TERREÏS a conclu un bail commercial avec la S.A.R.L. AGENCE ERI pour des bureaux de 215 m², d’une durée de douze ans. En mars 2020, la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a demandé la suspension des loyers en raison de la crise sanitaire, mais la S.A.S. IMODAM, représentant le bailleur, a refusé. Après un commandement de payer pour un arriéré de 29.674,55 euros, le juge des référés a rejeté les demandes de la locataire. Le tribunal a finalement condamné la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION à payer 62.578,03 euros pour l’arriéré locatif, tout en déboutant ses demandes.

Contexte du litige

La S.A. TERREÏS a conclu un bail commercial avec la S.A.R.L. AGENCE ERI, pour des bureaux d’une surface d’environ 215 m², pour une durée de douze ans à compter du 1er juillet 2015. Le loyer annuel initial était fixé à 92.000 euros, avec des charges supplémentaires. En mars 2020, la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a demandé la suspension du paiement des loyers en raison des restrictions liées à la crise sanitaire.

Demandes de suspension et refus du bailleur

La S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a sollicité une franchise de loyers et une mensualisation des paiements, mais la S.A.S. IMODAM, représentant le bailleur, a refusé ces demandes. Un commandement de payer a été signifié le 22 juin 2020 pour un arriéré locatif de 29.674,55 euros, entraînant une assignation de la locataire devant le juge des référés.

Décisions judiciaires et médiation

Le juge des référés a rejeté les demandes de la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION et a ordonné aux parties de rencontrer un médiateur. La locataire a ensuite notifié son congé pour le 2 juillet 2021 et a libéré les locaux. La S.A. TERREÏS a alors assigné la locataire pour obtenir le paiement de l’arriéré locatif.

Saisie conservatoire et jugement

La S.A. TERREÏS a procédé à une saisie conservatoire de créances sur le compte de la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION, qui a été annulée par le juge de l’exécution. Les deux parties ont continué à se contester sur les paiements dus et les conditions du bail.

Arguments des parties

La S.A. TERREÏS a demandé la reconnaissance de la clause résolutoire et le paiement des loyers dus, tandis que la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a contesté la validité de la clause résolutoire, invoquant des mesures de protection liées à la crise sanitaire et des manquements du bailleur.

Décision du tribunal

Le tribunal a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 23 août 2020, condamnant la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION à payer 62.578,03 euros pour l’arriéré locatif. La demande de conservation du dépôt de garantie par la S.A. TERREÏS a été rejetée, et certaines stipulations de la clause d’échelle mobile ont été déclarées non écrites.

Conclusion

Le tribunal a statué en faveur de la S.A. TERREÏS pour le paiement des arriérés, tout en déboutant la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION de ses demandes de remboursement et de compensation. Les frais de justice ont été mis à la charge de la locataire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions d’application de la clause résolutoire dans le cadre d’un bail commercial ?

La clause résolutoire dans un bail commercial est régie par l’article L. 145-41 du Code de commerce, qui stipule que :

« **Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.** »

Cela signifie que pour qu’une clause résolutoire soit applicable, le bailleur doit signifier un commandement de payer au locataire, et ce commandement doit mentionner un délai d’un mois pour que le locataire puisse s’acquitter de sa dette. Si le locataire ne paie pas dans ce délai, la clause résolutoire peut être considérée comme acquise.

En l’espèce, le commandement de payer a été délivré le 22 juin 2020, et la société EDITION REGIE IMPRESSION n’a pas contesté le fait qu’elle n’avait pas réglé la somme due dans le délai imparti. Ainsi, la clause résolutoire a été considérée comme acquise à la date du 23 août 2020.

La crise sanitaire peut-elle exonérer le locataire de son obligation de paiement des loyers ?

La société EDITION REGIE IMPRESSION a tenté d’invoquer la force majeure pour justifier son non-paiement des loyers en raison de la crise sanitaire. Cependant, selon l’article 1218 du Code civil, qui traite de la force majeure, il est précisé que :

« **Il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé.** »

Il est important de noter que la jurisprudence a établi que le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent ne peut pas s’exonérer de son obligation en invoquant la force majeure. En d’autres termes, même si la crise sanitaire a pu affecter l’activité de la société, cela ne l’exonère pas de son obligation de payer les loyers.

De plus, les mesures de confinement et les restrictions imposées par l’État ne constituent pas une destruction ou une perte de la chose louée, au sens des articles 1722 et 1741 du Code civil, qui stipulent respectivement que :

« **Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit.** »

Ainsi, la société EDITION REGIE IMPRESSION n’a pas pu justifier son non-paiement des loyers en raison de la crise sanitaire.

Quelles sont les conséquences de la résiliation du bail commercial sur le paiement des loyers dus ?

La résiliation d’un bail commercial entraîne des conséquences sur les obligations des parties, notamment en ce qui concerne le paiement des loyers dus. Selon l’article 1728 du Code civil :

« **Le paiement du prix du bail aux termes convenus constitue l’une des deux obligations principales du preneur.** »

Cela signifie que le locataire est tenu de payer le loyer jusqu’à la résiliation effective du bail. Dans le cas présent, la société TERREÏS a demandé le paiement d’un arriéré locatif de 62.578,03 euros, correspondant aux loyers dus jusqu’à la libération des locaux.

Le tribunal a constaté que la société EDITION REGIE IMPRESSION n’avait pas justifié d’un règlement de la créance de la société TERREÏS, et a donc condamné la société EDITION REGIE IMPRESSION à verser cette somme au bailleur.

En conséquence, même après la résiliation du bail, le locataire reste redevable des loyers dus jusqu’à la date de libération des locaux, ce qui a été confirmé par la décision du tribunal.

Comment la clause d’indexation des loyers est-elle régie par le Code de commerce ?

La clause d’indexation des loyers est encadrée par l’article L. 145-39 du Code de commerce, qui stipule que :

« **En outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.** »

Cette disposition vise à garantir que les variations de loyer soient justes et équilibrées, permettant ainsi aux parties de bénéficier d’une révision du loyer en fonction de l’évolution des indices économiques.

Dans le cas présent, la société EDITION REGIE IMPRESSION a contesté la clause d’indexation, arguant qu’elle ne permettait que des augmentations de loyer et non des diminutions. Le tribunal a jugé que la stipulation interdisant une baisse du loyer était contraire aux dispositions d’ordre public et a déclaré cette partie de la clause non écrite, tout en maintenant le reste de la clause d’indexation.

Ainsi, la clause d’indexation doit respecter les principes de réciprocité et d’équité, et toute stipulation qui y contrevient peut être déclarée non écrite.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C. + C.C.C.F.E.
délivrées le :
à Me GUIZARD (L0020)
C.C.C.
délivrée le :
à Me FERTOUT (E1770)

18° chambre
2ème section

N° RG 21/06387
N° Portalis 352J-W-B7F-CUMGK

N° MINUTE : 3

Assignation du :
06 Mai 2021

JUGEMENT
rendu le 16 Janvier 2025
DEMANDERESSE

S.A.S. TERREÏS (RCS de PARIS n°431 413 673)
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Aude GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #L0020

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. AGENCE ERI (RCS de NANTERRE 400 122 859)
[Adresse 1]
[Localité 6]

représentée par Me David FERTOUT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1770

Décision du 16 Janvier 2025
18° chambre 2ème section
N° RG 21/06387 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUMGK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Sabine FORESTIER, Vice-présidente, Lucie FONTANELLA, Vice-présidente, Maïa ESCRIVE, Vice-présidente, assistées de Alice LEFAUCONNIER, Greffière, lors des débats et de Paulin MAGIS, Greffier, lors de la mise à disposition au greffe.

DÉBATS

A l’audience du 17 Octobre 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2025.

JUGEMENT

Rendu publiquement
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 3 juillet 2015, la S.A. TERREÏS représentée par son mandataire, la S.A.S. IMODAM, a donné à bail commercial à la S.A.R.L. AGENCE ERI (ci-après désignée par son nom commercial « EDITION REGIE IMPRESSION »), qui a pour activité la régie publicitaire de médias, des locaux à usage exclusif de bureaux situés [Adresse 2] / [Adresse 3] à [Localité 7] et désignés ainsi :

“Un ensemble de bureaux situés au 3ème étage de l’immeuble, d’une surface d’environ 215 m² quote-part partie[s] communes incluses représentant le lot n°1133 et 1134 corrrespondant à 62/980ème[s] tantièmes (…)”.

Ce bail a été conclu pour une durée de douze années à compter du 1er juillet 2015 reporté au 3 juillet 2015 suivant un avenant en date du 11 septembre 2015, pour se terminer le 2 juillet 2027, moyennant le versement d’un loyer annuel initial de 92.000 euros hors charges et hors taxes, payable trimestriellement d’avance, outre une provision sur charges trimestrielle de 1.238 euros.

Par courrier en date du 26 mars 2020, la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION, arguant d’une situation imprévisible, irrésistible et extérieure tenant au confinement strict de la population ordonné dans le cadre de la crise sanitaire empêchant une exploitation des locaux pris à bail conformément à leur destination, a sollicité auprès du bailleur la suspension du paiement du loyer et des charges dus pour le trimestre suivant et une franchise totale des loyers et des charges pour la période comprise entre le 16 mars 2020 et l’autorisation par le gouvernement du déconfinement ainsi que par la suite, une mensualisation du paiement des loyers et des charges.

Par courrier en réponse en date du 2 avril 2020, la S.A.S. IMODAM en qualité de mandataire du bailleur, la S.A. TERREÏS, a indiqué ne pas pouvoir accepter ni une suspension du paiement des loyers et des charges ni une franchise de ceux-ci, proposant une mensualisation pour le paiement de l’échéance du 2ème trimestre 2020.

Par acte extrajudiciaire en date du 22 juin 2020, la société TERREÏS a signifié à la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION un commandement de payer portant sur la somme en principal de 29.674,55 euros au titre d’un arriéré locatif arrêté au 19 juin 2020, outre le coût de l’acte et visant la clause résolutoire insérée au bail.

Par courrier électronique en date du 2 juillet 2020, la S.A.S. IMODAM en qualité de mandataire du bailleur, la S.A. TERREÏS, a indiqué qu’une annulation de deux mois de loyers n’était pas envisageable et a proposé un report du paiement de l’échéance du 2ème trimestre 2020 de 6 mois avec un remboursement mensuel du 1er juillet au 1er décembre 2020.

La S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a, par acte délivré le 21 juillet 2020, fait assigner la S.A. TERREÏS devant le juge des référés de ce tribunal en opposition au commandement susvisé.

Par ordonnance en date du 8 février 2021, le juge des référés a :
– dit n’y avoir lieu à référé sur la validité du commandement de payer du 22 juin 2020, la demande d’acquisition de la clause résolutoire formée par la société TERREÏS, la demande de provision formée par la société TERREÏS et la demande visant à constater la nullité de la clause d’échelle mobile et les demandes subséquentes formées par la société EDITION REGIE IMPRESSION ;
– donné injonction aux parties de rencontrer un médiateur, Madame [X] [R], aux fins d’information sur l’objet et le déroulement d’une médiation ;
– débouté la société EDITION REGIE IMPRESSION et la société TERREÏS de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société EDITION REGIE IMPRESSION aux dépens de l’instance.

Par acte extrajudiciaire en date du 23 décembre 2020, la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a notifié au bailleur son congé des lieux loués pour le 2 juillet 2021 et a libéré les locaux à cette date.

Par acte délivré le 6 mai 2021, la S.A. TERREÏS a fait assigner la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION devant ce tribunal en acquisition de la clause résolutoire et en paiement d’un arriéré locatif.

Elle a, par ailleurs, le 29 juin 2021, procédé à une saisie conservatoire de créances à hauteur de 84.560,16 euros sur le compte bancaire de la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION ouvert auprès de la BANQUE EUROPEENNE DU CREDIT MUTUEL faisant apparaître un solde créditeur de 247.907,35 euros. La saisie a été dénoncée à la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION le 2 juillet 2021.

La S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION a, par acte délivré le 30 juillet 2021, fait assigner la S.A. TERREÏS devant le juge de l’exécution de ce tribunal qui, par jugement rendu le 2 septembre 2021, a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire, dit n’y avoir lieu à dommages-intérêts et à application de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la S.A. TERREÏS aux dépens.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2023, la S.A. TERREÏS demande au tribunal, sur le fondement des articles 1218, 1219, 1231-1, 1719, 1722, 1728 et 1741 du code civil, L. 145-9, L. 145-41 et suivants du code de commerce, de :

– juger que le loyer et les charges du 2ème trimestre 2020 sont exigibles ;
– juger acquise la clause résolutoire insérée au bail du 3 juillet 2015 et visée au commandement de payer en date du 22 juin 2020 ;
– fixer l’indemnité d’occupation due par la société EDITION REGIE IMPRESSION, à compter de la résiliation du bail et jusqu’à la libération des lieux, soit jusqu’au 2 juillet 2021, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
– condamner la société EDITION REGIE IMPRESSION à payer à la société TERREÏS la somme de 87.054,47 euros correspondant aux loyers, indemnités d’occupation, charges et taxes impayés du 1er avril 2020 au 2 juillet 2021 ;
– juger le dépôt de garantie d’un montant de 24.674,44 euros acquis à la société TERREÏS à titre de dommages et intérêts conformément au contrat de bail ;

A titre subsidiaire,

– juger le bail du 3 juillet 2015 résilié par suite du congé délivré le 23 décembre 2020 par la société EDITION REGIE IMPRESSION à la date du 2 juillet 2021, date à laquelle les lieux ont été libérés ;
– condamner la société EDITION REGIE IMPRESSION à payer à la société TERREÏS la somme de 87.054,47 euros correspondant aux loyers, charges et taxes dus aux termes du bail et demeurés impayés sur la période du 1er avril 2020 au 2 juillet 2021 ;
– eu égard à la somme de 24.674,44 euros versée par la société EDITION REGIE IMPRESSION entre les mains de la société TERREÏS à titre de garantie, ordonner la compensation entre les deux créances respectives des parties ;

En tout état de cause,

– juger que la clause d’échelle mobile prévue au bail du 3 juillet 2015 doit recevoir application à l’exclusion de l’alinéa 4 de ladite clause qui seul est susceptible d’être réputé non écrit ;
– débouter en conséquence la société EDITION REGIE IMPRESSION de sa demande de restitution d’une somme de 11.650 euros au titre d’un prétendu trop-perçu de loyer ;
– débouter la société EDITION REGIE IMPRESSION de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société EDITION REGIE IMPRESSION à payer à la S.A. TERREÏS la somme de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société EDITION REGIE IMPRESSION aux entiers dépens, en ce compris les frais du commandement de payer du 22 juin 2020 ;
– juger n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir et en tant que de besoin l’ordonner.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 août 2023, la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION demande au tribunal, sur le fondement des articles 4 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, 14 de la loi du 14 novembre 2020, 1218, 1219, 1722 et 1343-5 du code civil, L. 145-39 et L. 145-41 du code de commerce, L. 112-1 du code monétaire et financier, 131-1 et 131-2 du code de procédure civile, de :

– la recevoir en ses demandes, fins et conclusions et la dire bien fondée ;
– débouter la société TERREÏS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société TERREÏS à la somme de 11.650 euros correspondant au trop-perçu des loyers et charges ;
– condamner la société TERREÏS à procéder au remboursement au profit de la société EDITION REGIE IMPRESSION du dépôt de garantie, soit la somme de 24.674,44 euros ;

A titre subsidiaire, si le tribunal faisait droit aux demandes de paiement de la société TERREÏS,

Décision du 16 Janvier 2025
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– accorder à la société EDITION REGIE IMPRESSION les plus larges délais de paiement pour s’acquitter du paiement de toutes condamnations pouvant être mises à sa charge, conformément aux dispositions de l’article 1343-5 du code civil et L. 145-41 du code de commerce, et après compensation avec le trop-perçu de loyer résultant de l’indexation et des frais d’avenant indûment facturés ;

A titre infiniment subsidiaire,

– désigner tel médiateur de justice qu’il plaira au tribunal avec pour mission, après prise de connaissance du dossier, de convoquer les parties et leurs conseils dans les meilleurs délais afin de les entendre et de leur permettre de trouver une solution amiable au litige qui les oppose ;

En tout état de cause,

– condamner la société TERREÏS à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société TERREÏS aux entiers dépens.

* * *

Ainsi que le permet l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 2 octobre 2023.

L’affaire a été appelée pour plaidoiries à l’audience collégiale du 17 octobre 2024 et mise en délibéré à la date de ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire

Aux termes de l’article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil (devenus 1343-5 dudit code), peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Ces dispositions sont d’ordre public et les parties ne peuvent y déroger.

En application de l’article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016 et applicable en l’espèce s’agissant d’un bail conclu le 3 juillet 2015, il appartient au bailleur d’apporter la preuve des obligations auxquelles il reproche au preneur d’avoir manqué tandis qu’il incombe à celui-ci de démontrer qu’il les a exécutées.

En l’espèce, le bail du 3 juillet 2015 liant les parties stipule dans son article XVII une clause résolutoire applicable notamment en cas de défaut de paiement à son échéance d’un seul terme de loyer, indemnité d’occupation ou d’inexécution de l’une quelconque des clauses du contrat par le preneur, un mois après un simple commandement de payer demeuré infructueux.

Le commandement signifié à la société EDITION REGIE IMPRESSION le 22 juin 2020 vise la clause résolutoire du contrat de bail commercial et mentionne le délai d’un mois précité.

Il porte sur un arriéré locatif selon décompte joint de 29.674,55 euros correspondant au solde restant dû au titre de l’échéance du 2ème trimestre 2020, outre les frais de l’acte de 255,53 euros.

Il n’est pas contesté par la société EDITION REGIE IMPRESSION que la somme visée dans le commandement n’a pas été réglée.

Pour s’opposer à la demande de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, la société EDITION REGIE IMPRESSION invoque plusieurs moyens examinés ci-après.

– Sur le moyen tiré de l’application des dispositions protectrices liées à la crise sanitaire

La société EDITION REGIE IMPRESSION soutient que le commandement litigieux a été délivré pendant la période protégée au cours de laquelle interdiction était faite aux bailleurs de mettre en œuvre la clause résolutoire et ce, en application de l’article 4 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 et de l’article 14 II de la loi du 14 novembre 2020.

La société TERREÏS rétorque que l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a fait que reporter dans le temps les effets des astreintes, clauses pénales ou clauses résolutoires ayant pris court ou prenant effet pendant la période protégée, soit entre le 12 mars et le 23 juin 2020. Elle soutient ainsi que le commandement délivré le 22 juin 2020 est valable mais n’a pu prendre effet qu’à compter 24 juillet 2020 ; que s’agissant des dispositions de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, celles-ci ont simplement empêché toute application de pénalités, action ou voies d’exécution avant le 24 août 2020. Elle relève qu’en l’espèce, elle n’a engagé aucune action avant son assignation du 6 mai 2021 et qu’aucune pénalité n’a été appliquée à la société locataire.

* * *

Dans le cadre des mesures exceptionnelles adoptées pour lutter contre l’épidémie de la covid-19 découlant de l’état d’urgence sanitaire, l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période prévoit que “les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er.
Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.
Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er.”.

L’article 1er I de cette même ordonnance modifié par l’article 1er de l’ordonnance n°2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire dispose que “Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus”.

Ces dispositions n’interdisent pas aux bailleurs de délivrer des commandements de payer visant la clause résolutoire pendant la période dite juridiquement protégée, du 12 mars au 23 juin 2020, mais suspendent leurs effets pendant cette période, la clause résolutoire ne pouvant prendre effet qu’un mois après celle-ci, si le débiteur n’a toujours pas exécuté son obligation.

Il en résulte que le délai d’un mois pour payer imparti par le commandement délivré le 22 juin 2020, qui expirait le 22 juillet 2020, a été prorogé jusqu’au 23 juillet 2020 inclus.

Or, comme il a été dit ci-dessus, la société EDITION REGIE IMPRESSION ne conteste pas ne pas avoir réglé les causes du commandement dans ce délai.

S’agissant de l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, celui-ci énonce que :

“I. – Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’Etat dans le département en application du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du même code. Les critères d’éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.
II. – Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.
Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires.
Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite (…)”.

Pour être éligible aux mesures prévues par l’article 14 susvisé, le preneur à bail commercial doit en premier lieu, faire l’objet d’une mesure de fermeture du commerce exploité dans les lieux loués ou de réglementation de l’accès du public et, en outre, remplir des critères précisés par le décret n°2020-1766 du 30 décembre 2020, lequel détermine, en son article 1er, des seuils d’effectifs (moins de 250 salariés), de chiffre d’affaires réalisé (moins de 50 millions d’euros au cours du dernier exercice clos ou moins de 4,17 millions d’euros par mois pour les activités n’ayant pas d’exercice clos) et de perte de chiffre d’affaires (au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er et le 30 novembre 2020 par rapport à la même période de l’exercice précédent ou la moyenne mensuelle de cet exercice).

La société EDITION REGIE IMPRESSION, qui a pour activité la régie publicitaire de médias, et dont les locaux pris à bail étaient à usage de bureaux, ne justifie ni remplir les conditions pour bénéficier des dispositions susvisées ni avoir fait l’objet d’une mesure de fermeture du commerce exploité dans les lieux loués ou de réglementation de l’accès du public postérieurement au 23 juin 2020. Par conséquent, l’interdiction pour le bailleur d’introduire une action relative au défaut de paiement du loyer et des charges ne courait que jusqu’au 23 août 2020 inclus. Or, l’assignation délivrée par la société TERREÏS à sa locataire est en date du 6 mai 2021.

Le moyen tiré de l’application des dispositions protectrices liées à la crise sanitaire ne peut donc qu’être rejeté.

– Sur l’exigibilité de la somme visée dans le commandement de payer du 22 juin 2020

Pour être valable, le commandement de payer doit informer clairement le locataire du manquement qui lui est reproché, et notamment lorsqu’il s’agit du paiement des loyers, préciser le montant, la cause, la nature et la date d’exigibilité de la somme réclamée.

Un commandement de payer qui serait notifié pour une somme erronée et supérieure au montant de la créance réelle du bailleur au titre des loyers n’est pas nul mais ne produit ses effets qu’à due concurrence des sommes exigibles.

La société EDITION REGIE IMPRESSION soutient sur le fondement de la force majeure (article 1218 du code civil), l’exception d’inexécution (article 1219 du code civil), le manquement à l’obligation de délivrance (article 1719 du code civil), la destruction et la perte de la chose louée (1741 du code civil) que la somme visée au commandement correspondant au solde de l’échéance du 2ème trimestre 2020 n’est pas due.

La société TERREÏS oppose qu’il résulte désormais d’une jurisprudence constante que ces moyens ne peuvent prospérer, la crise sanitaire n’ayant pas exonéré les locataires du paiement des loyers et des charges.

* La force majeure

La société EDITION REGIE IMPRESSION invoque l’article 1218 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016. Or, cette disposition, entrée en vigueur à compter du 1er octobre 2016, n’est pas applicable en l’espèce s’agissant d’un bail conclu le 3 juillet 2015.

Toutefois, la force majeure en matière contractuelle était déjà, auparavant, permise par l’ancien article 1148 du code civil, lequel dispose qu’il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Cependant, il est constant que le débiteur d’une obligation contractuelle de payer une somme d’argent ne peut s’exonérer en invoquant un cas de force majeure et que celle-ci ne profite pas au créancier d’une obligation qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit du fait d’un événement de force majeure ayant empêché son cocontractant de respecter ses engagements.

Le moyen fondé sur ce texte ne peut donc prospérer, dès lors que la société EDITION REGIE IMPRESSION est débitrice d’une obligation de paiement de sommes d’argent et que ce n’est pas l’exécution de son obligation que la force majeure aurait empêchée mais la contrepartie qu’elle en attendait, la jouissance des lieux loués.

* L’exception d’inexécution liée à un manquement du bailleur à son obligation de délivrance de la chose louée

L’article 1719 du code civil dispose que :
“Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations”.

Selon l’article 1219 du même code, “Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.”

Ce dernier texte, issu de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, n’est pas applicable aux contrats conclus avant cette date ; toutefois, l’exception d’inexécution pouvait être invoquée, sous l’empire du droit antérieur, sur le fondement de l’article 1184 ancien du code civil.

Néanmoins, il est constaté que les locaux loués ont bien été mis à disposition de la locataire par le bailleur et que les mesures d’interdiction de recevoir du public et les restrictions d’exploitation dues aux mesures sanitaires qui ont pu affecter son activité sont le seul fait du législateur.

Il n’est donc pas justifié d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que la locataire soit dispensée d’exécuter son obligation, en contrepartie, de payer les loyers.

Le moyen tiré de l’exception d’inexécution ne peut donc qu’être rejeté.

* La destruction et la perte de la chose louée

Aux termes de l’article 1722 du code civil, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.

L’article 1741 du code civil énonce que le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements.

Il est admis que la perte peut ne pas être matérielle mais “juridique” et résulter de l’impossibilité dans laquelle se trouve le preneur de jouir de la chose conformément à sa destination.

Mais, il est maintenant constant que les mesures d’interdiction de recevoir du public et les restrictions sanitaires, mesures de police administrative générales et temporaires, sont sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué et ne peuvent donc être assimilées à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil.

Le moyen tiré de la destruction ou de la perte de la chose louée ne permet donc pas davantage d’exonérer, totalement ou partiellement, la locataire de son obligation de paiement des loyers.

En conséquence, le tribunal ne peut que constater que la locataire échoue à démontrer qu’elle n’était pas tenue de payer les loyers et charges.

– Sur la mauvaise foi du bailleur

La société EDITION REGIE IMPRESSION soutient qu’alors que les principales fédérations de bailleurs ont appelé leurs adhérents à annuler trois mois de loyers, la société TERREÏS a refusé tout aménagement ou franchise en dépit du contexte sanitaire et de l’impossibilité d’exploiter les locaux et ce, malgré ses démarches répétées auprès du bailleur pour parvenir à un accord sur le paiement des loyers et charges. Elle ajoute que le fait pour la société TERREÏS de délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire dans ce contexte, pendant la période dite protégée, alors que la relation contractuelle est ancienne et qu’elle avait sollicité une franchise partielle du loyer et procédé sur l’échéance du 2ème trimestre 2020, au paiement de la somme de 10.666,03 euros, caractérise sa mauvaise foi qui avait été relevée par le juge des référés.

La société TERREÏS réplique qu’elle a exécuté la convention de bonne foi en adressant à deux reprises des propositions d’aménagement de l’échéance du 2ème trimestre 2020 à la société EDITION REGIE IMPRESSION qui n’a répondu à aucune de celles-ci. Elle ajoute qu’elle n’a pas appliqué la majoration de 10 % prévue par le bail en cas de retard de paiement que ce soit pour l’échéance non réglée du 2ème trimestre 2020 mais également pour les échéances postérieures partiellement réglées.

En application de l’ancien article 1134 du code civil, applicable en l’espèce, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.

Il convient de rappeler à ce titre que sont privés d’effet les commandements de payer visant la clause résolutoire, qui, quoique répondant aux conditions légales, sont délivrés de mauvaise foi par le bailleur, soit dans des circonstances démontrant sa volonté d’exercer déloyalement sa prérogative de mise en jeu de la clause résolutoire.

En vertu des dispositions de l’article 2274 du code civil, la bonne foi est toujours présumée.
La preuve de la mauvaise foi du bailleur incombe au preneur qui l’invoque et s’apprécie au jour où le commandement a été délivré.

En l’espèce, la société EDITION REGIE IMPRESSION produit au soutien de sa demande des courriers et des mails adressés au mandataire de la bailleresse en date des 26 mars, 26 mai et 9 juin 2020 aux termes desquels :
– en mars 2020, elle sollicite la suspension du paiement du loyer et des charges dus pour le trimestre suivant et une franchise totale des loyers et des charges pour la période comprise entre le 16 mars 2020 et l’autorisation par le gouvernement du déconfinement ainsi qu’une mensualisation du paiement des loyers et des charges à compter du retour à une situation d’exploitation normale, “afin que notre société puisse faire face au fort impact financier découlant de cette crise”,
– en mai 2020, elle a exposé ses difficultés de reprise d’activité dans un contexte de report ou d’annulation des salons professionnels et de réduction ou de gel de budget de ses clients et a sollicité une annulation des loyers à hauteur de 2 mois,
– le 9 juin 2020, elle a indiqué ne pas avoir eu de réponse à son précédent courrier, procédé à un virement pour le mois de juin en fin de mois par virement “pour nous laisser le temps de rééquilibrer notre trésorerie”.

Par courrier en réponse en date du 2 avril 2020, la S.A.S. IMODAM en qualité de mandataire du bailleur, la S.A. TERREÏS, a indiqué ne pas pouvoir accepter ni une suspension du paiement des loyers et des charges ni une franchise de ceux-ci, proposant une mensualisation pour le paiement de l’échéance du 2ème trimestre 2020. Puis, le commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 22 juin 2020.

Ce n’est que postérieurement que, par courrier électronique en date du 2 juillet 2020, la S.A.S. IMODAM en qualité de mandataire du bailleur, la S.A. TERREÏS, a indiqué qu’une annulation de deux mois de loyers n’était pas envisageable et a proposé un report du paiement de l’échéance du 2ème trimestre 2020 de 6 mois avec un remboursement mensuel du 1er juillet au 1er décembre 2020. Ce courrier ne peut être pris en considération dès lors qu’il convient de se placer au jour de la délivrance du commandement de payer litigieux pour apprécier la bonne ou mauvaise foi du bailleur.

Si la bonne foi implique de prendre en compte les circonstances exceptionnelles pouvant rendre nécessaire une adaptation des modalités d’exécution des obligations des parties, le refus de consentir une remise de loyer à un locataire dont l’activité a été affectée par les mesures de fermetures administratives adoptées dans le cadre de la lutte contre la pandémie de covid-19 n’est pas en soi constitutif d’un comportement déloyal de la part d’un bailleur.

Par ailleurs, il convient de constater que même si le bailleur n’a pas attendu la fin du mois de juin 2020 et le virement annoncé par mail par la locataire pour la délivrance du commandement, ce virement est en réalité intervenu le 3 août 2020 au vu du décompte communiqué par la locataire, soit postérieurement à la délivrance du commandement de payer.

Enfin, il apparaît que la société TERREÏS a fait preuve de bonne foi en acceptant de réexaminer les conditions et modalités financières du contrat de bail commercial afin de tenir compte des conséquences économiques négatives liées à l’épidémie de covid-19, tant préalablement en proposant un report de paiement et un échéancier de remboursement que postérieurement à la délivrance du commandement de payer litigieux, et que ce n’est qu’en raison du refus de la société EDITION REGIE IMPRESSION d’accepter les propositions de cette dernière que les négociations n’ont pu aboutir.

Dès lors, la société EDITION REGIE IMPRESSION ne démontre pas que la clause résolutoire a été mise en œuvre de mauvaise foi par la société TERREÏS.

La société EDITION REGIE IMPRESSION ne démontre ni que l’arriéré locatif réclamé par le bailleur dans le commandement de payer visant la clause résolutoire serait indu, ni qu’elle s’est acquittée de la dette locative avant le 23 juillet 2020 inclus.

Dans ces conditions, le tribunal ne peut que constater l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 23 août 2020 à minuit.

Sur les demandes de fixation d’une indemnité d’occupation, de condamnation de la EDITION REGIE IMPRESSION au paiement d’un arriéré locatif et de conservation du dépôt de garantie

L’article 1728 du code civil énonce que le paiement du prix du bail aux termes convenus constitue l’une des deux obligations principales du preneur.

Par ailleurs, l’indemnité d’occupation due par un occupant sans titre présente un caractère mixte à la fois compensatoire et indemnitaire, et a pour objet de réparer le préjudice subi par le bailleur propriétaire du fait de la privation de son bien immobilier.

Il est d’usage que cette indemnité d’occupation soit fixée au montant du loyer contractuel, augmenté des charges et taxes, ce que la société TERREÏS sollicite et qui sera retenu par le tribunal.

S’agissant de la demande de conservation du dépôt de garantie à titre de dommages-intérêts formée par la société TERREÏS, il convient de rappeler que selon l’article 1150 ancien du code civil, le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée.

Or, en l’espèce, le contrat de bail ayant lié les parties comprend dans son article V intitulé “DEPOT DE GARANTIE” une clause stipulant que “Si le Bail est résilié pour inexécution des conditions ou pour toute autre cause imputable au PRENEUR, ce dépôt de garantie restera acquis au BAILLEUR, à concurrence des sommes restant dues au jour de la résiliation du bail”.

Cette clause ne permet pas au bailleur de conserver le dépôt de garantie à titre de dommages-intérêts et il est, à cet égard notable, que le décompte adressé à la société EDITION REGIE IMPRESSION et arrêté au 30 mars 2022 mentionnait le remboursement du dépôt de garantie de 24.476,44 euros et une dette locative de 62.578,03 euros.

Par conséquent, la société TERREÏS sera déboutée de sa demande de conservation du dépôt de garantie à titre de dommages-intérêts.

Au regard de ces éléments, étant rappelé que le tribunal a rejeté précédemment les moyens invoqués par la défenderesse tenant à l’exigibilité des loyers et charges pendant la crise sanitaire, la société EDITION REGIE IMPRESSION qui ne justifie d’aucun règlement de la créance de la société TERREÏS, sera condamnée à lui verser la somme de 62.578,03 euros au titre de l’arriéré locatif restant dû à la libération des locaux le 2 juillet 2021, après déduction du dépôt de garantie et compensation des sommes dues réciproquement par les parties.

Sur la demande reconventionnelle de la société EDITION REGIE IMPRESSION au titre de la clause d’indexation

La société EDITION REGIE IMPRESSION soutient que la clause d’échelle mobile insérée au contrat de bail doit être réputée non écrite en son intégralité en application de l’article L. 112-1 du code monétaire et financier en ce qu’elle ne permet que la variation du loyer à la hausse et fait obstacle ainsi au principe d’automaticité et de réciprocité de la clause d’échelle mobile. Elle invoque également les dispositions de l’article L. 145-39 du code de commerce soutenant que la clause contrevient à celles-ci dès lors la modification du loyer à la baisse étant écartée en cours de bail et le loyer étant, par l’effet desdites clauses, maintenu à son montant antérieur à ladite indexation en cas de baisse de l’indice choisi, la période de révision du loyer ne coïncide plus avec celle de variation des indices.
Elle soutient que dès lors qu’il est expressément mentionné au bail que la variation litigieuse constitue pour le bailleur un motif déterminant de la conclusion du contrat, ceci implique une indivisibilité de la clause d’indexation dans son intégralité. Elle sollicite dès lors la condamnation de la société TERREÏS à lui verser la somme de 11.650 euros au titre du trop-perçu de loyer et de dépôt de garantie résultant de l’indexation.

La société TERREÏS réplique que seul l’alinéa 4 de la clause d’indexation en ce qu’il crée la distorsion prohibée peut être déclaré illicite et non pas la clause en son ensemble, laquelle, composée de paragraphes dissociables est divisible ; que la commune intention des parties a bien été d’assortir le bail d’une clause d’échelle mobile ainsi que le stipule l’alinéa 6 de ladite clause ; qu’elles n’ont en revanche jamais considéré la restriction à un loyer plancher comme étant une condition essentielle du bail s’agissant, bien au contraire, d’une modalité accessoire qui en l’espèce n’a pas trouvé à s’appliquer, l’indice ILAT concerné ayant toujours varié à la hausse depuis 2015. Elle souligne ainsi que la distorsion prohibée allèguée par la société EDITION REGIE IMPRESSION ne s’est jamais produite. Elle demande donc au tribunal de juger que seul le 4ème alinéa de la clause est réputé non écrit et de rejeter la demande de la partie adverse au titre d’un trop-perçu de loyer et de dépôt de garantie.

* * *

L’article L. 112-1 du code monétaire et financier, qui est d’ordre public, dispose notamment que:

“(…) Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision (…)”.

Ce texte ayant vocation à prohiber les effets inflationnistes des clauses d’indexation, la clause qui exclut la réciprocité de la variation du prix, et fausse ainsi le jeu normal de l’indexation, y contrevient.

De plus, la prévision d’un loyer plancher empêcherait la mise en œuvre de la clause une année N si l’application de l’indice aboutissait à la fixation d’un loyer inférieur audit plancher, de sorte que la période de variation de cet indice serait ensuite supérieure à la durée s’écoulant entre deux indexations (variation de l’année N-1 à l’année N+1), créant alors la distorsion de périodes prohibée par ce texte.

En outre, selon l’article L.145-15 du code de commerce, “Sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l’article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54”.

L’article L.145-39 dudit code dispose que :
“En outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente”.

La clause d’indexation qui exclut toute réciprocité de la variation en prévoyant que l’indexation ne s’effectuera qu’en cas de variation à la hausse contrevient aux dispositions de l’article L.145-39 du code de commerce en privant l’une des parties du recours au mécanisme de la révision judiciaire qui est d’ordre public, et en modifiant mathématiquement, par la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence, le délai d’atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, et doit être réputée non écrite en application de l’article L.145-15 dudit code.

Il est constant que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, de sorte que le tribunal ne peut éradiquer la clause d’indexation dans son entier que s’il caractérise une indivisibilité entre les stipulations de la clause.

Aux termes de l’ancien article 1217 du code civil, dans sa version applicable en l’espèce, l’obligation est divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l’exécution, n’est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle.

L’indivisibilité matérielle peut s’entendre d’un obstacle technique qui rendrait la clause inapplicable du seul fait de sa suppression et l’indivisibilité intellectuelle se déduire de la volonté des parties qui ont donné un caractère déterminant à la stipulation prohibée, sans laquelle elles n’auraient pas accepté la clause d’indexation.

En l’espèce, l’article IV du bail ayant lié les parties stipule en son paragraphe 3 une clause d’échelle mobile ainsi rédigée :

“Le loyer ci-dessus fixé sera soumis à indexation annuelle qui ne pourra, en aucun cas, être confondue avec la révision légale des loyers. En conséquence, ledit loyer sera ajusté automatiquement de plein droit et sans l’accomplissement d’aucune formalité judiciaire ou extrajudiciaire, chaque année pour prendre effet à la date anniversaire soit chaque PREMIER JUILLET proportionnellement à la variation de l’indice des Loyers des Activités Tertiaires publié par L’I.N.S.E.E. (base 100 au premier trimestre 2010).
Décision du 16 Janvier 2025
18° chambre 2ème section
N° RG 21/06387 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUMGK

Sera retenu comme indice de référence initial le dernier indice publié lors de la prise d’effet du bail, soit l’indice du 1er trimestre 2015 s’élevant à 107.69.
L’indice de comparaison servant au calcul de la révision sera celui du même trimestre des années suivantes.
La première indexation du loyer aura lieu à la date anniversaire, soit le PREMIER JUILLET 2016 et sera immédiatement exigible.
La présente clause ne saurait avoir pour effet de ramener le loyer révisé à un montant inférieur au dernier loyer de base contractuellement fixé.
(…) Le BAILLEUR déclare que les stipulations relatives à la clause d’échelle mobile du loyer constituent pour lui un motif déterminant de la conclusion du présent contrat, sans lesquelles il n’aurait pas contracté, ce qui est expressément accepté par le PRENEUR”.

Cette clause prévoit une variation uniquement à la hausse faisant obstacle à la libre variation de l’indice ainsi qu’à la réciprocité de cette variation et qui est susceptible de créer une distorsion entre la période de variation de l’indice et la durée s’écoulant entre chaque révision.

En outre, il est contrevenu aux dispositions de l’article L.145-39 du code de commerce.

Cette stipulation est donc contraire aux textes précités, tous d’ordre public.

La clause litigieuse est matériellement divisible puisqu’il n’existe pas d’obstacle technique à l’application de la clause retranchée des seules formules d’indexation illicites, ce qui n’apparaît

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Constate à la date du 23 août 2020 à 24h00 l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail du 3 juillet 2015 liant la S.A. TERREÏS d’une part, et la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION d’autre part, portant sur des locaux sis [Adresse 2] / [Adresse 3] à [Localité 7] ;

Condamne la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION à payer à la S.A. TERREÏS la somme de 62.578,03 euros (soixante-deux mille cinq cent soixante-dix-huit euros et trois centimes) au titre de l’arriéré locatif restant dû à la libération des locaux le 2 juillet 2021 et après déduction du dépôt de garantie de 24.476,44 euros et compensation des sommes dues réciproquement par les parties ;

Déboute la S.A. TERREÏS de sa demande de conservation du dépôt de garantie à titre de dommages-intérêts ;

Juge que dans la clause d’échelle mobile du bail du 3 juillet 2015, portant sur des locaux sis [Adresse 2] / [Adresse 3] à [Localité 7], est réputée non écrite la stipulation “La présente clause ne saurait avoir pour effet de ramener le loyer révisé à un montant inférieur au dernier loyer de base contractuellement fixé”, et que le surplus de ladite clause, permettant ainsi une modification du montant du loyer à la hausse comme à la baisse, reste applicable ;

Déboute la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION de ses demandes de condamnation de la S.A. TERREÏS à la somme de 11.650 euros correspondant au trop-perçu des loyers et charges, de délais de paiement, de désignation d’un médiateur à titre infiniment subsidiaire et au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION aux dépens comprenant le coût du commandement de payer en date du 22 juin 2020 ;

Condamne la S.A.R.L. EDITION REGIE IMPRESSION à verser à la S.A. TERREÏS la somme de 4.000 (quatre mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 16 Janvier 2025

Le Greffier Le Président
Paulin MAGIS Sabine FORESTIER


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