Suspension des poursuites et enjeux de prescription dans le cadre d’une saisie immobilière

·

·

Suspension des poursuites et enjeux de prescription dans le cadre d’une saisie immobilière

L’Essentiel : Le jugement du 12 décembre 2023 du tribunal judiciaire de Fort-de-France a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par les époux [T]. La Sa Crédit Foncier de France a vu son action déclarée recevable, tandis que les demandes de nullité des époux ont été déboutées. La créance a été fixée à 125.804,28 euros, avec une vente forcée de l’immeuble prévue pour le 12 mars 2024. Les époux [T] ont interjeté appel, arguant de la forclusion de l’action et de la prescription des intérêts, mais le Crédit Foncier conteste ces arguments, affirmant la validité de sa créance.

Jugement du 12 décembre 2023

Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Fort-de-France a rendu un jugement qui rejette la fin de non-recevoir soulevée par M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T]. L’action de la Sa Crédit Foncier de France a été déclarée recevable, tandis que les demandes de nullité du commandement de payer et de mainlevée de la procédure de saisie immobilière formulées par les époux [T] ont été déboutées. La procédure de saisie immobilière a été jugée régulière.

Montant de la créance

Le montant de la créance de la Sa Crédit Foncier de France à l’égard des époux [T] a été fixé à 125.804,28 euros, incluant le capital, les frais, les intérêts et accessoires, avec des intérêts à compter du 12 mars 2022 au taux de 5,80 % l’an. Le jugement ordonne également la vente forcée de l’immeuble saisi, situé à [Localité 19], avec une audience d’adjudication prévue pour le 12 mars 2024.

Appel des époux [T]

Les époux [T] ont interjeté appel du jugement le 23 février 2024 et ont assigné en référé la société Crédit Foncier de France pour une audience prévue le 14 mars 2024. Ils demandent la suspension de la vente de leur immeuble, arguant que le juge de l’exécution a ordonné un report en raison de la recevabilité de leur demande de surendettement.

Arguments des époux [T]

Les époux [T] soutiennent qu’il existe des moyens sérieux d’infirmation du jugement, notamment en raison de la forclusion de l’action du Crédit Foncier et de la prescription des intérêts. Ils affirment que l’exécution de la décision pourrait entraîner des conséquences manifestement excessives, les privant de leur logement.

Réponse du Crédit Foncier de France

Le Crédit Foncier de France conteste les arguments des époux [T], affirmant que leur créance est un crédit immobilier, non soumis à la forclusion. Il soutient que les paiements effectués par les époux ont reconnu leur dette et interrompu la prescription. Le Crédit Foncier demande également le déboutement des époux de toutes leurs demandes et la condamnation aux dépens.

Délibération et décision finale

L’affaire a été débattue le 3 octobre 2024 et la décision a été mise en délibéré au 7 novembre 2024. Le premier président a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du 12 décembre 2023, déclarant qu’aucun moyen sérieux d’annulation ou de réformation n’avait été rapporté par les époux [T]. Ils ont été condamnés aux dépens de l’instance.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la recevabilité de l’action de la Sa Crédit Foncier de France ?

La recevabilité de l’action de la Sa Crédit Foncier de France est confirmée par le jugement du 12 décembre 2023, qui rejette la fin de non-recevoir soulevée par les époux [T].

Selon l’article R.121-22 du code des procédures civiles d’exécution, en cas d’appel, un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution peut être demandé.

Cet article précise que la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation.

Dans ce cas, le juge a déclaré l’action recevable, ce qui signifie que les conditions de recevabilité étaient remplies, permettant ainsi à la Sa Crédit Foncier de France de poursuivre son action en saisie immobilière.

Quelles sont les conséquences de la prescription sur l’action du créancier ?

La question de la prescription est centrale dans ce litige. L’article L.218-2 du code de la consommation stipule que l’action des professionnels pour les biens ou services fournis aux consommateurs se prescrit par deux ans.

Cependant, l’article 2240 du code civil précise que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

Dans cette affaire, le Crédit Foncier a prononcé la déchéance du terme par courrier recommandé le 6 janvier 2022, ce qui a permis de prolonger le délai pour agir jusqu’au 6 janvier 2024.

Ainsi, le commandement de payer valant saisie délivré le 24 juin 2022 était dans les délais, et l’action du créancier ne saurait être considérée comme prescrite.

Quels sont les moyens sérieux d’infirmation du jugement avancés par les époux [T] ?

Les époux [T] soutiennent qu’il existe des moyens sérieux d’infirmation du jugement, notamment en raison de la forclusion de l’action du Crédit Foncier et de la prescription des intérêts.

Cependant, la jurisprudence indique que pour une dette payable par termes successifs, la prescription court à l’égard de chaque fraction à compter de son échéance.

Dans ce cas, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, ce qui a été prononcé par le créancier.

Les époux [T] n’ont pas réussi à établir que la prescription des intérêts était acquise, et la suspension des poursuites ordonnée par le juge de l’exécution ne constitue pas un moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement.

Quelles sont les conséquences manifestement excessives de l’exécution provisoire ?

Les époux [T] avancent que l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives, en les privant de leur logement.

Cependant, l’article R.121-22 du code des procédures civiles d’exécution ne mentionne pas cette condition comme un critère pour accorder un sursis à exécution.

Ainsi, ce moyen est considéré comme inopérant.

Le tribunal a également noté que la vente permettra aux époux [T] de désintéresser le créancier, ce qui atténue l’argument des conséquences excessives.

En conséquence, la demande d’arrêt de l’exécution provisoire a été rejetée, car aucun moyen sérieux d’annulation ou de réformation n’a été rapporté par les époux [T].

COUR D’APPEL

DE [Localité 12]

AUDIENCE DU

21 Novembre 2024

N° RG 24/00012 – N° Portalis DBWA-V-B7I-CN4X

MINUTE N° 24/57

[N] [T], [I] [B] épouse [T]

C/

S.A. CREDIT FONCIER DE FRANCE

ORDONNANCE DE REFERE

ENTRE

M. [N] [T]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représenté par Me Béatrice BANGUIO, avocat au barreau de MARTINIQUE

Mme [I] [B] épouse [T]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représentée par Me Béatrice BANGUIO, avocat au barreau de MARTINIQUE

DEMANDEURS EN REFERE

S.A. CREDIT FONCIER DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Régine CELCAL-DORWLING-CARTER de la SELARL DORWLING-CARTER-CELCAL, avocat au barreau de MARTINIQUE

DEFENDERESSE EN REFERE

L’affaire a été appelée à l’audience publique du TROIS OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE à la Cour d’Appel DE FORT DE FRANCE par Monsieur Laurent SABATIER, Premier Président, assisté de Madame Rose-Colette GERMANY, greffière présente aux débats, et de Madame Béatrice PIERRE-GABRIEL, greffière, présente au délibéré, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues aux deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile que le prononcé de l’ordonnance serait rendu le SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE, prorogé au VINGT ET UN NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 12 décembre 2023, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Fort-de-France a statué comme suit :

– Rejette la fin de non-recevoir soulevée par M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T],

– Déclare recevable l’action de la Sa Crédit Foncier de France,

– Déboute M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] de leurs demandes de nullité du commandement de payer valant saisie délivré par la Sa Crédit Foncier de France le 24 juin 2022, publié le 18 juillet 2022 par le Service de la Publicité Foncière de [Localité 13] sous la référence [Immatriculation 8] Volume 2022 S n°50et saisie rectificative du 2 août 2022 enregistrée sous la référence [Immatriculation 7] 2022 S n°53,

– Déboute M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] de leur demande de nullité et de mainlevée de la procédure de saisie immobilière et de radiation de l’affaire,

– Dit que la procédure de saisie immobilière est régulière,

– Dit que le montant retenu pour la créance de la Sa Crédit Foncier de France à l’égard de M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] s’élève à la somme de 125.804,28 euros arrêtée au 11 mars 2022, en capital, frais, intérêts et accessoires, outre les intérêts à compter du 12 mars 2022, au taux de 5,80 % l’an sur la somme de 128.751,15 euros, jusqu’à complet paiement,

– Ordonne la vente forcée de l’immeuble saisi, situé sur la commune de [Localité 19] (Martinique), [Adresse 16], [Adresse 14] [Localité 9] [Adresse 17] », cadastré section A n°[Cadastre 3], pour une contenance de 11a et 35 ca, conformément au cahier des conditions de vente,

– Fixe la vente aux enchères publiques de l’immeuble saisi à l’audience d’adjudication du :

Mardi 12 mars 2024 à 10h00

Au Tribunal Judiciaire de Fort-de-France

Situé [Adresse 15]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Par déclaration du 23 février 2024, les époux [T] ont interjeté appel du jugement.

Par acte de commissaire de justice du 6 mars 2024, les époux [T] ont assigné en référé, devant le premier président de la cour d’appel de Fort-de-France, la société Crédit Foncier de France pour l’audience du 14 mars 2024 à 10 heures à la cour d’appel de Fort-de-France.

Aux termes de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 4 septembre 2024, les époux [T] demandent à la présente juridiction de :

– Déclarer que le juge de l’exécution a ordonné le report de la vente de l’immeuble des époux [T] en raison de la recevabilité de la demande de surendettement ;

– Déclarer qu’il existe des moyens sérieux d’infirmation du jugement et que l’exécution entrainerait des conséquences manifestement excessives ;

En conséquence,

– Ordonner le sursis à exécution du jugement querellé rendu le 14 novembre 2023 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Fort-de-France (RG 22/00050) ;

– Ordonner la suspension de la vente de l’immeuble de Madame et Monsieur [T] sis à [Adresse 18] lieudit [Localité 11] cadastré section A n°[Cadastre 3] pour une contenance de 11a et 35 ca ;

– Réserver les dépens.

A l’appui de leurs prétentions, les époux [T] font valoir que le report de l’audience d’adjudication a été ordonnée par le juge de l’exécution par jugement du 12 mars 2024 en raison de la suspension des poursuites résultant de la recevabilité du dossier de surendettement.

Ils soutiennent qu’il existe des moyens sérieux d’infirmation du jugement en raison de la forclusion de l’action du Crédit Foncier ainsi que de la prescription du cours des intérêts. Ils ajoutent que les trois paiements qu’ils ont effectués entre 2021 et 2022 n’ont pu interrompre la prescription, laquelle était déjà acquise.

Ils relèvent que l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives en ce qu’elle les priverait de leur logement.

En réplique, le Crédit Foncier de France demande à la présente juridiction de :

– Débouter M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

– Déclarer M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] ne justifient d’aucun moyen sérieux de réformation du jugement d’orientation rendu le 14 novembre 2023 par le juge de l’exécution de [Localité 13],

– Déclarer qu’il n’y a pas lieu à sursis à exécution, du fait de la suspension des poursuites déjà ordonnée,

– Condamner M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, le Crédit Foncier de France contestent les moyens sérieux de réformation du jugement avancés par les époux [T], relevant que le crédit qu’il a accordé est un crédit immobilier et non un crédit à la consommation et que la forclusion dont ils se prévalent n’est pas applicable.

Il indique que par les paiements réalisés les 19 mars 2018 et 31 mars 2018, les époux [T] ont reconnu leur dette et que ces paiements ont interrompu le délai de deux ans qui a couru de nouveau à compter du 31 mars 2018. Il conteste également l’existence de conséquences manifestement excessives en ce que la vente permettra aux époux [T] de le désintéresser. Il ajoute que la vente ordonnée ayant déjà été suspendue par le juge de l’exécution, la saisine du Premier président est sans objet.

Renvoyée à plusieurs reprises, l’affaire a été débattue contradictoirement à l’audience du 3 octobre 2024.

Les débats clos la présente décision a été mise en délibéré au 7 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

L’article R.121-22 du code des procédures civiles d’exécution dispose qu’en cas d’appel, un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution peut être demandé au premier président de la cour d’appel. La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s’il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée.

Jusqu’au jour du prononcé de l’ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.

Le sursis à exécution n’est accordé que s’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.

L’article L.218-2 du code de la consommation dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Aux termes de l’article 2240 du code civil, la reconnaissance par la débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

A titre liminaire, il est relevé qu’aux termes de leur dispositif, les époux [T] demandent à la présente juridiction de déclarer que la poursuite de l’exécution provisoire risque d’entrainer des conséquences manifestement excessives. Or, la condition tenant aux conséquences manifestement excessives de l’exécution provisoire n’est pas visée par l’article R.121-22 précédemment cité. Ce moyen est donc inopérant.

Aux termes de leurs écrites, les époux [T] soutiennent indistinctement que l’action du Crédit Foncier est forclose et prescrite.

Il est constant que le Crédit Foncier, créancier poursuivant, agi en vertu de la copie exécutoire d’un acte de prêt immobilier reçu le 3 octobre 1994 par Maître [U] [D], notaire à [Localité 13].

Toutefois, les crédits immobiliers sont soumis à la prescription biennale prévue selon les dispositions de l’ancien article L.137-2 du code de la consommation, devenu l’article L.218-2 du code de la consommation.

L’action du Crédit Foncier ne saurait donc encourir la forclusion.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte qu’en matière de crédits immobiliers, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité (Civ. 1re, 11 févr. 2016, n° 14-27.143)

Par courrier recommandé du 6 janvier 2022 adressé aux époux [T], le Crédit Foncier a prononcé la déchéance du terme.

Le délai qui lui était imparti pour agir courrait ainsi jusqu’au 6 janvier 2024.

Ayant délivré la commandement de payer valant saisie immobilière aux époux [T] le 24 juin 2022, le Crédit Foncier était dans les délais pour agir. Son action n’apparaît pas être prescrite.

S’agissant de la créance des intérêts, celle-ci, comme l’indiquent les époux [T], est soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil. Ils n’établissent aucunement aux termes de leurs conclusions que cette prescription serait acquise.

Il est également relevé que la circonstance que la suspension des poursuites a été ordonnée par un jugement du 12 mars 2024 du juge de l’exécution en raison de la recevabilité du dossier de surendettement déposé par les époux [T] ne constitue pas un moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement.

Par conséquent, aucun moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement n’étant rapporté par les époux [T], il convient de rejeter leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 12 décembre 2023.

Succombant, les époux [T] seront condamnés aux dépens de l’instance. Il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Le premier président, statuant en matière de référé, publiquement, par mise à disposition et contradictoirement :

Rejette la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 12 décembre 2023 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Fort-de-France ;

Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [N] [C] [T] et Mme [I] [H] [B] épouse [T] aux entiers dépens.

La présente ordonnance a été signée par Monsieur Laurent SABATIER, premier président, et Madame Béatrice PIERRE-GABRIEL, greffière, à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIERE, LE PREMIER PRESIDENT,


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon