Spedidam c/ INA : la présomption de cession validée

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Spedidam c/ INA : la présomption de cession validée

L’Essentiel : La CJUE a validé la présomption d’autorisation de l’artiste-interprète pour l’exploitation de ses prestations par l’INA, en matière d’archives audiovisuelles. Cette présomption, qui peut être contestée par la preuve contraire, ne remet pas en cause les droits exclusifs de l’artiste. L’INA, en tant qu’institut public, peut ainsi commercialiser des vidéogrammes et phonogrammes d’artistes enregistrés entre 1959 et 1978, malgré l’absence de contrats écrits. Cette décision vise à équilibrer les intérêts des artistes-interprètes et des producteurs, permettant à l’INA de remplir sa mission de service public tout en respectant les droits des créateurs.

La CJUE a jugé que la directive 2001/29 sur l’harmonisation du droit d’auteur ne s’oppose pas à ce que, en matière d’exploitation d’archives audiovisuelles par une institution désignée à cette fin (l’INA), la loi pose une présomption d’autorisation de l’artiste-interprète à la fixation et à l’exploitation de sa prestation, lorsque cet artiste-interprète participe à l’enregistrement d’une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion.

Présomption d’autorisation de l’artiste-interprète

La présomption (simple) de consentement préalable de
l’artiste-interprète, reconnue au bénéfice de l’INA, dès lors qu’elle peut être
combattue par la preuve contraire, ne remet pas en cause le droit exclusif de
l’artiste-interprète. Les accords avec les organisations syndicales, ne leur
conféreraient pas le droit «d’autoriser et d’interdire» dévolu à
l’artiste‑interprète, mais avaient pour seul objet de fixer sa rémunération. L’INA
reste donc en droit de commercialiser, sur sa boutique en ligne, les vidéogrammes
et les phonogrammes reproduisant les prestations d’artistes, effectuées au
cours des années 1959 à 1978 (époque de l’ORTF).

Contexte du litige

L’INA s’est trouvé dans l’impossibilité d’exploiter une partie de son fonds, faute pour cet institut de détenir, dans les dossiers de production des programmes audiovisuels en cause, les contrats de travail conclus avec les artistes-interprètes concernés. Ne disposant pas de l’autorisation écrite, visée à l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, des artistes-interprètes ou de leurs ayants droit, dont l’identification et la recherche pouvaient s’avérer difficiles, voire impossibles, ou du contrat de travail conclu par ceux-ci avec les producteurs de tels programmes, l’INA avait été empêché de se prévaloir de la présomption d’autorisation prévue à l’article L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle. C’est pour permettre à l’INA de remplir sa mission de service public que la loi n° 2006/961 du 1er août 2006 a modifié le point II de l’article 49 de la loi relative à la liberté de communication.

Tandis que le TGI de Paris et la cour d’appel de Paris ont
jugé que l’article 49 modifié ne dispensait pas l’INA d’obtenir l’autorisation
préalable de l’artiste-interprète pour l’utilisation de la fixation de ses
prestations, la Cour de cassation, saisie sur pourvoi, a considéré, en
substance, que l’application du régime «dérogatoire» en cause au
principal n’était pas subordonnée à la preuve de l’autorisation par
l’artiste-interprète de la première exploitation de sa prestation. Par suite,
la cour d’appel de Versailles, dont l’arrêt fait l’objet d’un pourvoi en
cassation devant la juridiction de renvoi, a interprété cet article 49 modifié
comme instituant au bénéfice de l’INA une présomption simple de consentement
préalable de l’artiste-interprète à l’exploitation commerciale de la fixation
de ses prestations figurant dans ses archives. La CJUE a validé la légalité de
cette présomption.

Droits de l’artiste-interprète

Pour rappel, l’article L. 212-3 du Code de la propriété
intellectuelle énonce que sont soumises à l’autorisation écrite de
l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa
communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de
l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et
l’image. La signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un
producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de
fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de
l’artiste-interprète. Le contrat fixe une rémunération distincte pour chaque
mode d’exploitation de l’œuvre.

Droits d’exploitation de l’INA confortés

L’INA, établissement public de l’État à caractère industriel
et commercial, est chargé de conserver et de mettre en valeur le patrimoine
audiovisuel national. L’institut assure notamment la conservation des archives
audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribue à leur
exploitation. La nature, les tarifs, les conditions financières des prestations
documentaires et les modalités d’exploitation de ces archives sont fixés par
convention entre l’institut et chacune des sociétés concernées. Ces conventions
sont approuvées par arrêté des ministres chargés du budget et de la
communication.

A ce titre l’institut exploite les
extraits des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme dans
les conditions prévues par les cahiers des charges. L’INA bénéficie des droits
d’exploitation de ces extraits à l’expiration d’un délai d’un an à compter de
leur première diffusion.

L’institut demeure propriétaire des
supports et matériels techniques et détenteur des droits d’exploitation des
archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme, qui lui ont été
transférés avant la publication de la loi n° 2000-719 du 1eraoût
2000. Les sociétés nationales de programme conservent toutefois, chacune pour
ce qui la concerne, un droit d’utilisation prioritaire de ces archives.

L’institut exerce les droits
d’exploitation cédés dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des
titulaires de droits d’auteurs ou de droits voisins du droit d’auteur et de
leurs ayants droit. Toutefois, par dérogation aux articles L.212-3 et
L.212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions
d’exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives et les rémunérations
auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus
entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés
représentatives des artistes-interprètes eux-mêmes et l’institut. Ces accords précisent
le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations.

Motivation de la position de la CJUE

Dans son arrêt du 16novembre 2016, Soulier et Doke (C‑301/15),
la CJUE a relevé au sujet des droits exclusifs de l’auteur, que la directive
2001/29 ne précise pas la manière dont le consentement préalable de
l’artiste-interprète doit se manifester, de sorte que ces dispositions ne
sauraient être interprétées comme imposant qu’un tel consentement soit
nécessairement exprimé de manière écrite ou explicite. Il y a lieu de
considérer, au contraire, que lesdites dispositions permettent de l’exprimer
également de manière implicite, pour autant, que les conditions dans lesquelles
un consentement implicite peut être admis soient définies strictement, afin de
ne pas priver de portée le principe même du consentement préalable.

En l’occurrence, s’agissant de l’artiste-interprète qui
participe à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle, il existe une présomption
réfragable, au profit de l’INA, d’autorisation, par cet artiste-interprète, de
la fixation et de l’exploitation de sa prestation, laquelle permet de pallier
l’exigence, prévue à l’article L.212-3 du code de la propriété
intellectuelle, de disposer d’une autorisation écrite dudit artiste‑interprète
pour de telles utilisations.

Un artiste-interprète qui participe lui-même à la
réalisation d’une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion par des
sociétés nationales de programme, et qui est ainsi présent sur le lieu
d’enregistrement d’une telle œuvre à ces fins, d’une part, a connaissance de
l’utilisation envisagée de sa prestation et, d’autre part, effectue sa
prestation aux fins d’une telle utilisation, de sorte qu’il est permis de
considérer, en l’absence de preuve contraire, qu’il a, du fait de cette
participation, autorisé la fixation de ladite prestation ainsi que
l’exploitation de celle-ci.

Ensuite, dans la mesure où la loi française permet à
l’artiste-interprète ou à ses ayants droit de démontrer que celui-ci n’a pas
consenti aux exploitations ultérieures de sa prestation, la présomption présente
un caractère réfragable. Ainsi, en ce que cette réglementation se borne à
déroger à l’exigence, posée à l’article L. 212-3 du code de la propriété
intellectuelle mais non prévue par le droit de l’Union, d’une autorisation
écrite de l’artiste-interprète, ladite réglementation ne concerne que
l’aménagement des modalités de preuve de l’existence d’une telle autorisation.

Enfin, une telle présomption permet de maintenir le juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits. En particulier, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, les artistes-interprètes doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation des fixations de leurs exécutions, de même que les producteurs pour financer ce travail. Or, en l’occurrence, faute pour l’INA de détenir, dans ses archives, les autorisations écrites des artistes‑interprètes ou de leurs ayants droit ou les contrats de travail conclus par ceux-ci avec les producteurs des programmes audiovisuels en cause, cet institut se trouverait dans l’impossibilité d’exploiter une partie de son fonds, ce qui s’avérerait préjudiciable aux intérêts d’autres titulaires de droits, tels que ceux des réalisateurs des œuvres audiovisuelles en cause, des producteurs de celles-ci, à savoir les sociétés nationales de programme, aux droits desquels vient l’INA, ou encore d’autres artistes-interprètes qui sont susceptibles d’avoir effectué des prestations dans le cadre de la réalisation des mêmes œuvres. Téléchargez la décision

Q/R juridiques soulevées :

Qu’est-ce que la présomption d’autorisation de l’artiste-interprète ?

La présomption d’autorisation de l’artiste-interprète, telle que reconnue par la CJUE, permet à l’INA d’exploiter des œuvres audiovisuelles sans avoir à obtenir une autorisation écrite préalable de l’artiste-interprète.

Cette présomption est qualifiée de simple, ce qui signifie qu’elle peut être contestée par la preuve du contraire. Cela ne remet pas en cause le droit exclusif de l’artiste-interprète, qui conserve le contrôle sur l’utilisation de sa prestation.

Les accords avec les organisations syndicales ne confèrent pas à ces dernières le droit d’autoriser ou d’interdire l’exploitation, mais visent uniquement à établir la rémunération de l’artiste.

Ainsi, l’INA peut commercialiser les vidéogrammes et phonogrammes des prestations d’artistes réalisées entre 1959 et 1978, période durant laquelle l’ORTF était actif.

Quel est le contexte du litige concernant l’INA ?

L’INA a rencontré des difficultés pour exploiter certaines parties de son fonds en raison de l’absence de contrats de travail avec les artistes-interprètes.

Sans autorisation écrite, comme l’exige l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, l’INA ne pouvait pas invoquer la présomption d’autorisation prévue à l’article L. 212-4.

La loi n° 2006/961 a été adoptée pour permettre à l’INA de remplir sa mission de service public, en modifiant l’article 49 de la loi relative à la liberté de communication.

Les tribunaux de Paris ont d’abord jugé que l’INA devait obtenir l’autorisation préalable des artistes-interprètes, mais la Cour de cassation a ensuite validé la présomption d’autorisation en faveur de l’INA.

Quels sont les droits de l’artiste-interprète selon le Code de la propriété intellectuelle ?

L’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle stipule que la fixation, la reproduction et la communication au public de la prestation d’un artiste-interprète nécessitent son autorisation écrite.

La signature d’un contrat entre l’artiste-interprète et un producteur pour une œuvre audiovisuelle est considérée comme une autorisation pour ces exploitations.

Chaque mode d’exploitation de l’œuvre doit être accompagné d’une rémunération distincte, garantissant ainsi que l’artiste soit dûment compensé pour l’utilisation de sa prestation.

Ces droits visent à protéger les intérêts des artistes-interprètes et à leur assurer une rémunération équitable pour leur travail créatif.

Comment les droits d’exploitation de l’INA sont-ils confortés ?

L’INA, en tant qu’établissement public, est responsable de la conservation et de la valorisation du patrimoine audiovisuel national.

Il exploite les archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme selon des conventions approuvées par les ministères concernés.

L’INA a le droit d’exploiter des extraits de ces archives un an après leur première diffusion, tout en respectant les droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteur.

Des accords spécifiques régissent les conditions d’exploitation et les rémunérations, établissant ainsi un cadre clair pour la collaboration entre l’INA et les artistes-interprètes.

Quelle est la motivation de la position de la CJUE ?

Dans son arrêt du 16 novembre 2016, la CJUE a souligné que la directive 2001/29 ne précise pas comment le consentement de l’artiste-interprète doit être exprimé.

Cela signifie que le consentement peut être implicite, tant que les conditions pour son acceptation sont strictement définies.

La présomption d’autorisation en faveur de l’INA est considérée comme réfragable, permettant à l’artiste-interprète de prouver qu’il n’a pas consenti à l’exploitation de sa prestation.

Cette approche vise à équilibrer les droits des artistes-interprètes et des producteurs, en garantissant que chacun puisse bénéficier d’une rémunération appropriée pour son travail.

En l’absence de cette présomption, l’INA serait dans l’impossibilité d’exploiter son fonds, ce qui nuirait également aux intérêts d’autres titulaires de droits.


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