Souveraineté numérique en Europe

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Souveraineté numérique en Europe

Souveraineté Numérique Européenne : Un Appel à l’Action

Une proposition de résolution européenne récemment soumise au Sénat vise à renforcer les conditions nécessaires à l’établissement d’une véritable souveraineté numérique en Europe. Cette initiative a pour but, en premier lieu, de demander à la Commission européenne d’appliquer de manière rigoureuse le cadre réglementaire numérique européen tout en répondant fermement aux tentatives de déstabilisation du cadre juridique et démocratique de l’Union. En second lieu, elle invite le gouvernement à défendre, lors des discussions au Conseil, une stratégie numérique européenne renouvelée qui mettrait l’accent sur le renforcement de solutions souveraines européennes. Cela inclut des domaines tels que les infrastructures, le développement de technologies, notamment celles liées à l’intelligence artificielle, le stockage de données et la gouvernance, dans le but de diminuer les dépendances et de promouvoir l’innovation ainsi que la compétitivité au sein de l’Europe. Enfin, la proposition appelle à un renforcement de l’arsenal législatif européen pour lutter contre les ingérences étrangères, la désinformation, et toute atteinte à la démocratie, aux valeurs fondamentales, ainsi qu’à la pluralité des médias.

Les Inquiétudes de la Communauté Internationale

Lors de son discours d’adieu à la Nation le 15 janvier 2025, le Président Joe Biden a exprimé ses préoccupations concernant l’émergence d’une « oligarchie » soutenue par un « complexe technologico-industriel », ainsi que l’« avalanche de désinformation qui permet l’abus de pouvoir ». Il a également plaidé pour que les réseaux sociaux soient tenus responsables de leurs actions. Ce message résonne avec les inquiétudes croissantes concernant les ingérences de ce même « complexe » dans les débats et processus démocratiques en Europe.

Les risques politiques et sociétaux associés à l’essor des réseaux sociaux ont été identifiés par l’Union européenne depuis plusieurs années. Cependant, la prise de conscience de leur impact systémique est relativement récente. Les réseaux sociaux sont désormais perçus comme de nouveaux champs de bataille idéologiques qui transcendent les frontières des États-nations. Ils permettent à certains acteurs politiques de diffuser des narratifs alternatifs à une échelle sans précédent, exploitant les interférences et la manipulation de l’information. L’objectif n’est pas tant de convaincre une audience de la validité d’une idéologie, mais plutôt de semer le trouble démocratique dans certaines sociétés, de propager la confusion et la méfiance envers les systèmes politiques, et d’encourager l’émergence de groupes conspirationnistes.

Des Règlements pour Protéger les Utilisateurs

Cette menace a conduit l’Union européenne à établir des règles juridiques spécifiques et contraignantes. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis le 25 mars 2018, vise à renforcer les droits des utilisateurs européens d’internet, à responsabiliser les acteurs traitant des données, et à assurer une coopération renforcée entre les autorités de protection des données. Parallèlement, le Règlement sur les marchés numériques (DMA) a pour objectif de prévenir les abus de position dominante des géants de l’internet et de garantir des conditions de concurrence équitables sur le marché numérique européen. En vertu du principe selon lequel « ce qui est interdit dans l’espace physique l’est également dans l’espace numérique », le Règlement sur les services numériques (DSA), entré en vigueur le 17 février 2024, établit un ensemble de règles destinées à responsabiliser les plateformes numériques dans la lutte contre les contenus illicites ou préjudiciables, tout en garantissant les droits fondamentaux des internautes européens et en prévenant la manipulation de l’information.

Des Sanctions pour les Plateformes Numériques

Pour renforcer la lutte contre les « risques systémiques des plateformes en ligne qui peuvent avoir des effets négatifs sur nos sociétés démocratiques », des lignes directrices adoptées le 26 mars 2024 par la Commission européenne ont été mises en place. Ces directives imposent des obligations supplémentaires aux très grandes plateformes en matière de surveillance des risques sur l’intégrité des processus électoraux en Europe. Cette législation, sans précédent au niveau mondial, prévoit également des sanctions pour les très grandes plateformes, avec des amendes pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. En cas de violations graves et répétées des règlements, une interdiction de leurs activités sur le marché européen peut également être envisagée.

Depuis l’adoption de ces règlements, seize enquêtes ont été ouvertes par la Commission européenne à l’encontre des très grandes plateformes en ligne, ce qui pourrait aboutir à d’éventuelles sanctions ou décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne. À ce jour, seule une enquête concernant TikTok a conduit à son retrait du programme Lite Rewards. Le 18 décembre 2023, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle d’infraction contre le réseau social X pour manquement aux règles européennes. En juillet 2024, des conclusions préliminaires de l’enquête ont révélé que X enfreignait ses obligations en matière de modération des contenus illégaux et de lutte contre la désinformation, notamment en ce qui concerne la transparence des publicités diffusées et l’accès aux données de la plateforme pour les chercheurs.

Un Changement de Paradigme

Nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme. Le contrôle quasi total des médias sociaux en Europe par des acteurs non européens, en l’absence d’alternatives, contribue à la dégradation de la diversité des médias et du débat démocratique. L’arsenal juridique européen est désormais devenu la cible des dirigeants des géants numériques, qui n’hésiteront pas à le remettre en question. Les plateformes et réseaux ne se contentent plus d’être des vecteurs de diffusion de fausses informations, d’idées illibérales et de théories du complot ; les dirigeants des deux plus grandes entreprises numériques mondiales sont aujourd’hui soupçonnés de manipuler leurs propres algorithmes pour diffuser leurs opinions et déstabiliser les cadres et processus démocratiques. Des dirigeants politiques sont également directement interpellés et ciblés, tandis que certains partis sont favorisés. L’entrée du patron du réseau X dans la nouvelle administration américaine pourrait transformer ces attaques en une guerre hybride, le plaçant comme un instrument du pouvoir en place.

Les Big Tech et la Redéfinition des Pouvoirs

Selon Asma Mhalla, « les Big Tech deviennent des entités hybrides qui remodèlent la morphologie des États, redéfinissent les jeux de pouvoir et de puissance entre nations, interviennent dans la guerre, et tracent les nouvelles frontières de la souveraineté. » Si ces entreprises sont au cœur de la puissance américaine face à la Chine, elles agissent également comme des agents perturbateurs de la démocratie.

Le 17 décembre 2024, la Commission européenne a ouvert une enquête sur TikTok, soupçonné d’avoir joué un rôle dans une campagne de soutien illicite orchestrée par la Russie en faveur du candidat d’extrême droite, Calin Georgescu, qui avait remporté le premier tour de l’élection du 24 novembre dernier, dont les résultats ont été annulés par la Cour constitutionnelle roumaine. Elon Musk a également soutenu directement le parti d’extrême droite AfD lors des élections fédérales allemandes prévues pour le 23 février 2025, tout en s’en prenant au Premier ministre britannique Keir Starmer, l’accusant d’être complice de réseaux pédocriminels.

Les Défis de la Régulation Numérique

Le 7 janvier dernier, Mark Zuckerberg, fondateur de Meta, a annoncé une révision de la politique de modération (« fact checking ») pour les États-Unis, laissant cette responsabilité aux notes de la communauté plutôt qu’aux modérateurs des plateformes. Il a également exprimé son intention de « travailler avec le Président Trump pour faire pression sur les gouvernements du monde entier qui s’en prennent aux entreprises américaines », tout en critiquant la régulation numérique européenne, qu’il considère comme une série de lois qui institutionnalisent la censure et entravent l’innovation.

La prudence, voire l’attentisme, manifestés récemment par les institutions européennes et la plupart des dirigeants européens face à ces attaques répétées, dans le souci de ménager l’allié américain, portent en elles les germes de la désunion et de l’inaction. Ce contexte devrait, au contraire, offrir une opportunité pour une réaffirmation européenne, alors qu’une bataille idéologique se profile, susceptible de servir les intérêts conjoints des dirigeants américain et russe.

Une Réaffirmation de l’Europe

La perspective d’une compétition accrue sur la scène internationale, qu’elle soit économique, industrielle, commerciale ou technologique, ainsi que la volonté du nouveau Président américain d’organiser le désordre mondial au profit exclusif des intérêts des États-Unis, soulignent la nécessité pour l’Europe de démontrer la pertinence de son modèle basé sur la primauté de l’État de droit. Aurore Lalucq, présidente de la commission des affaires économiques du Parlement européen, a rappelé à juste titre que « l’Europe ne peut plus faire preuve de faiblesse et de naïveté. Elle doit défendre ses acteurs et ses valeurs. Il en va de la protection de notre souveraineté économique, numérique et industrielle, tout autant que de la préservation du débat démocratique ». La lutte contre les ingérences étrangères devrait être le premier terrain d’entente à rechercher. L’Europe ne doit pas seulement devenir un refuge, mais également un recours, capable de s’ériger en modèle de référence sur la scène internationale. Il est impératif de réaffirmer les atouts d’une Europe Puissance.

Un Enjeu Vital pour l’Union Européenne

Dans ce contexte, le respect et l’application des règles numériques européennes constituent un enjeu vital pour l’Union européenne. Alors que la Commission européenne envisage une réévaluation des enquêtes en cours contre Apple, Meta et Google, qui pourrait conduire à une réduction ou une modification de leur portée, il est déterminant que l’impératif de diligence prime afin de réaffirmer la crédibilité du cadre réglementaire numérique, qui est le seul contraignant à l’échelle mondiale. L’Union européenne sera respectée uniquement si elle respecte et fait respecter ses propres lois.

Au sein du Parlement européen, les sociaux-démocrates, soutenus par les libéraux et une grande partie du PPE, estiment que « la nouvelle Commission européenne, et en particulier sa vice-présidente Henna Virkkunen, doivent tenir responsables Meta et les autres géants de la technologie, et les empêcher de se servir de l’élection de Donald Trump comme prétexte pour réinitialiser la réglementation du monde numérique aux États-Unis et ailleurs. La protection de la société et des citoyens européens en ligne est en jeu, tout comme la réputation de l’UE en tant que leader mondial en matière de réglementation du secteur technologique. »

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Q/R juridiques soulevées :

Qu’est-ce que la souveraineté numérique européenne ?

La souveraineté numérique européenne fait référence à l’établissement de conditions permettant à l’Europe de contrôler ses propres infrastructures numériques, technologies et données.

Cette initiative vise à réduire les dépendances vis-à-vis des acteurs non européens et à promouvoir l’innovation et la compétitivité au sein de l’Union européenne.

Elle inclut des domaines tels que le développement de technologies, le stockage de données et la gouvernance.

Quels sont les objectifs de la proposition de résolution européenne ?

La proposition de résolution européenne a plusieurs objectifs principaux.

Tout d’abord, elle demande à la Commission européenne d’appliquer rigoureusement le cadre réglementaire numérique européen.

Ensuite, elle invite le gouvernement à défendre une stratégie numérique renouvelée qui met l’accent sur des solutions souveraines européennes.

Enfin, elle appelle à un renforcement de l’arsenal législatif pour lutter contre les ingérences étrangères et la désinformation.

Quelles sont les préoccupations exprimées par le Président Joe Biden ?

Lors de son discours d’adieu, le Président Joe Biden a exprimé des préoccupations concernant l’émergence d’une « oligarchie » soutenue par un « complexe technologico-industriel ».

Il a également souligné l’« avalanche de désinformation » qui permet l’abus de pouvoir et a plaidé pour la responsabilité des réseaux sociaux.

Ces préoccupations résonnent avec les inquiétudes croissantes en Europe concernant les ingérences dans les processus démocratiques.

Quels règlements l’Union européenne a-t-elle mis en place pour protéger les utilisateurs ?

L’Union européenne a établi plusieurs règlements pour protéger les utilisateurs, notamment le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en vigueur depuis le 25 mars 2018.

Ce règlement vise à renforcer les droits des utilisateurs et à responsabiliser les acteurs traitant des données.

Le Règlement sur les marchés numériques (DMA) et le Règlement sur les services numériques (DSA) sont également en place pour garantir des conditions de concurrence équitables et lutter contre les contenus illicites.

Quelles sanctions sont prévues pour les plateformes numériques ?

Des lignes directrices adoptées le 26 mars 2024 imposent des obligations supplémentaires aux très grandes plateformes en matière de surveillance des risques sur l’intégrité des processus électoraux.

Ces directives prévoient des sanctions pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial des plateformes en cas de violations graves.

En cas de violations répétées, une interdiction de leurs activités sur le marché européen peut également être envisagée.

Quel est le changement de paradigme observé dans le contrôle des médias sociaux ?

Nous assistons à un changement de paradigme où le contrôle des médias sociaux en Europe est dominé par des acteurs non européens.

Cela contribue à la dégradation de la diversité des médias et du débat démocratique.

Les dirigeants des géants numériques sont soupçonnés de manipuler leurs algorithmes pour influencer les opinions et déstabiliser les processus démocratiques.

Comment les Big Tech redéfinissent-elles les pouvoirs ?

Les Big Tech deviennent des entités hybrides qui redéfinissent les relations de pouvoir entre nations et interviennent dans des conflits.

Elles agissent comme des agents perturbateurs de la démocratie, influençant les élections et les débats politiques.

Des enquêtes ont été ouvertes sur des plateformes comme TikTok pour leur rôle dans des campagnes de soutien illicite.

Quels défis la régulation numérique européenne doit-elle relever ?

La régulation numérique européenne fait face à des défis, notamment les critiques de dirigeants comme Mark Zuckerberg, qui considèrent ces régulations comme une censure.

La prudence des institutions européennes face à ces critiques pourrait mener à une désunion et à une inaction.

Il est essentiel que l’Europe réaffirme son modèle basé sur l’État de droit pour faire face à ces défis.

Pourquoi est-il vital pour l’Union européenne de respecter ses règles numériques ?

Le respect des règles numériques est vital pour l’Union européenne afin de maintenir sa crédibilité sur la scène mondiale.

La Commission européenne envisage une réévaluation des enquêtes contre des géants comme Apple et Google, ce qui pourrait affecter leur portée.

La protection des citoyens européens en ligne et la réputation de l’UE en tant que leader en matière de réglementation technologique sont en jeu.


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