En l’absence d’originalité les textes accompagnant des oeuvres muséales (photographies) ne sont pas protégés par les droits d’auteur. En revanche, les expériences immersives sont protégées si leur originalité est suffisamment établie.
Si la protection d’une oeuvre de l’esprit est acquise à son auteur sans formalité, quelqu’en soit le support et du seul fait de la création d’une forme originale traduisant le parti pris de son auteur, il appartient à celui qui se prévaut du droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue, seul l’auteur étant en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité. En la cause, la Ville de [Localité 4] revendique l’originalité au travers «la formulation employée, le choix des mots, des titres, le choix des photos et des codes couleurs, la présentation chronologique et le choix des évènements marquants». Ce faisant, elle procède essentiellement par voie d’affirmations descriptives, sans démonstration précise. L’énumération descriptive des éléments constituant le texte, sans expliciter en quoi l’ensemble est mis au service de la volonté créative d’un auteur. Surtout s’agissant d’une personne morale, il lui appartient de démontrer les directives précises données à ses agents pour donner à l’ensemble une cohérence créatrice. Les pièces produites au soutien n°1 et 3 selon les conclusions de la Ville de [Localité 4] permettent de vérifier que les textes ont été produits au soutien de l’exposition, dans le but de présenter aux visiteurs le contexte historique, social et personnel des photographies. Guidés par une volonté pédagogique, déterminée en concertation avec les médiatrices de l’exposition, il n’est pas fait la démonstration que les choix de contextualisation opérés seraient originaux. L’utilisation de titres ne traduit pas non plus cette originalité alors qu’au contraire ceux présentés au soutien des écritures apparaissent avec la mention « titre à trouver» ou l’ont été par référence aux chansons de l’auteur. En revanche, est protégé l’espace immersif («mur des sens») qui Les transpositions et la selection des produits significatifs et évocateurs de la vie de l’artiste, dans leur diversité caractérisent des choix qui ne peuvent être une stricte reproduction de la demeure et dès lors apparaissent comme originaux. La création de l’espace immersif était donc éligible à la protection du droit d’auteur. |
Résumé de l’affaire : La Ville de [Localité 4] a conclu un contrat avec la société Art Storm Consulting (ASC) pour une exposition au Musée des Beaux Arts, mais des désaccords ont émergé concernant la paternité des œuvres et leur rétribution. Après des tentatives infructueuses de reprise des droits, la Ville a assigné ASC en mars 2022 pour interdire la reproduction des œuvres et demander des dommages-intérêts. La Ville revendique la titularité des droits sur divers éléments de l’exposition, tandis qu’ASC conteste l’originalité de ces éléments et la titularité des droits. Le tribunal a constaté que l’espace immersif est protégé par le droit d’auteur au bénéfice de la Ville, mais a débouté la Ville de ses autres demandes, y compris l’indemnisation pour violation de droits d’auteur. L’astreinte pour la reproduction de l’espace immersif a été fixée à 1.000 € par infraction constatée.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Lille
RG n°
22/02042
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-
Chambre 01
N° RG 22/02042 – N° Portalis DBZS-W-B7G-V6WP
JUGEMENT DU 04 OCTOBRE 2024
DEMANDERESSE :
VILLE DE [Localité 4],
prise en la personne de Mme [M] [R], Maire de [Localité 4], ayant tous pouvoirs à cet effet.
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Martin GRASSET, avocat au barreau de LILLE
DÉFENDERESSE :
S.A.R.L. POINT TRIPLE INGENIERIE ,
venant aux droits de la société ART STORM CONSULTING,
immatriculée au RCS de LILLE sous le n° 833 024 607
Pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Mathieu MASSE, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Pierre MIRIEL, avocat au barreau de PARIS, plaidant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Carine GILLET,
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 08 Novembre 2023.
A l’audience publique du 13 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 04 Octobre 2024.
Marie TERRIER, Présidente de chambre, entendue en son rapport oral, et Juliette BEUSCHAERT, Vice-Présidente, qui ont entendu la plaidoirie, en ont rendu compte au Tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 04 Octobre 2024 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
Aux termes d’un acte d’engagement valant cahier des clauses particulières, la Ville de [Localité 4] a passé avec la société Art Storm Consulting [ci-après la société ASC] un marché public de prestations de service pour la production d’une exposition notamment des clichés photographiques de [T] [V], au sein du Musée des Beaux Arts de la ville de [Localité 4] intitulée «[O] et [K], album de famille par [T] [V]» entre le 7 avril et le 4 novembre 2018.
A la suite de cette exposition, des désaccords sont survenus entre la Ville de [Localité 4] et la société ASC sur la paternité des contenus de l’exposition et leur rétribution en cas de reprise.
Les tentatives de contractualisation de reprise se sont soldées par un échec au mois d’août 2020.
Suivant les termes de l’assignation délivrée le 15 mars 2022 devant le Tribunal judiciaire de Lille la Ville de [Localité 4] a fait attraire la société ASC aux fins d’interdiction de reproduction et de représentation sous astreinte des oeuvres de l’exposition et d’indemnisation complémentaire.
Sur cette assignation, la société ASC aux droits de laquelle vient désormais la SARL Point Triple Ingénierie s’est constituée et les parties ont échangé leurs conclusions.
Le juge de la mise en état a constaté la clôture de l’instruction au 8 novembre 2023 et a renvoyé l’affaire en audience collégiale au 13 juin 2024.
Suivant les termes des conclusions n°2 transmises par la voie électronique le 19 avril 2023, la Ville de [Localité 4] sollicite du tribunal au visa des articles L111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle de:
Interdire à la société Point Triple Ingénierie de reproduire ou de représenter les œuvres créées par la Ville de [Localité 4] pour l’exposition « [O] et [K], album de famille par [T] [V] », à savoir :
– Les textes de salles (grand texte rythmant le parcours d’exposition),
– L’espace immersif (reconstitution ludique d’un salon dans le style de la maison de [K] [X])
– La sélection des œuvres documentaires (œuvres, documentaires exposés ou diffusés dans l’exposition)
– Les outils de visites, leurs contenus pédagogiques et leurs déclinaisons signalétiques.
Dire que cette interdiction sera assortie d’une astreinte de 5.000 € par infraction constatée, le Tribunal se réservant le droit de liquider l’astreinte
Condamner la société Point Triple Ingénierie à payer à la Ville de [Localité 4] une somme de 6.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des reproduction et représentation de ses œuvres sans son consentement.
Condamner la société Point Triple Ingénierie à payer à la Ville de [Localité 4] une somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Au soutien de ses prétentions, elle affirme d’abord sa qualité à agir dès lors que les oeuvres ont été divulguées sous le nom du Musée des Beaux Arts de la ville de [Localité 4], structure dénuée de personnalité juridique.
Elle confirme que le cadre contractuel des relations a été défini par l’acte d’engagement de 2017 mais que la société ASC a été dépassée par l’événement de sorte qu’elle affirme que le Musée des Beaux Art s’est chargé de la rédaction des textes et des cartels puis de l’ensemble du parcours muséographique, le texte des salles, l’espace immersif, a sélectionné les oeuvres et a imaginé et conçu les outils de la visites et les contenus pédagogiques.
Elle conteste l’existence d’une cession de droits au bénéfice de ASC.
Elle revendique l’originalité des oeuvres en ce qu’elle s’est matérialisée :
– pour le texte des salles dans le choix des , mots, des titres, des photos et des codes couleurs, y compris pour certains à l’état de projet,
– pour l’espace immersif, elle considère que la scénographie dans l’emplacement, la disposition les boites à odeur ou à toucher sont autant de choix artistiques révélant la personnalité de l’auteur,
– pour les oeuvres documentaires , elle revendique ses recherches, son choix puis les références ou les textes d’accompagnement
– pour les outils de visite: au travers des parcours thématiques ou la reprise des onomatopées de la chanson Comic Strip
Elle considère que la titularité des oeuvres ne fait pas débat s’agissant d’une exposition tenue au sein du Musée des Beaux Arts de [Localité 4] dont les documents portent l’entête du musée des beaux arts et réalisés par le personnel du musée.
Elle conteste à la société ASC la possibilité de revendiquer l’acte d’engagement alors qu’elle n’a pas la titularité des oeuvres. Elle demande donc l’indemnisation pour les expositions de [Localité 8] et [Localité 3] et elle se fonde sur l’indemnisation de ce qui avait été envisagé à titre de rémunération lors de la convention de reprise.
Suivant conclusions transmises par la voie électronique le 31 mai 2023, la société ASC sollicite au visa des articles L111-1 et suivants, L.112-3 et L.341-1 du Code de la propriété intellectuelle, 16, 699 et 700 du Code de Procédure civile de :
JUGER que la Ville de [Localité 4] ne démontre pas l’originalité des éléments de l’exposition « [O] & [K] » à l’égard desquels elle revendique des droits exclusifs;
JUGER que la Ville de [Localité 4] ne démontre pas que la sélection des œuvres documentaires est protégeable au titre du droit du producteur de base de données ;
JUGER que la Ville de [Localité 4] ne démontre pas être l’auteure ou la titulaire de droits exclusifs sur les éléments qu’elle revendique ;
JUGER que la Ville de [Localité 4] ne démontre pas avoir subi une quelconque atteinte de ses droits causée par POINT TRIPLE INGENIERIE ;
En conséquence,
JUGER que l’action de la Ville de [Localité 4] est infondée ;
DEBOUTER la Ville de [Localité 4] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.
En tout état de cause,
CONDAMNER la Ville de [Localité 4] à verser à POINT TRIPLE INGENIERIE, la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la Ville de [Localité 4] aux entiers dépens, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile, dont distraction faite au profit de Maître Pierre MIRIEL.
Au soutien de ses prétentions, elle rappelle que le seul accord existant entre les parties est l’acte d’engagement valant cahier des clauses particulières. Si elle admet que le musée des beaux arts, qu’elle désigne comme le MBA ait pu rédigé une partie des textes, elle lui conteste toutefois le droit de revendier des droits sur la totalité de l’exposition.
Elle indique qu’une clause d’exclusivité empêchait l’ASC de produire l’exposition dans une autre ville des Hauts de France pour l’année 2018 mais qu’elle a souhaité entrer en discussion avec la Ville de [Localité 4] pour assurer à son profit un intéressement financier alors qu’il était envisagé une exposition à [Localité 8].
Elle souligne la déloyauté utilisée par les équipes de la Ville de [Localité 4] et des prétentions financières excessives réclamées pour une exposition plus petite dont l’adaptation était nécessaire.
Sur le fond, elle soutient que la demanderesse se contente de procéder par affirmation sans identifier précisément les éléments sur lesquels elle revendique l’identification en qualité d’oeuvre.
Pourtant, elle considère sur les textes, qu’une partie, les textes en friches, sont des documents préparatoires, uniquement descriptifs dans lesquels il ne ressort pas la personnalité de leur auteur.
Quant aux «textes de section», les textes sont présentés dans une version plus aboutie mais demeurent une description factuelle du contenu de l’exposition, elle même composée en «temps» qui reçoivent chacun le titre d’une chanson. Or, elle conteste tout droit d’auteur sur les chansons et réaffirme l’absence de toute empreinte de la personnalité.
Elle procède aux mêmes critiques pour les textes accompagnant les oeuvres documentaires» que pour les textes en friche.
S’agissant des textes de légende photo, elle affirme qu’ils ne sont que la retranscription d’extrait d’e-mails de [T] [V] pour relater le contexte ou le lieu de la prise de vue.
En réponse aux précisions apportées par la Ville de [Localité 4], elle remarque que les ébauches produites en demande sont sans image ni couleur et que ces éléments ne peuvent contribuer à assurer l’originalité d’un écrit, pas plus qu’un choix chronologique s’agissant d’une exposition retraçant la vie d’un artiste.
Finalement, elle refuse que l’originalité réside dans le choix des titres et des mots au risque de trouver dans tout écrit l’existence d’une originalité.
Au surplus, elle considère que la Ville de [Localité 4] ne fait pas la preuve de sa titularité des oeuvres, et que le musée des Beaux Arts n’a été que le lieu d’accueil des oeuvres de [T] [V] et de l’ASC sous les deux noms desquels l’exposition a été divulguée.
Elle considère que plusieurs preuves viennent au contraire contredire la présomption de titularité revendiquée par la Ville de [Localité 4], et notamment l’acte d’engagement.
Enfin, elle indique que dès lors que le contrat prévoit une clause d’exclusivité limitée dans le temps et dans l’espace, elle en déduit son droit de pouvoir produire cette exposition en d’autres lieux, sous réserve de son respect des conditions contractuelles.
Or, elle affirme que pour l’exposition de [Localité 8], seule ses textes ont été utilisées et qu’aucun élément ne permet de décrire les conditions dans lesquelles s’est tenue l’exposition de [Localité 3].
Sur l’espace immersif,
– elle reproche l’absence d’originalité de la scénographie
– elle rappelle la cession à son profit du droit de représentation, de reproduction et de publication consentie par l’acte de cession,
– elle conteste qu’il soit fait la preuve d’une reprise de cet espace dans les autres expositions.
Sur la sélection documentaire:
– là encore elle dénie toute démonstration de l’originalité
– elle revendique la plénitude contractuelle de la sélection des oeuvres à son profit sans cession,
– elle conteste avoir repris l’intégralité des oeuvres documentaires mais seulement deux bandes annonces.
Sur les outils de visite:
– elle déplore encore l’absence d’originalité
– elle revendique avoir contractuellement créé ces outils sans avoir procédé à aucune cession au bénéfice de la Ville de [Localité 4], de sorte qu’elle reste libre de leur exploitation
– elle affirme l’absence de reprise lors des expositions concurrentes.
Le délibéré de la présente décision a été fixé au 4 octobre 2024
Sur ce,
Le tribunal rappelle, à titre liminaire, qu’il n’est pas tenu de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
1) Sur la protection au titre des droits d’auteur
L ‘article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu’elle est originale, d’un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. L’originalité de l’œuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail créatif et résulte de choix arbitraires lui conférant une physionomie propre, révélatrice de la personnalité de son auteur.
L’article L112-1 du Code de la ppropriété intellectuelle prévoit que sont protégés les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Et selon l’article L121-1 dudit Code, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit attaché à sa personne est perpétuel, inaliénable et imprescriptible, l’article L121-2 précisant que l’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre.
Il en résulte qu’une scénographie ou encore un texte sont susceptibles d’être protégés au titre des droits d’auteurs, à la condition d’être original.
Dès lors, ni l’existence d’un acte d’engagement initial conclu en 2017 même s’il évoque la question de la cession et de la reproduction des droits patrimoniaux au sens du Code de la propriété intellectuelle au bénéfice de la Ville de [Localité 4], ni celle d’un projet de convention de reprise ultérieurement discuté entre les parties ne suffisent à eux seuls à exclure ou induire la qualification d’oeuvre pour les réalisations finalement assumées par la Ville de [Localité 4].
S’il est admis et même justifié que l’intervention des équipes du Musée des Beaux Arts a dépassé les prévisions contractuelles initiales qui imputaient à Art Storm la charge de la rédaction des textes, de la sélection documentaire et de la scénographie, ou qu’il avait pu être envisagé une rémunération pour le travail accompli par la Ville de [Localité 4], la protection de la création au titre du droit d’auteur demeure soumise aux règles issues du Code de la propriété intellectuelle, sans que la convention des parties ne puisse a priori exclure ou consacrer ce droit.
De plus, alors que la société Triple Point Energie conteste la titularité des droits au bénéfice de la ville de [Localité 4], force est de constater qu’elle ne conclut pas au défaut d’intérêt à agir ni n’a introduit d’incident de fin de non recevoir, elle n’est donc pas fondée à la remettre en cause, étant au surplus observé qu’elle n’allègue pas un droit concurrent sur les «oeuvres» alléguées mais uniquement l’existence de tiers, salariés du musée des Beaux Arts ou musée lui même, pour en déduire que la Ville de [Localité 4] ne pourrait cocomitamment revendiquer la qualité d’auteur.
Pourtant, aucune personne physique ne revendiquant pour elle-même ce droit d’auteur, et dès lors que la Ville de [Localité 4] affirme sans être démentie que le musée des Beaux Arts n’est pas doté de la personnalité juridique, et que l’acte d’engagement prévoyait effectivement que les parties engagées étaient Art Storm d’une part et la Ville de [Localité 4] d’autre part, il s’en déduit qu’elle est fondée à revendiquer la titularité des droits pour lesquels elle agit.
Ainsi, il appartient à la Ville de [Localité 4] de faire la preuve de l’originalité de ses créations pour prétendre à leur protection.
Sur l’originalité
Sur les textes des salles
Si la protection d’une oeuvre de l’esprit est acquise à son auteur sans formalité, quelqu’en soit le support et du seul fait de la création d’une forme originale traduisant le parti pris de son auteur, il appartient à celui qui se prévaut du droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue, seul l’auteur étant en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité.
A cet égard, la Ville de [Localité 4] revendique l’originalité au travers «la formulation employée, le choix des mots, des titres, le choix des photos et des codes couleurs, la présentation chronologique et le choix des évènements marquants».
Ce faisant, elle procède essentiellement par voie d’affirmations descriptives, sans démonstration précise.
L’énumération descriptive des éléments constituant le texte, sans expliciter en quoi l’ensemble est mis au service de la volonté créative d’un auteur. Surtout s’agissant d’une personne morale, il lui appartient de démontrer les directives précises données à ses agents pour donner à l’ensemble une cohérence créatrice.
Les pièces produites au soutien n°1 et 3 selon les conclusions de la Ville de [Localité 4] permettent de vérifier que les textes ont été produits au soutien de l’exposition, dans le but de présenter aux visiteurs le contexte historique, social et personnel des photographies.
Guidés par une volonté pédagogique, déterminée en concertation avec les médiatrices de l’exposition, il n’est pas fait la démonstration que les choix de contextualisation opérés seraient originaux.
L’utilisation de titres ne traduit pas non plus cette originalité alors qu’au contraire ceux présentés au soutien des écritures apparaissent avec la mention « titre à trouver» (pièce1.1) ou l’ont été par référence aux chansons de [K] [X] (pièce 1.2).
La sélection des oeuvres documentaires
Là encore, la Ville de [Localité 4] revendique un choix varié mené au travers de recherches, mais elle n’expose pas en quoi la selection finalement arrêtée correspondait à une volonté particulière et spéficique pour la mise en lumière du travail photographique d’[T] [V]. Elle se contente de revendiquer une sélection «non arbitraire» mais n’explicite pas ce choix qui ne saurait se déduire du seul fait qu’elle a négocié et payé les droits alors que ce choix pouvait aussi seulement être guidé par des contraintes de simples disponibilités des oeuvres, de moindre coût financier ou même aux fins d’une présentation chronologique des clichés mettant en scène la vie des deux artistes.
Il ne ressort pas non plus d’évidence à travers la lecture des cartels des oeuvres une cohérence originale menée par un but unique de mise en lumière.
Les outils de visite
La même analyse peut être menée sur les outils de visite dont le caractère ludique se trouve justifié par le jeune public auquel ils sont destinés, la reprise des onomatopées de la chanson Comic Strip étant directement issue du clip, la Ville de [Localité 4] ne peut en revendiquer pour elle-même l’originalité.
L’espace immersif
Sur l’espace immersif ou intitulé «mur des sens», la Ville de [Localité 4] expose la poursuite d’une reconstitution ludique à contenu pédagogique d’un salon dans le style de la maison de [K] [X] à [Localité 7] quand [O] [V] y vivait à ses côtés.
Il se traduit de sa présentation et du choix des matériaux et de la mise en scène opéré, la volonté de faire ressentir au visiteur par l’expérimentation de quatre de ses sens: odorat, ouie, toucher, vue, l’expérimentation physique du cadre de vie des deux artistes.
Les transpositions et la selection des produits significatifs et évocateurs de la vie de [K] [X], dans leur diversité caractérisent des choix qui ne peuvent être une stricte reproduction de la demeure et dès lors apparaissent comme originaux.
La création de l’espace immersif est éligible à la protection du droit d’auteur.
En conséquence, il y a lieu d’interdire à la SARL Point Triple Ingénierie venant aux droits de la société Art Storm de reproduire ou de représenter l’espace immersif reconstitution ludique d’un salon dans le style de la maison de [K] [X]) (tel que décrit par la pièce 2 de la demanderesse) créé par la Ville de [Localité 4] pour l’exposition « [O] et [K], album de famille par [T] [V] », d’une astreinte de 1.000 € par infraction constatée suivant la signification de la présente décision.
Il y a lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte.
2) sur la demande indemnitaire
Selon l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il appartient à la Ville de [Localité 4] qui sollicite l’indemnisation pour les utilisations antérieures de de démontrer l’existence d’une reprise de la seule oeuvre éligible au droit d’auteur, l’espace immersif.
En l’espèce, il est acquis tant de la lecture de la réponse du conseil de la défenderesse (pièce n°7) que du rapport de visite de la Ville de [Localité 4] (pièce n°9) que l’espace immersif n’a pas été repris lors de l’exposition de [Localité 8].
De même, aucune des pièces n°13 produites au soutien de son affirmation sur la reprise de l’exposition au [5] de [Localité 3] du 14 février 2020 au 26 avril 2020 ne permet d’identifier et de s’assurer de la reprise de l’espace immersif au support de cette nouvelle exposition.
La ville de [Localité 4] qui se contente de raisonner par supposition échoue à démontrer la reprise non autorisée de son oeuvre et sera déboutée de sa demande indemnitaire.
3) sur les autres demandes
Compte tenu du sens de la présente décision, il y a lieu de laisser les dépens à la charge de ceux les ayant exposés.
L’équité ne commande pas de condamner l’une ou l’autre des parties à supporter une indemnité au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile, elles en seront respectivement déboutées.
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort:
DIT que l’espace immersif «mur des sens » (reconstitution ludique d’un salon dans le style de la maison de [K] [X]) (tel que décrit par la pièce 2 de la Ville de [Localité 4]) est éligible à la protection au titre du droit d’auteur au bénéfice de la Ville de [Localité 4];
DEBOUTE la Ville de [Localité 4] du surplus de ses demandes relatives à la protection des textes des salles, des sélections des oeuvres documentaires et des outils de visite;
INTERDIT à la SARL Point Triple Ingénierie venant aux droits de la société Art Storm de reproduire ou de représenter l’espace immersif, reconstitution ludique d’un salon dans le style de la maison de [K] [X]) (tel que décrit par la pièce 2 de la demanderesse) créé par la Ville de [Localité 4] pour l’exposition « [O] et [K], album de famille par [T] [V] », d’une astreinte de 1.000 € par infraction constatée suivant la signification de la présente décision;
SE RESERVE la liquidation de l’astreinte;
DEBOUTE la Ville de [Localité 4] de sa demande indemnitaire au titre de la violation du droit d’auteur ;
DEBOUTE la Ville de [Localité 4] comme la société Point Triple Ingénierie de leurs demandes faites au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge des parties les ayant exposés ;
RAPPELLE que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Benjamin LAPLUME Marie TERRIER
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