Saveur d’un produit : droits d’auteur exclus

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Saveur d’un produit : droits d’auteur exclus

L’Essentiel : La CJUE a statué que la saveur d’un produit alimentaire ne peut être considérée comme une œuvre protégée par le droit d’auteur. Cette décision repose sur le fait que la notion d’« œuvre » nécessite une expression identifiable et objective, ce qui est impossible pour une saveur, intrinsèquement subjective et variable selon les individus. Les facteurs personnels, tels que l’âge et les préférences alimentaires, ainsi que le contexte de dégustation, influencent la perception gustative. Par conséquent, la protection par le droit d’auteur ne peut s’appliquer aux saveurs, en raison de leur nature instable et de la difficulté d’une identification précise.

Position solennelle de la CJUE

Réunie en grande chambre, la CJUE a dit non : une saveur de produit alimentaire ne peut pas être qualifiée d’œuvre au titre du droit d’auteur. La notion d’« œuvre » implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente. En effet, d’une part, les autorités doivent pouvoir connaître avec clarté et précision les objets ainsi protégés. Il en va de même des particuliers, notamment des opérateurs économiques, qui doivent pouvoir identifier avec clarté et précision les objets protégés au profit de tiers, notamment de concurrents.

D’autre part, la nécessité d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique, dans le processus d’identification de l’objet protégé implique que ce dernier puisse faire l’objet d’une expression précise et objective. L’identification de la saveur d’un produit alimentaire repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables puisqu’elles dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné, tels que son âge, ses préférences alimentaires et ses habitudes de consommation, ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté. En outre, une identification précise et objective de la saveur d’un produit alimentaire, qui permette de la distinguer de la saveur d’autres produits de même nature, n’est pas possible par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique.

Conditions de la protection d’une œuvre

De nombreux motifs s’opposaient à cette protection. L’instabilité d’un produit alimentaire et le caractère subjectif de la perception gustative font obstacle à la qualification d’une saveur d’un produit alimentaire comme œuvre protégée au titre du droit d’auteur. De surcroît, les droits exclusifs de l’auteur d’une œuvre de propriété intellectuelle et les limitations auxquelles ces droits sont soumis seraient, en pratique, inapplicables aux saveurs.

Pour qu’un objet puisse revêtir la qualification d’« œuvre », au sens de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 il importe que soient réunies deux conditions cumulatives : i) D’une part, il faut que l’objet concerné soit original, en ce sens qu’il constitue une création intellectuelle propre à son auteur (arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08) ; ii) D’autre part, la qualification d’« œuvre », au sens de la directive 2001/29, est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création intellectuelle (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2009, Infopaq International, C‑5/08, EU:C:2009:465, point 39, ainsi que du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 159).

L’Union, bien que n’étant pas partie contractante à la convention de Berne, est néanmoins obligée, en vertu de l’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, auquel elle est partie et que la directive 2001/29 vise à mettre en œuvre, de se conformer aux articles 1er à 21 de la convention de Berne (arrêts du 9 février 2012, Luksan, C‑277/10, C‑510/10).  Or, aux termes de l’article 2 de la convention de Berne, les œuvres littéraires et artistiques comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression. Par ailleurs, au sens de l’article 2 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et d l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur (CJUE, 2 mai 2012, SAS Institute, C‑406/10).

Le « Heksenkaas »

La solution de la CJUE a été rendue à propos du «  Heksenkaas », fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes, créé par un marchand de légumes et de produits frais néerlandais. Par un contrat conclu au cours de l’année 2011 et en contrepartie d’une rémunération liée au chiffre d’affaires à réaliser sur sa vente, son créateur a cédé à Levola ses droits de propriété intellectuelle sur ce produit. A noter qu’un brevet pour la méthode de production du Heksenkaas a été demandé et octroyé.

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Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la position de la CJUE concernant la protection des saveurs par le droit d’auteur ?

La CJUE a clairement établi que la saveur d’un produit alimentaire ne peut pas être considérée comme une œuvre protégée par le droit d’auteur. Cette décision repose sur plusieurs critères fondamentaux liés à la définition même d’une œuvre au sens du droit d’auteur.

Tout d’abord, la notion d’« œuvre » nécessite une expression identifiable de l’objet protégé. Cela signifie que pour qu’un produit soit protégé, il doit être possible de l’identifier de manière précise et objective. Or, la saveur est intrinsèquement subjective, dépendant des sensations et des expériences gustatives de chaque individu.

De plus, la CJUE souligne que l’identification d’une saveur ne peut pas être réalisée de manière technique avec les moyens scientifiques actuels, ce qui complique encore la possibilité de protection. En conséquence, la protection par le droit d’auteur ne peut pas s’appliquer aux saveurs, car elles ne répondent pas aux critères d’originalité et d’expression objective requis.

Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un objet soit qualifié d’œuvre au sens du droit d’auteur ?

Pour qu’un objet soit qualifié d’« œuvre » au sens du droit d’auteur, deux conditions cumulatives doivent être remplies. La première condition est que l’objet doit être original, ce qui signifie qu’il doit constituer une création intellectuelle propre à son auteur. Cette originalité est essentielle pour garantir que l’œuvre est le fruit d’un effort créatif.

La seconde condition stipule que l’objet doit être l’expression d’une telle création intellectuelle. Cela implique que l’œuvre doit être identifiable et distincte, permettant ainsi aux autorités et aux particuliers de reconnaître clairement les objets protégés.

Ces conditions sont ancrées dans la directive 2001/29 et sont également en accord avec les principes établis par la convention de Berne, qui régit la protection des œuvres littéraires et artistiques. En résumé, sans originalité et expression identifiable, un objet ne peut pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Quel est le cas spécifique du « Heksenkaas » et quelle a été la décision de la CJUE à son sujet ?

Le cas du « Heksenkaas », un fromage à tartiner néerlandais, a été examiné par la CJUE dans le cadre de la question de la protection des saveurs. Ce produit a été créé par un marchand de légumes et de produits frais, qui a cédé ses droits de propriété intellectuelle à une entreprise nommée Levola en 2011.

La CJUE a statué que la saveur du Heksenkaas ne pouvait pas être protégée par le droit d’auteur, en raison des raisons déjà évoquées concernant la subjectivité de la perception gustative et l’absence d’une expression objective et identifiable de cette saveur.

Il est également important de noter qu’un brevet a été demandé et accordé pour la méthode de production du Heksenkaas, ce qui montre que d’autres formes de protection de la propriété intellectuelle peuvent être envisagées, mais pas le droit d’auteur pour la saveur elle-même. Cette décision souligne les limites de la protection des saveurs dans le cadre du droit d’auteur, tout en ouvrant la voie à d’autres types de protection.


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