Rupture des relations commerciales : enjeux de la bonne foi et de la force majeure en période de crise sanitaire.

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Rupture des relations commerciales : enjeux de la bonne foi et de la force majeure en période de crise sanitaire.

L’Essentiel : La SARL ULYSSE GARD, spécialisée dans le transport d’enfants pour l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX, a vu ses services suspendus en raison de la COVID-19. Après le confinement, l’association ne sollicita plus ses services, poussant ULYSSE GARD à demander une indemnisation. Suite à des échanges infructueux, la société a assigné l’association en justice, réclamant des dommages-intérêts pour rupture unilatérale de contrat. Le tribunal a finalement rejeté les demandes de HANDI GARD, considérant que l’association avait agi de bonne foi, et a condamné HANDI GARD à verser des frais de justice à l’association.

Contexte de l’affaire

La SARL ULYSSE GARD, spécialisée dans le transport routier et de voyageurs, était en charge des déplacements d’enfants accueillis par l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX, IME « LES [7] ». En raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19, l’association a suspendu l’accueil des enfants à partir du 17 mars 2020, ce qui a conduit à l’arrêt des services de transport.

Reprise d’activité et demande d’indemnisation

Après la levée du confinement le 11 mai 2020, la société ULYSSE GARD a constaté que l’IME ne sollicitait plus ses services comme auparavant. Par une lettre du 21 août 2020, elle a demandé une indemnisation et des éclaircissements sur l’organisation future des relations commerciales. L’offre de convention proposée par l’IME, jugée insuffisante pour garantir ses investissements, n’a pas été acceptée par ULYSSE GARD.

Assignation en justice

Suite à des échanges de courriers infructueux concernant la rupture des relations commerciales, la société HANDI GARD (anciennement ULYSSE GARD) a assigné l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX devant le tribunal judiciaire de Nîmes le 22 juillet 2021, demandant réparation pour les préjudices subis.

Demandes de la SARL HANDI GARD

Dans ses dernières écritures, HANDI GARD a demandé au tribunal de débouter l’association de ses demandes et de lui verser des dommages-intérêts pour un total de 119 184,85 euros, en raison de la rupture unilatérale de la relation commerciale. Elle a soutenu que l’IME avait manqué à ses obligations contractuelles en ne reprenant pas les tournées après le confinement.

Réponse de l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX

L’ASSOCIATION a contesté les accusations de rupture brutale, affirmant avoir agi de bonne foi et en conformité avec les restrictions sanitaires. Elle a demandé au tribunal de constater l’absence de rupture abusive et de débouter HANDI GARD de ses demandes, tout en réclamant des frais de justice.

Analyse de la relation commerciale

Le tribunal a examiné la relation commerciale entre les parties, concluant qu’elle était établie depuis 2003 et devait être analysée selon les dispositions du code de commerce. Il a noté que la société HANDI GARD n’avait pas respecté les obligations contractuelles en ne signant pas la convention proposée.

Décision du tribunal

Le tribunal a rejeté les demandes de HANDI GARD, considérant qu’aucune inexécution contractuelle fautive ne pouvait être imputée à l’ASSOCIATION. Il a également condamné HANDI GARD à payer 2 500 euros à l’ASSOCIATION au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a ordonné le remboursement des dépens.

Conclusion

La décision a été rendue exécutoire à titre provisoire, et le tribunal a débouté les parties de leurs demandes supplémentaires. La situation a mis en lumière les défis rencontrés par les entreprises de transport durant la crise sanitaire et les implications juridiques des relations commerciales en période de force majeure.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de la relation commerciale entre la SARL HANDI GARD et l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX ?

La relation commerciale entre la SARL HANDI GARD et l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX est qualifiée de relation commerciale établie, conformément aux dispositions de l’article L442-1 du Code de commerce.

Cet article stipule que « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. »

En l’espèce, il est établi que les deux parties ont entretenu une relation d’affaires depuis 2003, soit pendant 17 ans, ce qui démontre un caractère suffisamment prolongé, régulier et significatif de leur collaboration.

Cette relation doit donc être analysée à la lumière des dispositions de l’article L442-1, qui protège les parties contre une rupture brutale sans préavis.

Quelles sont les conséquences de l’inexécution contractuelle selon le Code civil ?

Les conséquences de l’inexécution contractuelle sont régies par l’article 1231-1 du Code civil, qui stipule que « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Dans le cas présent, la SARL HANDI GARD invoque une inexécution contractuelle en raison de la suspension des prestations de transport à partir du 17 mars 2020, en lien avec la crise sanitaire.

Cependant, l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX se défend en arguant que cette situation relève de la force majeure, conformément à l’article 1218 du Code civil, qui précise que « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. »

Ainsi, l’absence de reprise des tournées après le 11 mai 2020 ne peut être imputée à l’Association, car elle a agi dans le cadre des contraintes sanitaires imposées.

Quelles sont les implications de la rupture brutale de la relation commerciale ?

La rupture brutale de la relation commerciale est encadrée par l’article L442-1 du Code de commerce, qui impose un préavis écrit en cas de rupture d’une relation commerciale établie.

Cet article précise que « En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. »

Dans cette affaire, la SARL HANDI GARD a rompu la relation commerciale sans respecter un préavis adéquat, ce qui pourrait engager sa responsabilité.

Cependant, il est également important de noter que l’Association a tenté de maintenir la relation en proposant un nouveau contrat, ce qui démontre sa bonne foi.

La SARL HANDI GARD, en revanche, a choisi de ne pas donner suite à cette proposition, ce qui complique sa position quant à la revendication d’une rupture abusive.

Quels sont les critères de force majeure selon le Code civil ?

Les critères de force majeure sont définis par l’article 1218 du Code civil, qui stipule que « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

Dans le contexte de la crise sanitaire, l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX a invoqué la force majeure pour justifier l’impossibilité d’exécuter le contrat de transport.

Les mesures de confinement et les restrictions sanitaires imposées par les autorités ont effectivement constitué un événement imprévisible et inévitable, empêchant l’Association de mandater les transporteurs.

Ainsi, l’Association ne peut être tenue responsable de l’inexécution des obligations contractuelles en raison de ces circonstances exceptionnelles.

Comment le tribunal a-t-il statué sur les demandes de dommages-intérêts ?

Le tribunal a statué sur les demandes de dommages-intérêts en se fondant sur les articles 1231-1 et L442-1 du Code civil et du Code de commerce.

Il a rejeté les demandes de la SARL HANDI GARD, considérant qu’aucune inexécution contractuelle fautive ne pouvait être imputée à l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX.

Le tribunal a également noté que la SARL HANDI GARD n’a pas pu établir de lien de causalité entre la diminution de son chiffre d’affaires et l’absence de reprise des transports, en raison de l’absence de preuves suffisantes.

En conséquence, les demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive de la relation commerciale ont également été rejetées, car la SARL HANDI GARD n’a pas démontré que la rupture était imputable à l’Association.

Le tribunal a donc débouté la SARL HANDI GARD de toutes ses demandes, condamnant cette dernière à payer des frais à l’Association en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile.

Copie ❑ exécutoire
❑ certifiée conforme
délivrée le
à
la SELARL CABINET LAMY POMIES-RICHAUD AVOCATS ASSOCIES
MONCIERO AVOCAT

TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
Le 06 Janvier 2025
1ère Chambre Civile
————-
N° RG 21/03106 – N° Portalis DBX2-W-B7F-JEAT

JUGEMENT

Le Tribunal judiciaire de NIMES, 1ère Chambre Civile, a, dans l’affaire opposant :

S.A.R.L. HANDI GARD,
anciennement S.A.R.L. ULYSSE GARD
SIRET N°44999661000019 – Agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège., dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par MONCIERO AVOCAT, avocats au barreau de NIMES, avocats plaidant,

à :

Association D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX INSTITUT MEDICO-EDUCATIF « LES [7] »
Agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège., dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par la SELARL CABINET LAMY POMIES-RICHAUD AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocats postulant et par Me BOUSSAC Marie, avocat au barreau de Montpellier, avocats plaidant.

Rendu publiquement, le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 4 Novembre 2024 devant Nina MILESI, Vice-Présidente, Antoine GIUNTINI, Vice-président, et Margaret BOUTHIER-PERRIER, magistrat à titre temporaire, assistés de Aurélie VIALLE, greffière, et qu’il en a été délibéré entre les magistrats.

EXPOSE DU LITIGE

La SARL ULYSSE GARD, spécialisée dans le transport routier et de voyageurs prenait en charge des jeunes accueillis par l’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX, IME « LES [7] » dans le cadre de leurs déplacements aller-retour de leur domicile au centre d’accueil.
Lors de la crise sanitaire et du confinement général du 17 mars 2020, l’association LES [7] a dû suspendre tout accueil d’enfants sur son site.
Lors de la levée du confinement le 11 mai 2020, et dans le cadre de la reprise d’activité la societé ULYSSE GARD a consideré, que l’IME, ne faisait plus appel à ses services comme précédement. Elle a par l’intermédiaire de son conseil, par lettre du 21 août 2020, sollicité une indemnisation et une demande d’éclaircissement sur l’organisation des relations commerciales à venir.
Considérant également que la convention proposée par le centre d’accueil le 21 août 2020 à signer avant le 24 août 2020 pour une prise en charge des enfants à compter du 26 aout, n’offrait pas de garantie serieuse pour ses investissements, la societé ULYSSE GARD n’a pas donné suite à l’offre de collaboration.
Après différents échanges de courriers, restés infructueux, tenant aux causes et conséquences de la rupture des relations entre les parties, la societé HANDI GARD,(anciennement ULYSSE GARD), a par acte en date du 22 juillet 2021, fait délivrer une assignation à comparaître devant le tribunal judiciaire de Nîmes à L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX « LES [7] » afin d’obtenir réparation de ses préjudices résultant de la rupture.
* * *
Aux termes de ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 07 décembre 2023, la SARL HANDI GARD demande au tribunal, de :
– DEBOUTER L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX IME « LES [7] » de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– CONDAMNER L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX IME « LES [7] à payer à la SARL HANDI GARD la somme de 23.181,32 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte qu’elle a faite et du gain dont elle a été privée afférente à l’inexécution du contrat ;
– JUGER de l’existence d’une relation commerciale établie entre la SARL HANDI GARD et L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX IME « LES [7] » ;
– JUGER que L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX IME « LES [7] » a rompu brutalement, unilatéralement, et à tout le moins partiellement, la relation commerciale établie avec la SARL HANDI GARD ;
– CONDAMNER L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX IME « LES [7] », à payer à la SARL HANDI GARD la somme de 94.003,53 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la rupture brutale, unilatérale, et à tout le moins partielle, de la relation commerciale établie ;
– CONDAMNER L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX IME « LES [7] » à payer à la SARL HANDI GARD, la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Elle soutient que l’IME “Les [7]” a manqué à ses obligations contractuelles en ne reprenant pas le 11 mai 2020, les tournées suspendues à compter du 17 mars 2020 en raison de la crise sanitaire. Elle fait état d’une demande de tournée seulement pour trois jours, sans explication concernant la suite de l‘exécution du contrat. Elle soutient avoir dès lors, dû licencier du personnel et tenté de retrouver une affectation aux véhicules acquis spécifiquement pour exécuter son contrat auprès de l’IME LES [7]. Elle ajoute être restée sans nouvelle jusqu’au 21 août 2020.
En réplique aux conclusions adverses, elle indique ne pas avoir refusé de travailler mais avoir pris des dispositions afin de continuer à générer du chiffre d’affaires. Elle ajoute être dans l’obligation de continuer à payer ses salariés durant la période de silence de l’IME “Les [7]”.
Elle fait grief à cet institut de ne pas avoir honoré l’engagement pris par contrat de maintenir le paiement même lors de suspension de l ‘activité. Elle se réfère à l’article 3 du contrat 2020-2021 qui stipule que toute réduction d’activité sur l’année liée à l’épidémie de Covid 19 n’entraînera aucune diminution de facturation des courses préétablies pour une activité pleine.
Elle estime que les relations commerciales établies entre elle et l’IME “Les [7]” ont été rompues brutalement. Au soutien de ce moyen elle précise que la relation commerciale entre les deux structures était établie de longue date (2003) et marquée par une progression de son chiffre d’affaires annuel passant de 57 312,36 euros en 2018 à 70 894,31 euros en 2020. Elle indique n’avoir disposé que de 48 heures pour donner suite à une demande de devis émanant de l’IME “Les [7]” et de moins de cinq jours pour mettre en place les tournées annuelles, ce qu’elle qualifie d’impossible.
Elle fait valoir que la modification unilatérale des conditions contractuelles caractérise une rupture brutale de la relation commerciale si cette modification est substantielle, que tel est la cas en l’espèce en raison de la réduction significative des flux. Enfin elle invoque l‘absence de préavis.
Elle fixe son préjudice en se réferant au gain manqué, à l’achat de deux nouveaux véhicules et à la modification significative de l’organisation de son personnel.

* * *

Aux termes de ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 22 mai 2024, l’Association d’Aide aux Enfants déficients mentaux, l’AAEDM,( l ‘Association) demande au tribunal de  :
A titre principal,
– CONSTATER l’absence de rupture brutale de relation commerciale par l’association D’aide aux Enfants déficients mentaux;
– CONSTATER la loyauté et la bonne foi de l’Association d’Aide aux Enfants déficients mentaux dans ses relations commerciales avec la SARL HANDI-GARD;
– CONSTATER que la SARL HANDI-GARD est infondée dans ses demandes,
– DEBOUTER la SARL HANDI-GARD de l’intégralité de ses demandes, au demeurant injustifiées dans leur principe et à titre infiniment subsidiaire dans leur quantum.
En tout état de cause ,
– CONDAMNER la SARL HANDI-GARD aux dépens,
– CONDAMNER la SARL HANDI-GARD à verser à l’association d’Aide aux Enfants déficients mentaux la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elle rappelle l’interdiction de déplacement mise en place lors du confinement de mars 2020. Elle a informé les parents de l‘absence d’accueil des enfants qui a duré jusqu’au 11 mai 2020. Elle ajoute que la reprise a été partielle en raison des consignes santaires très strictes pour l ‘accueil des jeunes. Elle détaille les différentes phases du confinement général à la reprise partielle et progressive de l‘accueil des enfants. Elle invoque les dispositions de l‘article 1218 tenant à la force majeure, avec l’impossibilité d’éxécuter les contrats de transport.
En réplique aux écritures adverses, elle précise n’avoir eu aucun silence à l’encontre de son cocontractant et avoir tenté de l’accompagner au mieux. Concernant l’impact économique, le défendeur rappelle que des aides ont été versées aux entreprises en difficultés et estime ne pas être fautive.
Elle explique avoir procédé à un égal traitement de ses prestataires lors du retour progressif du transport des enfants. Elle précise que les besoins se sont trouvés réduits à la sortie du confinement. Elle ajoute avoir repris contact lors de la rentrée 2020-2021, avec toutes les entreprises de transports le 21 août 2020.
En réponse aux écritures du demandeur, l’Association « LES [7] » dit avoir respecté son obligation en faisant une proposition d’intervention, certes tardive, à la SARL HANDI-GARD.
En outre, l’Association reproche à la SARL HANDI-GARD d’avoir rompu leur engagement sans préavis l’obligeant à chercher en urgence d’autres prestataires le 24 août 2020. Elle relève que HANDI-GARD s’était dèjà engagée avec une autre association l’ARERAM sise à [Localité 6].
Dès lors, elle estime que le demandeur ne peut revendiquer une rupture abusive des relations commerciales et solliciter une indemnisation. Le défendeur soutient enfin que les arguments avancés par le demandeur quant à l’existence d’un préjudice basé sur la réorganisation des ressources humaines et l’achat de deux nouveaux véhicules sont mal fondés.
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Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

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La clôture est intervenue le 27 mai 2024 par ordonnance en date du 07 mars 2024 et fixée à plaider le 17 juin 2024 fixé. Par ordonnance du 17 juin 2024, le rabat de la cloture a été prononcée et fixée au 21 octobre 2024.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale 04 novembre 2024 pour être plaidée.
La décision a été mise en délibéré au 6 janvier 2025.

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MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes indemnitaires à l’encontre de l‘association LES [7]

➔Sur la relation entre les parties

Aux termes de l ‘article 1103 du code civil “Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.” et selon l ‘article 1104 ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

En l’espèce il est établi par les pièces produites, que depuis l‘année 2010, lors de chaque rentrée scolaire, il était proposé à l’entreprise de transport un kilométrage moyen par tournée et par jour, avec un tarif kilométrique. Un coût annuel était fixé et lissé mensuellement sur l‘année. Il en ressort que la societé ULYSSE GARD s’est vu proposer pour les dernières années, des facturations:
En 2017: d’un montant de 33 476,02 €
En 2018: d’un montant de 32 194,17 € avec des mentions des tournées ( [Localité 5]/[Localité 4]).
En 2019:
*21 825,93€ pour la tournée [Localité 4]
*24 516,15 pour la tournée [Localité 5] et 33 701,81 € pour la tournée d’[Localité 3].

En raison des conventions tarifaires signées par les parties en contrepartie d’une prestation de transport, le caractère contractuel de la relation doit être retenu, ce qui n’est pas remis en cause par les parties.

En outre pour qu’une relation commerciale soit “établie”, il faut que soit démontré le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d’affaires existant entre les parties pour laisser augurer la poursuite des relations commerciales. Elle doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.

En l‘occurence il est admis par les deux parties qu’elles étaient en relation d’affaires depuis 17 ans, soit depuis l‘année 2003.

Dès lors la relation entre les deux entités doit être qualifiée de relation commerciale établie et doit en conséquence être analysée à l‘aune des dispositions de l‘article L442-1 du code de commerce dans le cadre de la rupture desdites relations.

➔Sur la demande indemnitaire au titre de l’inexécution contractuelle

Selon les dispositions de l’article 1147 devenu 1231-1 du code civil «Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

En l’espèce l’inexécution contractuelle invoquée est expliquée par une baisse du chiffre d’affaires en raison de l’arrêt des prestations de transport à compter du 17 mars 2020 et par l’absence de reprise des tournées prévues à compter du 11 mai 2020 date de levée du confinement. La demande est également fondée sur les dispositions contractuelles contenues dans le projet de contrat 2020-2021 en son article 3 qui stipulent« Il est par ailleurs convenu entre les parties , à titre tout à fait exceptionnel, au vu de la spécificité de l’intervention pour l’année à venir, du fait de la crise sanitaire actuelle, que toute réduction d’activité sur l’année liée à l’épidémie de covid 19 n’entrainera aucune diminution de facturation des courses préétablies pour une activité pleine ».

Il est relevé que la société HANDI GARD demande l’application d’une clause n°3 d’un contrat qu’elle n’a pas signé. Dès lors sa demande ne peut être accueillie à ce titre.
En outre, si la diminution de son chiffre d’affaire à compter du 17 mars jusqu’à la fin du mois de juillet 2020, peut être admise en son principe, compte tenu des mesures restrictives en vigueur, elle n’est pas établie avec certitude en son montant avec l’Association.

D’une part le journal des ventes ( pièce 9) édité sur feuillets libres sans validation par un expert-comptable n’a pas une valeur probante suffisante. D’autre part il est allégué une perte de chiffre d’affaires de 56 907,57 euros, avec l’IMP LES [7], appelation donnée dans le journal des ventes, pour une durée de quatre mois, alors que la perte globale de chiffre d’affaires du 31/03/2020 au 31/03/2021 est de 64 530 euros sur l’année avec tous les clients de la société, dès lors le lien de causalité avec la diminution de courses effectuées pour le compte de l’IMP n’est pas établi.

Enfin, comme l’invoque l’Association LES [7] les conséquences de la suppression puis de la diminution avérée des transports d’enfants de leur domicile au siège de l’association dès le 17 mars 2020 jusqu’au 11 mai 2020 suivie d’une reprise progressive de l’accueil des enfants ne peuvent lui être imputées. Cette dernière invoque les dispositions de l’article 1218 du code civil qui prévoient « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 du code civil ».
Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. En l’espèce l’évolution des relations contractuelles doit être analysée en considération de la période exceptionnelle de la crise sanitaire et en considération des impératifs majeurs de la protection d’enfants et d’adolescents déficients.
Il a été admis dans certains cas, que le covid-19 ou les mesures prises pour en limiter la propagation pouvaient être invoqués comme constituant un cas de force majeure sous réserve que le débiteur justifie qu’il a été véritablement empêché d’exécuter son obligation, qu’il ne pouvait mettre en œuvre aucune mesure alternative pour la réaliser, ne serait-ce que partiellement et que la conséquence qui s’en est suivie est proportionnée à la mesure de l’impossibilité.
Dès lors il doit être admis que l’Association, compte tenu des contraintes lui interdisant accueillir les enfants entre le 17 mars 2020 et le 11 mai 2020 ne pouvait mandater les transporteurs. En outre à compter du 11 mai 2020 elle ne peut se voir imputer une inexécution contractuelle compte tenu de l’imprévisibilité des décisions prises par les autorités sanitaires en direction de l’accueil des enfants dans des structures spécialisées. La teneur des échanges entre l’IMP LES [7] et l’ARS OCCITANIE dans les courriers du 14 mai, du 2 juin et du 10 juillet 2020 caractérise les contraintes liées au retour des enfants, en raison du risque de contagion et la progressivité de ce retour avec les nouveaux impératifs d’organisation.
Dès lors il n’est pas opérant de faire grief à l’Association de ne pas avoir repris les transports d’enfants dans les amplitudes précédentes.
Par conséquent aucune inexécution contractuelle fautive ne peut être imputée à l’Association LES [7] et la demande indemnitaire de ce chef doit être rejetée.
➔Sur les demandes au titre de la rupture abusive
Selon les dispositions de l’article L 442-1 alinéa 2 « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
En l’espèce, il convient d’analyser l’imputabilité de la rupture des relations commerciales, chacune des parties attribuant à l‘autre une telle responsabilité.
Il ressort des pièces versées à la procédure que par courriel du 15 mai 2020,16h 40 la SARL ULYSSE GARD n’a pas souhaité donner suite à une demande de transport de l’Association, en raison du manque de visibilité à court et moyen terme, alors que par mail précédant du même jour à 9h 43 elle s’interrogeait sur la suite de son intervention auprès de l’Association, sur la teneur de son activité future de transport pour les enfants accueillis au sein de l’institut. Ces interrogations étaient concommitantes au courriel transmis par l’Association LES [7] à 9h 37 qui exposait les modalités de reprise partielle des tournées. Diverses propositions de transports courant juin 2020 ont également été formulées à l’adresse de la société ULYSSE qu’elle a exécutées.
Il est établi par les échanges entre les parties que le projet de convention de transport a été transmis par l’Association le 21 août 2020 pour l’année 2020/2021, et qu’il n’a pas été signé par la société ULYSSE GARD.
Les termes de son courriel du 24 août 2020 à 14h 48 sont sans ambiguïté sur sa volonté de ne pas donner suite à la convention proposée «  Le peu de temps imparti entre votre reprise de contact le 21 août et la date de la rentrée prévue le 26 aout 2020 ne nous permet pas de recruter et former 3 chauffeurs, répondant aux exigences qu’impliquent leur fonction à savoir la sécurité la ponctualité et la discrétion. Les trois véhicules que nous tenions à dispositions sur votre établissement depuis le 5 novembre 2018 ainsi qu’une partie des chauffeurs ont été réaffectés sur d’autres établissements.  (..).La convention que vous nous proposez d’une durée d’un an ne nous offre aucunes garanties( sic) quand à nos investissements. A titre d’exemple les conventions que nous avons signé (sic) par ailleurs ont toutes une durée de 3 ans avec un montant garanti pour toute l’année en cours nous offrant une visibilité à long terme. ».
S’il est indéniable que l’envoi du projet de convention, le 20 août à la société ULYSSE est tardif, pour une reprise d’activité le 26 août 2020, il se déduit toutefois des termes même de son courriel que cette dernière ne donne pas suite dans la mesure où elle a pris d’autres engagements, que ceux-ci sont plus sécurisant pour elle, puisqu’ils s’étendent sur une période de trois ans pour un montant garanti sur l’année.
La teneur du courriel ne démontre pas une volonté de la société de transport de maintenir la relation puisqu’elle a, en signant auparavant d’autres conventions, manifesté son choix de s’engager pour des contrats plus lucratifs et à plus long termes. Dès lors elle ne peut imputer la rupture à l’IMP.
De plus et de façon surabondante, le caractère préjudiciable des conséquences de la rupture de la relation commerciale, n’estt pas établi, au regard des résultats d’exploitation de l’entreprise de taxis qui a toujours été déficitaire sauf pour l’année 2019, le déficit de l’année 2020 étant équivalent à celui de 2018 tel que cela ressort des comptes de résultats produits:
-19 295 € en 2016
-7 933 € en 2017
-13 066 € en 2018
+6 428 € en 2019
-13 879 € en 2020
-20 352 en 2021
-17 672 en 2022.
Il est par ailleurs intéressant de noter que le gérant dans l’annexe de l’exercice clos au 30 mars 2021 ne fait aucune référence à la perte alléguée de 94 003,53 euros, ni à la réduction du temps de travail salarié lorsqu’il écrit « L’émergence et l’expansion du coronavirus début 2020 ont affecté les activités économiques et commerciales au plan mondial. Cette situation a eu des impacts sur notre activité depuis le 1 er janvier 2020, sans toutefois remettre en cause la continuité d’exploitation. La situation est extrêmement évolutive et volatile. Il est difficile, à ce stade d’en estimer les impacts financiers sur notre activité. »
Par conséquent faute de justifier d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie, imputable à l’Association LES [7], les prétentions indemnitaires de la société HANDI GARD doivent être rejetées.
Sur les autres demandes
Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce la SARL HANDI GARD sera condamnée aux dépens de l’instance et sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Selon les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposé et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d‘office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire n’y avoir lieu à ces condamnations.

En l’espèce, il y a lieu de rejeter la demande de la société HANDI GARD à ce titre et de la condamner à payer à L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX LES [7] la somme de 2500 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable au 1 janvier 2020 les décisions de première instance sont de droit, exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

Il y a lieu de débouter les parties du surplus de leurs demandes.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déboute la SARL HANDI GARD de toutes ses demandes à quelque titre que ce soit,

Condamne la SARL HANDI GARD à payer à la L’ASSOCIATION D’AIDE AUX ENFANTS DEFICIENTS MENTAUX LES [7] la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SARL HANDI GARD de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL HANDI GARD aux entiers dépens de l’instance, et la déboute de ses demandes à ce titre,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Constate l’exécution provisoire de la présente décision

Le présent jugement a été signé par Nina MILESI, Vice Présidente, et par Aurélie VIALLE, greffière présente lors de sa mise à disposition.

Le greffier Le Président


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