Rupture de contrat et réintégration : enjeux de la nullité et de la faute grave.

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Rupture de contrat et réintégration : enjeux de la nullité et de la faute grave.

L’Essentiel : M. [X] [W] a été engagé comme chauffeur par la société Lirio le 15 janvier 2014. Après un accident du travail le 10 février, il a été en arrêt jusqu’au 1er mai. La société a rompu sa période d’essai le 2 mai, ce que M. [X] a contesté. Le conseil de prud’hommes a déclaré cette rupture nulle et ordonné sa réintégration. Cependant, le 29 septembre 2016, il a été licencié pour faute lourde, ce que M. [X] a également contesté. La cour d’appel a finalement déclaré le licenciement fondé sur une faute grave, déboutant M. [X] de ses demandes.

Engagement et Accident de Travail

M. [X] [W] a été engagé comme chauffeur de camion par la société Lirio le 15 janvier 2014, avec une période d’essai de deux mois renouvelable. Le 10 février 2014, il a subi un accident du travail, entraînant un arrêt de travail reconnu comme professionnel par la CPAM. Il a été en arrêt du 11 février au 1er mai 2014.

Rupture de la Période d’Essai

Le 2 mai 2014, la société Lirio a rompu la période d’essai, indiquant une fin de contrat au 6 mai 2014. M. [X] [W] a contesté cette rupture devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, demandant sa réintégration et le paiement de diverses sommes.

Jugement du Conseil de Prud’hommes

Le 6 juillet 2016, le conseil de prud’hommes a déclaré la rupture de la période d’essai nulle, ordonné la réintégration de M. [X] [W], et condamné la société à lui verser des rappels de salaire et des congés payés. La société a été déboutée de ses demandes supplémentaires.

Confirmation par la Cour d’Appel

Le 20 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles a confirmé la nullité de la rupture de la période d’essai et la réintégration de M. [X] [W], mais a infirmé le jugement concernant les rappels de salaire pour la période du 2 mai 2014 au 29 septembre 2016.

Licenciement pour Faute Lourde

Le 29 septembre 2016, M. [X] [W] a été licencié pour faute lourde, l’employeur lui reprochant d’avoir refusé de réintégrer l’entreprise malgré plusieurs mises en demeure. La société a justifié ce licenciement par un prétendu abandon de poste.

Contestations et Jugement de Départage

M. [X] [W] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement nul et a ordonné sa réintégration, ainsi que le paiement de rappels de salaires.

Arrêt de la Cour d’Appel de Versailles

Le 18 novembre 2021, la cour d’appel a infirmé le jugement de départage, déclarant le licenciement privé d’effet et déboutant M. [X] [W] de ses demandes.

Cassation par la Cour de Cassation

Le 13 décembre 2023, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, rétablissant la situation antérieure et renvoyant l’affaire devant une autre formation de la cour d’appel de Versailles.

Prétentions des Parties

La société Lirio a demandé l’infirmation du jugement de 2019 et le déboutement de M. [X] [W], tandis que ce dernier a sollicité la confirmation du jugement, la nullité de son licenciement, et le paiement de diverses sommes.

Motifs de la Décision

La cour a examiné les différentes ruptures du contrat de travail, concluant que le licenciement était fondé sur une faute grave et non sur une faute lourde, et a rejeté les moyens de nullité invoqués par M. [X] [W].

Conclusion

La cour a infirmé le jugement de départage, déclaré le licenciement fondé sur une faute grave, et a débouté M. [X] [W] de toutes ses demandes, condamnant ce dernier aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le principe de la nullité de la rupture de la période d’essai ?

La nullité de la rupture de la période d’essai est fondée sur le principe selon lequel ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé.

Ce principe est illustré par l’adage « rupture sur rupture ne vaut », qui stipule que lorsqu’une rupture de contrat de travail est déclarée nulle, elle ne produit aucun effet juridique.

Ainsi, dans le cas présent, la cour d’appel a confirmé que la rupture de la période d’essai de M. [X] [W] était nulle, ce qui signifie que le contrat de travail était toujours en vigueur au moment du licenciement notifié le 29 septembre 2016.

En vertu de l’article 500 du Code de procédure civile, le jugement susceptible d’un recours suspensif d’exécution n’acquiert force de chose jugée qu’à l’expiration du délai de recours si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai.

Cela signifie que tant que le jugement n’est pas définitif, le contrat de travail reste en vigueur, et toute rupture ultérieure est sans effet.

Quelles sont les conditions de validité d’un licenciement pendant la suspension du contrat de travail ?

Selon l’article L. 1226-9 du Code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

Dans le cas de M. [X] [W], son licenciement a été notifié alors qu’il avait été victime d’un accident du travail, ce qui implique que son contrat était suspendu.

L’employeur devait donc prouver l’existence d’une faute grave pour justifier le licenciement.

La faute lourde, qui implique l’intention de nuire à l’employeur, n’est pas caractérisée par la seule commission d’un acte préjudiciable.

En l’espèce, la cour a retenu que le licenciement était fondé sur une faute grave, car M. [X] [W] avait conditionné son retour au travail au paiement de sommes qu’il estimait dues, ce qui a été considéré comme un chantage.

Quels sont les droits du salarié en cas de licenciement pour motif lié à une action en justice ?

L’article L. 1121-1 du Code du travail stipule que le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié est nul, car il porte atteinte à une liberté fondamentale.

De plus, l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales protège également ce droit.

Dans le cas de M. [X] [W], il a soutenu que son licenciement était nul car il était intervenu en raison de sa contestation de la rupture de son contrat de travail.

Cependant, la cour a constaté que la lettre de licenciement ne reprochait pas au salarié d’avoir témoigné en justice, mais plutôt d’avoir enregistré ses temps de conduite chez un autre employeur.

Ainsi, le licenciement n’était pas en lien avec une action judiciaire, et le moyen tiré de la nullité du licenciement pour atteinte à la liberté d’ester en justice a été écarté.

Quelles sont les conséquences d’un licenciement jugé nul ?

Lorsqu’un licenciement est jugé nul, cela signifie que le salarié est réintégré dans son emploi et a droit à des rappels de salaires pour la période durant laquelle il n’a pas été en mesure de travailler.

En vertu de l’article L. 1235-1 du Code du travail, le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis et à des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Dans le cas de M. [X] [W], bien que le licenciement ait été jugé nul, la cour a infirmé les demandes de rappels de salaires pour la période antérieure à la réintégration, en raison du refus du salarié de communiquer ses revenus de remplacement.

Cela a conduit à une décision où le salarié a été débouté de ses demandes, car il n’a pas établi la réalité du préjudice subi.

Ainsi, même en cas de nullité du licenciement, le salarié doit prouver ses droits à des indemnités et à des rappels de salaires.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JANVIER 2025

N° RG 24/01058

N° Portalis DBV3-V-B7I-WOMN

AFFAIRE :

Société LIRIO

C/

Monsieur [Z] [J] [X] [W]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 8 février 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOULOGNE-BILLANCOURT

Section : C

N° RG : F 17/00050

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Laurent GAMET

Me Dominique BROUSMICHE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT-NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2023 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 18 novembre 2021

Société LIRIO

N° SIRET: 490 790 979

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant: Me Laurent GAMET de la SELAS FACTORHY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L61

****************

DEFENDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI

Monsieur [Z] [J] [X] [W]

né le 11 décembre 1964 à [Localité 5] (Portugal)

de nationalité portugaise

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant: Me Dominique BROUSMICHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0446

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 novembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [X] [W] a été engagé en qualité de chauffeur de camion par la société Lirio, comportant trois salariés, à compter du 15 janvier 2014. Le contrat de travail prévoyait une période d’essai d’une durée de deux mois renouvelable.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale de locations de machines et matériels agricoles, matériels de travaux publics et bâtiments manutention.

Le salarié a été victime d’un accident du travail le 10 février 2014 et a été placé en arrêt de travail du 11 février au 1er mai 2014. Le 20 février 2014, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de l’accident.

Le 2 mai 2014, la société a rompu la période d’essai, mentionnant une fin de contrat au 6 mai 2014.

Le 26 septembre 2014, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt d’une contestation de la rupture de la période d’essai et a sollicité sa réintégration ainsi que le paiement de diverses sommes de nature salariale.

Par jugement du 6 juillet 2016, le conseil de prud’hommes a :

– fixé le salaire mensuel brut à 2 269,10 euros,

– dit que le licenciement [en réalité la rupture de la période d’essai] de M. [Z] [J] [X] [W] est nul,

– ordonné la réintégration de M. [X] [W],

– condamné la société Lirio à payer à M. [X] [W] les sommes suivantes :

. 58 996,60 euros à titre de rappel de salaire de mai 2014 à juin 2016,

. 5 899,66 euros à titre de congés payés y afférents,

. 890 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné à la société Lirio de remettre à M. [X] [W] un bulletin de paie conforme au

jugement,

– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire autre que celle de droit,

– dit que les intérêts légaux commencent à courir à compter de la saisine du conseil de prud’hommes

pour les créances salariales et à compter du prononcé du jugement pour les dommages et intérêts,

– débouté M. [X] [W] du surplus de ces demandes,

– condamné la société Lirio aux dépens.

Par arrêt définitif du 20 novembre 2019 (RG n°16/04165), la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement du 6 juillet 2016 en ce qu’il a prononcé la nullité de la rupture de la période d’essai et ordonné la réintégration du salarié entre le 2 mai 2014 et la date de son licenciement le 29 septembre 2016, infirmant le jugement pour le surplus, a débouté le salarié de sa demande de rappels de salaire du 2 mai 2014 au 29 septembre 2016 et des demandes afférentes et a condamné la société à payer au salarié une somme à titre de rappel de salaire de février à mai 2014 outre congés payés afférents.

Convoqué par une lettre du 15 septembre 2016 à un entretien préalable au licenciement fixé le 26 septembre 2016, le salarié avait été licencié le 29 septembre 2016 pour faute lourde, l’employeur lui reprochant notamment d’avoir refusé de réintégrer l’entreprise à la suite des trois mises en demeure adressées en ce sens en 2015, et d’avoir ainsi abandonné son poste.

« (‘) Nous avons donc décidé de vous licencier au vu des motifs qui vous ont été exposés lors de l’entretien et qui sont les suivants.

A la suite de la rupture de votre contrat de travail par courrier LRAR en date du 2 mai 2014, vous avez sollicité en justice la nullité de cette rupture et la réintégration dans notre entreprise.

Prenant acte de cette demande, nous vous avons mis en demeure de réintégrer l’effectif de notre entreprise à trois reprises :

– la première fois le 10 février 2015,

– la deuxième fois le 23 février 2015,

– la troisième fois le 27 février 2015

Vous avez conditionné abusivement votre réintégration au paiement préalable des rémunérations que vous estimiez vous être dues.

Nous avions refusé de faire droit à ce versement aux motifs :

1) Que le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt saisi à votre demande ne s’était pas prononcé sur vos demandes de condamnation financières,

2) Que vous aviez retrouvé un travail dès le mois de mai 2014 et que vous deviez en conséquence nous communiquer le montant des revenus de remplacement perçus pendant toute votre période travaillée afin d’éviter tout enrichissement sans cause

Dans son jugement du Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 6 juillet 2016, le Conseil de Prud’hommes a expressément indiqué :

« Considérant que Monsieur [Z] [J] [X] [W] reconnaît avoir un emploi depuis qu’il a quitté la société LIRIO ».

Aussi, nous considérons votre refus de réintégrer l’effectif de notre société comme abusif et constitutif d’un abandon de poste, abandon qui est conforté par le fait que vous étiez embauché au sein d’une autre entreprise.

Nous avons encore récemment constaté que vous conduisiez un camion immatriculé DN 944 CK pour le compte d’un autre employeur et vous n’avez pas hésité à imprimer dans ce camion les relevés chronotachygraphes enregistrés sur la carte personnelle de conducteur de Monsieur [B] [E], ancien salarié de la SARL LIRIO qui a engagé à notre encontre une action devant le Conseil de Prud’hommes de Boulogne Billancourt, en s’appuyant sur ces relevés.

Nous vous reprochons également votre déloyauté manifeste consistant à solliciter un paiement indu de notre société étant entendu que vous avez perçu des revenus de remplacement pendant toute la période où vous nous réclamez des salaires, revenus de remplacement que vous refusez de communiquer.

Par ces agissements d’une gravité exceptionnelle, vous avez volontairement tenté de nuire à l’entreprise.

Nous considérons donc que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise. Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture et vous cessez donc de faire partie des effectifs de notre société à compter de ce jour.»

Le 16 janvier 2017, il a saisi le conseil de prud’hommes pour contester ce licenciement.

Par jugement de départage du 8 février 2019 (donc antérieur à l’arrêt précité du 20 novembre 2019), le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– dit que le licenciement prononcé le 29 septembre 2016 est nul,

– ordonné la réintégration de M. [X] [W] dans les effectifs de la société dans son emploi de chauffeur de camions -niveau III- coefficient A60,

– condamné en conséquence la société à payer à M. [X] [W] les sommes suivantes :

. 76 578,06 euros à titre de rappel de salaires depuis le licenciement du 29 septembre 2016 notifié le 30 septembre 2016, soit du 1er octobre 2016 jusqu’à sa réintégration dans l’entreprise ou du moins au jour de l’audience du 7 décembre 2018,

. 7 657,80 euros à titre de congés payés afférents ;

– dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l°employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, soit le 11 janvier 2017, et que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

– dit que la société devra transmettre à M. [X] [W] dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision des bulletins de salaire à compter du 1er octobre 2016 conformes à la présente décision ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;

– condamné la société à payer à M. [X] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions des articles R. 1454-14 et 5 du code du travail selon lesquelles la condamnation de l’employeur au paiement des sommes visées par les articles R. 1454-14 et 5 du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf

mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans les conditions prévues par l’article R. 1454-28 ;

– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 945,31 euros bruts;

– condamné la société Lirio aux entiers dépens.

Par arrêt du 18 novembre 2021 (RG n°19/01834), infirmant le jugement du 8 février 2019, la cour d’appel de Versailles a :

– dit que la lettre de licenciement du 29 septembre 2016 est privée d’effet,

– constaté que les demandes du salarié sont devenues sans objet

– l’a débouté de son action.

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les dépens de première instance comme d’appel à la charge respective des parties qui en auront fait l’avance.

Le salarié a formé un pourvoi le 24 mars 2022 contre ce dernier arrêt.

Par arrêt du 13 décembre 2023 (pourvoi n° 22-13.829), la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles, et remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée.

Les motifs de l’arrêt sont les suivants :

« Vu le principe selon lequel ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé :

7. Pour dire le licenciement prononcé le 29 septembre 2016 privé d’effet par application de l’adage « rupture sur rupture ne vaut », la demande tendant à le contester sans objet et débouter le salarié de son action, la cour d’appel a rappelé que la rupture du contrat de travail se situe à la date à laquelle l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin et a constaté que le salarié n’avait pas consenti à la renonciation par l’employeur de la rupture du contrat de travail prononcée le 2 mai 2014. Elle a ensuite énoncé que le jugement du 6 juillet 2016 déclarant nulle la rupture ainsi intervenue avait été frappé d’appel le 14 septembre 2016 et n’était pas définitif à la date du licenciement de sorte que le contrat était déjà rompu lorsque le licenciement a été notifié.

8. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que, par arrêt du 20 novembre 2019, le jugement du 6 juillet 2016 était confirmé en ce qu’il avait prononcé la nullité de la rupture de la période d’essai par l’employeur et ordonné la réintégration du salarié entre le 2 mai 2014 et la date de son licenciement le 29 septembre 2016, la cour d’appel a violé le principe susvisé. »

La société Lirio a saisi la présente cour d’appel de renvoi par acte du 26 mars 2024 (RG 24/1058) et par acte du 8 avril 2024 (RG 24/1089). La jonction des dossiers a ordonné sous le seul numéro de RG 24/1058 par ordonnance de jonction du 14 mai 2024.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 15 octobre 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 juin 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Lirio demande à la cour de :

. déclarer la société Lirio recevable et bien fondée en son appel.

. infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 8 février 2019,

. débouter M. [X] [W] de l’ensemble de ses demandes,

. condamner M. [X] [W] à verser à la société Lirio la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure,

. condamner M. [X] [W] aux dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [X] [W] demande à la cour de :

. confirmer le jugement entrepris en tous points, sauf à actualiser le rappel de salaires jusqu’à la réintégration effective de M. [X] [W] et en tout état de cause jusqu’au jour de l’arrêt définitif,

. faire droit aux demandes de M. [X] [W] ,

. prononcer la nullité du licenciement du 29 septembre 2016 intervenue pendant la suspension du contrat de travail de M. [X] [W], victime d’un accident du travail,

. prononcer la nullité du licenciement du 29 septembre 2016 intervenue pour violation de l’atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice,

. prononcer la nullité du licenciement du 29 septembre 2016 intervenue pour violation de l’atteinte au principe fondamental d’égalité des armes,

. prononcer la nullité du licenciement du 29 septembre 2016 intervenue pour violation de l’atteinte à la liberté fondamentale de témoigner en justice,

En tout état de cause,

. dire et juger que le licenciement du 29 septembre 2016 existe parfaitement,

. retenir l’aveu judiciaire de la SARL Lirio qui reconnaît que « le contrat de travail ne pouvait pas être à nouveau rompu », et qu’en conséquence le licenciement du 29 septembre 2016 est sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause,

. ordonner la réintégration de M. [X] [W], dans son emploi de chauffeur de camions ‘ niveau III ‘ coefficient A60,

. fixer le salaire mensuel brut à la somme de 2 269,10 euros, au lieu de 2 945,31 euros brut,

. dire et juger que les revenus de remplacements ne sont pas déductibles, compte tenu de :

. la discrimination sur l’état de santé,

. de l’atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice,

. de l’atteinte au principe fondamental d’égalité des armes,

. et de l’atteinte à la liberté fondamentale de témoigner en justice,

En conséquence :

. condamner la SARL Lirio à payer à M. [X] [W] les sommes suivantes :

. rappel de salaires depuis son licenciement du 29 septembre 2016 notifié le 30 septembre 2016, soit du 1er octobre 2016 jusqu’à sa réintégration dans l’entreprise ou du moins au jour de l’arrêt définitif : 288 640,38 euros (+ mémoire)

. congés payés afférents : 28.864,04 euros (+ mémoire)

. remise sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir, à liquider par la Cour des bulletins de paie conformes du 1er octobre 2016 jusqu’au jour de sa réintégration dans l’entreprise

. intérêts légaux à compter de la saisine

. article 700 du CPC : 3 000 euros

. dépens

A titre subsidiaire :

. condamner la SARL Lirio à payer à M. [X] [W] les sommes suivantes :

. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17 671,86 euros

. indemnité de préavis : 5 890,62 euros

. congés payés sur préavis : 589,06 euros

. indemnité conventionnelle de licenciement : 4 049,80 euros

. remise sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir, à liquider par la Cour d’appel, des pièces suivantes :

. bulletins de paie conformes incluant le préavis

. certificat de travail conforme incluant le préavis

. attestation Pôle emploi conforme incluant le préavis

. intérêts légaux à compter de la saisine

. article 700 du CPC : 3 000 euros

MOTIFS

Sur le concours de différentes ruptures du contrat de travail

L’employeur expose que la nullité de la période d’essai n’était pas acquise au jour de l’envoi de la lettre de licenciement, le 29 septembre 2016, et que le bien-fondé d’un licenciement s’apprécie au jour de sa notification au salarié, qu’à cette date la période d’essai était rompue, de sorte que la lettre de licenciement était privée d’effet, et qu’il appartient à la cour d’appel de renvoi d’entrer en résistance à l’arrêt de cassation.

Le salarié objecte qu’il est pour le moins surprenant et inhabituel de constater que l’argument soulevé à titre principal par l’employeur pour motiver le bien-fondé de son licenciement est de soutenir que finalement le licenciement serait inexistant en application du principe « rupture sur rupture ne vaut », du fait de l’effet dévolutif de l’appel, qu’en réalité le conseil de prud’hommes a clairement prononcé le 6 juillet 2016 la nullité de la rupture de la période d’essai et a ordonné la réintégration du salarié, que par arrêt du 20 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que la rupture de la période était nulle, et ordonné la réintégration, que la seconde rupture du contrat intervenue par le licenciement du 29 septembre 2016 existe parfaitement, et que c’est d’ailleurs ce que la Cour de cassation a jugé en cassant l’arrêt rendu par la cour d’appel en 2021.

**

En cas de succession de modes différents de rupture, le juge doit les examiner dans l’ordre chronologique, en application du principe selon lequel « rupture sur rupture ne vaut ».

Ainsi, quand un salarié est licencié, sa demande postérieure tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat est nécessairement sans objet (Soc., 20 décembre 2006, pourvoi n°05-42.539, Bull. 2006, V, n°397 ; Soc., 7 mars 2012, pourvoi n°10-17.090, Bull. 2012, V, n° 89).

Au cas d’espèce, les deux ruptures successives (la rupture de la période d’essai et le licenciement) sont intervenues à l’initiative de l’employeur et il s’agit donc ici de se prononcer sur le caractère effectif du licenciement, prononcé postérieurement à la rupture de la période d’essai, à une date à laquelle cette rupture de la période d’essai avait été déclarée nulle par une décision non exécutoire par provision et devenue définitive postérieurement au licenciement.

Or, en application de l’article 500 du code de procédure civile, le jugement susceptible d’un recours suspensif d’exécution n’acquiert force de chose jugée qu’à l’expiration du délai de recours si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai. Ainsi en raison de l’effet suspensif de l’appel, le jugement frappé d’appel (et non la rupture) ne produit pas d’effet jusqu’au prononcé de l’arrêt d’appel.

Si la décision attaquée est confirmée cette décision retrouve sa force exécutoire de manière rétroactive (cf. 2e Civ., 5 avril 1994, pourvoi n° 92-19.808, Bull 1994 II n°114 ; Soc., 23 mars 2005, pourvois n° 02-44.352, 02-44.500).

Le principe «rupture sur rupture ne vaut» dégagé par la jurisprudence ne trouve à s’appliquer qu’à la condition que l’acte primitif de rupture du contrat de travail ait effectivement emporté rupture de la relation de travail. En cas de nullité de cet acte, ou de rétraction par son auteur acceptée par l’autre partie, le contrat de travail retrouve sa vigueur, en vertu du principe selon lequel « ce qui est nul est réputé ne jamais avoir existé», de sorte que le second acte de rupture du contrat de travail de doit produire tous ses effets.

Il s’en déduit que lorsque, comme en l’espèce, la première rupture du contrat de travail notifiée par l’employeur est annulée par le juge, de sorte qu’elle est réputée ne jamais avoir existé, et le salarié réintégré dans son emploi, le licenciement prononcé ultérieurement produit son plein effet.

L’appel formé contre le jugement prononçant la rupture du contrat de travail ne saurait conduire à maintenir l’effectivité de cette rupture jusqu’à ce que ce jugement soit passé en force de chose jugée.

Enfin, le moyen selon lequel le bien-fondé du licenciement s’apprécie à la date de sa notification au salarié est ici inopérant quant au caractère effectif dudit licenciement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu le caractère effectif du licenciement notifié au salarié le 29 septembre 2016 puis a examiné sa licéité.

Le moyen du salarié selon lequel l’employeur a reconnu dans ses écritures de première instance (page 5) que «le contrat de travail ne pouvait pas être à nouveau rompu», et qu’en conséquence le licenciement du 29 septembre 2016 est dépourvu de cause réelle et sérieuse, par ailleurs contraire au moyen du salarié retenant l’effectivité de la rupture prononcée par le licenciement du 29 septembre 2016, est en conséquence rejeté.

Sur la nullité du licenciement

L’employeur expose que le salarié a refusé de réintégrer son poste, laquelle était impossible car il avait retrouvé un emploi, qu’il ne l’a sollicitée que pour obtenir une indemnisation favorable après n’avoir travaillé que trois semaines pour la société Lirio, qu’il refuse de communiquer le montant de ses revenus de remplacement, et que la société est placée en grandes difficultés économiques du fait des condamnations mises à sa charge. Il fait valoir que le licenciement n’est pas nul, que témoigner « indirectement » en justice comme l’a retenu le conseil de prud’hommes n’est pas un droit, qu’il n’y a eu aucune atteinte à son droit d’ester en justice, et aucun lien entre le jugement du 6 juillet 2016 et le licenciement du 29 septembre 2016, ni aucune discrimination en raison de l’état de santé du salarié.

Le salarié objecte que son licenciement du 29 septembre 2016 est nul dès lors qu’il est intervenu pendant la suspension du contrat de travail du fait de son accident du travail, pour violation de l’atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice, pour violation de l’atteinte au principe fondamental d’égalité des armes, et pour violation de l’atteinte à la liberté fondamentale de témoigner en justice.

Sur le licenciement pendant la période de suspension du contrat de travail

Selon les articles R. 4624-22 et R. 4624-23 du code du travail, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1908 du 27 décembre 2016, applicables au litige, le salarié bénéficie d’un examen de reprise du travail par le médecin du travail après une absence d’au moins trente jours pour cause d’ accident du travail, de maladie ou d’accident non professionnel.

Selon l’article L.1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

En matière de licenciement disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués. Il appartient au juge qui écarte la faute lourde de rechercher si les faits invoqués sont constitutifs d’une faute grave ou d’une faute de nature à conférer au licenciement une cause réelle et sérieuse. (Soc., 16 septembre 2020, pourvoi n° 18-25.943, publié)

La faute lourde qui est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif, ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise (Soc. 8 février 2017, n°15-21.064, publié ; Soc., 22 octobre 2015, n° 14-11.801).

En l’espèce, à la date du licenciement, notifié le 29 septembre 2016, il n’est pas contesté que le salarié n’était plus en arrêt de travail pour accident du travail. Le salarié fait cependant valoir que son contrat de travail restait suspendu en l’absence d’organisation par l’employeur d’une visite d’une reprise, à la suite de son arrêt de travail de plus de trente jours (du 14 février 2014 au 1er mai 2014).

L’employeur établit qu’il a fait convoquer le salarié à une visite de reprise le 2 avril 2014, puis le 27 février 2015, auxquelles il ne s’est pas présenté.

Il en résulte que le contrat de travail étant de ce fait toujours suspendu à la date du 29 septembre 2016, il appartient à l’employeur d’établir l’existence d’une faute grave du salarié, par exemple en faisant délibérément obstacle au bon déroulement des visites médicales de reprise.

Au cas présent, la lettre de licenciement pour faute lourde, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié l’enregistrement de ses temps de conduite chez un autre employeur sur la carte personnelle d’un salarié de la société Lirio qui a engagé contre elle une action prud’homale en s’appuyant sur ces relevés, son refus de réintégrer l’effectif de la société constitutif d’un abandon de poste, conforté par son embauche au sein d’une autre entreprise, et la sollicitation d’un paiement indu afférent à une période durant laquelle il a perçu des revenus de remplacement qu’il s’est refusé à communiquer.

– l’enregistrement de ses temps de conduite chez un autre employeur sur la carte personnelle d’un salarié de la société Lirio qui a engagé contre elle une action prud’homale en s’appuyant sur ces relevés,

Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la lettre de licenciement ne reproche pas au salarié d’avoir témoigné en justice en faveur de M. [B] [E], salarié de la société Lirio, mais d’avoir enregistré ses temps de conduite chez un autre employeur sur la carte personnelle de ce salarié de la société Lirio qui a engagé contre elle une action prud’homale en s’appuyant sur ces relevés.

Par ailleurs, il ne ressort pas de ces décisions ni d’aucune des pièces produites aux débats dans le cadre de la présente procédure que le salarié ait témoigné en faveur de M. [B] [E], ce que la lettre de licenciement ne lui reproche d’ailleurs aucunement.

Toutefois, s’il ressort du jugement du 25 janvier 2017 et de l’arrêt du 23 mai 2019 que la société Librio a été condamnée à verser à ce salarié la somme retenue en appel de plus de 5 000 euros à titre de rappel de salaires sur les heures supplémentaires, il ne ressort aucunement de ces deux décisions produites aux débats que ce rappel soit le résultat de relevés de disques chronotachygraphes fallacieux.

Le grief n’est pas établi.

– le refus de réintégrer l’effectif de la société constitutif d’un abandon de poste, conforté par son embauche au sein d’une autre entreprise,

Il ressort de l’ensemble des nombreux courriers échangés entre les parties et produits aux débats, que le salarié ne s’est pas présenté à la visite de reprise organisée à plusieurs reprises par l’employeur, et de l’arrêt définitif du 20 novembre 2019, qui a autorité de chose de jugée, que le salarié a occupé un autre emploi à compter de mai 2014.

Il résulte de l’ensemble de ces constatations que le salarié a ainsi exprimé la volonté de conditionner sa reprise du travail au paiement, pour un montant très important, au regard de la taille de l’entreprise, de sommes qu’il savait ne pas être encore dues par l’employeur en l’état de l’appel interjeté par ce dernier du jugement l’y condamnant sans exécution provisoire, et en refusant de se rendre aux visites de reprise alors même qu’il avait obtenu des premiers juges sa réintégration dans l’entreprise et qu’il travaillait chez un autre employeur, ainsi que l’a relevé la cour d’appel dans son arrêt infirmatif du 20 novembre 2019, par les motifs suivants, qui ont autorité de chose jugée :

« Il n’est pas contesté par le salarié qu’il a perçu des revenus de remplacement pendant la période lors de laquelle il n’a pas été réintégré dans l’entreprise, mais M. [X] [W] n’a pas souhaité communiquer le montant de ces revenus de remplacement.

(‘) En l’espèce, M. [X] [W] doit donc percevoir les salaires qui lui auraient été versé s’il avait travaillé du 2 mai 2014, jusqu’au licenciement par lettre du 29 septembre 2016, reçue le 30 septembre, déduction faite des revenus de remplacement .

Dès lors que malgré l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 3 juillet 2017 et la demande réitérée devant la cour, le salarié ne communique pas le montant de ses revenus de remplacement, il doit être déduit que M. [X] [W] n’établit pas la réalité du préjudice subi

Il convient donc, infirmant le jugement, de le débouter de sa demande au titre des rappels de salaires du 2 mai 2014 au 29 septembre 2016 et des demandes afférentes. »

Toutefois, à la date de notification du licenciement, le 29 septembre 2016, la décision de réintégration n’était pas définitive, de sorte que l’employeur, qui en avait lui-même fait appel, ne pouvait reprocher au salarié un abandon de poste, nonobstant l’incohérence de la position de ce dernier au regard de sa reprise du travail au sein de la société Lirio alors qu’il travaillait au même moment chez un autre employeur.

Ce grief n’est donc pas sérieux.

– la sollicitation d’un paiement indu afférent à une période durant laquelle il a perçu des revenus de remplacement (mai 2014 à septembre 2016) qu’il s’est refusé à communiquer,

Contrairement là encore à ce qu’ont retenu les premiers juges, il n’est pas reproché au salarié d’avoir conditionné son retour au paiement par l’employeur de son salaire, mais d’avoir, depuis le 23 février 2015 (cf pièce 21 et 22 du salarié), conditionné son retour dans l’entreprise au paiement par la société Lirio des salaires dus depuis le 2 mai 2014, au paiement desquels cette société avait été condamnée par le jugement du 6 juillet 2016 non assorti de l’exécution provisoire, et dont elle a interjeté appel.

En l’état de sa contestation devant le juge prud’homal des sommes réclamées à son encontre par le salarié, puis de l’appel interjeté contre la décision le condamnant à régler ces sommes, l’employeur était en conséquence fondé à ne pas faire droit à la demande en paiement du salarié, étant ici précisé qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier que l’employeur ait fait obstacle à la réintégration ordonnée par le jugement, puisqu’au contraire, ainsi qu’il a été dit précédemment, il a manifesté son souhait de la mettre en ‘uvre alors que cette décision n’était pas définitive.

En effet, il ressort des échanges produits et de la lettre de licenciement elle-même, que prenant acte de la demande de nullité de la rupture de la période d’essai, et organisant la visite de reprise le 27 février 2015, à laquelle le salarié ne s’est pas présenté (cf pièce 33 de l’employeur), il lui a demandé de reprendre son poste avant de connaître l’issue de la procédure prud’homale engagée par l’intéressé. Par ailleurs, aucun élément du dossier n’établit que l’employeur avait exprimé au salarié un refus de lui régler son salaire à partir de sa reprise du travail.

La cour relève enfin que l’arrêt précité définitif de la cour d’appel de Versailles, qui a autorité de chose jugée et s’impose à la présente cour de renvoi, a, par voie d’infirmation, débouté le salarié de sa demande de rappels de salaire du 2 mai 2014 au 29 septembre 2016 et des demandes afférentes, au motif que le salarié avait refusé de communiquer ses revenus de remplacement chez son nouvel employeur. Il en résulte que le salarié sollicitait effectivement de la société Lirio un paiement, qu’il chiffrait devant la cour d’appel à la somme de 85 413,99 euros, qui ne lui était pas dû.

Le grief est établi.

Ce manquement, qui ne caractérise pas une intention de nuire du salarié, lequel ne pouvait présager de l’issue de l’appel sur le jugement du 6 juillet 2016, rendait toutefois impossible le maintien du contrat de travail dans l’entreprise, au regard du chantage auquel s’est livré le salarié à l’égard de son employeur, s’agissant d’une très petite société employant moins de dix salariés, et n’ayant pas la surface financière pour faire face aux réclamations infondées du salarié.

Par voie d’infirmation, il convient donc de dire que le licenciement du salarié n’était pas constitutif d’une faute lourde, mais d’une faute grave.

Dès lors, le moyen de nullité tiré de ce que le licenciement a été notifié durant la suspension du contrat de travail sera en conséquence écarté.

Sur la violation de l’atteinte à la liberté fondamentale de témoigner en justice,

Ainsi qu’il a été dit précédemment, la lettre de licenciement ne reproche pas au salarié d’avoir témoigné en justice en faveur de M. [B] [E], salarié de la société Lirio, mais d’avoir enregistré ses temps de conduite chez un autre employeur sur la carte personnelle de ce salarié qui a engagé contre la société Lirio une action prud’homale en s’appuyant sur ces relevés.

Ce moyen de nullité sera également écarté.

Sur la violation de l’atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice,

Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice du droit d’agir en justice, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement (Soc., 3 février 2016, pourvoi n°14-18.600, Bull. 2016, V, n° 18).

Il résulte en effet de l’article L. 1121-1 du code du travail et de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié (cf. Soc., 29 mai 2024, n° 22-16.753).

Il appartient au juge du fond d’interpréter la lettre de licenciement et d’en apprécier la portée à la lumière de tous les éléments produits dans le débat (Soc., 4 avril 2001, pourvoi n° 99-40.766).

Au cas présent, la lettre de licenciement se contente de rappeler à titre de contexte des relations contractuelles l’existence de la contestation par le salarié de la rupture de son contrat de travail dans le cadre d’une action en nullité qu’il avait alors initiée, ayant donné lieu à réintégration dans l’ entreprise. L’employeur ne pouvait se dispenser d’évoquer l’existence d’une précédente action judiciaire du salarié avant d’exposer les griefs reprochés au salarié dans le cadre du licenciement pour faute lourde ainsi prononcé, et il ne ressort d’aucun terme de la lettre de licenciement qu’il soit reproché au salarié une seconde action judiciaire.

En outre, la cour a précédemment dit fondé sur une faute grave le licenciement notifié au salarié refusant de réintégrer son poste s’il n’était pas payé de salaires dont l’employeur n’était alors pas redevable au regard de l’absence d’exécution provisoire du jugement, ce qui ne peut être de nature à caractériser par l’employeur une violation du droit d’ester en justice du salarié, mais au contraire le strict respect par l’employeur des termes du jugement n’assortissant pas de l’exécution provisoire sa condamnation en paiement des salaires au titre de la période entre la rupture de la période d’essai et la réintégration effective.

Il résulte donc de l’ensemble de ces constatations que le licenciement n’était pas en lien avec une action introduite par le salarié. Dès lors le moyen tiré de la nullité du licenciement en raison la violation de l’atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice sera écarté.

Sur la violation de l’atteinte au principe fondamental d’égalité des armes,

Le principe d’égalité des armes s’oppose à ce que l’employeur utilise son pouvoir disciplinaire pour imposer au salarié les conditions de règlement du procès qui les oppose.

La violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés. fondamentales et caractérisée lorsque l’employeur a utilisé son pouvoir de licencier afin d’imposer au salarié sa propre solution dans le litige qui les opposait relativement à l’exécution du jugement, litige qui n’avait pas été définitivement tranché (cf.Soc., 9 octobre 2013, pourvoi n° 12-17.882, Bull. 2013, V, n° 226).

En l’espèce, contrairement à ce que soutient le salarié, l’employeur n’a pas utilisé son pouvoir de licencier afin d’imposer au salarié sa propre solution visant à déduire les revenus de remplacement, et refuser la réintégration. En effet, il ressort au contraire des constatations précédentes que l’employeur lui a proposé de mettre en ‘uvre la réintégration que le salarié avait obtenue des premiers juges dont l’employeur ne pouvait en revanche exécuter la condamnation en paiement, dépourvue d’exécution provisoire, du fait de l’appel qu’il avait interjeté de ce jugement.

Ce moyen de nullité sera donc également écarté.

Enfin, la cour relève que le salarié ne soutient pas que son licenciement serait nul au motif d’une discrimination en raison de son état de santé, qu’il n’évoque qu’à l’appui de sa demande de non-déduction des revenus de remplacement.

En définitive, la cour ayant écarté l’ensemble des moyens de nullité du licenciement invoqué par le salarié et au contraire retenu que son licenciement était justifié par une faute grave, par voie d’infirmation, il convient de le débouter de l’ensemble de ses demandes afférentes au licenciement formulées à titre principal (nullité du licenciement) comme subsidiaire (licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu d’infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les dépens de première instance et d’appel, en ce compris ceux afférents à l’arrêt cassé, sont à la charge du salarié, partie succombante.

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant sur renvoi de cassation, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

Vu l’arrêt définitif de la cour d’appel de Versailles du 20 novembre 2019 (RG n°16/04165),

Vu l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 8 novembre 2021 (RG n°19/01834), cassé en toutes ses dispositions par l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 13 décembre 2023 (pourvoi n° 22-13.829)

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 8 février 2019,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

DIT que la lettre de licenciement en date du 29 septembre 2016 n’est pas privée d’effet,

DIT que le licenciement de M. [X] [W] est fondé sur une faute grave,

DEBOUTE M. [X] [W] de l’ensemble de ses demandes,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [X] [W] aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris ceux afférents à l’arrêt cassé.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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