Rupture abusive de pourparlers : conséquences financières et morales pour les parties impliquées.

·

·

Rupture abusive de pourparlers : conséquences financières et morales pour les parties impliquées.

L’Essentiel : M. [P] [T] et Mme [X] [H] ont décidé de vendre leur propriété en raison d’une intervention chirurgicale. Après une visite, M. [S] [O] et Mme [Y] [L] ont proposé d’acheter le bien, mais le compromis de vente n’a jamais été établi. Suite à leur renonciation à la vente, M. et Mme [O] ont assigné le couple devant le tribunal. Le jugement a reconnu la vente parfaite et condamné M. et Mme [T] à verser des indemnités. En appel, la cour a confirmé certaines décisions tout en rejetant d’autres demandes, notamment concernant le préjudice financier.

Contexte de l’affaire

M. [P] [T] et Mme [X] [H] sont propriétaires d’un ancien corps de ferme rénové, situé à [Adresse 5], [Localité 9] (Puy-de-Dôme). En raison d’une intervention chirurgicale subie par Mme [T] le 16 juin 2021, le couple a décidé de mettre en vente leur propriété, affichant une offre de 530.000,00 € sur le site Le Bon Coin le 27 mai 2021. Cependant, après le retour de Mme [T] à la maison, ils ont décidé de renoncer à la vente sans retirer l’annonce.

Visite et offre d’achat

M. [S] [O] et Mme [Y] [L] ont pris contact avec M. et Mme [T] pour visiter le bien, ce qui a eu lieu le 3 juillet 2021. Suite à cette visite, ils ont proposé d’acheter la propriété au prix initial de 530.000,00 €. Un compromis de vente a été convenu pour le 27 juillet 2021, mais celui-ci n’a jamais été établi en raison de plusieurs délais demandés par M. et Mme [T]. Finalement, le couple a informé M. [O] et Mme [L] qu’ils renonçaient à la vente.

Procédure judiciaire

En conséquence, M. [O] et Mme [L] ont assigné M. et Mme [T] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 27 octobre 2022. Le jugement rendu le 6 février 2023 a ordonné la jonction des instances, reconnu la vente parfaite de l’immobilier, et a condamné M. et Mme [T] à verser des indemnités pour préjudice financier et moral, ainsi qu’à payer les dépens.

Appel et demandes des parties

M. et Mme [T] ont interjeté appel du jugement, contestant la qualification de la vente et les condamnations pécuniaires. Dans leurs conclusions, ils ont demandé la réformation du jugement et le déboutement de M. [O] et Mme [L] de leurs demandes. De leur côté, M. [O] et Mme [L] ont également formulé des demandes d’indemnisation pour rupture abusive de pourparlers.

Motifs de la décision

La cour a constaté que M. [O] et Mme [L] avaient renoncé à la reconnaissance de la vente parfaite, ce qui a conduit à l’infirmation de plusieurs décisions du jugement de première instance. La responsabilité de M. et Mme [T] a été engagée pour rupture abusive des pourparlers, et la cour a examiné les préjudices financiers et moraux invoqués par M. [O] et Mme [L].

Réparations accordées

Concernant le préjudice financier, la cour a rejeté la demande de M. [O] et Mme [L] pour 100.000,00 € en raison d’une perte de chance, la considérant comme incertaine. En revanche, pour le préjudice moral, la cour a accordé 6.000,00 € à M. [O] et Mme [L], augmentant ainsi le montant initial de 3.000,00 €.

Conclusion de la cour

La cour a confirmé certaines décisions du jugement de première instance, notamment en ce qui concerne les frais irrépétibles, et a condamné M. et Mme [T] à verser des indemnités pour préjudice moral et frais d’instance, tout en rejetant le surplus des demandes. M. et Mme [T] ont été condamnés aux dépens de l’instance.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature juridique de l’offre de vente diffusée par M. et Mme [T] ?

L’offre de vente diffusée par M. et Mme [T] sur le site Le Bon Coin constitue une proposition de contrat de vente immobilière. Selon l’article 1583 du Code civil, « la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise à l’acheteur, dès qu’il y a consentement sur la chose et sur le prix ».

Dans ce cas, M. et Mme [T] ont exprimé leur intention de vendre leur bien immobilier pour un prix déterminé de 530.000,00 €.

Cependant, il est important de noter que cette offre n’est pas un contrat de vente en soi, mais une invitation à négocier. L’article 1113 du Code civil précise que « l’offre est la manifestation de volonté par laquelle une personne propose à une autre de conclure un contrat ».

Ainsi, tant que l’offre n’est pas acceptée formellement par l’acheteur, elle reste une simple proposition.

Il est également pertinent de mentionner que M. et Mme [T] ont décidé de renoncer à la vente sans retirer l’annonce, ce qui soulève des questions sur la bonne foi dans les négociations précontractuelles, conformément à l’article 1112 du Code civil, qui impose que « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres, mais doivent satisfaire aux exigences de bonne foi ».

Quelles sont les conséquences de la rupture des pourparlers précontractuels ?

La rupture des pourparlers précontractuels peut entraîner des conséquences juridiques, notamment en matière de responsabilité civile. L’article 1112 du Code civil stipule que « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ».

Dans cette affaire, M. [O] et Mme [L] ont allégué une rupture abusive des pourparlers par M. et Mme [T].

La jurisprudence a établi que la rupture doit être justifiée par un motif légitime. En l’absence de justification, la partie qui rompt les pourparlers peut être tenue responsable des préjudices causés à l’autre partie.

Il est donc essentiel pour M. [O] et Mme [L] de prouver l’existence d’un préjudice financier et moral résultant de cette rupture.

En l’espèce, la cour a jugé que M. et Mme [T] étaient responsables de la rupture unilatérale et abusive des pourparlers, ce qui a conduit à une condamnation à indemniser M. [O] et Mme [L] pour leur préjudice moral, conformément à l’article 1382 du Code civil, qui impose que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Comment se détermine le montant des dommages-intérêts en cas de préjudice moral ?

Le montant des dommages-intérêts pour préjudice moral est déterminé en fonction de la gravité du préjudice subi par la victime. L’article 1240 du Code civil précise que « tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cas présent, M. [O] et Mme [L] ont demandé une indemnisation pour le préjudice moral résultant de la rupture des pourparlers.

La cour a reconnu que la rupture unilatérale des pourparlers a causé un préjudice moral, notamment en raison de la déception et des désagréments liés à leur projet immobilier.

Le montant des dommages-intérêts doit être proportionné au préjudice subi. Dans cette affaire, la cour a décidé d’accorder 6.000,00 € en réparation du préjudice moral, ce qui représente une augmentation par rapport à la décision de première instance qui avait fixé ce montant à 3.000,00 €.

Il est important de noter que la réparation du préjudice moral ne doit pas être forfaitaire, mais doit tenir compte des circonstances spécifiques de chaque affaire, comme l’impact émotionnel et psychologique sur la victime.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile stipule que « la partie qui succombe dans ses prétentions est condamnée aux dépens, et peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles ».

Dans cette affaire, M. et Mme [T] ont été condamnés à payer une indemnité de 4.500,00 € à M. [O] et Mme [L] au titre de l’article 700, en raison des frais engagés pour leur défense dans le cadre de cette instance.

Cette disposition vise à compenser les frais non récupérables par la partie gagnante, tels que les honoraires d’avocat et autres frais liés à la procédure.

La cour a jugé qu’il serait inéquitable de laisser M. [O] et Mme [L] supporter ces frais, étant donné qu’ils ont été contraints d’engager des dépenses pour faire valoir leurs droits.

Ainsi, l’application de l’article 700 a permis de garantir une certaine équité dans le processus judiciaire, en veillant à ce que la partie qui a subi un préjudice puisse être indemnisée pour les frais engagés dans le cadre de la procédure.

COUR D’APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Du 14 janvier 2025

N° RG 23/00336 – N° Portalis DBVU-V-B7H-F6XD

-PV- Arrêt n°

[P] [T], [X] [H] épouse [T] / [S] [O], [Y] [L]

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FD, décision attaquée en date du 06 Février 2023, enregistrée sous le n° 22/04341

Arrêt rendu le MARDI QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président

Mme Laurence BEDOS, Conseiller

Mme Clémence CIROTTE,

En présence de :

Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [P] [T]

et Mme [X] [H] épouse [T]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentés par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

et par Me Jean-Hubert PORTEJOIE de la SCP PORTEJOIE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal acquitté

APPELANTS

ET :

M. [S] [O]

et Mme [Y] [L]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentés par Me Anne-Laure GAY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal acquitté

INTIMES

DÉBATS :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 novembre 2024, en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. VALLEIX et Mme BEDOS, rapporteurs.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 14 janvier 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [P] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] sont propriétaires d’un ancien corps de ferme avec terrain arboré qu’ils ont fait entièrement rénover et qu’ils habitent à titre de résidence principale. Cadastré section ZB numéros [Cadastre 8], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], cet ensemble immobilier est situé [Adresse 5] à [Localité 9] (Puy-de-Dôme).

Du fait d’une intervention chirurgicale d’ablation d’un ‘dème cérébral pratiquée sur Mme [T] le 16 juin 2021, M. et Mme [T] avaient décidé de mettre en vente cet ensemble immobilier et avaient en conséquence diffusé le 27 mai 2021 une offre de vente sur le site Le Bon Coin moyennant le prix de 530.000,00 €. Après le retour d’hospitalisation de Mme [T] le 21 juin 2021, M. et Mme [T] disent avoir décidé de renoncer à cette vente, sans pour autant avoir retiré cette offre de vente du site Le Bon Coin.

En lecture de cette annonce, M. [S] [O] et Mme [Y] [L] ont contacté M. et Mme [T] afin de visiter ce bien, ce qui a été accepté pour le 3 juillet 2021. À la suite de cette visite, M. [S] [O] et Mme [L] ont présenté à M. et Mme [T] une offre d’achat moyennant le prix de 530.000,00 €. Les parties ont dès lors convenu de la date du 27 juillet 2021 pour un compromis de vente qui n’a toutefois jamais été établi en raison de délais plusieurs fois sollicités par M. et Mme [T]. Ces derniers ont ensuite fait savoir à M. [O] et Mme [L] qu’ils renonçaient en définitive à poursuivre cette vente.

C’est dans ces conditions que M. [O] et Mme [L] ont assigné le 27 octobre 2022 M. et Mme [T] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand qui, suivant un jugement n° RG-22/04341 rendu le 6 février 2023, a :

– ordonné la jonction de l’instance n° RG-22/04577 à l’instance n° RG-22/04341 ;

– jugé que M. et Mme [T] ont consenti à M. [O] et Mme [L] une vente parfaite sur l’ensemble immobilier susmentionné, moyennant le prix de 530.000,00 € net vendeur ;

– dit que du fait de cette vente, la propriété de cet ensemble immobilier est acquise à M. [O] et Mme [L] ;

– invité en conséquence M. [O] et Mme [L], d’une part, et M. et Mme [T], d’autre part, à régulariser cette vente immobilière par acte authentique dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement ;

– dit qu’à défaut de réalisation de cet acte authentique dans le délai imparti, ce jugement vaut vente entre M. [O] et Mme [L], d’une part, et M. et Mme [T], d’autre part, de l’ensemble immobilier susmentionné moyennant le prix de 530.000,00 € net vendeur et que ce jugement valant vente doit être publié au Service de la publicité foncière ;

– condamné in solidum M. et Mme [T] à payer au profit de M. [O] et Mme [L] :

* la somme de 50.000,00 € en réparation de leur préjudice financier ;

* la somme de 3.000,00 € en réparation de leur préjudice moral ;

* une indemnité de 2.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, M. et Mme [T] ayant demandé la condamnation de M. [O] et Mme [L] à leur payer la somme de 10’000 € euros à titre de dommages-intérêts en allégation de préjudice moral et une indemnité de 10’000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre dépens de première instance ;

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la décision ;

– condamné in solidum M. et Mme [T] aux dépens de l’instance, devant comprendre le coût de la publication de l’assignation au Service de la publicité foncière.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 23 février 2023, le conseil de M. et Mme [T] a interjeté appel du jugement susmentionné, l’appel portant sur la qualification de cette opération en vente parfaite avec toutes les conséquences en résultant, sur toutes les condamnations pécuniaires dont ils ont fait l’objet et sur le rejet de leurs propres réclamations pécuniaires.

‘ Par dernières conclusions d’appelant notifiées par le RPVA le 16 octobre 2024, M. [P] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] ont demandé de :

‘ au visa des articles 1583 et 1113 et suivants du Code civil ;

‘ réformer dans son intégralité le jugement du 6 février 2023 du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand et statuer à nouveau ;

‘ débouter M. [O] et Mme [L] de l’ensemble de leurs demandes ;

‘ condamner M. [O] et Mme [L] à leur payer à chacun :

* la somme de 5.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

* une indemnité de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamner M. [O] et Mme [L] aux entiers dépens de l’instance.

‘ Par dernières conclusions d’intimé et d’appel incident notifiées par le RPVA le 16 octobre 2024, M. [S] [O] et Mme [Y] [L] ont demandé de :

‘ au visa des articles 1112 et suivants, 1583 et 1217 et suivants du Code civil ;

‘ juger mal fondé l’appel interjeté par M. et Mme [T] sur le jugement déféré ;

‘ leur donner acte de ce qu’ils renoncent au bénéfice du jugement déféré en ce qu’il a :

* jugé que M. et Mme [T] ont consenti à M. [O] et Mme [L] une vente parfaite sur l’ensemble immobilier susmentionné, moyennant le prix de 530.000,00 € net vendeur ;

* dit que du fait de cette vente, la propriété de cet ensemble immobilier est acquise à M. [O] et Mme [L] ;

* invité en conséquence M. [O] et Mme [L], d’une part, et M. et Mme [T], d’autre part, à régulariser cette vente immobilière par acte authentique dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement ;

* dit qu’à défaut de réalisation de cet acte authentique dans le délai imparti, ce jugement vaut vente entre M. [O] et Mme [L], d’une part, et M. et Mme [T], d’autre part, de l’ensemble immobilier susmentionné moyennant le prix de 530.000,00 € net vendeur et que ce jugement valant vente doit être publié au Service de la publicité foncière ;

‘ juger en revanche que M. [O] et Mme [L] se sont rendus responsables à leur préjudice d’une rupture abusive et brutale de pourparlers ;

‘ confirmer en conséquence le jugement déféré sur le principe de l’ensemble des condamnations pécuniaires dont ils ont bénéficié au titre du préjudice financier et du préjudice moral à l’encontre de M. et Mme [T] et en ce qui concerne les dépens de première instance ;

‘ infirmer ce même jugement et statuer de nouveau en ce qui concerne le quantum de ces condamnations pécuniaires ;

‘ condamner en conséquence M. et Mme [T] à leur payer :

* la somme de 100.000,00 € en réparation de leur préjudice financier ;

* la somme de 30.000,00 € en réparation de leur préjudice moral ;

‘ débouter M. et Mme [T] de l’ensemble de leurs demandes ;

‘ condamner M. et Mme [T] à leur payer en cause d’appel une indemnité de 4.500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamner M. et Mme [T] aux entiers dépens de l’instance.

Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l’appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Par ordonnance rendue le 31 octobre 2024, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure.

Lors de l’audience civile collégiale du 4 novembre 2024 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 14 janvier 2025, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur l’étendue du litige

Il convient préalablement de constater que M. [O] et Mme [L] déclarent en définitive en cause d’appel qu’ils renoncent au bénéfice du jugement de première instance en ce qui concerne l’ensemble de ses dispositions se rapportant à la constatation et aux conséquences de vente parfaite de l’ensemble immobilier litigieux.

Compte tenu de cette renonciation, le jugement de première instance sera infirmé dans tous ces chefs de décision, dans les conditions directement énoncées au dispositif du présent arrêt.

2/ Sur les responsabilités

La situation contentieuse entre les parties se limite donc désormais à titre principal à la recherche de responsabilité civile maintenue en cause d’appel par M. [O] et Mme [L] à l’encontre de M. et Mme [T] en allégation de rupture abusive et dommageable de pourparlers en vue de la conclusion d’un contrat de vente immobilière.

Dans ces conditions, la discussion juridique ne portera pas sur la question de déterminer s’il a existé une situation de vente parfaite ou de rupture totale ou partielle d’un engagement entre les parties au sujet du bien immobilier litigieux, ce qui exclut le champ d’application des dispositions des articles 1583 et 1217 du Code civil, mais sur la seule question de savoir si M. et Mme [T] ont rompu de manière unilatérale et abusive des pourparlers en cours en vue de cette vente immobilière, en application des dispositions de l’article 1112 du Code civil suivant lesquelles : « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de bonne foi. / En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages. ». M. [O] et Mme [L] conviennent d’ailleurs de l’exclusif champ d’application des dispositions précitées de l’article 1112 du Code civil relevant de la responsabilité civile extra-contractuelle dès lors qu’ils cantonnent désormais leurs demandes principale à la seule reconnaissance d’un préjudice financier et d’un préjudice moral en allégation de rupture abusive de pourparlers.

En l’occurrence, il apparaît d’abord indéniable que des contacts relevant d’authentiques pourparlers précontractuels se sont effectivement engagés de manière suffisamment nourrie, soutenue et suivie au sujet de cette offre de vente immobilière initialement présentée par M. et Mme [T] à M. [O] et Mme [L] pendant une période de deux mois et demi du 3 juillet 2021 jusqu’au plus tard au 20 octobre 2021, date à partir de laquelle ces derniers ne pouvaient raisonnablement plus espérer l’expression d’un quelconque répondant utile à ces pourparlers, compte tenu :

– du fait matériel de la visite le 3 juillet 2021 de l’ensemble de la propriété immobilière de M. et Mme [T] par M. [O] et Mme [L] avec prise de plusieurs photographies dans un but ouvertement discuté et sans aucune réserve particulière de mise en vente de cette propriété sur la base d’une offre de prix de 530.000,00 €, telle qu’elle figurait depuis le le 27 mai 2021 sur le site Le Bon Coin ;

– du courriel du 3 juillet 2021 à 18h44 de M. [O] à M. et Mme [T], disant explicitement le soir même en son nom et celui de Mme [L] confirmer vouloir acheter cette maison moyennant ce prix demandé à hauteur de 530.000,00 € ;

– de la réponse faite par mail du même jour à 19h27 par Mme [T] à M. [O], ainsi notamment libellée : « (‘) / Merci beaucoup pour votre retour rapide. Vous avez raison pour ma maison, vous y serez heureux, quoique la regrettant un peu (mais j’ai fait mon deuil), je serais très heureuse qu’elle soit confiée à votre famille. Je joins le DPE. Mon mari vous enverra le reste (‘) / (‘) » ;

– des différents diagnostics obligatoires qui ont été envoyés le même jour par correspondances électroniques par M. [T] à M. [O], concernant l’amiante, le gaz, le DPE, corroborant dès lors pleinement le retour d’acceptation de son épouse sur cette intention de vendre ;

– d’un courriel adressé le 9 juillet 2021 par Mme [T] à M. [O] et Mme [L], comprenant notamment la phrase « Je vous envoie quelques photos pour vous faire patienter. », ces photos étant celles de la propriété faisant l’objet de cette discussion de vente et l’invitation à la patience s’appliquant de toute évidence à la date de signature du compromis de vente ;

– d’un courriel adressé le 17 juillet 2021 par Mme [T] à M. [O], demandant de différer une nouvelle visite de la maison à la semaine suivante, faisant mention d’un contact avec son notaire dans le cadre de la régularisation de cette vente et confirmant un accord de valeur possible sur les meubles de la cuisine et de la salle de bains à hauteur de 20.000,00 € ;

– d’un courriel adressé le 22 juillet 2021 par Mme [T] à M. [O] et Mme [L], demandant à nouveau de différer de quelques jours la signature prévue [pour le compromis de vente] ;

– d’un courriel adressé le 27 juillet 2021 par Mme [T] à l’étude notariale [chargée d’établir le compromis de vente], proposant un nouveau report de la date de signature de la promesse de vente au 19 ou 20 août 2021 ;

– de deux courriels adressés sur un ton courroucé les 31 juillet et 1er août 2021 par Mme [T] à M. [O], refusant de donner la moindre date de report de signature du compromis de vente mais ne disant pas pour autant renoncer à ce projet de mise en vente immobilière ;

– d’un courriel adressé le 16 août 2021 par Mme [T] à M. [O], d’incitation à nouveau à la patience quant à la fixation d’une date de ce compromis de vente (« Ne vous hâtez pas pour votre vente. Bien cordialement ») ;

– d’un courriel adressé le 25 août 2021 par Mme [T] à M. [O], confirmant à ce dernier qu’elle aimerait lui vendre sa maison mais qu’elle se trouve dans l’incapacité de chercher autre chose et faisant état de son état de santé consécutif à une opération du cerveau ;

– d’un courriel du 20 octobre 2021 de Mme [T], faisant réponse à une lettre du 20 octobre 2021 du conseil de M. [O] et Mme [L], indiquant notamment : « (‘) je suis très en colère contre vos clients, qui ne m’aident vraiment pas, vous pouvez leur dire, pour résumer que je leur vendrai ma maison quand je le pourrai et si je le peux et s’ils cessent de me harceler et menacer. ».

Force d’abord est de constater que ces discussions auxquelles s’est prêtée Mme [T] envers M. [O] et Mme [L] sont devenues évasives et conjecturales en lecture de la teneur de ce dernier courriel du 20 octobre 2021. Il s’infère par ailleurs des éléments qui précèdent que M. [O], qui a participé à l’expression de cet accord de principe en envoyant immédiatement l’ensemble des diagnostics obligatoires et qui est ensuite demeuré taisant durant toute cette période du 3 juillet au 20 octobre 2021 pendant laquelle son épouse entretenait au nom du couple toutes ces discussions aux fins d’engagement de régularisation de cette vente immobilière qu’il ne pouvait ignorer, est effectivement civilement responsable de la rupture unilatérale et sans aucun motif légitime de ces pourparlers précontractuels. Il s’infère également des éléments qui précèdent que Mme [L], qui a entretenu de manière active et constante ces pourparlers précontractuels par un accord de principe au nom de son couple sur la réalisation de cette vente, qui a eu des contacts avec les notaires chargés d’instrumenter cette vente, qui a émis à plusieurs reprises des protestations de sincérité sur le maintien de cet accord de vente et qui a en réalité opposé des demandes récurrentes de différé de calendrier de régularisation de cette vente tout au long de cette même période, est également effectivement civilement responsable de cette rupture unilatérale et sans aucun motif légitime de ces pourparlers précontractuels. Tous deux ne justifient par ailleurs d’aucun motif légitime quant à la cessation unilatérale de ces discussions, étant observé que l’état de santé neurologique ou la situation psychologique et physique post-opératoire de Mme [T] du fait de cette intervention chirurgicale pour un méningiome ne peuvent constituer pour elle un fait justificatif dans la mesure où aucune complication particulière n’a été signalée et où il lui aurait été dès lors aisément loisible de faire connaître beaucoup plus tôt son changement d’intention sur ce projet de vente immobilière. Enfin, la teneur des différents courriels qui ont été adressés par M. [O] à Mme [T] au cours de cette même période, manifestent certes une certaine impatience sur ce qu’il pouvait à juste titre considérer comme des atermoiements mais ne permet aucunement d’objectiver des faits de pressions ou de harcèlement.

M. et Mme [T] seront en conséquence jugés civilement responsables envers M. [O] et Mme [L] de l’ensemble des conséquences dommageables de cette rupture unilatérale et abusive de pourparlers précontractuels qui tendaient à l’élaboration d’un compromis de vente, sous condition dès lors pour ces derniers d’apporter la preuve de la réalité des préjudices d’ordres financier et moral qu’ils invoquent et de liens de causalité entre ces préjudices et ces fautes commises.

3/ Sur les réparations

A – Concernant le préjudice financier

En ce qui concerne les réparations, M. [O] et Mme [L] réclament en premier lieu la somme rehaussée en cause d’appel de 50.000,00 € à 100.000,00 € en allégation de préjudice financier du fait de leur perte de chance d’avoir pu accéder à la propriété immobilière par un concours bancaire à des taux qui auraient été à cette époque plus avantageux.

En cette occurrence, il convient d’abord d’observer que M. [O] et Mme [L] se contredisent dans leurs conclusions d’appelant en indiquant qu’ils envisageaient à la date du 17 juillet 2021 de fixation à 20’000,00 € du prix des éléments mobiliers de procéder à un règlement comptant du prix de cette vente (page 20) puis qu’ils souhaitaient acquérir cette propriété immobilière en obtenant un crédit bancaire (page 21). Il importe par ailleurs de rappeler que ce poste de de préjudice ne peut être indemnisé sur un mode forfaitaire tel que visiblement pratiqué en première instance mais de manière réelle en lecture de pièces justificatives du déficit financier invoqué et d’une offre de démonstration chiffrée à ce sujet.

Or, l’offre de preuve présentée sur cette réclamation pécuniaire par M. [O] et Mme [L] ne s’articule d’abord que sur l’allégation d’une perte de chance de n’avoir pu négocier une acquisition immobilière avec une autre personne pendant la durée de ces négociations alors que cette durée de négociation d’une durée maximale de deux mois et demi, au terme de laquelle ces derniers ne pouvaient raisonnablement plus rien espérer de ces discussions, constitue certes un contretemps aussi inutile que désagréable mais insuffisamment long pour objectiver une perte de chance d’avoir pu contracter avec une personne tierce sur ce même type de projet immobilier. De plus, M. [O] et Mme [L] ne justifient pas qu’ils n’auraient pu continuer de bénéficier jusqu’à la fin de l’année 2021 voire le début de l’année 2022 des taux entre 1 % et 1,30 % dont ils font état pour août 2021 et de 0,88 % sur 25 ans pour janvier 2022 alors qu’ils ne pouvaient raisonnablement pas ne pas réaliser que ces pourparlers avaient de toute évidence viré à l’échec le plus complet au plus tard à la date précitée du 20 octobre 2021 pour les motifs précédemment énoncés. À ce sujet, ils ne font enfin état d’une hausse des taux bancaires qu’à compter de septembre 2022, à hauteur de 1,90 % pour les prêts classiques et de 2,20 % pour les prêts relais alors qu’ils auraient eu d’autant plus le temps de rechercher un autre vendeur et un concours bancaire à compter de la date précitée du 20 octobre 2021. Il convient par ailleurs de constater que M. [O] et Mme [L] ont eux-mêmes perdu une année entière à compter de la date précitée du 20 octobre 2021 avant d’assigner le 27 octobre 2022 M. et Mme [T] en demande de dommages-intérêts sur ce poste de préjudice financier consécutivement à leur demande initiale de vente forcée par la voie judiciaire.

Le préjudice financier qu’ils invoquent apparaît dès lors incertain et conjectural, ce qui amène à infirmer le jugement de première instance en sa décision de condamnation pécuniaire à hauteur de 50.000,00 € et à rejeter ce même poste de demande rehaussé à la somme de 100.000,00 €.

B – Concernant le préjudice moral

M. [O] et Mme [L] réclament en second lieu la somme rehaussée en cause d’appel de 3.000,00 € à 30.000,00 € en réparation de leur préjudice moral. De fait, il ne peut être sérieusement contesté que la rupture unilatérale et sans aucun motif légitime par M. et Mme [T] de ces pourparlers précontractuels après quelque deux mois et demi de discussions ont occasionné à M. [O] et Mme [L] un préjudice moral de déception, de contretemps sur leur propre décision de mutation immobilière et de tracasseries. S’y ajoute pour le couple un préjudice supplémentaire de contrariété et de contretemps sur le projet de Mme [L] d’avoir l’opportunité d’exercer le métier d’assistante maternelle dans cette vaste demeure de 280 m² habitables. Au-delà des expressions de sympathie qui allaient en se détériorant au fil du temps en ce qui concerne Mme [T], ces discussions n’en étaient pas moins entièrement dédiées à l’élaboration et au calendrier de régularisation de cette intention de vente de l’ensemble immobilier litigieux dans des conditions qui relèvent en définitive de la déloyauté et de la mauvaise foi.

Dans ces conditions, M. et Mme [T] seront condamnés à payer au profit de M. [O] et Mme [L] la somme de 6.000,00 € en réparation de leur préjudice moral, ce qui amène à infirmer le jugement de première instance pour avoir limité le montant de cette allocation de dommages-intérêts à la somme de 3.000,00 €.

4/ Sur les autres demandes

Le jugement de première instance sera confirmé en ses décisions d’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et d’imputation des dépens de première instance.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de M. [O] et Mme [L] les frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’engager à l’occasion de cette instance et qu’il convient d’arbitrer à la somme de 4.500,00 €.

Enfin, succombant à l’instance, M. et Mme [T] seront purement et simplement déboutés de leurs demandes de dommages-intérêts en allégation de préjudice moral et de défraiement au visa de l’article 700 du code de procédure civile et en supporteront les entiers dépens.

LA COUR,

STATUANT PUBLIQUEMENT

ET CONTRADICTOIREMENT,

CONSTATE que M. [S] [O] et Mme [Y] [L] renoncent au bénéfice du jugement n° RG-22/04341 rendu le 6 février 2023 en ce qu’il a :

* jugé que M. [P] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] ont consenti à M. [S] [O] et Mme [Y] [L] une vente parfaite sur l’ensemble immobilier susmentionné, moyennant le prix de 530.000,00 € net vendeur ;

* dit que du fait de cette vente, la propriété de cet ensemble immobilier est acquise à M. [S] [O] et Mme [Y] [L] ;

* invité en conséquence M. [S] [O] et Mme [Y] [L], d’une part, et M. [P] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] , d’autre part, à régulariser cette vente immobilière par acte authentique dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement ;

* dit qu’à défaut de réalisation de cet acte authentique dans le délai imparti, ce jugement vaut vente entre M. [S] [O] et Mme [Y] [L], d’une part, et M. [P] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] , d’autre part, de l’ensemble immobilier susmentionné moyennant le prix de 530.000,00 € net vendeur et que ce jugement valant vente doit être publié au Service de la publicité foncière ;

INFIRME en conséquence ce même jugement sur les quatre chefs de décision qui précèdent.

INFIRME ce même jugement :

– en ce qui concerne le principe et le montant de la condamnation pécuniaire de 50’000,00 € en allégation de préjudice financier ;

– en ce qui concerne le montant de la condamnation pécuniaire de 3.000,00 € en réparation du préjudice moral.

CONFIRME ce même jugement en ses autres dispositions d’application des dispositions de l’article 700 du code procédure civile et d’imputation des dépens de première instance.

Statuant de nouveau.

DÉBOUTE M. [S] [O] et Mme [Y] [L] de leur demande de dommages-intérêts formée à l’encontre de M. [P] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] en allégation de préjudice financier.

CONDAMNE M. [P] [T] et Mme [X] [H] à payer au profit de M. [S] [O] et Mme [Y] [L] :

* la somme de 6.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

* une indemnité de 4.500,00 € en dédommagement de leurs frais irrépétibles prévus à l’article 700 du code de procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE M. [P] [T] et Mme [X] [H] aux entiers dépens de l’instance.

Le greffier Le président


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon