Retraite des auto-entrepreneurs : enjeux de calcul et d’équité dans l’attribution des points.

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Retraite des auto-entrepreneurs : enjeux de calcul et d’équité dans l’attribution des points.

L’Essentiel : Mme [Y] est affiliée à la CIPAV depuis 2013 en tant qu’auto-entrepreneur. La Cour d’appel de Versailles a ordonné la rectification de ses points de retraite pour 2013 à 2019. En 2024, Mme [Y] a contesté la comptabilisation de ses points pour 2020 à 2022, mais la commission de recours amiable a rejeté sa demande. Elle a alors saisi le tribunal judiciaire pour obtenir une rectification et des dommages-intérêts. La CIPAV, quant à elle, défend que les points doivent être proportionnels aux cotisations versées. Le tribunal a finalement condamné la CIPAV aux dépens, sans faute retenue.

Affiliation de Mme [Y] à la CIPAV

Mme [Y] est affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) depuis le 1er avril 2013, exerçant en tant qu’auto-entrepreneur dans le domaine de l’animation d’art.

Décisions de la Cour d’appel

La Cour d’appel de Versailles a rendu deux arrêts, le 25 mai 2023 et le 14 décembre 2023, ordonnant à la CIPAV de rectifier le nombre de points de retraite de base et complémentaire acquis par Mme [Y] pour la période de 2013 à 2019.

Relevé de situation individuelle

Le 13 février 2024, Mme [Y] a demandé à la CIPAV un relevé de situation individuelle concernant ses points de retraite pour la période de son affiliation.

Recours auprès de la CRA

En désaccord avec la comptabilisation de ses points de retraite pour les années 2020 à 2022, Mme [Y] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV (CRA), qui a rejeté son recours lors de sa séance du 29 avril 2024.

Saisine du tribunal judiciaire

Le 3 mai 2024, Mme [Y] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles pour contester la décision de la CRA. Les parties ont été convoquées à l’audience du 7 novembre 2024.

Prétentions de Mme [Y]

Mme [Y] demande au tribunal de condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite pour les années 2020 à 2022 et à lui transmettre un relevé de situation conforme, sous astreinte de 250 euros par jour de retard. Elle réclame également des dommages-intérêts pour préjudice moral et des frais irrépétibles.

Prétentions de la CIPAV

La CIPAV, de son côté, demande que les points de retraite attribués à Mme [Y] soient fixés à des montants inférieurs à ceux qu’elle réclame et sollicite le déboutement de toutes les demandes de Mme [Y].

Calcul des points de retraite complémentaire

Mme [Y] soutient que le calcul des points de retraite complémentaire doit se baser sur sa classe de cotisation, déterminée par son revenu d’activité, et conteste la méthode de calcul appliquée par la CIPAV.

Arguments de la CIPAV

La CIPAV défend que le statut d’auto-entrepreneur implique un régime de cotisation spécifique et que les points de retraite doivent être proportionnels aux cotisations versées, en tenant compte des montants effectivement perçus.

Calcul des points de retraite de base

Les parties s’accordent sur la formule de calcul des points de retraite de base, mais divergent sur l’assiette de revenus à retenir, Mme [Y] plaidant pour l’utilisation de son chiffre d’affaires sans abattement.

Demande de communication de relevé de situation

Suite à la rectification des points de retraite, le tribunal ordonne à la CIPAV de fournir à Mme [Y] un relevé de situation individuelle rectifié, sans astreinte.

Demande de dommages-intérêts

Mme [Y] réclame des dommages-intérêts pour préjudice moral, mais le tribunal conclut qu’il n’y a pas eu de faute de la CIPAV et déboute Mme [Y] de sa demande.

Frais du procès

La CIPAV, partie perdante, est condamnée aux dépens et doit verser à Mme [Y] une indemnité pour les frais exposés, fixée à 1 000 euros.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la méthode de calcul des points de retraite complémentaire pour les auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV ?

La méthode de calcul des points de retraite complémentaire pour les auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV est régie par l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979. Cet article stipule que le régime d’assurance vieillesse complémentaire obligatoire comporte huit classes de cotisations, déterminées en fonction du revenu d’activité de l’adhérent.

Chaque classe de cotisation correspond à un montant de cotisations et à un nombre de points de retraite. Pour les années 2020, 2021 et 2022, le nombre de points attribués est fixé à 36 points pour la classe A et 72 points pour la classe B.

Il est important de noter que l’attribution d’un nombre forfaitaire de points se fait en fonction de la classe de revenu, et non d’une règle de proportionnalité. La Cour de cassation a établi que le nombre de points de retraite attribués annuellement à l’auto-entrepreneur procède directement de la classe de cotisation, déterminée par son revenu d’activité.

Ainsi, la CIPAV ne peut pas réduire le montant des points de retraite complémentaire en invoquant une proportionnalité sans fondement textuel ou jurisprudentiel avéré. Le décret précité a une valeur normative supérieure à celle des statuts de la CIPAV, qui ne concernent que le fonctionnement interne de l’organisme.

Comment se calcule le nombre de points de retraite de base pour les auto-entrepreneurs ?

Le calcul des points de retraite de base pour les auto-entrepreneurs est également encadré par des dispositions légales. Selon l’article L613-7 I du code de la sécurité sociale, les cotisations des travailleurs indépendants, y compris les auto-entrepreneurs, sont calculées en appliquant un taux fixé par décret sur le montant de leur chiffre d’affaires ou de leurs recettes effectivement réalisées.

Le nombre de points de retraite de base dépend donc du revenu d’activité de l’auto-entrepreneur, sans abattement forfaitaire. La CIPAV doit prendre en compte le chiffre d’affaires réalisé pour déterminer le nombre de points, et non la quote-part de ce forfait social qui lui est reversée.

Pour les années 2020, 2021 et 2022, le calcul des points de retraite de base doit se faire en fonction des tranches de revenus définies par la réglementation. Par exemple, pour l’année 2020, un revenu de 22 751 euros permet d’acquérir 290,38 points en tranche 1, tandis que pour 2021, un revenu de 30 964 euros permet d’acquérir 395,20 points.

Il est donc essentiel que la CIPAV respecte ces dispositions pour garantir que le nombre de points attribués soit conforme aux règles en vigueur.

Quelles sont les conséquences de la suppression de la compensation de l’État sur le calcul des points de retraite ?

La suppression de la compensation de l’État, intervenue le 1er janvier 2016, n’a pas d’incidence sur le calcul des points de retraite acquis par les auto-entrepreneurs. Les articles L131-7 et R133-30-10 du code de la sécurité sociale, qui régissaient cette compensation, ne concernaient que les relations entre l’État et la CIPAV.

Ces règles de compensation n’affectaient pas les droits à pension des assurés, qui sont régis par l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979. Ainsi, même après la suppression de cette compensation, le nombre de points de retraite continue de dépendre directement de la classe de cotisation de l’affilié, déterminée par son revenu d’activité.

Le principe de proportionnalité, invoqué par la CIPAV, ne peut pas écarter les dispositions du décret précité. Les auto-entrepreneurs doivent continuer à bénéficier d’un régime de déclaration et de paiement simplifié, sans que cela n’affecte leurs droits à pension.

En conséquence, la CIPAV ne peut pas justifier une réduction des points de retraite en raison de la suppression de la compensation de l’État, car cela ne modifie pas les modalités de calcul des droits à pension.

Quels sont les critères pour obtenir des dommages-intérêts pour préjudice moral dans ce contexte ?

Pour obtenir des dommages-intérêts pour préjudice moral, il est nécessaire de prouver l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux, conformément à l’article 1240 du code civil. Cet article stipule que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cas de Mme [Y], le différend sur les modalités de calcul de ses droits à pension ne suffit pas à établir une faute de la part de la CIPAV. La divergence d’interprétation des textes applicables ne constitue pas en soi une faute, car l’affiliée a la possibilité de soumettre le litige à un tribunal.

De plus, Mme [Y] ne parvient pas à prouver la réalité du préjudice qu’elle allègue, tel que le stress ou l’indifférence de la CIPAV. En l’absence de preuve tangible d’une faute et d’un préjudice, la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ne peut être accueillie.

Ainsi, il est essentiel de démontrer non seulement la faute de l’organisme, mais aussi l’impact réel de cette faute sur la situation de l’affilié pour obtenir réparation.

Pôle social – N° RG 24/00722 – N° Portalis DB22-W-B7I-SCIZ

Copies certifiées conformes et exécutoires délivrées,
le :

à :
– Mme [L] [Y]

Copies certifiées conformes délivrées,
le :

à :
– CIPAV
– Me Dimitri PINCENT
– Me Malaury RIPERT

N° de minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL

CONTENTIEUX GENERAL DE SECURITE SOCIALE

JUGEMENT RENDU LE MARDI 07 JANVIER 2025

N° RG 24/00722 – N° Portalis DB22-W-B7I-SCIZ

Code NAC : 88G

DEMANDEUR :

Madame [L] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

dispensée de comparution

DÉFENDEUR :

CIPAV
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Maître Malaury RIPERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

dispensée de comparution

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Madame Béatrice THELLIER, Juge
Monsieur Olivier CRUCHOT, Représentant des employeurs et des travailleurs indépendants
Madame Madeleine LEMAIRE, Représentant des salariés

Madame Valentine SOUCHON, Greffière

DEBATS : A l’audience publique tenue le 07 Novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 07 Janvier 2025. La présente décision est contradictoire et rendue en premier ressort.
Pôle social – N° RG 24/00722 – N° Portalis DB22-W-B7I-SCIZ

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Mme [Y] est affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (la CIPAV) depuis le 1er avril 2013, pour une activité d’animateur d’art sous le statut d’auto-entrepreneur.

Par deux arrêts en date des 25 mai 2023 et 14 décembre 2023, la Cour d’appel de Versailles a ordonné à la CIPAV de rectifier le nombre de points de retraite de base et complémentaire acquis par Mme [Y] pour les années 2013 à 2019.

Le 13 février 2024, à sa demande, Mme [Y] se faisait transmettre par la CIPAV un relevé de situation individuelle faisant état de ses points de retraite de base et de retraite complémentaire sur sa période d’affiliation.

En désaccord avec la comptabilisation de ses points de retraite de base et complémentaire pour la période de 2020 à 2022, Mme [Y] a, par l’intermédiaire de son conseil, saisi la commission de recours amiable de la CIPAV (la CRA) qui dans sa séance du 29 avril 2024 a rejeté son recours.

Par conclusions valant saisine, reçue au greffe le 3 mai 2024, Mme [Y] a, par l’intermédiaire de son conseil, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, afin de contester cette décision.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 7 novembre 2024, à laquelle l’affaire a été retenue.

En application des dispositions de R142-10-4 du code de la sécurité sociale, les parties ont toutes deux sollicité leur dispense de comparution à l’audience.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [Y], représentée par son conseil, s’en rapporte aux prétentions contenues dans ses conclusions valant saisine reçue au greffe le 3 mai 2024 et demande au tribunal condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite comme suit :
– pour ses points retraite complémentaire : 36 points en 2020, 72 points en 2021 et 72 points en 2022,
– pour ses points retraite de base : 293,1 points en 2020, 398,9 points en 2021 et 366,5 points en 2022.
Elle sollicite également la condamnation de la CIPAV à lui transmettre et à lui rendre accessible, y compris en ligne, un relevé de situation individuelle conforme, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard.
Elle sollicite enfin la condamnation de la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral et la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

La CIPAV s’en rapporte aux prétentions contenues dans ses conclusions reçue au greffe le 3 mai 2024 et demande au tribunal d’attribuer à Mme [Y] des points de retraite comme suit :
– pour ses points retraite complémentaire : 26 points en 2020, 34 points en 2021 et 29 points en 2022,
– pour ses points retraite de base : 195,7 points en 2020, 266,5 points en 2021 et 245,1 points en 2022.
Elle sollicite ainsi que Mme [Y] soit déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée à lui verser la somme de 600 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Il est renvoyé aux conclusions des parties auxquelles elles se sont référées dans leur demande de dispense de comparution pour l’exposé des moyens de droit et de fait à l’appui de leurs prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

. Sur le calcul des points de retraite complémentaire
Mme [Y] fait valoir, au visa des articles L133-6-8 et L644-1 du code de la sécurité sociale, que l’attribution d’un nombre forfaitaire de points se fait en fonction de la classe de revenu ; que la Cour de cassation pose pour principe que le nombre de points de retraite attribués annuellement à l’auto-entrepreneur inscrit à la CIPAV procède directement de la classe de cotisation de l’affilié, déterminée en fonction de son revenu d’activité ; que l’allocation de points de retraite complémentaire d’un montant inférieur à ceux de la première classe est impossible ; que seul l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 fixe la méthode de calcul des points de retraite complémentaire de l’auto-entrepreneur ; que l’invocation d’une règle de proportionnalité, sans fondement textuel ou jurisprudentiel avéré, est incompatible avec les dispositions du décret précitées, qui visent un octroi de point forfaitaire (et non proportionnel) ; qu’au surplus, le décret a une valeur normative supérieure à celle des statuts de la CIPAV, lesquels n’intéressent que le fonctionnement interne de l’organisme. Elle ajoute que l’assiette à retenir pour déterminer la classe de revenu applicable est celle du chiffre d’affaires qui constitue l’assiette spécifique des cotisations et que le BNC théorique est à proscrire pour les auto-entrepreneurs.

En réplique, la CIPAV soutient que le statut d’auto-entrepreneur est un statut dérogatoire au régime normal ouvrant droit à un régime de cotisation spécifique ; que pour chaque période d’affiliation, le statut d’auto-entrepreneur permet aux professionnels libéraux, en fonction du chiffre d’affaires déclaré et donc du montant cotisé, de valider des trimestres de retraite et d’acquérir des points de retraite ; que le montant des cotisations est calculé en appliquant au chiffre d’affaires un taux fixé par décret (selon l’article D131-5-1 du code de la sécurité sociale, 22% depuis le 1er janvier 2018).

Sur les modalités de restitution à la CIPAV des cotisations du régime des auto-entrepreneurs, celle-ci explique que les affiliés cotisent auprès de l’URSSAF qui redistribue ensuite un pourcentage des cotisations à chaque organisme collecteur dont la CIPAV ; que les modalités de répartition des montants de cotisations recouvrés pour les adhérents à la CIPAV sont précisées par l’article D.131-5-3 du code de la sécurité sociale ; qu’il en résulte que la CIPAV ne perçoit que 52,5 % du forfait social appliqué par l’auto-entrepreneur dont 30 % sont affectés au régime de base, 20 % au régime complémentaire et 2,5 % au titre du régime invalidité décès. Elle rappelle que le système de retraite français repose sur un système contributif, de sorte qu’il doit y avoir selon elle une stricte proportionnalité entre les droits acquis et les cotisations payées.

Elle soutient ainsi que pour les auto-entrepreneurs, les assurés ont droit aux prestations pour lesquelles ils justifient du versement de cotisations, qu’il s’agisse de cotisations acquittées personnellement ou de cotisations versées par l’Etat en application de dispositions législatives ou réglementaires ; que jusqu’en 2015, afin que le dispositif du forfait social soit sans incidence sur les droits ouverts aux auto-entrepreneurs, la loi a prévu en ses articles L.131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, le versement d’une compensation de l’Etat au régime de protection sociale pour couvrir la perte de recette induite par le régime dans des conditions assurant une cotisation au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables ; que la compensation de l’Etat ayant pris fin en janvier 2016, elle a appliqué le principe de proportionnalité selon lequel le rapport entre le montant des cotisations effectivement payées par l’adhérent et la valeur d’achat du point détermine le nombre de points attribué au titre du régime complémentaire.

Elle fait valoir qu’au regard du montant du forfait social acquitté par Mme [Y] en 2020, 2021 et 2022, lui faire bénéficier du nombre de points qu’elle sollicite au titre de ces années reviendrait à lui attribuer des points à une valeur d’achat largement inférieure à celle fixée par le conseil d’administration de la CIPAV et entraînerait une rupture d’égalité vis-à-vis des adhérents de la caisse ne relevant pas du régime de l’auto-entreprise, ce qui est inconcevable dans un système de retraite obligatoire.

La pension de retraite complémentaire est une pension en points versée à l’affilié qui est à jour de ses cotisations obligatoires auprès de sa section. Le montant de la pension est égal au nombre de points porté au compte de l’affilié, multiplié par la valeur du point fixé chaque année par le conseil d’administration de chaque section.

Il résulte des dispositions de l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 que le régime d’assurance vieillesse complémentaire obligatoire, géré par la CIPAV et institué par l’article 1er de ce texte, comporte huit classes de cotisations déterminées en fonction du revenu d’activité de l’adhérent, auxquelles correspond l’attribution d’un nombre de points de retraite dont le montant est fixé par décret sur proposition du conseil d’administration de l’organisme.

A chaque classe de cotisation, correspond un montant de cotisations et un nombre de points de retraite. Ce nombre est fixé pour la première des classes (classe A) à 36 points par année et pour la deuxième des classes (classe B) à 72 points par année pour les années 2020, 2021 et 2022.

Les dispositions de l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 sont seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV (Cass. 2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n°18-15.542).

Il en découle que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l’affilié en fonction de son revenu d’activité, étant précisé que la cotisation s’exprime sous la forme d’un montant fixe (et non d’un pourcentage) dû par l’assuré dont le revenu, déterminé selon les règles d’assiette appropriées, est compris entre les bornes de la classe de cotisation dont celui-ci le fait relever.

S’agissant de l’assiette des cotisations, aux termes de l’article L613-7 I du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions successivement applicables au litige, les cotisations et les contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants mentionnés au II du présent article (les travailleurs indépendants mentionnés à l’article L631-1 du code de la sécurité sociale) bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts, sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d’affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédant un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d’activité mentionnée aux mêmes articles, de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et des contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants ne relevant pas des dispositions du présent article.

L’article L631-1 du code de la sécurité sociale, par renvoi à l’article L611-1 du même code, vise notamment les travailleurs non-salariés qui ne sont pas affiliés au régime mentionné au 3° de l’article L722-8 du code rural et de la pêche maritime.

Les dispositions des articles L131-7 et R133-30-10 du code de la sécurité sociale, applicables jusqu’au 31 décembre 2015, fixaient les modalités de la compensation par l’Etat du manque à recouvrer par les organismes sociaux et prévoyaient que le montant de cette compensation est égal à la différence entre le montant des cotisations et contributions dont les travailleurs indépendants auraient été redevables au cours de l’année civile et le montant des cotisations et contributions calculées en application de l’article L.613-7 versées par les intéressés.

Ces règles de compensation financières n’intéressaient que les rapports entre l’Etat et l’organisme et étaient étrangères aux relations organisme/affiliés. Elles étaient donc sans incidence sur la détermination des droits à pension des assurés régie par le seul article 2 du décret du 21 mars 1979 susvisé.

La suppression du dispositif de compensation de l’Etat à compter du 1er janvier 2016 est donc sans incidence sur les modalités de calcul et le principe selon lequel le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l’affilié, déterminée en fonction de son revenu d’activité, en application des dispositions de l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 modifié.

L’option en faveur du statut de l’auto-entrepreneur conduit toujours, en effet, à l’application d’un forfait déterminé par l’application au montant du chiffre d’affaires ou des recettes effectivement réalisés par l’intéressé d’un taux global fixé par décret selon les catégories d’activité, en vertu des dispositions de l’article L613-7 du code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions successivement applicables aux années 2020, 2021 et 2022.

Le principe de proportionnalité dont la CIPAV se prévaut, sur le fondement de ses statuts – réglementation interne à l’organisme à laquelle Mme [Y] n’a pas adhéré – ne peut conduire à écarter les dispositions de l’article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979.

Les griefs tirés d’une rupture d’égalité entre les auto-entrepreneurs et les autres adhérents et du non-respect de la valeur des points telle que fixée par le conseil d’administration de la CIPAV sont sans portée, dans la mesure où le régime applicable aux auto-entrepreneurs se veut incitatif et répond à la volonté du législateur de favoriser la création d’entreprises par la mise en place, notamment, d’un régime de déclaration et de paiement fiscal et social simplifié, sans porter atteinte aux droits de ceux qui ont choisi d’opter pour le régime micro-social.

Enfin, la CIPAV ne peut s’appuyer sur les dispositions de l’article 3.12 de ses statuts, qui prévoit une réduction de la cotisation en fonction du revenu professionnel de l’année précédente, dès lors qu’il résulte de ces dispositions que cette réduction ne peut intervenir que sur demande expresse de l’adhérent, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la CIPAV n’était pas fondée à réduire le montant de la pension de retraite complémentaire de Mme [Y] pour les années 2020, 2021 et 2022.

Il est constant que Mme [Y] est à jour du paiement du forfait social pour les années 2020, 2021 et 2022.

Dès lors, il convient de condamner la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaires acquis par Mme [Y] sur la période 2020-2022, en prenant en compte son chiffre d’affaires réalisé, soit selon la pièce 1-4 de l’assuré : 22 751 euros en 2020, 30 964 euros en 2021 et 28 449 euros en 2022. Mme [Y] se situe donc pour la retraite complémentaire en classe de cotisation A sur l’année 2020 et en classe de cotisation B sur les années 2021 et 2022.

. Sur le calcul des points de retraite de base
Mme [Y] relève que les parties s’accordent sur la formule de calcul des points de retraite de base des auto-entrepreneurs mais s’opposent sur l’assiette de revenus à retenir, laquelle doit également être celle du chiffre d’affaires, sans abattement de 34 %.

Elle expose que jusqu’au 31 décembre 2015, l’Etat compensait financièrement l’éventuel différentiel d’encaissement de cotisations pour la CIPAV en lui réglant la différence entre la cotisation la plus faible non nulle dont l’auto-entrepreneur aurait été redevable s’il n’avait pas opté pour ce statut incitatif, à savoir la cotisation annuelle de classe A, et le cumul annuel des cotisations du forfait social reversées par l’ACCOSS à la CIPAV. Elle soutient que ces règles financières n’intéressent que la relation entre l’Etat et la CIPAV, à laquelle est étranger l’auto-entrepreneur, et ne sont donc pas opposables à ce dernier ; que dès lors, la disparition de la compensation financière précitée à compter du 1er janvier 2016 est sans incidence sur le décompte des points de retraite acquis par le professionnel.

En réplique, la CIPAV rappelle que le système de retraite français repose sur un système contributif, de sorte qu’il doit y avoir selon elle une stricte proportionnalité entre les droits acquis et les cotisations payées. Plus précisément, elle soutient appliquer le principe de proportionnalité selon lequel le rapport entre le montant des cotisations effectivement payées par l’adhérent et la valeur d’achat du point détermine le nombre de points attribué au titre du régime complémentaire.

Il résulte de l’article L133-6-8 du code de la sécurité sociale (devenu l’article L613-7), dans ses rédactions successivement applicables au litige, que les cotisations et contributions de sécurité sociale des auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d’affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent, un taux fixé par décret pour chaque catégorie d’activité mentionnée aux mêmes articles.

Ces dispositions se réfèrent expressément au chiffre d’affaires ou aux recettes effectivement réalisées, soit aux recettes brutes.

En l’espèce, il convient de relever que dans ses conclusions (en pages 4 à 8), pour calculer les points de retraite de base de Mme [Y] en 2020, 2021et 2022, la CIPAV prend en compte son chiffre d’affaires réalisé, sans appliquer d’abattement forfaitaire de 34% contrairement à ce que soutient la demanderesse. Toutefois, elle prend pour base de calcul la seule proportion qui lui est reversée, soit le quart du forfait social appliqué au chiffre d’affaires de l’assurée pour l’établissement de la tranche 1, et le 20e de ce forfait pour la tranche 2.

Or, il convient de rappeler qu’en application des dispositions légales précitées le nombre de points dépend uniquement du revenu d’activité de l’intéressée sur lequel est adossé le montant du forfait social prévu à l’article L.133-6-8 et non la quote-part de ce forfait social restitué à la CIPAV.

Il convient dès lors de reprendre le calcul des points acquis au titre des années 2020 à 2022 tel qu’effectué par Mme [Y], conformément aux dispositions légales, à savoir :

Pour l’année 2020 :
– tranche 1 pour les revenus allant de 0 à 41.136 euros : 1 point pour 78,35 euros de revenus, soit 525 points maximum ;
– tranche 2 pour les revenus allant de 0 à 205.680 euros : 1 point pour 8.227,20 euros de revenus, soit 25 points supplémentaires maximum ;
Compte tenu du revenu de Mme [Y] pour l’année 2020 (22 751 euros), montant non contesté, elle peut prétendre à :
– en tranche 1 : 290,38 points,
et non 293,1 points comme indiqué dans sa pièce n°1-2 [22 751 euros :78,35= 290,38 points]
– en tranche 2 : 0 point
Soit un total de : 290,38 points
Pôle social – N° RG 24/00722 – N° Portalis DB22-W-B7I-SCIZ

Pour l’année 2021 :
– tranche 1 pour les revenus allant de 0 à 41.136 euros : 1 point pour 78,35 euros de revenus, soit 525 points maximum ;
– tranche 2 pour les revenus allant de 0 à 205.680 euros : 1 point pour 8.227,21 euros de revenus, soit 25 points supplémentaires maximum ;
Compte tenu du revenu de Mme [Y] pour l’année 2021 (30 964 euros), montant non contesté, elle peut prétendre à :
– en tranche 1 : 395,20 points
et non 398,90 points comme indiqué dans sa pièce n°1-2 [30 964 euros :78,35=395,20 points]
– en tranche 2 : 0 point
Soit un total de : 395,20 points

Pour l’année 2022 :
– tranche 1 pour les revenus allant de 0 à 41.136 euros : 1 point pour 78,35 euros de revenus, soit 525 points maximum ;
– tranche 2 pour les revenus allant de 0 à 205.680 euros : 1 point pour 8.227,21 euros de revenus, soit 25 points supplémentaires maximum ;
Compte tenu du revenu de Mme [Y] pour l’année 2022 (28 449 euros), montant non contesté, elle peut prétendre à :
– en tranche 1 : 363,10 points
et non 366,5 points comme indiqué dans sa pièce n°1-2 [28 449 euros :78,35= 363,10 points]
– en tranche 2 : 0 point
Soit un total de : 363,10 points.

Dès lors, il convient de condamner la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaires acquis par Mme [Y] sur la période 2020-2022 comme exposé ci-dessus.

. Sur la demande de communication du relevé de situation individuelle conforme sous astreinte
Consécutivement à la rectification des points de retraite de base et complémentaires acquis par Mme [Y] pour les années 2020 à 2022, il y a lieu de condamner la CIPAV à communiquer à l’assurée et mettre à sa disposition en ligne un relevé de situation individuelle rectifié conformément au présent jugement.

En revanche, il n’apparaît pas nécessaire d’assortir cette condamnation d’une astreinte en l’absence d’éléments laissant craindre une inexécution.

. Sur la demande de dommages-intérêt pour préjudice moral
Mme [Y] fait valoir, au visa de l’article 1240 du code civil, que la CIPAV a commis une faute à son égard en minorant ses droits à la retraite. Elle soutient avoir ainsi subi un préjudice moral caractérisé par le stress lié à un sentiment d’impossibilité d’obtenir la rectification de ses droits. Elle dit s’acharner sur une activité indépendante pour subvenir à ses besoins et déplorer l’indifférence et le mépris de la CIPAV à son égard, laquelle adopte selon elle une attitude exclusive de la bonne foi.

En réplique, la CIPAV fait valoir que Mme [Y] ne justifie d’aucune faute de sa part sauf à invoquer une divergence d’interprétation des textes applicables.

Aux termes de l’article 1240 du code civil « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Celui qui sollicite réparation a la charge de la preuve de l’existence d’une faute, d’un préjudice et du lien de causalité entre les deux.

En l’espèce, le différend opposant la CIPAV à Mme [Y] sur les modalités de calcul de ses droits à pension ne suffit pas à caractériser l’existence d’une faute de la part de l’organisme, l’affiliée disposant de la faculté de soumettre à un tribunal l’application des textes et de la jurisprudence.

En outre, elle ne rapporte pas la preuve de la réalité du préjudice qu’elle allègue.

Dès lors, il convient de débouter Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.

. Sur les frais du procès
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La CIPAV, partie succombant, est condamnée aux entiers dépens.

Sur l’article 700 du code de procédure civile
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

En l’espèce, la CIPAV est condamnée à payer à Mme [Y], au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, une indemnité qu’il est équitable de fixer à 1 000 euros. Elle est par ailleurs déboutée de sa demande sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

ORDONNE à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse de rectifier les points de retraite complémentaire acquis par Mme [L] [Y] sur la période des années 2020, 2021 et 2022 comme suit :
– 36 points en 2020,
– 72 points en 2021,
– 72 points en 2022,

ORDONNE à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse de rectifier les points de retraite de base acquis par Mme [L] [Y] sur la période des années 2020, 2021 et 2022 comme suit :
– 290,38 points en 2020,
– 395,20 points en 2021,
– 363,10 points en 2022,

CONDAMNE la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse à communiquer à Mme [L] [Y] et mettre à sa disposition en ligne un relevé de situation individuelle rectifié conformément au présent jugement,

DIT n’y avoir lieu à ordonner une astreinte pour garantir l’exécution de cette condamnation par la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse,

DEBOUTE Mme [L] [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,

CONDAMNE la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse aux entiers dépens.

CONDAMNE la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse à payer à Mme [L] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

Madame Valentine SOUCHON Madame Béatrice THELLIER


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