Rétention administrative et réitération : enjeux de la motivation et des perspectives d’éloignement.

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Rétention administrative et réitération : enjeux de la motivation et des perspectives d’éloignement.

L’Essentiel : Le 26 juillet 2023, une obligation de quitter le territoire français a été notifiée à [H] [V] par le préfet de l’Isère, accompagnée d’une interdiction de retour d’un an. Le 28 décembre 2024, [H] [V] a été placé en rétention administrative. Après avoir contesté cette décision, le juge des libertés a prolongé la rétention pour vingt-six jours. En appel, [H] [V] a soutenu que la décision était insuffisamment motivée et qu’il n’y avait pas de perspective raisonnable d’éloignement. Malgré ces arguments, l’ordonnance de prolongation a été confirmée, permettant la poursuite des démarches d’éloignement.

Notification d’Obligation de Quitter le Territoire

Une obligation de quitter le territoire français sans délai, accompagnée d’une interdiction de retour d’un an, a été notifiée à [H] [V] le 26 juillet 2023 par le préfet de l’Isère.

Placement en Rétention Administrative

Le 28 décembre 2024, l’autorité administrative a ordonné le placement de [H] [V] en rétention administrative à 18 heures 15, dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire.

Contestation de la Décision

Le 30 décembre 2024, [H] [V] a contesté la décision de placement en rétention, et le préfet a demandé la prolongation de cette rétention pour vingt-six jours.

Ordonnance du Juge des Libertés

Le 1er janvier 2025, le juge des libertés a ordonné la jonction des procédures, rejeté les moyens d’irrecevabilité, et prolongé la rétention de [H] [V] pour vingt-six jours.

Appel de l’Ordonnance

[H] [V] a interjeté appel le 2 janvier 2025, arguant que la décision de placement en rétention était insuffisamment motivée et qu’il n’existait pas de perspective raisonnable d’éloignement.

Audience et Défense

Les parties ont été convoquées à l’audience du 3 janvier 2025, où [H] [V] n’a pas comparu, mais son conseil a plaidé pour la remise en liberté, tandis que le préfet a demandé la confirmation de l’ordonnance.

Recevabilité de l’Appel

L’appel de [H] [V] a été déclaré recevable, conformément aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Interdiction de Double Réitération de la Rétention

[H] [V] a soutenu avoir été placé en rétention à quatre reprises sur la même obligation de quitter le territoire, invoquant une violation des principes de droit.

Position de la Préfecture

La préfecture a rétorqué que la réitération de la rétention était justifiée par des éléments nouveaux et une menace à l’ordre public.

Motivation de la Décision de Rétention

Le préfet a motivé sa décision en se basant sur des éléments factuels concernant la situation de [H] [V], y compris son comportement et ses antécédents judiciaires.

Absence de Perspective Raisonnable d’Éloignement

La non-délivrance de laissez-passer par les autorités consulaires lors de précédents placements ne prouve pas l’absence de perspective raisonnable d’éloignement.

Confirmation de l’Ordonnance

L’ordonnance de prolongation de la rétention administrative a été confirmée, permettant à l’autorité de poursuivre les démarches nécessaires pour l’éloignement de [H] [V].

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de l’appel

L’appel de [H] [V] a été déclaré recevable conformément aux dispositions des articles L.743-21, R.743-10 et R.743-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

L’article L.743-21 stipule que :

« L’étranger peut contester la décision de placement en rétention administrative devant le juge des libertés et de la détention. »

De plus, les articles R.743-10 et R.743-11 précisent les modalités de saisine et les délais à respecter pour la contestation des décisions administratives.

Ainsi, la procédure suivie par [H] [V] respecte les exigences légales, rendant son appel recevable.

Sur le moyen tiré d’une interdiction de double réitération de la rétention

[H] [V] a soutenu qu’il avait été placé en rétention administrative à quatre reprises sur la base de la même obligation de quitter le territoire français, ce qui soulève la question de la réitération des mesures de rétention.

L’article L.741-7 du CESEDA dispose que :

« La décision de placement en rétention ne peut être prise avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter du terme d’un précédent placement prononcé en vue de l’exécution de la même mesure ou, en cas de circonstance nouvelle de fait ou de droit, d’un délai de quarante-huit heures. »

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 avril 1997, a établi que :

« Une mesure de rétention ne peut être réitérée qu’une seule fois sur le fondement de la même mesure d’éloignement. »

Cependant, la préfecture a fait valoir que des éléments nouveaux justifiaient la rétention, notamment l’interpellation de [H] [V] pour des faits récents.

Ainsi, la décision de prolongation de la rétention a été jugée conforme aux exigences légales, car des circonstances nouvelles étaient présentes.

Sur l’insuffisance de la motivation de la décision de placement en rétention

L’article L.741-6 du CESEDA impose que la décision de placement en rétention soit écrite et motivée. Cette motivation doit retracer les motifs qui ont conduit à la décision.

En l’espèce, le préfet a justifié le placement en rétention par plusieurs éléments, notamment :

– L’absence de documents de voyage valides.
– Les antécédents judiciaires de [H] [V].
– Le risque qu’il se soustraie à l’obligation de quitter le territoire.

Ces éléments montrent que l’autorité administrative a examiné la situation de [H] [V] de manière sérieuse et a fourni une motivation adéquate pour sa décision.

Sur l’absence de perspective raisonnable d’éloignement

La question de l’absence de perspective raisonnable d’éloignement a été soulevée par [H] [V], qui a fait valoir que les autorités consulaires n’avaient pas délivré de laissez-passer lors des précédents placements.

Cependant, il est précisé que :

« Il est prématuré de présumer d’ores et déjà de l’échec des nouvelles diligences initiées par le préfet. »

Les démarches auprès des autorités consulaires peuvent évoluer, et il n’est pas établi que celles-ci opposent un refus systématique.

Ainsi, la cour a rejeté ce moyen, considérant qu’il existe encore des perspectives d’éloignement pour [H] [V].

En conclusion, l’ordonnance de prolongation de la rétention a été confirmée, respectant les dispositions légales en vigueur.

N° RG 25/00020 – N° Portalis DBVX-V-B7J-QDAA

Nom du ressortissant :

[H] [V]

[V]

C/

PREFET DE L’ISERE

COUR D’APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 03 JANVIER 2025

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Nathalie LE BARON, conseiller à la cour d’appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 16 décembre 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d’asile,

Assistée de Rima AL TAJAR, greffier,

En l’absence du ministère public,

En audience publique du 03 Janvier 2025 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

M. [H] [V]

né le 09 Octobre 1986 à [Localité 3]

de nationalité Algérienne

Actuellement retenu au centre de rétention administrative [Localité 4] [5]

Non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Abbas JABER, avocat au barreau de LYON, commis d’office

ET

INTIME :

M. PREFET DE L’ISERE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Dan IRIRIRA NGANDA, avocat au barreau de LYON substituant Me Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON,

Avons mis l’affaire en délibéré au 03 Janvier 2025 à 15h00 assistée par Elsa SANCHEZ, Greffier lors du prononcé et à cette date et heure prononcé l’ordonnance dont la teneur suit:

FAITS ET PROCÉDURE

Une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d’une interdiction de retour pendant un an a été notifiée à [H] [V] le 26 juillet 2023 par le préfet du département de l’Isère.

Par décision en date du 28 décembre 2024, l’autorité administrative a ordonné le placement de [H] [V] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire à compter du 28 décembre 2024 à 18 heures 15.

Suivant requête du 30 décembre 2024, réceptionnée par le greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon le 31 décembre 2024 à 16 heures 12, [H] [V] a contesté la décision de placement en rétention administrative prise par le préfet du département de l’Isère.

Suivant requête du 30 décembre 2024, reçue le 31 décembre 2024 à 15 heures, le préfet du département de l’Isère a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 1er janvier 2025 à 12 heures 42, a :

‘ ordonné la jonction des deux procédures,

‘ rejeté les moyens d’irrecevabilité,

‘ déclaré recevable la requête en prolongation de la rétention administrative,

‘ déclaré régulière la procédure diligentée à l’encontre de [H] [V],

‘ ordonné la prolongation de la rétention de [H] [V] pour une durée de vingt-six jours.

[H] [V] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration au greffe le 2 janvier 2025 à 13 heures 14 en faisant valoir que la décision de placement en rétention était insuffisamment motivée en droit et en fait, que celle-ci est la quatrième le plaçant en rétention sur la base de la même obligation de quitter le territoire sans qu’il soit fait état de changements dans sa situation personnelle pour en justifier et qu’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement, les trois mesures de rétention précédentes ayant été levées au constat de l’absence de toute réponse des autorités consulaires tant tunisiennes qu’algériennes.

[H] [V] a demandé que l’ordonnance déférée soit infirmée et sa remise en liberté ordonnée.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 3 janvier 2025 à 10 heures 30.

[H] [V] n’a pas comparu, un procès-verbal ayant été adressé à la cour faisant état de son refus de se rendre à l’audience.

Son conseil a été entendu en sa plaidoirie pour soutenir les termes de la requête d’appel.

Le préfet du département de l’Isère, représenté par son conseil, a demandé la confirmation de l’ordonnance déférée.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l’appel

L’appel de [H] [V] relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L.743-21, R.743-10 et R.743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) sera déclaré recevable.

Sur le moyen tiré d’une interdiction de double réitération de la rétention

Devant le premier juge, [H] [V] a affirmé avoir fait l’objet de quatre placements en rétention administrative sur la base de l’obligation de quitter le territoire français du 26 juillet 2023, d’abord du 26 juillet au 26 septembre 2023, puis du 7 novembre 2023 au 23 janvier 2024, du 13 mai au 14 juillet 2024 et en dernier lieu depuis le 28 décembre 2024. Il a fait valoir avoir en conséquence été privé de liberté plus de six mois depuis le 26 juillet 2023.

Il a invoqué la décision du 22 avril 1997 sur la constitutionnalité de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, estimant que celle-ci a posé le principe de l’interdiction de la double réitération de la rétention.

Il a ainsi fait valoir que le délai de sept jours énoncé dans l’article L.741-7 du CESEDA figurait auparavant à l’article 35 bis de l’ordonnance de 1945 et que dans sa décision précitée du 22 avril 1997 le Conseil constitutionnel a posé le principe qu’une mesure de rétention ne pouvait être réitérée qu’une seule fois sur le fondement de la même mesure d’éloignement, de sorte qu’il n’est pas possible de placer en rétention une personne une quatrième fois sur le fondement d’une seule et unique obligation de quitter le territoire français.

Il considère que cette réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel reste applicable, la loi nouvelle du 26 janvier 2024 n’ayant fait qu’ajouter la possibilité de placer à nouveau une personne en rétention dans un délai de quarante-huit heures en cas de circonstances nouvelles, et ce d’autant que son client n’a jamais fait obstruction à son éloignement.

La préfecture de l’Isère estime de son côté que la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 avril 1997 doit être resituée dans son contexte et qu’il a toujours été prévu que l’administration puisse réitérer un placement en rétention administrative en cas d’élément nouveau et si une menace à l’ordre public est avérée.

Elle ajoute que de nombreuses lois en matière de droit des étrangers ont été promulguées depuis cette décision, en dernier lieu la loi du 26 janvier 2024, portant à trois ans le délai prévu à l’article L.731-1 du CESEDA dans lequel la préfecture peut mettre à exécution une obligation de quitter le territoire français.

L’article 35 bis issu de la loi du 24 avril 1997 disposait dans son I 5° que « le placement en rétention d’un étranger dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire peut être ordonné lorsque cet étranger (…) soit, ayant fait l’objet d’une décision de placement au titre de l’un des cas précédents, n’a pas déféré à la mesure d’éloignement dont il est l’objet dans un délai de sept jours suivant le terme du précédent placement ou, y ayant déféré, est revenu sur le territoire français alors que cette mesure est toujours exécutoire ».

Le Conseil constitutionnel a motivé ainsi sa réserve d’interprétation de ce texte :

« 51. Considérant que les députés requérants soutiennent que cette disposition en permettant de placer de nouveau en « rétention administrative » l’étranger quelques jours après la fin de la première période de « rétention », serait contraire aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel en particulier dans la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 ; qu’aucune « limite quantitative » n’étant fixée « à la répétition de la rétention », la durée totale de celle-ci échappe désormais à toute condition ; qu’aurait ainsi été commise une violation de la chose jugée par le Conseil constitutionnel et qu’une atteinte excessive aurait été portée à la liberté individuelle ; que les sénateurs auteurs de la seconde saisine ajoutent que par cette procédure qui tend à « réduire à néant la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il est impossible de multiplier les mesures de rétention sur le fondement de la même décision d’éloignement », le législateur fait obstacle à ce que soit prise en considération la survenance de faits nouveaux depuis la première mesure d’éloignement, privant ainsi la personne concernée du droit d’exercer un recours contre la décision administrative ayant provoqué la rétention ; qu’ils font enfin valoir que le délai de sept jours exigé entre deux « rétentions » ne constitue pas une condition de nature à garantir le respect de la liberté individuelle ;

52. Considérant qu’en adoptant la disposition contestée le législateur doit être regardé comme n’ayant autorisé qu’une seule réitération d’un maintien en rétention, dans les seuls cas où l’intéressé s’est refusé à déférer à la mesure d’éloignement prise à son encontre ; que sous ces réserves d’interprétation et alors que d’éventuels changements des situations de fait et de droit de l’intéressé doivent être pris en compte par l’administration sous le contrôle du juge, cette disposition ne porte pas, compte tenu des exigences de l’ordre public, une atteinte excessive à la liberté individuelle ».

L’article L.741-7 du CESEDA dans sa version applicable au cas d’espèce dispose que « la décision de placement en rétention ne peut être prise avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter du terme d’un précédent placement prononcé en vue de l’exécution de la même mesure ou, en cas de circonstance nouvelle de fait ou de droit, d’un délai de quarante-huit heures. Toutefois, si ce précédent placement a pris fin en raison de la soustraction de l’étranger aux mesures de surveillance dont il faisait l’objet, l’autorité administrative peut décider d’un nouveau placement en rétention avant l’expiration de ce délai ».

Il ne peut être soutenu que la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel serait obsolète du seul fait qu’elle soit antérieure au code de l’entrée et de du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que de sa réforme par la loi du 26 janvier 2024.

Par ailleurs, il doit être rappelé que l’article 43 de cette loi, qui modifie l’article L.741-7, ne faisait pas partie de l’examen de constitutionnalité en date du 25 janvier 2024. Il ne peut donc pas non plus être soutenu que cette réserve d’interprétation n’aurait pas été reprise et serait abandonnée.

Cependant, si l’actuel article L.741-7 du CESEDA constitue bien la codification de l’ancien article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, il doit être constaté que sa rédaction, même si elle est toujours relative aux conditions de délai entre deux placements en rétention administrative, a été largement modifiée, devenant générale et non plus limitée aux seuls cas où l’étranger n’a pas déféré à la mesure d’éloignement ou est revenu sur le territoire français.

En outre, s’il était évoqué dans la rédaction antérieure le « terme du précédent placement » en rétention, le texte mentionne désormais le « terme d’un précédent placement », laissant entendre que le législateur, contrairement à ce qui avait été jugé par le Conseil constitutionnel, n’entend plus limiter le nombre de rétentions sur le fondement de la même mesure d’éloignement à deux, cette limitation ayant d’ailleurs toujours été écartée dans l’hypothèse de l’évolution de la situation de fait et de droit de l’étranger, de nouveaux placements en rétention administrative pouvant en ce cas être effectués.

Il convient de surcroît de relever que la décision du 22 avril 1997 avait été prise alors que l’exécution d’office d’une mesure d’éloignement par l’autorité administrative n’était soumise à aucune limite de durée et que les garanties apportées par le nécessaire contrôle de la décision de placement par le juge judiciaire n’existaient pas, tandis que le texte actuel prévoit notamment une limite temporelle à la possibilité de procéder à l’exécution d’office d’une obligation de quitter le territoire français.

Dès lors, il ne peut être présumé que le Conseil constitutionnel, s’il était saisi d’un contrôle de constitutionnalité de l’article L.741-7 du CESEDA, considérerait que les réserves d’interprétation applicables à l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 seraient nécessairement applicables au texte précité.

Or, il n’appartient pas au juge judiciaire de procéder à une telle interprétation d’un texte nouveau, qui relève du contrôle réservé au Conseil constitutionnel.

Aussi, [H] [V] ne peut affirmer que la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel doit s’appliquer.

Au demeurant, dans l’hypothèse même où elle serait encore applicable, la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel a clairement laissé la possibilité à l’administration d’invoquer « d’éventuels changements des situations de fait et de droit de l’intéressé [devant] être pris en compte par l’administration sous le contrôle du juge » pour envisager une rétention administrative au-delà des autres mesures de contrainte auparavant décidées.

En l’occurrence, la motivation de l’arrêté attaqué vise un événement récent et survenu après la levée de la précédente rétention administrative, en l’espèce l’interpellation et le placement en garde à vue du 27 décembre 2024 pour des faits de tentative de vol, port sans motif légitime d’un couteau et menace de mort en brandissant ce couteau, qu’il a, au moins partiellement, reconnu en audition, une convocation par officier de police judiciaire lui ayant été notifiée à l’issue de cette mesure.

Cet événement constituait un élément de fait nouveau qui permettait, même dans l’hypothèse d’une persistance de la réserve d’interprétation susvisée, un autre placement en rétention administrative.

Ce moyen ne peut donc être accueilli et l’ordonnance déférée doit être confirmée à ce titre.

Sur les moyens pris de l’insuffisance de la motivation de la décision de placement en rétention administrative et du défaut d’examen sérieux de la situation individuelle

Il résulte de l’article L.741-6 du CESEDA que la décision de placement en rétention est écrite et motivée.

Cette motivation se doit de retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l’administration pour prendre sa décision, ce qui signifie que l’autorité administrative n’a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté.

Pour autant, l’arrêté doit expliciter la raison ou les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention au regard d’éléments factuels pertinents liés à la situation individuelle et personnelle de l’intéressé, et ce au jour où l’autorité administrative prend sa décision, sans avoir à relater avec exhaustivité l’intégralité des allégations de la personne concernée.

En l’espèce, le conseil de [H] [V] estime que l’arrêté de placement en rétention du préfet du département de l’Isère est insuffisamment motivé en droit et en fait, en ce qu’il n’est pas fait état qu’il s’agit de son quatrième placement en rétention sur le fondement de la même mesure d’éloignement ni du fait que les autorités consulaires algériennes n’ont donné aucune réponse malgré les diligences de l’administration lors des précédents placements en rétention, alors qu’il s’agit d’éléments permettant d’apprécier les perspectives d’éloignement.

Il ajoute que l’arrêté du 28 décembre 2024 ne prend pas en compte l’évolution de sa situation tel qu’il en a fait état pendant sa garde à vue, s’agissant notamment de l’existence d’un logement, d’un projet de mariage et de ses craintes pour son intégrité s’il retournait en Algérie.

Il convient de relever qu’au titre de sa motivation, le préfet du département de l’Isère a retenu :

– que [H] [V] n’est pas en mesure de présenter un document transfrontière en cours de validité et déclare être hébergé par le CCAS ; qu’il ne peut donc se prévaloir de la réalité d’une résidence effective ou permanente sur le territoire et ne présente pas de garanties de représentation suffisantes,

– qu’il déclare, lors de son audition, être arrivé en France il y a cinq ans, sans être en mesure d’en rapporter la preuve ni d’en justifier les conditions,

– qu’il a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français le 26 juillet 2023, mesure confirmée par le tribunal administratif de Lyon le 31 juillet 2023, mais se maintient de façon irrégulière en France au mépris manifeste des lois et réglements nationaux,

– qu’il a été interpellé le 27 décembre 2024 par les services de la police de [Localité 2] pour des faits de vol aggravé et violences avec arme,

– que lors de son interpellation il a tenté de masquer sa véritable identité en se présentant sous un nom différent et n’a pu être identifié que suite au rapprochement de sa photographie avec les fichiers des forces de l’ordre,

– qu’il est défavorablement connu pour des faits de vol aggravé par deux circonstances, menaces de mort ou d’atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l’encontre d’une personne exerçant une activité privée de sécurité commis le 25 juillet 2023, des faits de vol à l’étalage commis le 6 novembre 2023 et des faits de vol par ruse, effraction ou escalade dans un local d’habitation ou un lieu d’entrepôt aggravé par une autre circonstance commis le 12 mai 2024,

– qu’il indique subvenir à ses besoins par le biais de sa compagne,

– qu’il déclare ne pas vouloir mettre à exécution toute mesure d’éloignement que prendrait l’administration à son encontre,

– qu’il existe ainsi un risque qu’il se soustraie à l’obligation de quitter le territoire français prise à son encontre,

– que s’il déclare des problèmes de santé et consommer du valium, d’une part son état ne paraît pas incompatible avec la rétention et, d’autre part, il pourra solliciter un examen auprès des agents de l’office français de l’immigration et de l’intégration présents au sein du centre de rétention administrative.

Le seul rappel des différents items listés ci-dessus suffit à établir que l’autorité préfectorale a examiné avec sérieux la situation administrative, personnelle et médicale de [H] [V] avant d’ordonner son placement en rétention, étant observé que les informations dont le préfet du département de l’Isère fait état dans sa décision concordent avec celles qui résultent de l’examen des pièces de la procédure, telles que portées à sa connaissance lors de l’édiction de l’arrêté.

Il sera en particulier souligné que ces renseignements sont conformes aux déclarations faites par l’intéressé lors de son audition en garde à vue le 28 décembre 2024 avec l’assistance d’un interprète en langue arabe, s’agissant de ses conditions de vie sur le territoire français.

De même, la préfecture n’était nullement tenue d’évoquer les précédents placements en rétention de [H] [V], dès lors que ceux-ci, dont il n’est pas discuté qu’aucun d’entre n’a eu lieu dans les sept jours ayant précédé le présent placement en rétention, ne constituent pas des éléments opérants dans l’appréciation de la nécessité de recourir à cette mesure au regard des exigences de l’article L.741-1 du CESEDA.

Le moyen pris d’un défaut de motivation et d’examen sérieux de la situation individuelle ne peut donc pas prospérer.

Sur l’absence de perspective raisonnable d’éloignement

La circonstance selon laquelle les autorités consulaires saisies n’ont pas délivré de laissez-passer lors de précédents placements en centre de rétention de [H] [V] ne suffit pas à démontrer, à ce stade précoce de la procédure, l’absence de perspective raisonnable d’éloignement de l’intéressé.

Il est en effet prématuré de présumer d’ores et déjà de l’échec des nouvelles diligences initiées par le préfet du département de l’Isère auprès des autorités consulaires d’Algérie, alors même que [H] [V] se revendique de nationalité algérienne, qu’il n’est pas établi, ni même allégué, que les autorités algériennes opposeraient un refus systématique de délivrance d’un laissez-passer à toutes les requêtes présentées par l’autorité préfectorale, étant au demeurant rappelé que les démarches auprès des consulats s’inscrivent dans un contexte de relations diplomatiques susceptibles d’évoluer à tout moment.

Ce moyen sera donc également rejeté.

Il convient enfin de faire droit à la demande de prolongation de la rétention administrative de nature à conduire à l’éloignement de [H] [V] qui n’a pas remis de document de voyage en cours de validité à l’autorité administrative obligeant dès lors cette dernière à engager des démarches auprès des autorités consulaires algériennes aux fins de délivrance d’un laissez-passer, seul document permettant son éloignement effectif.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée.

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable l’appel formé par [H] [V],

Confirmons en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée.

Le greffier, Le conseiller délégué,

Elsa SANCHEZ Nathalie LE BARON


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