L’Essentiel : Dans cette affaire, deux propriétaires ont assigné leurs voisins, des occupants, devant le tribunal de grande instance de Vienne, cherchant à faire reconnaître leur acte de propriété sur trois parcelles occupées sans droit ni titre. Elles ont demandé la démolition des constructions illégales et des dommages-intérêts de 10.000 euros, ainsi qu’une indemnité de 5.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile. Après des retards dans le dépôt du rapport d’expertise, les demanderesses ont assigné l’agent judiciaire de l’État, invoquant un déni de justice et demandant une indemnisation totale de 52.950 euros.
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Contexte de la ProcédureLes parties impliquées dans cette affaire ont convenu de procéder sans audience. Les avocats ont soumis leurs dossiers de plaidoirie au greffe de la chambre à des dates spécifiques en octobre et novembre 2024. Un rapport a été établi par un expert judiciaire sur l’affaire. Demande des DemanderessesLe 21 avril 2015, deux propriétaires ont assigné leurs voisins, des occupants, devant le tribunal de grande instance de Vienne. Elles cherchaient à faire reconnaître leur acte de propriété sur trois parcelles qu’elles affirmaient être occupées sans droit ni titre. Elles ont demandé la démolition des constructions illégales et des dommages-intérêts s’élevant à 10.000 euros, ainsi qu’une indemnité de 5.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile. Décisions du TribunalLe 6 avril 2016, le juge a déclaré irrecevable la demande des occupants visant à désigner un géomètre-expert pour un bornage. La clôture de l’affaire a été prononcée le 8 novembre 2017, et l’affaire a été plaidée le 1er février 2018. Un jugement du 28 juin 2018 a ordonné une expertise judiciaire, avec un expert désigné pour réaliser cette tâche. Retards et RéclamationsL’expert a tardé à déposer son rapport, ce qui a conduit les demanderesses à relancer à plusieurs reprises le tribunal et l’expert. Après plusieurs prorogations, le rapport a finalement été rendu le 30 mai 2023. En mars 2023, les demanderesses ont assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, invoquant un déni de justice. Demandes d’IndemnisationDans leurs conclusions, les demanderesses ont demandé une indemnisation pour préjudice moral, préjudice financier, et des frais de justice, totalisant 52.950 euros. Elles ont soutenu que les délais excessifs avaient causé un déni de justice, en raison de l’inefficacité du juge et de l’expert. Réponse de l’Agent Judiciaire de l’ÉtatL’agent judiciaire de l’État a demandé le rejet des demandes des demanderesses, arguant que les manquements de l’expert ne pouvaient engager la responsabilité de l’État. Il a également souligné que le juge avait été diligent dans le suivi de l’expertise. Évaluation du TribunalLe tribunal a examiné les délais et a conclu que certains d’entre eux étaient excessifs, engageant la responsabilité de l’État pour un retard total de 6 mois. Cependant, il a jugé que les demandes d’indemnisation pour préjudice moral et financier n’étaient pas entièrement justifiées. Décision FinaleLe tribunal a condamné l’agent judiciaire de l’État à verser 900 euros à chacune des demanderesses pour préjudice moral, a ordonné le paiement des dépens, et a alloué 2.000 euros pour les frais de justice. Les autres demandes ont été rejetées. Fait et jugé à Paris le 5 février 2025. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la procédure applicable lorsque les parties conviennent d’une procédure sans audience ?La procédure sans audience est régie par les dispositions du code de procédure civile, notamment l’article 16 qui permet aux parties de convenir d’une procédure écrite. Cet article stipule que « le juge peut, à tout moment, ordonner que l’affaire sera jugée sans audience, si les parties en font la demande ». Dans le cas présent, les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience, ce qui a permis aux avocats de déposer leurs dossiers de plaidoirie directement au greffe de la chambre. Ainsi, la procédure a été simplifiée, permettant un traitement plus rapide des affaires, tout en respectant les droits des parties à être entendues par le tribunal. Quelles sont les conséquences d’un déni de justice selon l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire ?L’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire précise que « l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ». Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. Le déni de justice est défini comme le refus d’une juridiction de statuer sur un litige ou le fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires. Il constitue une atteinte à un droit fondamental, et s’apprécie sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle. Les demanderesses, en l’espèce, soutiennent avoir subi un déni de justice en raison des délais déraisonnables dans le traitement de leur affaire, ce qui pourrait engager la responsabilité de l’Etat. Comment le tribunal évalue-t-il les délais de traitement d’une affaire pour déterminer un déni de justice ?L’évaluation des délais de traitement d’une affaire pour déterminer un déni de justice s’effectue de manière concrète, en tenant compte des circonstances propres à chaque procédure. Le tribunal doit considérer plusieurs éléments, tels que « les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties ». Cette appréciation permet de déterminer si les délais sont excessifs et si un manquement à la mission de justice a eu lieu. Dans le cas présent, le tribunal a examiné les délais entre les différentes étapes de la procédure et a conclu que certains délais étaient raisonnables, tandis que d’autres, notamment le délai de 5 mois entre le refus de mission de l’expert et le changement d’expert, étaient excessifs. Quelles sont les implications de l’article 9 du code de procédure civile dans le cadre de la preuve des préjudices ?L’article 9 du code de procédure civile stipule que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Cela signifie que les parties doivent apporter la preuve des éléments qu’elles avancent pour soutenir leurs demandes. Dans le cas des demanderesses, elles ont sollicité des indemnités pour préjudice moral et financier, mais n’ont pas fourni de preuves suffisantes pour justifier le montant de leurs demandes. Le tribunal a donc débouté les demanderesses de leur demande de préjudice financier, en raison de l’absence de justification du quantum et du lien de causalité avec le déni de justice établi. Comment le tribunal a-t-il déterminé le montant de l’indemnité pour préjudice moral ?Le tribunal a déterminé le montant de l’indemnité pour préjudice moral en considérant que « un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable » et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice. Les demanderesses ont sollicité 44.000 euros, soit 500 euros par mois pendant 44 mois, mais le tribunal a estimé que cette demande n’était pas justifiée. Il a donc alloué à chacune des demanderesses la somme de 900 euros, considérant que cela suffisait à réparer le préjudice moral résultant du délai excessif de 6 mois dans le traitement de leur affaire. Cette décision reflète l’appréciation du tribunal quant à la nécessité d’une réparation proportionnée au préjudice subi. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
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1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/04293 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZITQ
N° MINUTE :
Assignation du :
10 Mars 2023
JUGEMENT
rendu le 05 Février 2025
DEMANDERESSES
Madame [M] [I]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Madame [C] [R]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentées par Me Emilie RONCHARD, avocat plaidant au barreau de LYON, [Adresse 1] et par Me Lauriane RAYNAUD, avocat postulant au barreau de PARIS, vestiaire #A0657
DÉFENDEUR
L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Maître Pierre D’AZEMAR DE FABREGUES de la SELARL URBINO ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0137
MINISTÈRE PUBLIC
Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur
Décision du 05 Février 2025
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/04293 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZITQ
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,
Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,
assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier
Les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience.
Les avocats ont déposé leur dossier de plaidoirie le 29 octobre et le 13 novembre 2024 au greffe de la chambre.
Madame Valérie MESSAS a fait un rapport de l’affaire.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
Le 21 avril 2015, Mmes [M] [I] et [C] [R] ont fait assigner leurs voisins, les consorts [B], devant le tribunal de grande instance de Vienne afin de voir reconnaître et établir leur acte de propriété s’agissant de trois parcelles occupées, selon elles, sans droit ni titre par leurs voisins et, en conséquence, de condamner les défendeurs à procéder à des démolitions d’ouvrages et de constructions ainsi qu’à leur payer 10.000 euros à titre de dommages et intérêts et une indemnité de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 6 avril 2016, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable la demande des consorts [B] visant à la désignation d’un géomètre-expert aux fins de bornage, les a déboutés de leur demande de sursis à statuer et d’expertise judiciaire aux motifs, sur ce dernier point, que » cette mesure d’instruction n’est pas justifiée à ce stade et qu’il appartiendra au juge du fond d’apprécier souverainement l’ensemble des éléments qui lui seront soumis à l’appui de la revendication immobilière qui fait l’objet du présent litige « .
La clôture a été prononcée le 8 novembre 2017 et l’affaire plaidée le 1er février 2018.
Par jugement avant dire droit du 28 juin 2018, le tribunal de grande instance de Vienne a ordonné une mesure d’expertise judiciaire et nommé, pour y procéder, M. [D], remplacé par M. [Y] par ordonnance du 4 mars 2019, la date de dépôt de rapport étant fixé au 1er octobre 2019.
Déplorant l’absence de dépôt du rapport, le conseil des demanderesses a relancé à de multiples reprises l’expert [Y] ainsi que le tribunal judiciaire de Vienne.
A la suite d’échanges entre le juge en charge du contrôle des expertises et l’expert, le délai de remise du rapport a été prorogé par ordonnances successives des 20 avril 2021, 24 mai 2022, 21 novembre 2022 et 24 février 2023 pour une date limite fixée au 15 mai 2023.
Le 30 mai 2023, l’expert judiciaire a rendu son rapport.
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C’est dans ce contexte que, par acte du 10 mars 2023, Mmes [I] et [R] ont fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 février 2024.
Le 28 octobre 2024, le juge de la mise en état a rejeté la demande de révocation de clôture formulée par les demanderesses.
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Aux termes de leurs conclusions notifiées le 4 octobre 2024, Mmes [I] et [R] demandent au tribunal de condamner l’agent judiciaire de l’Etat à leur payer en réparation du déni de justice :
– 44.000 euros au titre du préjudice moral ;
– 6.950 euros au titre du préjudice financier ;
– 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens.
Elles soutiennent qu’elles ont souffert de délais déraisonnables constitutifs d’un déni de justice, que la désignation de l’expert est intervenue trois ans après l’assignation en raison notamment de plusieurs rabats de clôture au cours de la mise en état, que le délai de 6 mois pour désigner l’expert [Y] est déraisonnable et que le juge chargé du contrôle des expertises n’a pas été suffisamment diligent.
De ce fait, elles considèrent qu’elles ont subi un préjudice moral ainsi qu’un préjudice financier correspondant aux honoraires versés à leurs conseils et aux frais de consignation à valoir sur les honoraires de l’expert.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 3 juillet 2023, l’agent judiciaire de l’Etat demande au tribunal de débouter Mmes [I] et [R] de l’ensemble de leurs demandes et de condamner, chacune d’entre elles, à une indemnité de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Il soutient que, de jurisprudence constante, les manquements de l’expert ne sauraient engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, que le juge en charge du contrôle des expertises a été très attentif au suivi de cette expertise, ayant régulièrement adressé des relances et demandes d’observations à l’expert judiciaire et qu’il a rappelé aux demanderesses les dispositions de l’article 235 du code de procédure civile en vertu desquelles elles pouvaient demander le remplacement de l’expert défaillant.
Par avis du 30 novembre 2023, le ministère public estime que la responsabilité du retard dans le déroulement des opérations d’expertise incombe à l’expert et que les manquements de ce dernier ne sauraient engager la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice. En outre, il expose, qu’une fois alerté, le juge chargé du contrôle des expertises a été particulièrement diligent et qu’il a même invité les demanderesses à solliciter le remplacement de l’expert, ce qu’elles n’ont pas fait.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.
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Les parties ont donné leur accord pour une procédure sans audience. L’affaire a été mise en délibéré au 8 janvier 2025 prorogée au 5 février 2025.
Sur la demande principale
Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
Le déni de justice correspond, quant à lui, au refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires ; il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.
Enfin, aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l’espèce, Mmes [I] et [R] considèrent que l’Etat a commis un déni de justice dans le traitement judiciaire de la procédure les opposant aux consorts [B].
En premier lieu, elles dénoncent le délai mis par l’institution judiciaire pour ordonner une expertise judiciaire et désigner le professionnel utile.
Il convient de rappeler que la présente action fondée sur l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire n’a pas pour objet de remettre en question les décisions juridictionnelles.
Ainsi, le grief tiré du fait que la mesure d’expertise judiciaire sollicitée, à l’occasion d’un incident pendant l’instruction de l’affaire, par les consorts [B], mesure à laquelle les demanderesses s’étaient opposées, a été rejetée par le juge de la mise en état le 6 avril 2016 consiste, en réalité, à critiquer le contenu de sa décision. Ce grief doit donc être écarté.
Pour les mêmes motifs, il n’appartient pas au tribunal ainsi saisi d’apprécier le bien-fondé des rabats de clôture prononcés par le juge de la mise en état ainsi que la décision du tribunal du 28 juin 2018, qui a jugé nécessaire, aux termes de l’instruction de l’affaire, en considération des dernières prétentions des parties et des éléments qui lui étaient soumis, d’ordonner une expertise judiciaire avant dire-droit. Au surplus, il n’est pas vain de rappeler que le rabat de clôture du 8 mars 2017 a été ordonné suite aux premières conclusions déposées post-clôture par les demanderesses.
Enfin, en l’absence de preuve que les renvois critiqués ont été ordonnés exclusivement pour répondre à des contraintes d’organisation de la juridiction, extérieures aux parties, il convient de préciser qu’il n’appartient pas plus au présent tribunal d’apprécier l’opportunité des renvois accordés par le juge de la mise en état.
A l’aune de ces éléments et des pièces versées aux débats, il convient de considérer que :
– le délai de 29 mois entre l’avis de fixation du 21 avril 2015 et l’ordonnance de clôture du 8 novembre 2017, pendant lequel l’affaire a été régulièrement examinée par le juge de la mise en état, un incident fixé et les renvois ordonnés à la demande des parties, n’est pas excessif;
– le délai de 2 mois entre l’ordonnance de clôture du 8 novembre 2017 et l’audience de plaidoiries du 1er février 2018 n’est pas excessif ;
– le délai de 4 mois entre l’audience de plaidoiries du 1er février 2018 et le délibéré du 28 juin 2018 n’est pas excessif ;
– le délai de moins d’un mois entre le délibéré et l’avis à l’expert [D] du 29 juin 2018 n’est pas excessif ;
– le délai de deux mois entre l’avis du 29 juin 2018 et la réception du refus de mission de l’expert [D] du 19 septembre 2018 n’a pas à être pris en compte, ce délai ne relevant pas d’un dysfonctionnement imputable au service public de la justice ;
– le délai de 5 mois entre le refus de mission du 19 septembre 2018 et l’ordonnance de changement d’expert du 4 mars 2019 est excessif et susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat à hauteur de 4 mois.
En second lieu, Mmes [I] et [R] reprochent au juge en charge du contrôle des expertises son manque de diligence et de réactivité, lequel aurait participé, selon elles, à l’allongement du délai de l’expertise judiciaire.
L’absence de diligence et de réactivité allégués doivent être analysés au regard de la faute lourde et non du déni de justice, l’existence d’une faute étant invoquée en page 12 des conclusions en demande. Une telle faute est de nature à engager à la responsabilité du service public de la justice et prévue par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, déclinaison en droit interne de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En l’espèce, les pièces versées aux débats établissent que :
– le magistrat en charge du contrôle des expertises a relancé l’expert par courriers des 26 mai 2020, 10 février 2021, 2 août 2021, 21 février 2022, 20 septembre 2022, 17 février 2023, aux termes desquels il lui a demandé » de déposer ses conclusions ou de lui faire connaître les raisons qui pourraient rendre impossible le délai de l’échéance fixée » et, pour plusieurs d’entre eux, qu’il envisageait de procéder à son remplacement ;
– le technicien a laissé sans réponse plusieurs courriers et a finalement fourni des explications au magistrat les 2 avril 2021, 1er mars 2022, 4 octobre 2022 faisant état de difficultés.
Cette chronologie laisse apparaître des démarches répétées de la part du juge du contrôle des expertises, à l’exception de la période comprise entre la date prévisionnelle de dépôt du rapport le 1er octobre 2019 et la première relance le 26 mai 2020. L’absence de toute diligence sur cette période caractérise une faute lourde, ayant entraîné un retard à hauteur de 2 mois.
Par ailleurs, si en application de l’article 235 du code de procédure civile, le juge aurait certes pu » à la demande des parties ou d’office, remplacer le technicien qui manquerait à ses devoirs, après avoir provoqué ses explications « , les demanderesses, auxquelles incombe la charge de la preuve, n’établissent pas que le remplacement de l’expert [Y] et la désignation d’un nouveau technicien auraient permis de réduire les délais dénoncés au terme de la présente instance.
Elles soutiennent d’ailleurs, elles-mêmes, dans leurs écritures, en réponse aux critiques de l’agent judiciaire de l’Etat qui leur reproche de ne pas avoir fait usage de cette faculté, qu’elles n’ont pas voulu solliciter la désignation d’un nouvel expert, ne désirant pas » renouveler l’expérience « .
Dès lors, l’absence de remplacement d’office du technicien par le juge du contrôle des expertises n’est pas plus constitutif d’une faute lourde.
A la suite des explications de l’expert, le magistrat a prorogé le délai de dépôt du rapport par ordonnances des 20 avril 2021 (au 02/08/21), 24 mai 2022 (au 15/07/22), 21 novembre 2022 (au 15/12/22) et 24 février 2023 (au 15/05/23).
Sur les mêmes motifs que précédemment exposés, il n’appartient pas au tribunal ainsi saisi de remettre en question le bien fondé des décisions prises par le magistrat, sans dévoyer l’action fondée sur l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.
La responsabilité de l’Etat est en conséquence engagée pour un délai excessif global de 6 mois.
La demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire.
Mmes [I] et [R] sollicitent 44.000 euros, soit 500 euros par mois et par personne sur les 44 mois du temps de l’expertise judiciaire.
Les demanderesses ne versent aux débats aucune pièce à l’appui de leurs prétentions et à hauteur des sommes sollicitées.
Il s’ensuit que l’indemnité allouée en réparation de son préjudice moral ne saurait excéder l’indemnisation du préjudice que le dépassement excessif du délai raisonnable, retenu à hauteur de 6 mois, cause nécessairement.
Le préjudice moral de Mmes [I] et [R] sera en conséquence entièrement réparé par l’allocation à chacune d’entre elles de la somme de 900 euros.
Les demanderesses sollicitent également la somme de 6.950 euros en réparation de leur préjudice financier (1.950 euros au titre des honoraires versés à leur conseil et 5.000 euros de consignation à valoir sur les honoraires de l’expert). Force est de constater qu’elles ne justifient ni du quantum du préjudice allégué ni de son lien de causalité avec le déni de justice établi.
Elles seront donc déboutées de cette demande indemnitaire.
Sur les mesures de fin de jugement
L’agent judiciaire de l’Etat, partie perdante, est condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
En équité, il convient d’allouer à Mmes [I] et [R], prises ensemble, la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal, statuant, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Madame [M] [I] la somme de 900 euros en réparation de son préjudice moral ;
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Madame [C] [R] la somme de 900 euros en réparation de son préjudice moral;
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens ;
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Mesdames [M] [I] et [C] [R], prises ensemble, la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 05 Février 2025
Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD
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