Retard de diagnostic et conséquences sur l’état de santé d’une patiente : enjeux de responsabilité médicale.

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Retard de diagnostic et conséquences sur l’état de santé d’une patiente : enjeux de responsabilité médicale.

L’Essentiel : Madame [J] [S] se rend aux urgences le 2 juin 2010 en raison de douleurs abdominales. Un diagnostic de gastroentérite est posé, mais son état se dégrade, entraînant une hospitalisation prolongée et une intervention chirurgicale pour occlusion du grêle. Malgré les soins, elle développe des complications neurologiques, dont un AVC ischémique. En 2011, elle est déclarée inapte au travail. Ses co-tuteurs assignent les médecins en justice, réclamant réparation pour les préjudices subis. Cependant, le tribunal conclut qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les fautes alléguées et la dégradation de son état, déboutant ainsi les demandeurs.

Exposé du litige

Suite à des douleurs abdominales, Madame [J] [S] se rend aux urgences le 2 juin 2010. Une radiographie révèle une stase stercorale, et un diagnostic de gastroentérite est posé. Malgré un traitement, ses douleurs persistent, entraînant une nouvelle hospitalisation le 11 juin 2010, où des examens supplémentaires sont réalisés, révélant un germe infectieux. Madame [S] est hospitalisée jusqu’au 24 juin 2010, puis transférée à la Clinique [19] pour une occlusion du grêle nécessitant une intervention chirurgicale.

Hospitalisations et complications

Après l’opération, Madame [S] subit plusieurs examens, dont une endoscopie et des échographies, qui mettent en évidence des complications. Elle est hospitalisée à plusieurs reprises, notamment pour des troubles neurologiques, et un AVC ischémique est diagnostiqué. Son état se dégrade, entraînant des troubles de la marche et des myoclonies. En 2011, elle est reconnue inapte au travail, et des expertises médicales sont réalisées pour évaluer son état.

Demande d’indemnisation

Les co-tuteurs de Madame [S] assignent les médecins et leur assureur devant le tribunal, demandant réparation pour les préjudices subis. Ils soutiennent que les erreurs de diagnostic ont causé un retard dans la prise en charge, entraînant des complications évitables. Ils demandent également une indemnisation pour divers préjudices, y compris des pertes de gains professionnels et des souffrances endurées.

Réponse des défendeurs

Les médecins et leur assureur demandent la mise hors de cause, arguant qu’il n’y a pas de lien de causalité entre leurs fautes et les dommages subis par Madame [S]. Ils contestent les accusations de manquement et soulignent que l’état neurologique de la patiente était déjà dégradé avant les événements.

Analyse des responsabilités

Le tribunal examine les responsabilités des médecins en se basant sur les rapports d’expertise. Il est établi qu’il y a eu un retard de diagnostic, mais ce retard n’est pas directement lié à la décompensation de l’état neurologique de Madame [S]. Les experts concluent que l’hospitalisation prolongée a pu aggraver son état, mais que la pathologie neurologique était préexistante.

Décision du tribunal

Le tribunal déboute les co-tuteurs de leurs demandes, considérant qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les fautes des médecins et la dégradation de l’état de santé de Madame [S]. Les co-tuteurs sont condamnés aux dépens, et le jugement est exécutoire à titre provisoire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité des médecins en cas d’erreur de diagnostic ?

La responsabilité des médecins en cas d’erreur de diagnostic est régie par l’article L.1142-1 du Code de la Santé publique, qui stipule :

« I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. »

Ainsi, pour qu’une responsabilité soit engagée, il faut prouver qu’il y a eu une faute dans le diagnostic, ce qui implique que le médecin doit élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, comme le précise l’article R. 4127-33 du même code :

« Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. »

Dans le cas de Madame [S], les experts ont constaté un retard de diagnostic d’environ 7 jours, ce qui pourrait constituer une faute. Cependant, il est également essentiel de démontrer un lien de causalité entre cette faute et le dommage subi par la patiente.

Comment établir le lien de causalité entre la faute et le dommage ?

L’établissement du lien de causalité est crucial dans les affaires de responsabilité médicale. Selon la jurisprudence, il est nécessaire de prouver que la faute commise par le médecin a directement causé le dommage. Dans le cas présent, le rapport d’expertise a indiqué que :

« les errements de diagnostics couplés à une interprétation du scanner incomplète ont entraîné un retard dans la prise en charge, sur le plan digestif, de la patiente mais ils ne sont pas directement à l’origine du dommage subi par la patiente. »

Cela signifie que, bien qu’il y ait eu une faute dans le diagnostic, cette faute n’est pas la cause directe de la décompensation neurologique de Madame [S].

L’article 1353 du Code civil précise que :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit prouver les faits qui lui donnent droit à cette exécution. »

Ainsi, les consorts [S] devaient prouver que le retard de diagnostic a causé la décompensation de l’état neurologique de Madame [S], ce qui n’a pas été établi selon les experts.

Quelles sont les conséquences d’une hospitalisation prolongée sur l’état de santé d’un patient ?

Les conséquences d’une hospitalisation prolongée peuvent être significatives, surtout pour des patients ayant des antécédents médicaux complexes. Dans le cas de Madame [S], le rapport d’expertise a souligné que :

« l’hospitalisation prolongée pour une problématique infectieuse et digestive a été un facteur très délétère… »

Cela indique que l’environnement hospitalier et le stress associé à une maladie prolongée peuvent aggraver des conditions préexistantes, comme une pathologie neurologique dégénérative.

Il est également mentionné que :

« le dommage subi par la patiente a été occasionné par la décompensation d’une symptomatologie neuropsychique préexistante aux troubles digestifs et à son traitement. »

Cela signifie que même sans l’intervention chirurgicale, l’état de santé de Madame [S] aurait pu se détériorer en raison de sa condition neurologique.

Quel est le rôle de l’expertise médicale dans les litiges de responsabilité médicale ?

L’expertise médicale joue un rôle fondamental dans les litiges de responsabilité médicale. Elle permet d’évaluer les faits, d’analyser les actes médicaux et de déterminer si une faute a été commise. Dans cette affaire, les experts ont été chargés d’évaluer :

– Le diagnostic initial et le retard associé.
– L’impact de l’hospitalisation sur l’état de santé de Madame [S].
– La relation entre les actes médicaux et la décompensation neurologique.

Le rapport d’expertise a été déterminant pour le tribunal, car il a fourni des éléments factuels et des analyses qui ont permis de conclure que, bien qu’il y ait eu une faute dans le diagnostic, celle-ci n’était pas la cause directe des dommages subis par la patiente.

L’article 16 du Code de procédure civile précise que :

« Le juge peut ordonner une expertise lorsque l’état de fait ou de droit ne peut être établi sans l’assistance d’un expert. »

Ainsi, l’expertise est essentielle pour éclairer le tribunal sur des questions techniques et médicales complexes.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’EVRY

3ème Chambre

MINUTE N°

DU : 20 Janvier 2025

AFFAIRE N° RG 23/01581 – N° Portalis DB3Q-W-B7H-PDTE

NAC : 63A

CCCRFE et CCC délivrées le :________
à :
Me Jean-Michel SCHARR,
l’AARPI WENGER-FRANCAIS

Jugement Rendu le 20 Janvier 2025

ENTRE :

Monsieur [P] [S], né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 12] (MAROC), demeurant [Adresse 8]

représenté par Maître Jean-Michel SCHARR, avocat au barreau d’ESSONNE plaidant

Madame [K] [S],
née le [Date naissance 7] 1978 à [Localité 22],
demeurant [Adresse 8]

représentée par Maître Jean-Michel SCHARR, avocat au barreau d’ESSONNE plaidant

Madame [J] [S], née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 9] (MAROC),
demeurant [Adresse 8]

représentée par Maître Jean-Michel SCHARR, avocat au barreau d’ESSONNE plaidant

DEMANDEURS

ET :

Monsieur [A] [T],
domicilié : chez HOPITAL PRIVE [10],
[Adresse 5]

représenté par Maître Angélique WENGER de l’AARPI WENGER-FRANCAIS, avocats au barreau de PARIS plaidant

Madame [G] [F], née le [Date naissance 4] 1971,
Profession : Medecin, domiciliée : chez HOPITAL [13],
[Adresse 3]

représentée par Maître Angélique WENGER de l’AARPI WENGER-FRANCAIS, avocats au barreau de PARIS plaidant

La MUTUELLE D’ASSURANCE DU CORPS DE SANTE FRANCAIS,
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Angélique WENGER de l’AARPI WENGER-FRANCAIS, avocats au barreau de PARIS plaidant

La CPAM DE [Localité 20],
(dossier n°[Numéro identifiant 6])
dont le siège social est [Adresse 18],

défaillante

DEFENDEURS

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Sandrine LABROT, Vice-Présidente, statuant à Juge Unique, conformément aux dispositions des articles 812 et suivants du Code de Procédure Civile.

Assistés de Sarah TREBOSC, Greffier lors des débats à l’audience du 21 Octobre 2024 et de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière lors de la mise à disposition au greffe

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 07 Mai 2024 ayant fixé l’audience de plaidoiries au 21 Octobre 2024 date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré au 20 Janvier 2025.

JUGEMENT : Rendu par mise à disposition au greffe,
Réputé contradictoire et en premier ressort.

EXPOSE DU LITIGE

Suite à des douleurs abdominales accompagnées de vomissements et de diarrhées, Madame [J] [S] s’est rendue le 2 juin 2010 aux urgences de l’Hôpital Privé [10] où il a été réalisé une radiographie de l’abdomen et du thorax qui objectivera l’existence d’une stase stercorale.

Une échographie abdomino-pelvienne pour un « bilan de douleurs abdominales associées à des vomissements à un syndrome diarrhéique » sera également pratiquée mais conclura à l’absence d’anomalie.

Il sera posé un diagnostic de gastroentérite et les résultats biologiques vont mettre en évidence un syndrome infectieux.

Madame [S] sortira le jour même avec prescription d’un ralentisseur du transit et mise en place d’une bi-antibiothérapie.

Devant la persistance des douleurs, Madame [S] sera de nouveau transportée, le 11 juin 2010, par sa fille, aux urgences du Centre Hospitalier Privé [10] où il sera réalisé un examen tomodensimétrique abdomino-pelvienne pour un « bilan de douleurs abdominales avec syndrome infectieux ».

Un examen cyto-bactériologique des urines sera également réalisé le 11 juin 2010 qui fera état de la présence d’un germe de type staphylococcus haemolyticus.

Madame [S] restera hospitalisée jusqu’au 24 juin 2010, d’abord en soins intensifs jusqu’au 23 juin puis auprès du service urologique du CHP [10] pour « syndrome infectieux aigu avec altération de l’état général et vomissements abondants ».

Les symptomes persistants, Madame [S] a été conduite à la Clinique [19] à [Localité 17].

Le 25 juin 2010, une radiographie de l’abdomen sera réalisée et va mettre en évidence de multiples niveaux hydro-aériques siégeant sur le grêle avec distension.

Une laparotomie en urgence sera réalisée pour occlusion du grêle sur hernie interne au niveau du grand épiploon avec nécrose ischémique de 60 cm de grêle ayant nécessité une résection anastomose et drainage.

Le 5 juillet 2010, il va être réalisé une endoscopie pour « Hyperleucocytose, syndrome biologique inflammatoire » dont le compte rendu fera état de la présence d’« une petite hernie hiatale, discrète œsophagite érythémateuse en rapport avec les vomissements. Biopsies gastro-duodénales étagées effectuées ».

Le 6 juillet 2010, il est réalisé une échographie abdominale pour indication «vomissements dans les suites d’une résection du grêle » qui conclut en ces termes : «Sludge vésiculaire sans signe de cholécystite associée. Deux images hypoéchogènes du lobe droit d’environ 15 mm sur fond de foie stéatosique (angiomes paraissant hypoéchogènes sur ce fond de foie hyperéchogène ? nodules hépatiques ?) ».

Le 9 juillet 2010, une biopsie duodénale est réalisée qui s’avère normale et une biopsie gastrique étagée qui met en évidence une « gastrite congestive ».
Le même jour, Madame [S] est opérée à la Clinique [19] à [Localité 17] pour une « reprise de la laparotomie pour collection du Douglas et syndrome sub-occlusif Drainage du Douglas (Hématome) et Adhésiolyse ».

Le 16 juillet 2010, un scanner thoraco-abdomino pelvien est réalisé pour « recherche de pneumopathie ou de collection après évacuation d’un hématome du douglas » qui conclut à la présence d’une « condensation des bases pulmonaires à prédominance droite pouvant témoigner d’un petit foyer infectieux pulmonaire ».

Le 17 juillet 2010, le Dr [I] précise que les suites de l’intervention en « urgence du 25 juin 2010 : coelio puis laparotomie pour occlusion du grêle avec nécrose ischémique sur hernie interne » sont « marquées par un glissement progressif sur le plan général et sur le plan psychique, sans signe infectieux majeur ».

A la même date un TDM Cérébral sera réalisé qui mettra en évidence des signes d’un «AVC sylvien profond ischémique ».

Madame [S] sera alors transférée au Centre Hospitalier [16] en réanimation polyvalente où elle restera hospitalisée du 17 juillet au 28 juillet 2010 pour, selon le compte-rendu, « troubles de la conscience dans un contexte d’AVC ischémique sylvien profond droit ».

Le 19 juillet 2010, Madame [S] se soumet à une IRM cérébrale pour indication
« apparition de troubles de la conscience post-opératoire. Hémiparésie droite. Le scanner sans injection montre une hypodensité ovalaire insulaire droite »

Une nouvelle IRM est pratiquée le 24/08/2010 et montre une image lacunaire temporale profonde droite ovalaire liquidienne, hypersignal T2, hyposignal T1 mesurant environ 10 mm/4mm de diamètre.

Le 21 juillet 2010, un scanner abdomino-pelvien est réalisé pour « infection rénale traitée et occlusion de la grêle opérée. Hématome pelvien drainé. Bilan étiologique d’un syndrome abdominal aigu » qui met en évidence un « petit trouble ventilatoire de la base pulmonaire droit et du cul de sac pulmonaire gauche » et « une infection encore évolutive».

Le 28 juillet 2010, Madame [S] sera transférée en service de médecine à l’hôpital [16] où elle restera jusqu’au 31 août 2010.

Du 31 août 2010 au 7 janvier 2011, Madame [S] a été hospitalisée au sein de la Clinique Médicale « [15] » pour « convalescence et récupération d’autonomie dans les suites d’un sepsis sur hématome du petit bassin au décours d’une laparotomie pour ischémie du grêle »

Du 7 avril 2011 au 26 avril 2011, Madame [S] a été de nouveau hospitalisée au sein du CH [21] dans le service de neurologie pour un « bilan d’un trouble mnésique et de la marche d’installation progressive ».

Le 12 avril 2011, une IRM cérébrale ne va mettre en évidence aucune anomalie.

Le 13 avril 2011, un scanner abdomino-pelvien va confirmer l’absence de masse anormale.

Le 14 avril 2011, il a été réalisé un tomoscintigraphie cérébrale pour « syndrome frontal aigu » qui met en évidence un « examen anormal compatible avec une DFT à prédominance droite. Dégénérescence hippocampique bilatérale elle aussi plus évidente à droite ».

Madame [S] sera hospitalisée du 28 avril au 26 aout 2011 dans le service de soins de suite du Centre Hospitalier [14] mais aucun progrès de la marche n’a été constaté compte tenu du syndrome frontal.

Le 23 septembre 2011, Madame [S] sera examinée par le Dr [H] en neurologie qui va remarquer une dégradation significative de l’état neurologique avec une aggravation des troubles de la marche constatant que Madame [S] se déplace en fauteuil roulant avec survenue de myoclonies au niveau de la face.

Le 5 octobre 2011, Madame [S] réalise un tomoscintigraphie cérébrale qui conclut à un
« examen anormal compatible avec une dégénérescence de la substance grise cérébrale de type DFT ».

Du 30 septembre 2011 au 10 octobre 2011, Madame [S] sera de nouveau hospitalisée au sein du CH [21] pour la « survenue de myoclonies et de trouble de la marche d’installation progressive ».

Du 14 novembre 2011 au 25 novembre 2011, Madame [S] sera hospitalisée auprès de la [11] à [Localité 23] pour rééducation à la marche.

Du 6 mars 2012 au 12 mars 2012, Madame [S] sera hospitalisée au sein du Centre Hospitalier Intercommunal de [Localité 22] pour cure d’« une grosse éventration » nécessitant une « mise en place d’une plaque ».

Le 19 mars 2012, Madame [S] sera hospitalisée au sein du service de chirurgie viscérale en urgence du Centre Hospitalier Intercommunal de [Localité 22] à la demande de l’infirmière à domicile en raison d’un « hématome post-opératoire ».

Elle sera transférée le 16 avril 2012 pour une prise en charge des suites d’un «hématome pariétal drainé chirurgicalement ayant compliqué une cure d’éventration » où elle restera hospitalisée jusqu’au 6 juin 2012.

Madame [S] a été reconnu inapte à la reprise de son travail en aout 2015 par la médecine du travail conduisant à son licenciement en septembre 2015.

Le 7 novembre 2017, Madame [S] consultera le Docteur [H], en sa qualité de neurologue qui a déclaré que « je ne pense pas qu’il s’agisse d’une maladie neurodégénérative. L’anoxie cérébrale post-coma est la plus probable sachant qu’il y a 7 ans, elle présentait des myoclonies traitée par KEPPRA. »

Ce dernier a réitéré son diagnostic lors de sa consultation du 13 février 2018 constatant que l’IRM cérébrale pratiquée en janvier 2018 « ne montre aucune évolutivité ».

Une expertise a été diligentée et confiée au Docteur [Z] ainsi qu’au Docteur [R] en qualité d’experts. Elle a été pratiquée le 8 décembre 2020.

C’est dans ces conditions que selon exploit de commissaire de justice en date des 20, 23, 24 février et 10 mars 2023, Monsieur [P] [S], Madame [K] [S], agissant au nom de Madame [J] [S] en leur qualité de co-tuteurs de Madame [J] [S] étant sous tutelle par décision du Juge des tutelles au TJ de Melun du 24.01.2019, et en leur nom personnel en qualité de victimes par ricochet, ont fait assigner le Docteur [A] [T], le Docteur [G] [F], la MACSF, assureur responsabilité civile professionnelle des Docteurs [T] et [F], et la CPAM du 77 devant le Tribunal Judiciaire d’EVRY aux fins d’obtenir réparation de leurs préjudices.

Par conclusions en réponse, réactualisées et complétives n°II en date du 4 mars 2024, Monsieur [P] [S], Madame [K] [S], agissant au nom de Madame [J] [S] en leur qualité de co-tuteurs de Madame [J] [S] et en leur nom personnel en qualité de victimes par ricochet, demandent au tribunal de :
– RECEVOIR Monsieur [S] et Madame [K] [S] tant en leur nom personnel qu’en qualité de co-tuteur de Madame [S] en leurs demandes et les dires bien-fondés,

– RETENIR à l’encontre des Drs Docteurs [T] et [F] un manquement fautif au titre d’une erreur de diagnostic ayant entraîné un retard de prise en charge responsable de complications qui auraient pu être évitées par une simple aspiration digestive ;

– JUGER que la pathologie neurologique diagnostiquée en avril 2011 n’a été révélée qu’après la prise en charge non conforme de Madame [S],

– JUGER que le lien de causalité juridique entre la lourdeur des traitements et les longues hospitalisations délétères imputables au défaut de conformité de la prise en charge par les Drs Docteurs [T] et [F] et la décompensation d’une pathologie neurologique jusque-là inconnue et non diagnostiquée est suffisamment établi en l’espèce,

– DEBOUTER, en conséquence, les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF de leur demande de mise hors de cause qui n’est nullement justifiée en l’espèce,

– JUGER que le droit à indemnisation de Madame [S] ne saurait être réduit par un état antérieur asymptomatique qui ne s’est révélé qu’après sa prise en charge en juin 2010 et qu’il n’y a pas lieu de limiter son droit à indemnisation,

– ENTERINER l’évaluation des préjudices corporels proposée par le Docteur [V],

À titre principal :
– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à indemniser intégralement Madame [S] de l’ensemble des préjudices consécutifs aux complications subies,

– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à verser à Madame [S] les indemnités suivantes, dont à déduire la créance de la CPAM sur les pertes de gains professionnels futurs et sur l’incidence professionnelle uniquement :
– Assistance tierce personne avant consultation : 469.338,69 €
– Assistance tiercé personne après consolidation : 6.194.120,06 €
– Perte de gains professionnels futurs : 608.236,64 €
– Incidence professionnelle :150.000 €
– Logement adapté : à réserver
– Véhicule adapté : 87.223,50 €
– Déficit fonctionnel temporaire : 29.315,95 €
– Souffrances endurées : 40.000 €
– Préjudice esthétique temporaire : 3.000 €
– Déficit fonctionnel permanent : 206.250 €
– Préjudice d’agrément : 30.000 €
– Préjudice sexuel et préjudice d’établissement : 30.000 €

– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à verser à Monsieur [S] et à Madame [K] [S], en leur qualité de victime par ricochet une indemnité de 50.000 € chacun au titre de la réparation de leur préjudice d’affection et les troubles dans les conditions d’existence,

À titre subsidiaire, si par impossible le Tribunal entendrait retenir une indemnisation sur la base d’une simple perte de chance,
– JUGER que la perte de chance ne saurait être inférieure à 50%,

– CONDAMNER, en conséquence, in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à verser à Madame [S] les indemnités suivantes dont à déduire la créance de la CPAM sur les pertes de gains professionnels futurs et sur l’incidence professionnelle uniquement :
– Assistance tierce personne avant consultation : 234.669,34 €
– Assistance tierce personne après consolidation : 3.097.060,03 €

– Pertes de gains professionnels futurs : 304.118,31 €
– Incidence professionnelle : 75.000 ,00 €
– Logement adapté : à réserver
– Véhicule adapté : 43.611,75 €
– Déficit fonctionnel temporaire : 14.657,97 €
– Souffrances endurées : 20.000,00 €
– Préjudice esthétique temporaire : 1.500,00 €
– Déficit fonctionnel permanent : 103.125,00 €
– Préjudice d’agrément : 5.000,00 €
– Préjudice sexuel et préjudice d’établissement : 15.000,00 €

– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à verser à Monsieur [S] et à Madame [K] [S], en leur qualité de victime par ricochet une indemnité de 25.000 € chacun au titre de la réparation de leur préjudice d’affection et les troubles dans les conditions d’existence,

En tout état de cause :
– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à payer aux Consorts [S], sur l’ensemble des sommes auxquelles ils seront condamnés à titre principal ou, à titre subsidiaire, au titre de la réparation des préjudices personnels subis par Madame [J] [S] ainsi que les préjudices par ricochet, des intérêts au taux légal ainsi qu’à leur capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil,

– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, à verser aux consorts [S] la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

– CONDAMNER in solidum les Drs [T] et [F] et leur assureur, la MACSF, aux entiers dépens,

– PRONONCER le jugement commun à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 20],

– JUGER qu’il n’y a pas lieu à s’opposer à une exécution provisoire,

– CONDAMNER, la MACSF aux entiers dépens dont distraction aux entiers dépens, dont distraction au profit du Cabinet Jean-Michel SCHARR et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions en date du 18 décembre 2023, le Docteur [G] [F], le Docteur [A] [T] et la MACSF demandent au tribunal de :
– Ordonner la mise hors de cause des Docteurs [A] [T] et [G] [F], enl’absence de lien de causalité entre la faute et le dommage.
– Débouter les consorts [S] des demandes dirigées à l’encontre des Docteurs [A] [T] et [G] [F].
– Les condamner aux entiers dépens.

La CPAM du 77, bien que régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.

La clôture est intervenue le 7 mai 2024 et l’affaire fixée pour être plaidée le 21 octobre 2024. Le dépôt de dossier a été autorisé.

Les parties présentes ont été avisées lors de la clôture des débats de la date à laquelle la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

L’article 472 du code de procédure civile dispose que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur les responsabilités

Les consorts [S] soutiennent que les docteurs [F] et [T] ont commis une erreur de diagnostic ayant conduit à un retard de prise en charge de Madame [S], cause de la dégradation de son état.

Selon l’article R. 4127-33 du Code de la Santé publique : « Le médecin doit toujours élaborer
Son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. »

Selon les dispositions de l’article L.1142-1 du code de la Santé publique :
« I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».

En l’espèce, suite à des douleurs abdominales accompagnées de vomissements et de diarrhées, Madame [J] [S] s’est rendue le 2 juin 2010 aux urgences de l’Hôpital Privé [10].

Après divers examens, Il sera posé un diagnostic de gastroentérite et la patiente retournera à son domicile avec un traitement.

En raison de l’aggravation de son état, Madame [S] sera hospitalisée à l’hôpital privé [10] du 11 au 24 juin 2010.

Après plusieurs examens, un second diagnostic sera alors posé au profit d’une pyélonéphrite.

En raison d’un germe retrouvé dans les analyses d’urine, des antibiothérapies étaient mises en place sans obtenir une amélioration de l’état clinique de la patiente.

Madame [S] sera hospitalisée à la clinique [19] du 24 juin au 17 juillet 2010 où elle sera opérée pour subir une laparotomie suite à une occlusion du grêle sur hernie interne.

Suite à ces différentes hospitalisations, Madame [S] va décompenser une pathologie neurologique.

Il résulte du rapport d’expertise en date du 15 mars 2021 des docteurs [Z] et [R], missionnés par la CCI que :

– sur l’établissement du diagnostic initial : « sur le plan digestif, il existe un retard de diagnostic d’environ 7 jours…Le diagnostic d’occlusion aurait pu être posé plus précocement. Il aurait pu être porté sur les données du scanner abdomino-pelvien du 14 juin couplées à l’évolution du tableau clinique de la patiente et de l’aggravation de la biologie. Après étude du premier scanner du 11 juin 2010, il semble que le diagnostic d’occlusion aurait pu être évoqué dans les diagnostics différentiels. »

– sur le plan neurologique : « Madame [S] présentait un état antérieur sur le plan neuropsychiatrique (prise en charge dès 2008, en 2009 et début 2010 par les psychiatres en CMP) avec troubles psycho-comportementaux d’abord étiquetés dépression puis de psychose hallucinatoire chronique. L’existence d’une pathologie neurologique dégénérative est attestée par les différentes évaluations faites sur le plan psycho-cognitif.
Dans ce contexte de pathologie neurologique dégénérative, l’hospitalisation prolongée pour une problématique infectieuse et digestive a été un facteur très délétère…
Madame [S] est atteinte d’une démence fronto-temporale, pathologie cérébrale dégénérative qui touche les lobes frontaux et temporaux et dont les premiers signes sont des troubles du comportement…

On doit considérer que l’hospitalisation prolongée et le stress en relation avec la pathologie digestive ont été responsables d’une décompensation neurologique dégénérative.
Il n’est pas certain que Madame [S] n’aurait pas décompensé son état neurologique mais on en peut écarter que les hospitalisations prolongées, les soins prolongés aient constitué un facteur favorisant.
Il doit être retenu une perte de chance d’éviter de se trouver dans des conditions qui ont provoqué une perte de chance de minimiser ou d’éviter la décompensation de la pathologie neurologique de 30 %. »

– « il n’y a pas eu de défaut d’organisation ou de dysfonctionnement des services des établissements mis en cause. »

– « les errements de diagnostics couplés à une interprétation du scanner incomplète ont entraîné un retard dans la prise en charge, sur le plan digestif, de la patiente mais ils ne sont pas directement à l’origine du dommage subi par la patiente. »

– « le dommage subi par la patiente a été occasionné par la décompensation d’une symptomatologie neuropsychique préexistante aux troubles digestifs et à son traitement. »

– « le risque était majoré, sur le plan digestif, chez cette patiente. Du fait du tableau neurologique évolutif de la patiente et de la mise en place de multiples antibiothérapies différentes au cours des différentes hospitalisations, le tableau clinique de la patiente a été fortement altéré ce qui a rendu le diagnostic difficile, entraînant un retard diagnostic et de fait un retard de prise en charge de son occlusion. Néanmoins, l’absence d’antécédents chirurgicaux abdominaux rendait l’orientation diagnostique difficile et seuls les scanners réalisés auraient pu redresser le diagnostic d’occlusion. »

– « sur le plan neurologique, en l’absence de l’acte chirurgical, l’évolution spontanée de l’état de santé de la patiente se serait faite vers une accentuation de la problématique neuro-psycho-comportementale et une accentuation de la dépendance pour à terme aboutir à une perte de l’autonomie dans un délai qui ne peut être connu mais qui peut être évalué de l’ordre de 5 à 7 ans. » ;

Suite à ce rapport, la commission de conciliation et d’indemnisation, le 12 mai 2021, a considéré que la prise en charge de Madame [S] a été faite dans les règles de l’art, aucun défaut d’organisation ni dysfonctionnement n’étant démontré.

Elle a donc exclu toute responsabilité de l’hôpital [10] et de la clinique [19].

La commission a rejeté la demande d’indemnisation de Madame [S] en considérant que son dommage était exclusivement imputable à son état antérieur et à la maladie neurologique dégénérative qu’elle présente.

Les docteurs [F] et [T], s’ils ne contestent pas un retard de diagnostic de l’occlusion, considèrent, à l’instar de la CCI, qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre les fautes commises et la décompensation de l’état antérieur neuro-psychologique de la patiente.
En effet, le risque d’avoir une accentuation de la symptomatologie neurologique existait du fait même de l’hospitalisation et du syndrome douloureux associé à une pathologie digestive.

Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent, et notamment du rapport d’expertise des docteurs [Z] et [R] que le retard de diagnostic de l’occlusion est imputable aux docteurs [F] et [T], ce qu’ils ne contestent d’ailleurs pas.
Il convient cependant de déterminer si ce retard de diagnostic, sur le plan digestif, est à l’origine de la décompensation de l’état de santé neurologique de Madame [S].

Il est avéré que Madame [S] est atteinte d’une démence fronto-temporale, pathologie cérébrale dégénérative qui touche les lobes frontaux et temporaux et dont les premiers signes sont des troubles du comportement.

Cependant, si les errements de diagnostics couplés à une interprétation du scanner incomplète ont entraîné un retard dans la prise en charge, sur le plan digestif, de la patiente, cette faute des docteurs [F] et [T] n’est pas directement à l’origine du dommage subi par la patiente sur le plan neurologique, tel que cela ressort d’ailleurs du rapport d’expertise.

En effet, eu égard à l’état antérieur dégradé de la patiente sur le plan neurologique, même en l’absence d’acte chirurgical, l’évolution spontanée de l’état de santé de Madame [S] se serait faite vers une accentuation de la problématique neuro-psycho-comportementale et une accentuation de la dépendance pour à terme aboutir à une perte de l’autonomie.

Dès lors, en l’absence de démonstration d’un lien de causalité entre la faute des docteurs [F] et [T], constituée par le retard de diagnostic sur le plan digestif, et l’a décompensation de l’état de santé de Madame [S] sur le plan neurologique, la responsabilité de ces derniers ne sera pas retenue.

Les consorts [S] seront en conséquence déboutés de leurs demandes.

Sur les demandes accessoires

Monsieur [P] [S], Madame [K] [S], agissant au nom de Madame [J] [S] en leur qualité de co-tuteurs de Madame [J] [S] et en leur nom personnel en qualité de victimes par ricochet, qui succombent, seront condamnés aux dépens.

Il convient de constater que les défendeurs ne forment aucune demande à leur encontre au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, le jugement est exécutoire à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, par jugement réputé contradictoire, en premier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe,

Déboute Monsieur [P] [S], Madame [K] [S], agissant au nom de Madame [J] [S] en leur qualité de co-tuteurs de Madame [J] [S] et en leur nom personnel en qualité de victimes par ricochet de l’ensemble de leurs demandes ;

Condamne Monsieur [P] [S], Madame [K] [S], agissant au nom de Madame [J] [S] en leur qualité de co-tuteurs de Madame [J] [S] et en leur nom personnel en qualité de victimes par ricochet aux dépens ;

Rappelle l’exécution provisoire du présent jugement.

Ainsi fait et rendu le VINGT JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ, par Sandrine LABROT, Vice-Présidente, assistée de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière, lesquelles ont signé la minute du présent Jugement.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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