Responsabilité professionnelle et prescription des demandes en matière de conseil juridique

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Responsabilité professionnelle et prescription des demandes en matière de conseil juridique

L’Essentiel : Monsieur [S] [D] a assigné Maître [Z] [K] en responsabilité en 2018, suite à un licenciement en 2010. Après un jugement initial défavorable, la cour d’appel a annulé le licenciement en 2012. Cependant, des complications ont suivi, notamment un débouté par le tribunal de grande instance concernant des allocations de Pôle Emploi. Monsieur [D] reproche à Maître [K] des fautes dans la gestion de ses dossiers, tandis que ce dernier évoque la prescription des demandes. Le juge a conclu que certaines demandes étaient prescrites, déclarant irrecevables celles visant à condamner Maître [K] pour des paiements spécifiques.

Contexte de l’affaire

Monsieur [S] [D] a assigné Maître [Z] [K] en responsabilité le 24 octobre 2018, suite à un licenciement qu’il a subi de la part de la société [5] en 2010. Il avait mandaté Maître [K] pour gérer une procédure prud’homale, mais a été débouté par le conseil de prud’hommes de Montmorency en 2011. La cour d’appel de Versailles a ensuite annulé ce jugement en 2012, déclarant le licenciement nul et condamnant la société à verser une indemnité à Monsieur [D].

Procédures judiciaires ultérieures

Après la décision de la cour d’appel, Maître [K] a conseillé à Monsieur [D] d’assigner Pôle Emploi pour obtenir des allocations. Cependant, en 2013, le tribunal de grande instance de Paris a débouté Monsieur [D] et l’a condamné à rembourser une somme importante à Pôle Emploi. En 2012, la société [5] a notifié un second licenciement à Monsieur [D], qui a de nouveau mandaté Maître [K]. Les décisions judiciaires ultérieures ont abouti à la nullité de ce licenciement et à des condamnations financières en faveur de Monsieur [D].

Reproches de Monsieur [D]

Monsieur [D] reproche à Maître [K] des fautes dans la gestion de ses dossiers, notamment une absence de conseil après sa réintégration et des erreurs dans les procédures prud’homales et contre Pôle Emploi. Il a formulé de nouvelles demandes le 24 mai 2023, cherchant à obtenir des compensations financières pour des préjudices subis.

Arguments de Maître [K]

Maître [K] a soulevé la prescription des demandes de Monsieur [D], arguant que celles-ci étaient nouvelles et n’avaient pas été formulées dans le délai légal de cinq ans après la cessation de sa mission. Il a contesté que les demandes initiales aient été virtuellement comprises dans l’action en cours, précisant que chaque instance nécessitait un mandat distinct.

Décision du juge de la mise en état

Le juge a rappelé que l’action en responsabilité contre un avocat se prescrit par cinq ans à compter de la fin de sa mission. Il a également précisé que l’assignation interrompt la prescription pour d’autres actions relevant de la même relation contractuelle. Cependant, il a conclu que certaines demandes de Monsieur [D] étaient prescrites, notamment celles concernant le remboursement des allocations et l’impôt sur l’indemnité d’éviction.

Conclusion de l’affaire

Les demandes de Monsieur [D] visant à condamner Maître [K] pour le paiement de sommes spécifiques ont été déclarées irrecevables en raison de la prescription. Le juge a rejeté la fin de non-recevoir pour le surplus des demandes et a réservé les dépens ainsi que les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile, renvoyant l’examen de l’affaire à une audience ultérieure.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la durée de prescription pour une action en responsabilité contre un avocat ?

La durée de prescription pour une action en responsabilité dirigée contre un avocat est régie par l’article 2225 du Code civil. Cet article stipule que :

« L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission. »

Ainsi, dans le cas présent, la prescription de l’action en responsabilité de Monsieur [D] contre Maître [K] a commencé à courir à partir de la date à laquelle la mission de l’avocat a pris fin, soit le 24 octobre 2013.

Il est important de noter que cette prescription est spécifique à chaque mandat et ne peut pas être étendue à d’autres affaires ou instances.

En conséquence, toute demande formulée plus de cinq ans après la fin de la mission de l’avocat est susceptible d’être déclarée prescrite.

Quelles sont les conséquences de l’interruption de la prescription par une demande en justice ?

L’article 2241 du Code civil précise que :

« La demande en justice interrompt le délai de prescription. »

Cela signifie qu’une action en justice, comme l’assignation de Monsieur [D] contre Maître [K], interrompt le délai de prescription pour toutes les actions qui relèvent de la même relation contractuelle.

Dans le cas présent, l’assignation de Monsieur [D] a eu pour effet d’interrompre la prescription concernant les demandes liées à la seconde instance prud’homale et à l’instance contre Pôle Emploi.

Cependant, il est essentiel de comprendre que l’effet interruptif de l’assignation ne s’étend pas à des demandes qui ne sont pas virtuellement comprises dans l’action initiale.

Ainsi, les demandes formulées par Monsieur [D] le 24 mai 2023, qui concernent des omissions dans la gestion de son dossier, doivent être examinées pour déterminer si elles relèvent de la même relation contractuelle que l’assignation initiale.

Les demandes formulées par Monsieur [D] sont-elles considérées comme nouvelles et prescrites ?

Maître [K] soutient que les demandes formulées par Monsieur [D] le 24 mai 2023 sont nouvelles et, par conséquent, prescrites.

En effet, la jurisprudence a établi que chaque instance donne lieu à un mandat distinct, et que les demandes doivent être appréciées au regard de chaque instance.

Dans ce contexte, les demandes de Monsieur [D] concernant l’omission de la discrimination syndicale et la gestion de l’instance contre Pôle Emploi ne sont pas considérées comme virtuellement comprises dans l’assignation initiale.

Par conséquent, la demande relative à la première instance prud’homale, introduite plus de cinq ans après l’expiration du mandat de Maître [K], est déclarée prescrite.

Ainsi, les demandes tendant à voir Maître [K] condamné au paiement de 65 352€ et 207 486,40€ sont déclarées irrecevables en raison de la prescription.

Quelles sont les implications de la fin de non-recevoir tirée de la prescription ?

La fin de non-recevoir tirée de la prescription a pour effet de déclarer irrecevables les demandes formulées par Monsieur [D] qui sont jugées prescrites.

Dans le jugement, il est précisé que la fin de non-recevoir est rejetée pour le surplus des demandes, ce qui signifie que certaines demandes de Monsieur [D] peuvent encore être examinées, tandis que d’autres sont définitivement écartées.

Il est également important de noter que le juge de la mise en état n’a pas été saisi d’une demande d’irrecevabilité concernant l’extinction de l’instance, ce qui laisse la porte ouverte à l’examen des autres demandes qui ne sont pas affectées par la prescription.

Ainsi, les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du Code de procédure civile restent réservés, permettant à Monsieur [D] de poursuivre certaines de ses prétentions dans le cadre de l’instance en cours.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 18/12423 – N° Portalis 352J-W-B7C-COB2T

N° MINUTE :

Assignation du :
24 Octobre 2018

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 16 Janvier 2025

DEMANDEUR

Monsieur [S] [D]
[Adresse 1]
[Localité 2]

Représenté par Maître Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C2156

DÉFENDEUR

Maître [Z] [K]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représenté par Maître Stéphane LATASTE de la SELARL PBA LEGAL, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0086

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint

assisté de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 05 Décembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 16 Janvier 2025.

ORDONNANCE

Prononcée par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 24 octobre 2018, Monsieur [S] [D] a fait assigner Maître [Z] [K] en responsabilité devant ce tribunal.

Il expose avoir fait l’objet d’un licenciement de la part de la société [5] en 2010. Il a mandaté Maître [K] pour diligenter une procédure prud’homale.

Monsieur [D] a été débouté par le conseil de prud’hommes de Montmorency le 2 novembre 2011. Le 20 mars 2012, la cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement, prononcé la nullité du licenciement et condamné la société [5] au paiement d’une provisoire à valoir du l’indemnité égale à sa rémunération due depuis le licenciement jusqu’à sa réintégration.

Monsieur [D] expose par ailleurs que Maître [K] lui a conseillé d’assigner Pôle Emploi pour obtenir le paiement d’allocations qui lui seraient dues pour la période du 6 novembre 2010 au 20 avril 2012. Par jugement du 9 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Paris l’a débouté de ses demandes et l’a condamné à rembourser la somme de 65 362€ à Pôle Emploi, en estimant que l’indemnité accordée par la cour d’appel de Versailles constituait des salaires et conduisait à la restitution des allocations perçues sur la période.

La société [5] a notifié un second licenciement à Monsieur [D] le 9 juillet 2012. Monsieur [D] a mandaté à nouveau Maître [K] pour l’assister. Par jugement du 5 novembre 2014, le conseil des prud’hommes de Montmorency a débouté Monsieur [D] de sa demande d’annulation du licenciement, jugement confirmé en appel le 12 mai 2016. La Cour de cassation a cassé l’arrêt le 17 janvier 2018 et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée. Par arrêt du 16 janvier 2020, la cour d’appel de renvoi a prononcé la nullité du licenciement et condamné la société [5] au paiement d’une indemnité d’éviction et à des dommages et intérêts à Monsieur [D].

Aux termes de son assignation, Monsieur [D] reproche à Maître [K] d’avoir engagé sa responsabilité dans la gestion des contentieux le concernant.

Monsieur [D] a conclu à nouveau par conclusions signifiées le 24 mai 2023.

Par conclusions du 31 août 2023, Maître [K] a saisi le juge de la mise en état d’un incident tendant à voir constater la prescription de demandes.

Par conclusions du 28 mars 2024, Maître [K] demande au juge de la mise en état de déclarer prescrites les demandes nouvelles de Monsieur [D], tendant à le voir condamné au paiement de :
– 65 532€ correspondant aux allocations remboursées à Pôle emploi ;
– 207 486,40€ correspondant au préjudice résultant de l’impôt sur le revenu versé sur l’indemnité d’éviction.

Maître [K] expose que ces demandes sont nouvelles et n’ont été formulées par voie de conclusions que le 24 mai 2023. Il soutient en conséquence que ces demandes sont prescrites, en application de l’article 2225 du code civil. Il expose que le préjudice initialement revendiqué par le demandeur s’est avéré nul, en raison de son désistement du pourvoi qu’il avait formé contre l’arrêt de la cour d’appel de renvoi.
Il estime que le demandeur disposait d’un délai de 5 années à compter du 24 octobre 2013, date à laquelle sa mission avait cessé, pour formuler ces demandes.
Il conteste que les demandes initiales aient été virtuellement comprises dans la présente action. Il rappelle que la prescription ne peut s’étendre d’une affaire à l’autre.

Par conclusions du 4 décembre 2024, Monsieur [D] demande au juge de la mise en état de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de rejeter la demande de constatation de l’extinction de l’instance, de condamner Maître [K] aux dépens et au paiement de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [D] rappelle que l’effet interruptif d’une assignation s’étend à toute action virtuellement comprise dans l’action initiale. Il ajoute que cet effet s’étend à toute autre action découlant de la même relation contractuelle. Il précise que la relation contractuelle nouée avec Maître [K] s’est inscrite dans le cadre d’un litige unique l’opposant à son employeur et ayant fait l’objet de plusieurs instances. Il précise avoir reproché au défendeur, dès l’assignation, de ne pas avoir invoqué la discrimination syndicale, et que ses conclusions de 2023 s’ajustent à l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi. Il estime que les demandes présentées en 2023 procèdent de la même relation contractuelle avec son ancien conseil.

Il ajoute avoir déposé des conclusions récapitulatives de fond, reprenant toutes les demandes, ce qui exclut une extinction de l’instance.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article 2225 du code civil prévoit que l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.

L’article 2241 du même code dispose pour sa part que la demande en justice interrompt le délai de prescription.

En application de cette disposition, une action justice interrompt la prescription concernant d’autres actions relevant de la même relation contractuelle.

Il convient toutefois de rappeler que le mandat ad litem confié à un avocat ne concerne que les actes inhérents à une instance déterminée, chaque instance donnant lieu à un mandat distinct. La relation contractuelle entre l’avocat et son client, dans le cadre d’un mandat ad litem, doit donc s’apprécier au regard de chaque instance et non à l’aune d’une situation plus large incluant plusieurs instances distinctes.

En l’espèce, Monsieur [D] reproche à Maître [K], aux termes de son assignation, des  » fautes dans la gestion de ce dossier qui ont tout autant sérieusement compromis ses chances d’aboutir et d’aboutir dans un délai raisonnable « . Les fautes évoquées concernent une absence de conseil après la réintégration, la seconde instance prud’homale ainsi que l’instance engagée à l’encontre de Pôle Emploi.

L’assignation a donc interrompu la prescription dans la relation contractuelle issue des mandats confiés à Maître [K] concernant la seconde instance prud’homale et l’instance introduite à l’encontre de Pôle Emploi.

Les demandes formulées le 24 mai 2023 portent quant à elle sur une omission fautive d’invoquer la discrimination syndicale dans la procédure relative au premier licenciement, ainsi que sur le fait d’avoir engagé une procédure vouée à l’échec contre Pôle Emploi.

Dès lors, la seconde demande vise l’exécution du mandat confié au défendeur dans l’instance initiée contre Pôle Emploi, relation contractuelle déjà concernée par l’assignation, contrairement à la première demande qui concerne une instance différente. Elle n’était donc pas virtuellement incluse dans l’assignation.

La demande concernant le mandat relatif à la première instance prud’homale ayant été introduite plus de cinq années après l’expiration de ce mandat, au jour de l’expiration des voies de recours contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 20 mars 2012, cette demande est prescrite.

Ainsi, seront déclarées irrecevables comme prescrites les demandes tendant à voir Maître [K] condamné :
– au paiement de 65 352€ correspondant aux allocations remboursées à Pôle Emploi ;
– au paiement de 207 486,40€ correspondant à l’impôt sur le revenu versé sur l’indemnité d’éviction,
la fin de non-recevoir étant rejetée pour le surplus.

Il convient de constater que le défendeur ne soulevant aucune irrecevabilité tendant au fait que l’instance deviendrait dépourvue d’objet, le juge de la mise en état n’est pas saisi d’une telle demande, au demeurant rendue sans objet par le caractère partiel de la prescription.

Les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront réservées.

PAR CES MOTIFS

Nous, juge de la mise en état, statuant contradictoirement et par décision susceptible de recours dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, par mise à disposition au greffe,

DÉCLARONS irrecevables les demandes formulées par Monsieur [S] [D] et tendant à la condamnation de Maître [Z] [K] :
– au paiement de 65 352€ correspondant aux allocations remboursées à Pôle Emploi ;
– au paiement de 207 486,40€ correspondant à l’impôt sur le revenu versé sur l’indemnité d’éviction,

Rejetons la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour le surplus des demandes,

RÉSERVONS les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,

RENVOYONS l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 12 juin 2025 pour clôture et fixation, avec :
– conclusions en défense avant le 13 mars 2025,
– réplique en demande avant le 24 avril 2025,
– réplique en défense avant le 5 juin 2025.

Faite et rendue à Paris le 16 Janvier 2025

Le Greffier Le Juge de la mise en état
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD


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