L’Essentiel : En raison de la défaillance des époux [B] sur deux prêts immobiliers, la banque a engagé une action en recouvrement, mais a été déboutée en juillet 2016 pour absence de décomptes détaillés. L’avocat de la banque, Me [L], a manqué le délai d’appel, entraînant une ordonnance de caducité. En juin 2023, la [7] a assigné la SCP [8] [L] pour obtenir réparation, estimant sa perte de chance à 170 000 euros. Le tribunal a reconnu des fautes de l’avocat, évaluant l’indemnisation à 136 000 euros, assortie d’intérêts légaux, et a condamné la SCP aux dépens.
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Constitution des prêts immobiliersLa [6] a accordé aux époux [B] deux prêts immobiliers, le premier de 100 000 euros en octobre 2005 et le second de 160 000 euros en février 2007. En raison de la défaillance des emprunteurs, la banque a engagé une action en recouvrement après une mise en demeure infructueuse, entraînant une déchéance du terme en septembre 2011. Procédures judiciaires et défaillance de l’avocatLe tribunal a débouté la banque en juillet 2016, faute de décomptes détaillés des créances. L’avocat de la banque, Me [L], a été chargé d’interjeter appel, mais a informé son client en février 2019 qu’il n’avait pas respecté le délai de trois mois pour conclure, en raison de discussions avec les époux [B] et d’un piratage informatique. Une ordonnance de caducité a été rendue en octobre 2018. Demande d’indemnisationConsidérant la faute de son avocat, la [7] a assigné la SCP [8] [L] en juin 2023 pour obtenir réparation de ses préjudices, estimant sa perte de chance à 170 000 euros. Elle a demandé au tribunal de condamner la SCP à lui verser cette somme avec intérêts, ainsi qu’à payer 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Arguments de la SCP [8] [L]La SCP a contesté la demande, affirmant que la créance était prescrite et que la [7] ne justifiait pas de préjudice. Elle a soutenu avoir informé son client des risques de prescription et que l’absence de conclusions dans les délais était due à des difficultés techniques. Elle a également souligné que la [7] avait créé son propre préjudice en ne trouvant pas de solution amiable. Responsabilité de l’avocatLe tribunal a examiné les manquements de l’avocat, notamment le non-respect des délais de prescription et de notification des conclusions d’appel. Il a conclu que l’avocat avait commis des fautes qui avaient conduit à la perte de chance pour la [7] de voir son action aboutir. Évaluation du préjudiceLe tribunal a reconnu que la perte de chance était sérieuse et réelle, évaluant l’indemnisation à 80 % de la somme demandée, soit 136 000 euros, assortie d’intérêts légaux à partir de la date de l’assignation. Dépens et exécution provisoireLa SCP a été condamnée aux dépens de l’instance et à verser 2 500 euros à la [7] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement a été déclaré exécutoire à titre provisoire. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les responsabilités de l’avocat en matière de représentation et d’assistance ?L’article 411 du code de procédure civile stipule que « le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure. » Cela signifie que l’avocat a l’obligation d’agir dans l’intérêt de son client, en accomplissant tous les actes nécessaires à la défense de ses droits. L’article 412 précise que « la mission d’assistance en justice comporte les pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger. » Ainsi, l’avocat doit non seulement représenter son client, mais aussi le conseiller sur les meilleures actions à entreprendre. Enfin, l’article 413 indique que « le mandat de représentation comprend la mission d’assistance, sauf disposition ou convention contraire. » Cela souligne que l’avocat doit toujours agir avec diligence et compétence, en respectant les règles déontologiques et en mettant en œuvre toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client. Quelles sont les conséquences d’une faute de l’avocat dans l’exercice de ses fonctions ?Selon l’article 1231-1 du code civil, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. » Cela signifie que si l’avocat commet une faute dans l’exercice de ses fonctions, il peut être tenu responsable de cette faute et condamné à indemniser son client pour les préjudices subis. L’avocat est personnellement responsable des négligences et fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions envers ses clients. Il doit donc veiller à respecter les délais et à accomplir tous les actes nécessaires pour préserver les droits de son client. En cas de manquement, le client peut demander des dommages et intérêts pour la perte de chance ou tout autre préjudice subi. Comment évaluer la perte de chance en cas de faute de l’avocat ?La perte de chance est définie comme la disparition de la probabilité d’un événement favorable en raison de la faute commise. L’article 1231-2 du code civil stipule que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, équivalents à la perte qu’il a faite et au gain dont il a été privé. » Pour qu’une perte de chance soit réparée, elle doit revêtir un caractère direct, actuel et certain. Il est admis que le dommage puisse être caractérisé par la perte de chance, qui est réparable si elle présente un caractère réel et sérieux. Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise. Dans le cas présent, la perte de chance de la [7] de voir son action en paiement aboutir doit être évaluée en fonction des éléments de preuve présentés et des chances de succès de l’action manquée. Quelles sont les implications de la prescription sur l’action en paiement ?L’article L 137-2 du code de la consommation précise que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. » Cela signifie que si l’action en paiement n’est pas engagée dans ce délai, elle est considérée comme prescrite et ne peut plus être poursuivie. Dans le cas présent, l’avocat a délivré une assignation plus de deux ans après la déchéance du terme, ce qui constitue une faute. La prescription peut être soulevée à tout moment, même en appel, et le juge doit vérifier la recevabilité de la demande. Ainsi, la faute de l’avocat a conduit à la perte de toute chance pour la [7] de voir son action aboutir, car l’action était prescrite au moment de l’assignation. Quelles sont les conséquences de la caducité de la déclaration d’appel ?L’article 908 du code de procédure civile stipule que « la déclaration d’appel doit être faite dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. » Si ce délai n’est pas respecté, la déclaration d’appel est déclarée caduque. Dans le cas présent, l’avocat n’a pas notifié ses conclusions dans le délai imparti, entraînant la caducité de la déclaration d’appel. Cela signifie que la [7] a perdu la possibilité de contester le jugement du tribunal de grande instance, ce qui constitue un préjudice direct. La faute de l’avocat dans la procédure d’appel a donc des conséquences graves, car elle a empêché la [7] de faire valoir ses droits devant la cour d’appel. Ainsi, la responsabilité de l’avocat est engagée, et la [7] peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. |
❑ certifiée conforme
délivrée à
la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI
la SCP LOBIER & ASSOCIES
TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
Le 20 Janvier 2025
1ère Chambre Civile
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N° RG 23/03171 – N° Portalis DBX2-W-B7H-KAVI
JUGEMENT
Le Tribunal judiciaire de NIMES, 1ère Chambre Civile, a, dans l’affaire opposant :
Société [7],
inscrite au RCS de [Localité 10] sous le n°[N° SIREN/SIRET 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié es qualité audit siège, domiciliée : chez [M], dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocat plaidant.
à :
Société [8] [L] [8],
inscrite au RCS de [Localité 5] sous le n°[N° SIREN/SIRET 1], dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, avocats au barreau de NIMES, avocats postulant et par Me LASRY Gilles, avocat au barreau de Montpellier, avocat plaidant,
Rendu publiquement, le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 18 Novembre 2024 devant Nina MILESI, Vice-Présidente, Antoine GIUNTINI, Vice-président, et Margaret BOUTHIER-PERRIER, magistrat à titre tempopraire, assistés de Aurélie VIALLE, greffier, et qu’il en a été délibéré entre les magistrats.
La [6] à laquelle la [7] vient aux droits a consenti aux époux [B] deux prêts immobiliers l’un par offre préalable du 28 octobre 2005 acceptée le 9 novembre 2005 pour un montant de 100 000 euros, le second par offre du 5 février 2007 acceptée le 18 février 2007 pour un montant de 160 000 euros.
En raison de la défaillance des emprunteurs une mise en demeure restée infructueuse a emporté déchéance du terme le 21 septembre 2011 et a contraint la banque à engager une action en recouvrement de créance devant le TGI de Carcassonne. Une ordonnance sur requête rendue par le juge de l‘exécution en date du 14 octobre 2015 a autorisé l’inscription d’une hypothèque provisoire et une assignation a été délivrée aux débiteurs le 15 février 2016.
Le tribunal saisi a par jugement en date du 6 juillet 2016 débouté la banque aux motifs que les décomptes détaillés des créances n’étaient pas produits, ni les conventions d’ouverture de compte. La [7] a donné pour instruction à son avocat Me [L]d’interjeter appel de la décision et de procéder au renouvellement de l’hypothèque provisoire.
Par lettre en date du 21 février 2019 ce dernier informait son client de ce qu’il n’avait pas conclu dans le délai de trois mois imparti par l‘article 908 du code de procédure civile et ce en raison des discussions en cours avec les époux [B] et qu’il avait été victime d’un piratage informatique. Une ordonnance de caducité a été rendue le 25 octobre 2018 par le conseiller de la Mise en état de la chambre saisie de la procédure d’appel.
Considérant que son avocat avait commis une faute, la [7] a fait délivrer le 7 juin 2023 une assignation à comparaître devant le tribunal judiciaire de Nîmes à la SCP [8] [L][8] aux fins de voir indemniser ses préjudices.
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Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2024 la [7] au visa de l‘article 1231-1 du code civil demande au tribunal de :
Juger que la Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] a commis une faute source de responsabilité contractuelle pour avoir été défaillante dans le cadre de la procédure d’appel confiée devant la Cour d’Appel de MONTPELLIER a l’encontre d’un jugement du Tribunal de Grande instance de CARCASSONNE du 06 juillet 2016 ayant entraîné la caducité de la déclaration d’appel et le caractère irrévocable de ce jugement sans possibilité d’en déclarer à nouveau appel.
Juger que le préjudice en résultant pour la [7] s’élève a une perte de chance pour la somme de 170.000 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation jusqu’à parfait paiement.
En conséquence,
Condamner la Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] à porter et payer à la [7] la somme de 170.000 € avec interêts au taux légal à compter du 07 Juin 2023 de la délivrance de l’assignation jusqu’à parfait paiement.
Débouter Ia Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] à porter et à payer à la [7] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens.
Elle fait valoir que l‘avocat qui représente son client dans le cadre d’une procédure, commet une faute en cas d’inexécution imparfaite de son mandat qui l’oblige à accomplir tous les actes utiles à la conservation et à la préservation des droits de son mandant. Elle soutient que tel est le cas en l‘espèce, son avocat n’ayant pas notifié les conclusions d’appel dans les délais.
Elle conteste, avoir donné pour instruction à son client de faire un appel conservatoire, voulant obtenir la réformation de la décision.
Sur son préjudice elle le qualifie de perte de chance car elle n’a pas eu la possibilité de faire réformer la décision devant la cour d’appel. Elle l’estime à 170 000 euros et rappelle qu’en garantie elle détenait une hypothèque judiciaire provisoire à concurrence de 160 000 euros.
En réponse aux moyens soulevés par la défenderesse, sur la prescription elle fait valoir qu’elle a missionné Me [L] le 14 mars 2012, que réception de sa lettre par le cabinet d’avocat lui a été transmise le 27 avril 2012. De sorte que l‘avocat pouvait agir bien avant le délai de prescription acquit le 21 septembre 2013. Elle ajoute que le juge ne pouvait soulever la prescription d’office et que le jugement aurait été infirmé au vu des décomptes fournis. Elle indique que l’hypothèque de premier rang, invoquée par le défendeur, comme réduisant la perte de chance d’être indemnisé, n’a pas été renouvelée car la créance qu’elle garantissait, a été payée, dès lors l’hypothèque provisoire venait en premier rang. Elle estime qu’elle a perdu une chance de voir réformer la décision et de recouvrer les sommes dues.
Elle soutient que l‘absence de perte de chance tirée de la prescription biennale de l‘action en paiement ne peut être retenue car elle procède de la faute exclusive de l‘avocat.
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Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 juin 2024, la SCP [L][8] demande au tribunal de :
JUGER qu’à la date du mandat de la SCP [8] [L] [8] la créance bancaire était prescrite.
JUGER que la [7] ne justifier d’aucun préjudice de perte de chance.
JUGER que la [7] ne justifie pas d’un préjudice en relation directe de causalité avec l’intervention de SCP [8] [L] [8].
LA DEBOUTER de ses demandes.
LA CONDAMNER à payer à la SCP [8] [L] [8] la somme de 3900 € par application de l’article 700 du CPC .
LA CONDAMNER aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions elle fait valoir que ce dossier s’inscrit dans le cadre d’une serie de procédures concernant les époux [B] soit en leur nom propre soit en qualité de caution de la société [9].
Elle indique qu’elle a informé son client dès le 4 mars 2015 sur le risque de prescription. Elle ajoute que la banque lui a demandé de faire appel mais qu’à la suite de difficultés techniques elle n’a pu conclure dans le délai de trois mois. La défenderesse indique avoir prévenu son client de la prescription et lui avoir conseillé de trouver une solution amiable. Elle souligne être toujours restée en contact avec la [7] et invoque une lettre du 21 aout 2018 de la banque qui fait état d’un appel conservatoire. Enfin elle justifie l’absence de conclusions dans les délais en raison d’une panne informatique.
Elle conteste la perte de chance en raison de la prescription de l‘action en paiement intentée plus de deux ans après la déchéance du terme prononcée le 21 septembre 2011. Elle considère qu’il n’y a pas de perte de chance car la banque a refusé le réglement amiable, alors que les époux [B] s’engageaient à verser 900 euros mensuel, de sorte que la [7] a crée son propre préjudice. Elle conclut enfin sur les difficultés d’exécution de la décision et de la perte de chance de recouvrer sa créance à cause du faible du patrimoine des débiteurs. Elle soutient qu’il n’y a pas de lien causal entre la faute et le préjudice.
Il convient de se référer aux dernières conclusions signifiées pour un plus ample exposé des moyens des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture a été fixée à la date du 4 novembre 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du 10 juillet 2024 et l’affaire fixée à plaider à l’audience collégiale du 18 novembre 2024.
Les parties ont été informées par le président à l’audience du 18 novembre 2024 que le jugement serait rendu le 20 janvier 2025 par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
Sur les responsabilités et le droit à indemnisation de la [7]
Aux termes de l’article 131 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, abrogé au 3 juillet 2023, édicte que « l’avocat est civilement responsable des actes professionnels accomplis pour son compte par son ou ses collaborateurs ».
➔ Sur les manquements de l’avocat
Selon l’article 1231-1 du code civil le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Il est rappelé que l’avocat est personnellement responsable des négligences et fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions envers des clients ou des tiers. À l’égard des clients, l’avocat exerce soit des fonctions de représentation qui prennent la forme d’un mandat, soit des fonctions d’assistance matérialisées par un contrat de prestation de services. Sa responsabilité est de nature contractuelle.
* Sur les obligations de l’avocat
En vertu de l’article 411 du code de procédure civile le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure. L’article 412 précise que la mission d’assistance en justice comporte les pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger. Enfin l’article 413 du même code dispose que le mandat de représentation comprend la mission d’assistance, sauf disposition ou convention contraire.
Il est soumis dans son activité judicaire à une obligation de moyen et non de résultat. Il est tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et il est investi d’un devoir de compétence, dans la connaissance qu’il doit avoir de la législation, des règles de procédure et de la jurisprudence. Il doit en matière de procédure être diligent et il est tenu de mettre en œuvre toutes les règles procédurales requises pour la défense des intérêts de son client.
*Sur les fautes de l ‘avocat
Il ressort des écritures de la [7] qu’elle reproche à son ancien conseil d’avoir commis deux fautes l‘une en assignant les débiteurs après le délais de prescription, la seconde lors de la procédure d’appel en ne notifiant pas ses conclusions dans le délai imparti.
➔ Sur la faute de l ‘avocat lors de la mise en oeuvre de l ‘action en paiement
Sur la prescription de la demande en paiement introduite plus de deux ans après la déchéance du terme prononcée le 21 septembre 2011 par la banque, il est rappelé qu’en vertu de l‘article L 137-2 du code de la consommation dans sa version en vigueur du 19 juin 2008 au 01 juillet 2016 “L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.”
Il est difficilement contestable que l‘avocat a fait délivrer une assignation aux époux [B] plus de deux ans après le 21 septembre 2011, date de déchéance du terme, alors qu’il a été saisi par la banque le14 mars 2012, qu’il a accusé réception le 27 avril 2012, avec les demandes de pièces nécessaires pour lancer la procédure. De sorte qu’il ne peut soutenir comme il le fait qu’à la date de son mandat la créance bancaire était prescrite. Sa faute est ainsi caractérisée.
Bien que la [7] soit une professionnelle aguerrie il incombait à l ‘avocat qui a attiré l’attention de la banque sur le délai de “ forclusion” dès le 17 avril 2013, de procéder à la saisine de la juridiction dans le délai imparti. L‘avocat ne peut s’exoner de son devoir de conseil et de diligence même face à un client professionnel. Dès lors c’est en toute connaissance de cause que l‘avocat, a laissé courir le délai et a fait délivrer l‘assignation le 15 février 2016, soit plus de deux ans et demi après l’acquisition de la prescription.
Il s’ensuit que l‘avocat a commis une faute, dès la première instance en raison de la prescription de l‘action, que cette faute doit lui être imputée exclusivement comme le soutient la banque.
Une telle faute ne peut contrairement à ce que prétend la SCP [L] lui permettre de soutenir qu’il n’y avait aucune chance de voir réformer la décision, en ce qu’elle ne peut invoquer sa propre turpitude, de sorte qu’elle ne peut utiliser en sa faveur la faute qu’elle a commise.
➔ Sur la faute de l’avocat dans sa mission de représentation devant la cour d’appel.
Il ressort des pièces versées aux débats que l‘avocat mis en cause n’a pas procédé à la notification de ses conclusions d’appel dans le délai prescrit à peine de caducité de la déclaration d’appel par l‘article 908 du code de procédure civile, applicable à l’espèce. L‘avocat ne justifie d’aucune cause caractérisant la force majeure relevant d’une panne informatique dûment constatée, étant relevé qu’il n’a pas sollicité un relevé de caducité dans le sens de l’article 910-3 alors applicable.
En outre il ne peut soutenir utilement qu’il s’agissait d’un appel conservatoire, qui justifierait qu’il n’a pas conclu dans les délais impératifs et que son client était conscient de cette situation, en se prévalant de sa lettre le 21 août 2018 dans laquelle il écrit qu’il s’agit d’un appel conservatoire. En effet il ressort des pièces versées à la procédure que par lettre recommandée avec AR le [7] demande à son avocat quels sont les délais pour relever appel, et par lettre du 15 juin 2018 lui demande de relever appel et de procéder au renouvellement de l’hypothèque judiciaire provisoire et lui écrit “ En l’état de ce dossier et de la nécéssité de relever cet appel, il n’est pas opportun d’envisager un réamenagement formalisé de notre créance. Nous laissons aux époux [B] le soin de faire une proposition claire à notre établissement.” La banque ajoute “ La piste à priviligier serait la reprise de nos encourts par une banque tierce. Nous serions éventuellement ouverts à l’étude d’un plan d’apurement mensuel ( qui ne soit pas symbolique) assorti d’une inscription conventionnelle sur le bien. Dans ces conditions et après formalisation, nous serions amenés à nous désister de notre appel.” Il s’en déduit que la banque n’avait aucune intention de ne pas poursuivre la procédure d’appel en raison de discussions informelles avec les débiteurs.
Par conséquent la faute de Me [L], dans le cadre de la procédure d’appel litigieuse devant la cour d’appel de Montpellier confiée par la [7], est caractérisée.
➔Sur le lien causal et le préjudice
Pour prétendre à des dommages-intérêts la victime doit démontrer que la faute contractuelle a entrainé un préjudice. Il résulte de l’article 1231-2 du code civil que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, équivalents à la perte qu’il a faite et au gain dont il a été privé. Le préjudice doit revêtir un caractère direct, actuel et certain.
Il est admis toutefois que le dommage puisse être caractérisé par la perte de chance. Elle présente alors un caractère réparable. Elle se définit comme la disparition, de la probabilité d’un événement favorable par l’effet de la faute commise. L’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du manquement, de la probabilité d’un événement favorable et ce bien que par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine. La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle et sérieuse. Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise.
En l’espèce les préjudices invoqués sont fondés sur la perte de chance, pour la [7] de voir son action en paiement aboutir et sur la perte de chance de réformation du jugement rendu le tribunal de grande instance de Carcassonnne le 6 juillet 2016, en lien avec la faute de l‘avocat.
Lorsque le dommage réside dans la perte d’une chance de réussite d’une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s’apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action. L’appréciation de la probabilité de réussite de l’action manquée exige du juge qu’il recherche, s’il existait une chance sérieuse de succès de l’action en reconstituant fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s’instaurer devant le juge en l’occurrence devant la cour d’appel de Montpellier.
En l’espèce il est soutenu par la SCP [L], que l’action était prescrite “ce que le juge ne pouvait manqué (sic) de déceler”. Elle se prévaut de sa lettre du 8 août 2016 dans laquelle elle attire l‘attention de la banque sur cette prescription, que dès lors il n’y avait aucune chance de voir réformer la décision.
La banque estime quant à elle que si la prescription est acquise, elle est imputable à l‘avocat, il s’agit exclusivement de sa faute et le juge n’aurait pu soulever d’office la prescription, ce qui n’a pas été fait en première instance.
Il est rappelé que:
-d’une part selon les dispositions de l‘article 472 du code de procédure civile, “Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée”,
-d’autre part la prescription constitue selon les articles 122 et 123 du même code une fin de non recevoir qui peut être proposée en tout état de cause à moins qu’il n’en soit disposé autrement.
ll s’en suit, que la prescription, peut être évoquée pour la première fois en appel et que le juge d’appel, en l‘absence de l’intimé, se devait, au regard des prescriptions de l ‘article 472 al 2, de vérifier la recevabilité de la demande.
Dès lors, il est indéniable que la procédure d’appel dans ces circonstances, était vouée à un echec en raison de la faute de l‘avocat qui a fait perdre toute chance à sa cliente de voir aboutir son action contre les époux [B] en faisant délivrer une assignation sachant la demande prescrite.
Alors que, si le conseil du [7] avait assigné dans les délais de prescription devant le juge d’instance et avait conclu dans le délai de trois mois de sa déclaration d’appel devant la cour, la banque avait des motifs de réformation réels et serieux.
Le motif de réformation soutenu par la [7] était la production des décomptes des créances aux titre des deux prêts litigieux. En première instance le juge a estimé dans son jugement réputé contradictoire en l‘absence des débiteurs que faute de décomptes detaillés les demandes devaient etre rejetées. Ces décomptes sont produits aux présentes et ne font pas l’objet de discussion entre les parties. Dès lors sur ce point la décision de première instance devait être réformée.
Il se déduit de tous ces éléments, qu’en raison de deux fautes de l‘avocat, la banque a perdu toute chance de voir son action aboutir. Dès lors la perte de chance est sérieuse et réelle et doit être indemnisée.
Sur le montant de l’indemnisation
Il résulte de ce qui précède, que la perte de chance du [7] en raison des fautes de son conseil doit être évaluée à 80 % dès lors son indemnisation ne peut être inférieure à 80% de la somme demandée soit la somme de 136 000 euros.
Cette somme sera assortie du taux légal à compter de l‘assignation soit au 7 juin 2023.
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, il y a lieu de condamner la SCP [8] [L][8] aux dépens de l’instance et de la débouter de ses demandes à ce titre.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 .
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %.
En l’espèce il n’est pas inéquitable de condamner la SCP [L] à payer à la banque la somme de 2500 euros à ce titre et de la débouter de ses demandes.
Sur l’exécution provisoire
En vertu de l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable au 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit, exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision n’en dispose autrement. En l’espèce il y a lieu de constater l’exécution provisoire de la décision et de rejeter toute demande contraire.
Le Tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
CONDAMNE la SCP [8] [L][8] à payer la somme de 136 000 euros à la [7] au titre de sa demande indemnitaire,
DIT que cette somme sera assortie du taux d’interêt légal à compter du 7 juin 2023,
CONDAMNE la SCP [8] [L][8] à payer la somme de 2500 euros à la [7] sur le fondement de l‘article 700 du code de procédure civile, et la déboute de ses demandes à ce titre,
CONDAMNE la SCP [8] [L][8] aux entiers dépens de l’instance et la déboute de ses demandes à ce titre,
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire, et rejette toute demande contraire,
Le présent jugement a été signé par Nina MILESI, Vice Présidente, et par Aurélie VIALLE, greffière présente lors de sa mise à disposition.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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