Responsabilité professionnelle de l’avocat : évaluation des manquements et des préjudices allégués

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Responsabilité professionnelle de l’avocat : évaluation des manquements et des préjudices allégués

L’Essentiel : En avril 2004, l’indivision [U] a signé un bail mixte avec la société [8], qui a rencontré des retards de paiement, entraînant des assignations en justice pour résiliation. Plusieurs jugements ont suivi, dont un en 2017 confirmant la résiliation du bail. En 2017, la société [8] a demandé un redressement judiciaire, mais a ensuite assigné l’avocate Me [L] [V] pour faute professionnelle, réclamant 600 000 euros de préjudice. Le tribunal a conclu que l’avocate avait bien évalué la situation et a débouté la société [8] de ses demandes, la condamnant à payer des dépens.

Contexte du litige

Par un acte sous seing privé daté du 19 avril 2004, l’indivision [U] a conclu un bail mixte avec la société [8], incluant des locaux commerciaux et une partie habitation. Ce bail était établi pour une durée de neuf ans. En raison de retards de paiement, des commandements de payer ont été signifiés à la société [8] en 2006 et 2007, entraînant une assignation en justice par les consorts [U] pour obtenir la résiliation du bail.

Jugements et décisions judiciaires

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu plusieurs jugements concernant cette affaire. Le 17 novembre 2009, il a statué que le preneur devait payer les charges d’eau et a ordonné aux bailleurs de fournir les quittances de loyer. En 2013, un jugement a accordé un délai de grâce à la société [8] pour sa dette locative. Cependant, en 2017, la Cour d’appel a confirmé la résiliation du bail aux torts de la société [8].

Procédures ultérieures et redressement judiciaire

La société [8] a ensuite engagé une procédure de redressement judiciaire en octobre 2017. Malgré cela, un commandement de quitter les lieux a été signifié en juillet 2019. Par la suite, en septembre 2022, la société [8] a assigné l’avocate Me [L] [V] et ses assureurs pour obtenir réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis en raison d’une faute professionnelle.

Demandes de la société [8]

La société [8] a demandé la reconnaissance d’une faute professionnelle de l’avocate, la garantie par ses assureurs, et a chiffré son préjudice à 600 000 euros, avec une demande subsidiaire de 430 237 euros. Elle a soutenu que l’avocate avait mal conseillé sur l’opportunité d’un pourvoi en cassation, ce qui aurait entraîné une perte de chance de contester la résiliation du bail.

Réponse des défenderesses

Les défenderesses, Me [L] [V] et ses assureurs, ont contesté les allégations de faute, arguant que l’avocate n’était pas en mesure de conseiller sur des éléments qu’elle n’avait pas pu vérifier. Elles ont également souligné que la société [8] avait refusé une proposition de cession de bail, ce qui aurait pu atténuer ses pertes.

Analyse de la responsabilité de l’avocat

Le tribunal a examiné si Me [V] avait manqué à son obligation de conseil. Il a conclu que l’avocate avait correctement évalué l’inutilité d’un pourvoi en cassation, étant donné que la résiliation du bail était inévitable en raison des retards de paiement. De plus, la société [8] n’a pas démontré que la faute alléguée avait causé un préjudice.

Décision finale du tribunal

Le tribunal a débouté la société [8] de toutes ses demandes d’indemnisation à l’encontre de Me [V] et de ses assureurs. Il a également condamné la société [8] à payer des dépens et une indemnité à l’avocate sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’avocat en matière de conseil ?

L’article 1231-1 du Code civil stipule que l’avocat engage sa responsabilité envers son client en raison de manquements à ses obligations, notamment en matière de devoir de conseil.

Cet article précise que l’avocat doit accomplir tous les actes nécessaires à la régularité de la procédure qu’il engage.

Ainsi, tout retard, oubli ou erreur peut engager sa responsabilité, à condition que soient prouvés une faute, un dommage et un lien de causalité.

Dans le cas présent, la société [8] reproche à Me [V] de ne pas avoir conseillé un pourvoi en cassation, arguant que ce dernier aurait pu permettre de remettre les parties dans la situation antérieure à la résiliation du bail.

Cependant, il est essentiel de noter que l’avocat n’a pas à se prononcer sur les chances de succès d’un pourvoi en cassation, surtout s’il n’était pas l’avocat en première instance.

De plus, la société [8] n’a pas démontré que le pourvoi aurait eu des chances de succès, ce qui affaiblit son argumentation concernant la responsabilité de l’avocat.

Quelles sont les conditions de la perte de chance en matière de responsabilité professionnelle ?

La perte de chance est un concept juridique qui nécessite la démonstration d’un lien de causalité entre la faute de l’avocat et le dommage subi par le client.

Pour établir ce lien, il faut prouver que, sans la faute, le client aurait eu une chance raisonnable d’obtenir un résultat favorable.

Dans cette affaire, la société [8] soutient que le défaut de conseil de l’avocat lui a fait perdre une chance de faire casser l’arrêt d’appel.

Cependant, il est important de noter que même si la Cour de cassation avait annulé l’arrêt, cela n’aurait pas nécessairement eu pour effet de maintenir le bail, étant donné que la résiliation était déjà en cours en raison des retards de paiement.

Ainsi, la société [8] n’a pas réussi à prouver que la faute de l’avocat a directement causé un préjudice, ce qui remet en question la validité de sa demande d’indemnisation.

Quels sont les effets d’un pourvoi en cassation sur l’exécution des décisions judiciaires ?

L’article 1009-1 du Code de procédure civile précise que le pourvoi en cassation n’a pas d’effet suspensif, sauf décision contraire du premier président ou de son délégué.

Cela signifie que, même en cas de pourvoi, la décision de la Cour d’appel continue de produire ses effets tant qu’elle n’est pas annulée.

Dans le cas présent, Me [V] a informé la société [8] que le pourvoi en cassation serait illusoire, car il n’aurait pas suspendu l’exécution de la décision de résiliation du bail.

La société [8] n’a pas démontré que l’exécution de cette décision aurait entraîné des conséquences manifestement excessives, ce qui aurait pu justifier une demande de suspension.

Ainsi, le conseil donné par l’avocat concernant l’inutilité du pourvoi en cassation était fondé sur une analyse correcte des règles de procédure.

Comment se détermine le montant du préjudice en cas de faute professionnelle de l’avocat ?

Le montant du préjudice doit être établi de manière précise et justifiée.

Dans cette affaire, la société [8] a réclamé un préjudice principal de 600 000 euros, correspondant à la promesse de cession de bail, et un préjudice subsidiaire de 430 237 euros.

Cependant, la société n’a pas prouvé que ces montants étaient directement liés à la faute de l’avocat.

De plus, il a été noté que la société [8] avait refusé une proposition de cession de bail pour un montant supérieur à sa demande d’indemnisation, ce qui remet en question la réalité de son préjudice.

En conséquence, la société [8] n’a pas réussi à établir un lien de causalité entre la faute alléguée de l’avocat et le préjudice subi, ce qui a conduit à un rejet de sa demande d’indemnisation.

Quelles sont les conséquences d’une décision de justice sur les dépens et les frais d’avocat ?

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que la partie perdante peut être condamnée à payer une somme à l’autre partie pour couvrir ses frais d’avocat.

Dans cette affaire, la société [8], en tant que partie succombante, a été condamnée à payer à Me [V] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de cet article.

Cette indemnité est destinée à compenser les frais engagés par la partie gagnante dans le cadre de la procédure.

De plus, la société [8] a également été condamnée aux dépens de l’instance, ce qui signifie qu’elle doit prendre en charge les frais de justice liés à la procédure.

Ces dispositions visent à garantir que la partie qui a raison dans un litige ne supporte pas seule les coûts de la procédure.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DU MANS

Première Chambre

Jugement du 30 Janvier 2025

N° RG 22/02577 – N° Portalis DB2N-W-B7G-HRHP

DEMANDERESSE

SARL [8], prise en la personne de son représentant légal
immatriculée au RCS de PARIS sous le n° [N° SIREN/SIRET 5]
dont le siège social est situé [Adresse 3]
représentée par Maître Pierre TORREGANO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant et par
Maître Jean-Luc VIRFOLET, avocat au barreau du MANS, avocat postulant

DEFENDEURS au principal

S.A. [9], prise en la personne de son représentant légal
immatriculée au RCS de LE MANS sous le n° [N° SIREN/SIRET 4]
en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de Me [L] [V]
dont le siège social est situé [Adresse 2] représentée par Maître Jean-Michel HOCQUARD, membre de la SELARL ELOCA, avocat au Barreau de PARIS, avocat plaidant et par Maître Frédéric BOUTARD, membre de la SCP LALANNE – GODARD – HERON – BOUTARD – SIMON-GIBAUD, avocat au barreau du MANS, avocat postulant

Société [9], prise en la personne de son représentant légal
immatriculée au RCS de LE MANS sous le n° 7750652 126
en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de Me [L] [V]
dont le siège social est situé [Adresse 2]
représentée par Maître Jean-Michel HOCQUARD, membre de la SELARL ELOCA, avocat au Barreau de PARIS, avocat plaidant et par Maître Frédéric BOUTARD, membre de la SCP LALANNE – GODARD – HERON – BOUTARD – SIMON-GIBAUD, avocat au barreau du MANS, avocat postulant
MANS

Maître [L] [V], avocate
demeurant [Adresse 6]
représenté par Maître Jean-Michel HOCQUARD, membre de la SELARL ELOCA, avocat au Barreau de PARIS, avocat plaidant et par Maître Frédéric BOUTARD, membre de la SCP LALANNE – GODARD – HERON – BOUTARD – SIMON-GIBAUD, avocat au barreau du MANS, avocat postulant

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS

PRÉSIDENT : Marie-Michèle BELLET, Vice-présidente
ASSESSEURS : Emilie JOUSSELIN, Vice-Présidente
Amélie HERPIN, Juge

Emilie JOUSSELIN, juge rapporteur, a tenu seule l’audience conformément à l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et a rendu compte au Tribunal dans son délibéré

GREFFIER : Patricia BERNICOT

DEBATS

A l’audience publique du : 05 Novembre 2024
A l’issue de celle-ci, le Président a fait savoir aux parties que le jugement serait rendu le 30 Janvier 2025 par sa mise à disposition au greffe de la juridiction.

copie exécutoire à Maître Frédéric BOUTARD de la SCP LALANNE – GODARD – BOUTARD – SIMON – GIBAUD – 8, Me Jean-luc VIRFOLET – 29 le
N° RG 22/02577 – N° Portalis DB2N-W-B7G-HRHP

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DELIBERE

Madame BELLET, Vice-présidente
Madame JOUSSELIN, Vice-Présidente
Mme HERPIN, Juge

Jugement du 30 Janvier 2025

– prononcé publiquement par Madame BELLET, par sa mise à disposition au greffe
– en premier ressort
– contradictoire
– signé par le Président et Madame BERNICOT, greffière, à qui la minute du jugement a été remise.

*

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 19 avril 2004, l’indivision [U] donne à bail mixte à la société [8] des locaux commerciaux comprenant une boutique au rez de chaussée et une cave au sous-sol et partie habitation au premier étage d’un immeuble situé [Adresse 1] pour une période de neuf ans.

En suite d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du 26 avril 2006 et d’un second commandement de payer du 29 novembre 2007 signifiés à la société [8], les consorts [U] assignent la société [8] afin de voir obtenir l’acquisition de la clause résolutoire.

Par un jugement du 17 novembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de PARIS indique qu’il incombe au preneur de payer les charges d’eau et condamne les bailleurs à produire les quittances de loyers correspondant aux réglements effectués depuis octobre 2006, et, désigne avant dire droit un huissier de justice chargé de se produire par les bailleurs l’ensemble des relevés de consommation d’eau et le décompte de régularisation des charges.

Puis, par un jugement du 18 septembre 2013, le Tribunal de Grande Instance de PARIS accorde un délai de grâce à la société [8] pour sa dette locative au 31 mars 2009 et la condamne à un arriéré locatif arrêté au 15 juin 2012.

La société [8] qui avait pour avocats Me [F] et Me [T] désigne ensuite Maître [V] pour la représenter dans le cadre de la procédure d’appel.

Par arrêt du 27 septembre 2017, la Cour d’appel de PARIS confirme le jugement précédent mais décide de la résiliation du bail aux torts de la société [8].

Auparavant, par actes judiciaires du 6 octobre et du 14 octobre 2014, la société [8] fait délivrer une demande de renouvellement de bail à chaque membre de l’indivision.

Un jugement du 10 octobre 2017 ouvre une procédure de redressement judiciaire au profit de la société [8]. Puis suite à fermeture administrative, par requête du 29 novembre 2017, la société [8] ayant comme avocat Me [F] engage une procédure devant le juge des référés du Tribunal administratif de PARIS.

Une tierce opposition est dilligentée par les salariés de la société [8] qui aboutit à une irrecevabilité prononcée par arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 10 avril 2019, ainsi qu’il en résulte du commandement de quitter les lieux du 11 juillet 2019.

Enfin, le 19 juillet 2019, les consorts [U] signifient à la société [8] un commandement de quitter les lieux.

Par actes du 20 septembre 2022, Monsieur [D] [S] et la SARL [8], représentée par son gérant Monsieur [D] [S] assignent Maître [L] [V] et ses assureurs la SA [9] et les [9] aux fins de se faire indemniser des préjudices qu’elle estime avoir subis suite une faute qui aurait été commise par l’avocat et qui serait de nature à engager sa responsabilité professionnelle.

Par ordonnance du Juge de la mise en état en date du 30 mai 2024, un désistement d’instance et d’action est prononcée entre Monsieur [D] [S] et Me [L] [V] et les [9].

Par conclusions, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la SARL [8] demande de voir :
– déclarer que Me [L] [V] a commis une faute professionnelle de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle ayant fait perdre une chance de voir écarter les demandes du bailleur en justice,
– déclarer que l’avocate est garantie par ses assureurs les [9],
– déclarer que le préjudice subi s’élève à titre principal à une somme de 600 000,00 euros et à titre subsidiaire à une somme de 430 237,00 euros,
– condamner in solidum les défenderesses au paiement des ces montants, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et, capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,
– en tout état de cause, condamner in solidum les défenderesses aux dépens et au paiement d’une somme de 10 000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

La demanderesse soutient que l’avocate aurait commis une faute engageant sa responsabilité et que contrairement à ses allégations, l’inutilité d’un pourvoi en cassation qu’elle aurait conseillée ne serait pas justifiée,
– en ce que l’arrêt aurait été cassé du fait de la présence d’un même magistrat dans les deux degrés de juridictions, ce qui aurait permis de remettre les parties en l’état du jugement de 2012 qui n’a pas prononcé la résiliation du bail, et, ce qui au vu de la procédure collective en cours aurait permis de continuer le bail (application de l’article L622-13 du code de commerce) (signification postérieure de l’arrêt de 2017 par rapport à la mise en place de la procédure), bail qui aurait été renouvelé par le preneur sans que le bailleur ne s’y oppose en janvier 2015.
– en ce que la cour d’appel de renvoi aurait confirmé la décision de 2012,

Elle tient à souligner que :
*- sur la faute, l’arrêt de la cour d’appel a été rendu postérieurement à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 10 octobre 2017 alors qu’en application de l’article R 631-12 du code de commerce
– lors de l’intervention du nouveau conseil (lettre du 9 avril 2018), le pourvoi était irrecevable (plus de deux mois écoulé à la signification de l’arrêt du 1er février 2018),
– ce serait le bailleur qui aurait bloqué les négociations, et, le commandement de quitter les lieux mentionne le fait que la Cour d’appel de PARIS par arrêt du 11 janvier 2019 a déclaré irrecevable le recours de tierce opposition des salariés de la société [8],
-ladite société n’a pas été liquidée et bénéficie d’un plan de continuation.
– les défenderesses admettraient que Me [V] a donné un conseil de ne pas se pourvoir en cassation et il ne serait pas rapporté la preuve que Monsieur [S] n’aurait pas voulu poursuivre la consultation de l’avocat de la cour de cassation,
– sur la copie tronquée de l’arrêt, ce serait Monsieur [S] qui aurait mal scanné la décision et dès lors, la signification dudit arrêt serait régulière, et, que l’avocate déchargée du dossier le 9 avril 2018 aurait empêché un recours ultérieur suite au délai de deux mois expiré après la signification du 1er février 2018,

* – le montant du préjudice réclamé à titre principal correspondrait au montant du promesse de cession de bail qui était de 600 000 euros dont à verser 150 000 Euros au bailleur (projet du 26 septembre 2018), sachant que la société [7] actuellement occupante des lieux se serait acquittée directement d’un droit d’entrée auprès du bailleur,
– à titre subsidiaire, le montant du préjudice dont il est requis le règlement correspondrait au calcul d’un préjudice lié au départ des lieux sans pouvoir vendre le droit au bail ou bénéficier d’une indemnité d’éviction (perte du droit au bail et perte de clientèle

* – le lien de causalité entre la faute et le dommage serait avéré en ce que le défaut de conseil de l’avocat lui aurait fait perdre une chance de faire casser l’arrêt d’appel et de remettre les parties dans la situation du jugement du 8 septembre 2012 qui n’a pas prononcé la résiliation du bail.

Par conclusions “récapitulatives 2″, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Me [L] [V] et la SA [9] et les [9] sollicitent :
– un débouté de la société [8],
– la condamnation de la société [8] à payer à Me [V] la somme de 7500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de l’instance.

– Sur la faute professionnelle de l’avocat, les défenderesses rappellent que la jurisprudence apprécie in concréto l’intensité de l’obligation de conseil et l’avocat manque à son obligation lorsqu’il engage une procédure manifestement vouée à l’échec et contraire aux intérêts du client.
Elles expliquent que sans “réellement qualifier les fautes pouvant être reprochées à l’avocat”, la société [8] semble lui reprocher :
– de ne pas l’avoir conseillée de former un pourvoi en cassation pour solliciter la nullité de l’arrêt d’appel alors qu’un même juge faisait partie de la composition du jugement du TGI et de l’arrêt de la Cour d’appel,
– de lui avoir indiqué qu’un recours était illusoire.

Les défenderesses font valoir, en premier lieu, que Me [V] n’était pas l’avocat en première instance, et, elle ne s’est donc pas trouvée en mesure de constater qu’à l’audience de plaidoirie, il s’agissait du même juge. Elle n’avait d’ailleurs pas à conseiller sur ce sujet qui appartient aux conseils de l’avocat de la cour de cassation.
En second lieu, elles tiennent à faire état du fait que Me [V] n’est pas avocat à la cour de cassation et n’a donc pas vocation à prodiguer des conseils sur les chances de succès d’un éventuel pourvoi en cassation, n’ayant qu’un devoir à orienter sa cliente vers un avocat et informer du délai de recours, ce qui, en l’espèce, aurait été réalisé. Elles ajoutent qu’en tout état de cause, l’avocate avait orienté la demanderesse vers un avocat de la cour de cassation en vue d’une consultation qui ne sera jamais réalisée, la société n’ayant jamais donné suite.
Enfin, l’avocat et ses assureurs précisent qu’il n’a jamais été déconseillé brutalement à l’exercice d’un pourvoi. En effet, selon elles, dans la lettre du conseil, l’inutilité invoquée en demande portait sur l’effet suspensif de l’arrêt ayant prononcé la résiliation du bail.
En dernier lieu, elles constatent qu’un recours serait toujours possible en nullité de signification de l’arrêt qui ne comportait par erreur que les pages paires.

– Sur le préjudice allégué, celui-ci ne serait pas constitué dans la mesure où la perte de chance ne serait pas démontrée :
– étant donné que quant bien même la Cour de cassation pouvait annuler l’arrêt de la Cour d’appel, le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire étant postérieur audit arrêt, la résolutiodu bail n était inévitable, en application de l’article 371 du code de procédure civile n’autorise pas une interruption de l’évènement qui survient postérieurement ou est notifié après l’ouverture des débats,
– étant donné qu’en tout état de cause, l’acceptation du principe du bail précédent lors d’un renouvellement n’effacerait pas une violation de ses dispositions, même si la faute invoquée est antérieure audit renouvellement,
– étant donné que la cour de renvoi aurait vraisemblablement jugé de manière identique à celle qui a statué en 2017.

– Sur le lien de causalité entre une prétendue faute et un dommage allégué, ce dernier ne serait pas plus démontré, et, outre le fait que la demanderesse serait taisante de l’issue de la procédure de tierce-opposition exercée par les salariés de l’entreprise, la demanderesse aurait refusé une transaction avec les bailleurs pour une cession de bail au prix de 550 000 euros avec indemnité de déspécialisation d’un montant de 90 000 euros, malgré avis positif de son avocat et de l’administrateur judiciaire. Or, la perte de valeur de son droit au bail serait donc due à l’attitude du preneur dans un contexte où la résiliation est due aux retards répétés de paiement des loyers et charges, étant d’ailleurs noté qu’il est taisant des conditions de son départ alors que la consultation internet montre que les locaux sont désormais occupés par la société [7], qui a toujours revendiqué l’occupation des locaux.

La clôture intervient par ordonnance du 3 octobre 2024 avec effet différé au 4 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Selon l’article 1231-1 du code civil (ancien article 1147 du code civil), l’avocat engage envers son client sa responsabilité du fait des manquements préjudiciables à ses obligations générales de devoir de conseil ou à celles résultant spécifiquement du mandat auquel il est tenu.

Ainsi, l’avocat engage envers son client sa responsabilité du fait des manquements préjudiciables à ses obligations générales de devoir de conseil ou à celles résultant spécifiquement du mandat auquel il est tenu. Il se doit notamment à un devoir de diligence en vertu duquel il doit accomplir tous actes et formalités nécessaires à une régularité de forme et de fond de la procédure qu’il engage et il doit régulariser les diligences procédurales idoines exigées à la matière dont il est saisi.

Aussi, tous retards, oublis, erreurs, irrégularités engagent sa responsabilité qui pour être indemnisée suppose la démonstration d’une faute, d’un dommage, et, d’un lien de causalité.

* – sur la faute

En l’espèce, la demanderesse reproche à Me [V] un manquement à son obligation de conseil en indiquant qu’un pourvoi en cassation était illusoire.

– En premier lieu, il convient de replacer le “pourvoi illusoire” dans son contexte.
En effet, dans son courrier tant à son client qu’à l’avocat dont la consultation est préconisée, Me [V] écrit que “ 1- Inutilité du pourvoi en cassation
Il est constatnt que le recours à l’encontre d’un arrêt rendu par une Cour d’appel n’a aucun caractère suspensif ; Dès lors, pour permettre la recevabilité du pourvoi, la SARL [8] aurait dû exécuter la décision rendue.”

Il apparaît donc que l’inutilité d’un pourvoi vise uniquement la forme et les conditions pour pouvoir envisager un recours en cassation. Le texte ne s’attache pas au motif à proprement parler pouvant être présenté devant la Cour de cassation.

A propos de cette exécution provioire, il sera d’ailleurs tenu compte que si par application de l’article 1009-1 du code de procédure civile, le premier président ou son délégué peut décider de ne pas radier une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, s’il apparaît que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que le demandeur est dans l’impossibilité d’exécuter une décision, le caractère manifestement excessif devait s’apprécier d’un côté en considération de la situation de la société [8] et de ses facultés au regard de celles de remboursement du bailleur, et, d’un autre côté, il supposait la preuve d’une perspective d’un préjudice irréparable et d’une situation irréversible en cas d’infirmation. Or, en l’espèce, il sera noté que la résiliation du bail ne constitue pas, en tant que tel, des conséquences excessives liées à l’exécution provisoire qui en constitue le terme même de l’arrêt.
Du reste, il sera relevé que la société [8] ne démontre pas quelles pouvaient être les conséquences de cette exécution provisoire, notamment sur la poursuite de son activité ou/et sur la recherche d’un nouveau local d’exploitation.

Au contraire, ladite société fait état du fait que malgré cette résiliation la poursuite de son activité ainsi qu’elle le mentionne dans ses conclusions “la société [8] n’a pas été liquidée, et,elle bénéficie d’un plan de continuation”. Elle justifie également d’une nouvelle adresse qui n’est plus celle du bail commercial litigieux.

Il apparaît donc que les conditions d’application de l’article susmensionné n’étaient pas réunies pour une suspension de l’exécution provisoire, et, dès lors, le recours en cassation n’aurait pas permis une suspension de l’exécution provisoire.

Maitre [V] n’a donc pas commis de faute dans son analyse à priori de l’effet non suspensif d’un pourvoi en cassation.

– En second lieu, il sera fait remarquer à la demanderesse que ce conseil qui a été donné rentre dans l’obligation de l’avocat d’expliquer les voies de recours existantes mais ne s’attaque pas au fond.

A cet égard, outre le fait qu’il semble que lors des courriers envoyées à sa cliente l’arrêt litigieux n’avait pas été signifié et ne permettait donc pas de facto de vérifier les noms des magistrats ayant statué, et, alors que Me [V] n’était pas l’avocat en tribunal de grande instance, il ne lui appartenait pas de prodiguer des conseils sur des motifs possibles de cassation.

Elle n’a donc pas failli à son obligation sur cette question.

En outre, quant bien même le pourvoi pouvait aboutir à casser la décision de la cour d’appel et à remettre les parties dans l’état du jugement antérieur qui ne concluait pas à une libération des lieux, étant donné qu’il n’y avait pas de chance que l’exécution provisoire ait été suspendue antérieurement, ce retour n’aurait pas eu de conséquence sur la situation de la société [8], dont il convient de rappeler à nouveau qu’elle poursuit son activité malgré la procédure collective en cours.

Dès lors, l’inutilité du recours en cassation telle que présentée par Me [V] se confirme à travers ces constats.

Quant à l’opportunité ou non d’engager un pourvoi en cassation, l’avocate défenderesse a respecté son obligation en proposant à la requérante une consultation auprès d’un avocat spécialisé à cet effet. Or, ladite requérante est taisante sur le motif pour lequel elle n’a pas accepté cette consultation. Ainsi, il ne saurait donc également être reprochée une faute à l’avocate alors que la décision de consulter ou non ne lui appartenait pas.

– En troisième lieu, outre le fait qu’il est possible de s’interroger sur le nombre de pages de l’arrêt de 2017 réellement signifiées par l’huissier, il sera noté que la demanderesse est taisante sur la proposition du nouvel avocat de présenter une tierce opposition des salariés laquelle avait été envisagée.

De tous ces éléments, il sera admis que la faute de Maître [V] n’est pas établie, étant observé au surplus que la perte de chance est difficilement soutenable dans la mesure où il est indiqué sur le BILAN ECONOMIQUE ET FINANCIER et la PROPOSITION DE REDRESSEMENT, au § E intitulé PROJET DE CESSION DE BAIL qu’en 2018, le gérant de la société [8], Monsieur [S] a refusé de transiger sur “une proposition de cession de bail pour une prix de cession de 550 000 Euros payables à l’administrateur judiciaire (soit un montant supérieur à la demande subsidiaire d’indemnisation ), et une indemnité de déspécialisation au profit du bailleur de 90 000,00 euros, et, ce malgré l’avis positif de l’administrateur judiciaire et de l’avocat.

En conséquence, les éléments constitutifs de la responsabilité de l’avocate n’étant pas réunis, la société [8] sera déboutée de sa demande d’indemnisation à son encontre et à l’encontre des ses assureurs, les [9].

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La demanderesse, partie succombante, sera tenue aux dépens de l’instance, et, en équité, sera condamnée à payer à Me [V] une indemnité de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DEBOUTE la SARL [8] de l’ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la SARL [8] à payer à Maître [L] [V] la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL [8] aux dépens de l’instance.

La Greffière La Présidente


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