Responsabilité professionnelle d’un avocat en matière de diligence procédurale

·

·

Responsabilité professionnelle d’un avocat en matière de diligence procédurale

L’Essentiel : Monsieur [F] [P] et Monsieur [O] [P] ont engagé des procédures contre leur ancien employeur, la société [7], qui a été condamnée par le conseil des prud’hommes à verser des indemnités. Maître [N], l’avocat de la société, a interjeté appel, mais ses déclarations ont été déclarées caduques en raison de l’absence de conclusions dans les délais. En conséquence, la société [7] a assigné Maître [N] pour engager sa responsabilité civile professionnelle, lui reprochant des fautes dans la gestion des appels. Le tribunal a reconnu des erreurs de Maître [N], mais a rejeté les demandes de la société, n’ayant pas prouvé une perte de chance.

Contexte de l’affaire

Monsieur [F] [P] et Monsieur [O] [P] ont engagé des procédures devant le conseil des prud’hommes de Paris contre leur ancien employeur, la société à responsabilité limitée [7]. Maître [N] a été désigné pour défendre les intérêts de cette société.

Jugements et appels

Le 8 décembre 2017, le conseil des prud’hommes a condamné la société [7] à verser des indemnités à Monsieur [F] [P] et à Monsieur [O] [P]. Maître [N] a interjeté appel de ces jugements, mais a rencontré des problèmes de procédure, notamment des caducités de déclarations d’appel en raison de l’absence de conclusions dans les délais impartis.

Problèmes de procédure

La première déclaration d’appel de Maître [N] concernant Monsieur [F] [P] a été déclarée caduque le 19 septembre 2019, tandis que la seconde déclaration a été jugée irrecevable. Pour Monsieur [O] [P], la caducité a également été prononcée, entraînant la jonction des deux affaires. Maître [N] a contesté ces décisions, mais la cour d’appel a confirmé les ordonnances de caducité.

Assignation de l’avocat

Le 7 décembre 2022, la société [7] a assigné Maître [N] devant le tribunal judiciaire de Paris pour engager sa responsabilité civile professionnelle, lui reprochant des fautes dans la gestion des appels. La société a demandé des indemnités pour préjudice financier et moral.

Arguments de la société [7]

La société [7] a soutenu que Maître [N] avait manqué à son obligation de diligence en ne déposant pas les conclusions dans les délais, ce qui a conduit à la caducité des appels. Elle a estimé que cette inaction avait entraîné une perte de chance d’obtenir une décision favorable en appel.

Réponse de Maître [N]

Maître [N] a contesté les accusations, affirmant avoir agi dans les délais et que les caducités étaient dues à des erreurs de procédure de la juridiction. Il a également soutenu que la société [7] n’avait pas démontré qu’elle aurait pu éviter la radiation des affaires.

Décision du tribunal

Le tribunal a conclu que Maître [N] avait effectivement commis des fautes dans la gestion des appels, entraînant la caducité des procédures. Cependant, il a également noté que la société [7] n’avait pas prouvé qu’elle aurait pu obtenir une décision favorable en appel, ce qui a conduit à un rejet de ses demandes de dommages et intérêts.

Conclusion

La société [7] a été déboutée de ses demandes, condamnée aux dépens, et le tribunal a statué que l’exécution provisoire de son jugement était de droit.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’avocat dans le cadre d’une procédure d’appel ?

La responsabilité de l’avocat dans le cadre d’une procédure d’appel est régie par l’article 1231-1 du Code civil, qui stipule que « le débiteur est tenu de réparer le préjudice causé par son inexécution ».

En matière d’avocat, cela signifie que l’avocat engage sa responsabilité civile lorsqu’il commet une faute dans l’exécution de son mandat de représentation en justice.

Cette obligation est renforcée par les articles 411 et suivants du Code de procédure civile, qui imposent à l’avocat d’accomplir tous les actes nécessaires à la régularité de la procédure.

Il doit également prendre toutes les initiatives utiles pour assurer la défense des intérêts de son client.

Ainsi, si l’avocat ne respecte pas les délais de dépôt de conclusions, comme le prévoit l’article 908 du Code de procédure civile, il peut être tenu responsable des conséquences de cette inaction.

En l’espèce, Maître [N] n’a pas déposé de conclusions dans le délai imparti, entraînant la caducité de la déclaration d’appel.

Cette faute est donc susceptible d’engager sa responsabilité envers la société [7].

Quelles sont les conséquences de la caducité d’une déclaration d’appel ?

La caducité d’une déclaration d’appel a des conséquences significatives sur la possibilité de contester une décision de première instance.

Selon l’article 908 du Code de procédure civile, « l’appelant doit conclure dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel ».

Si ce délai n’est pas respecté, la déclaration d’appel devient caduque, ce qui signifie que l’affaire ne sera pas examinée par la cour d’appel.

Dans le cas présent, la première déclaration d’appel de la société [7] a été déclarée caduque en raison du non-dépôt de conclusions dans le délai imparti.

Cela a eu pour effet de priver la société de la possibilité de faire examiner son affaire par la cour d’appel, entraînant une perte de chance d’obtenir une décision favorable.

La caducité a également été confirmée par un arrêt de déféré, rendant la situation encore plus complexe pour la société [7].

Comment évaluer le préjudice résultant d’une perte de chance en matière d’appel ?

L’évaluation du préjudice résultant d’une perte de chance en matière d’appel doit se faire en tenant compte de l’aléa et des chances de succès du recours manqué.

La jurisprudence a établi que la réparation de la perte de chance doit être mesurée en fonction de l’éventualité d’un résultat favorable, sans pour autant être égale à l’avantage que cette chance aurait pu procurer si elle s’était réalisée.

Dans le cas présent, la société [7] a soutenu qu’elle avait une chance de 100% d’obtenir gain de cause en appel, en raison de la solidité de son argumentaire.

Cependant, il appartient à la société de prouver qu’elle aurait pu éviter la radiation de l’affaire et que cette radiation a effectivement entraîné un préjudice.

L’article 1353 du Code civil impose à la partie qui réclame une réparation de prouver l’existence du préjudice.

En l’espèce, la société [7] n’a pas produit de preuves suffisantes pour démontrer qu’elle aurait pu éviter la radiation de l’affaire, ce qui a conduit à un rejet de ses demandes.

Quelles sont les implications de l’exécution provisoire dans le cadre d’un appel ?

L’exécution provisoire est régie par l’article 514 du Code de procédure civile, qui stipule que « le jugement est exécutoire de plein droit, même en cas d’appel ».

Cela signifie que les condamnations prononcées en première instance doivent être exécutées immédiatement, même si l’affaire est portée en appel.

Dans le cas présent, le conseil des prud’hommes avait ordonné l’exécution provisoire des condamnations à hauteur de 30 000€ et 35 000€.

La société [7] a été confrontée à une demande de radiation de l’affaire en raison de son incapacité à exécuter ces condamnations.

L’article 526 du Code de procédure civile précise que l’appelant doit justifier de l’exécution de la décision frappée d’appel pour éviter la radiation de la procédure.

En l’absence de preuve d’exécution, la société [7] n’a pas pu maintenir son appel, ce qui a contribué à la caducité de ses déclarations d’appel.

Ainsi, l’exécution provisoire a eu un impact direct sur la possibilité de la société de contester les décisions de première instance.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 24/05750 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4YUF

N° MINUTE :

Assignation du :
07 Décembre 2022

JUGEMENT
rendu le 15 Janvier 2025
DEMANDERESSE

S.A.R.L. [7]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représentée par Me Jonathan SOUFFIR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1784

DÉFENDEURS

Mutuelle [8]
[Adresse 1]
[Localité 4]

S.A. [8]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Monsieur [E] [N]
[Adresse 3]
[Localité 6]

Représentés par Maître Jean-louis BIGOT de la SCP LYONNET BIGOT BARET ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0458
Décision du 15 Janvier 2025
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 24/05750 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4YUF

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistés de Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors des débats et de Madame Marion CHARRIER, Greffier lors du prononcé

DÉBATS

A l’audience du 04 décembre 2024, tenue en audience publique, devant Monsieur Benoit Chamouard et Madame Marjolaine Guibert magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Monsieur Benoit Chamouard a fait un rapport de l’affaire.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre de deux procédures distinctes, Monsieur [F] [P] et Monsieur [O] [P] ont saisi le conseil des prud’hommes de Paris de demandes formulées à l’encontre de leur ancien employeur, la société à responsabilité limitée [7], laquelle a chargé Maître [N] de la défense de ses intérêts.

1-Par jugement de départage du 8 décembre 2017, le conseil des prud’hommes de Paris a condamné, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la société [7] à verser à Monsieur [F] [P] plusieurs sommes à titre notamment d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement, de dommages et intérêt pour rupture abusive, d’heures supplémentaires, et de travail dissimulé.
Le 18 décembre 2017, Maître [N] a formé un premier appel contre ce jugement devant la cour d’appel de Paris. La déclaration d’appel a été enregistrée au greffe le 17 janvier 2018.
Le 21 décembre 2017, Maître [N] a formé un second appel à l’encontre du même jugement, devant la cour d’appel de Paris. La déclaration d’appel a été enregistrée au greffe le 22 janvier 2018.
Le 26 mars 2018, le conseiller de la mise en état a émis un avis de caducité visant la seconde déclaration d’appel, faute pour l’appelant d’avoir signifié sa déclaration au greffe dans le délai d’un mois à compter du 23 février 2018.
Le 29 mars 2018, le conseiller de la mise en état, après examen du dossier et observations fournies, a émis un avis de non-caducité de cette seconde déclaration d’appel.
Par ordonnance du 19 septembre 2019, le conseiller de la mise en état, constatant que l’appelante n’avait remis aucune conclusion au greffe de la cour dans le délai de trois mois imparti par l’article 908 du code de procédure civile à compter de sa première déclaration d’appel, soit avant le 19 mars 2018, et précisant que la signification des conclusions à l’intimé le 21 mars 2018 ne valait pas remise au greffe, a prononcé la caducité de la première déclaration d’appel.
Suivant ordonnance sur incident du 27 mars 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable, à défaut d’intérêt, l’appel interjeté le 21 décembre 2017 concernant la même décision que le premier appel, et ne procédant à aucune rectification de celui-ci.
Maître [N] a formé une requête en déféré contre cette ordonnance, et par arrêt du 21 juin 2019, la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance en toute ses dispositions.

2-Parallèlement, aux termes d’un jugement de départage du 8 décembre 2017, le conseil des prud’hommes de Paris a condamné, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la société [7] à verser à Monsieur [O] [P] plusieurs sommes à titre notamment d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour rupture abusive, d’heures supplémentaires, et de travail dissimulé.
Le 18 décembre 2017, Maître [N] a formé un premier appel contre ce jugement devant la cour d’appel de Paris. La déclaration d’appel a été enregistrée au greffe le 17 janvier 2018.
Le 21 décembre 2017, Maître [N] a formé un second appel à l’encontre du même jugement, devant la cour d’appel de Paris. La déclaration d’appel a été enregistrée au greffe le 22 janvier 2018.
Le 22 mars 2018, le conseiller de la mise en état a émis un avis de caducité visant la seconde déclaration d’appel, faute pour l’appelant d’avoir conclu dans le délai de trois mois à compter de celle-ci.
Le 11 avril 2018, la jonction des deux appels a été prononcée.
Par ordonnance du 30 mai 2018, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de l’appel sur le fondement de l’article 908 du code de procédure civile en considérant que Maître [N] n’avait pas conclu dans le délai.

C’est dans ce contexte que, par acte du 7 décembre 2022, la société [7] a fait assigner Maître [E] [N], avocat, devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.

Par ordonnance du 14 décembre 2023, le juge de la mise en état, constatant le défaut de diligence des parties, a ordonné la radiation de la procédure.

L’affaire a été rétablie à la demande de la société [7].

Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 26 juin 2023 puis le 8 mai 2024, la société [7] demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
– condamner Maître [E] [N] à lui verser la somme de 109.921,92€ au titre de son préjudice financier ;
– le condamner à lui verser la somme de 10.000,00€ au titre de son préjudice moral ;
– le condamner enfin au paiement de la somme de 5.000,00€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle soutient que Maître [N] a commis des fautes et manqué à l’obligation de résultat à laquelle il est tenu, s’agissant du dépôt de conclusions d’appelant dans les délais.

Sur la procédure d’appel menée contre Monsieur [F] [P], elle explique que son ancien conseil a fait preuve d’un défaut de diligence en omettant de remettre au greffe des conclusions d’appelant dans le délai de trois mois prévu par l’article 908 du code de procédure civile ; que cette faute est à l’origine de la caducité de sa déclaration d’appel, prononcée par ordonnance du juge de la mise en état et confirmée par arrêt de déféré ; que par ailleurs Maître [N] ne l’a informée de cette caducité qu’en 2021, soit près de 3 ans après le prononcé de la décision.
Sur la procédure d’appel menée contre Monsieur [O] [P], elle indique que Maître [N] ne l’a jamais informée des suites du dossier, prétendant qu’une demande de radiation était en cours, alors qu’une ordonnance de caducité avait été rendue le 30 mai 2018, rendant toute forme de recours impossible ; que de même que pour la précédente procédure, cette caducité résulte d’un manque de diligence du défendeur et engage sa responsabilité ; qu’enfin ce dernier ne saurait rejeter la faute sur la juridiction d’appel pour masquer ses propres carences.
Au titre de son préjudice, elle explique que sa perte de chance doit être évaluée à 100% dès lors que l’inaction de son avocat a eu pour conséquence l’infirmation d’une décision fondée sur un motif erroné en droit. Ainsi, elle estime que son préjudice ne saurait être inférieur aux condamnations prononcées à son encontre en première instance, soit 33.461,12€ s’agissant de la procédure visant Monsieur [F] [P], et 76.460,80€ s’agissant celle visant Monsieur [O] [P]. La demanderesse souligne que dans le cadre de ces deux procédures, l’argumentaire qu’elle soutenait était particulièrement sérieux, celles-ci ayant d’ailleurs fait l’objet d’un jugement de départage.
La société [7] soutient par ailleurs avoir subi un préjudice moral, exposant avoir été considérablement affectée par ces procédures dont les issues lui ont été défavorables.
En réponse aux conclusions adverses, elle explique :
– qu’une demande de radiation à défaut d’exécution spontanée des condamnations prononcées en 1ère instance n’est qu’une simple faculté pour l’intimé, que Messieurs [P] n’avaient d’ailleurs pas soulevée ; que le courriel versé par le défendeur et démontrant l’inverse est mensonger puisque postérieur au prononcé de la caducité de l’appel ; qu’en tout état de cause, si une telle demande de radiation avait été formée, elle aurait eu la possibilité de solliciter un aménagement de l’exécution provisoire devant le premier président ou le conseiller de la mise en état ;
– s’agissant du bien-fondé de sa contestation relative aux heures supplémentaires : que le prétendu planning tout comme les attestations versées par Messieurs [P] n’avaient aucune valeur probante ; qu’en effet il revenait avant tout aux salariés d’apporter des éléments susceptibles d’étayer suffisamment leurs demandes, ce dont il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’elle cite ; qu’ainsi la cour aurait nécessairement infirmé les jugements prud’homaux sur ce point;
– s’agissant du bien-fondé de sa contestation relative au statut de Messieurs [F] et [O] [P]: qu’elle avait valablement justifié qu’une autre de ses salariés effectuait les tâches que ces derniers soutenaient avoir réalisées ; que les attestations fournies par Messieurs [P] étaient contestables ; qu’en outre ces derniers n’avaient jamais fait état de cette prétendue situation avant leur recours devant le conseil des prud’hommes ; qu’ainsi la cour d’appel aurait nécessairement infirmé les jugements prud’homaux sur ce point ;
– s’agissant enfin du bien-fondé de sa contestation relative au travail dissimulé : que l’élément intentionnel exigé par les dispositions du code du travail et la jurisprudence n’était pas rapporté, n’ayant eu à aucun moment l’intention ou la volonté de dissimuler des heures de travail ; qu’ainsi la cour d’appel aurait infirmé les jugements prud’homaux sur ce point.

Dans leurs conclusions récapitulatives notifiées le 16 août 2023, Monsieur [E] [N] et les sociétés [8] et [8] demandent au tribunal de :
– débouter la société [7] de toutes ses demandes;
– la condamner à verser à Monsieur [E] [N] la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Lyonnet Bigot Baret & Associés, représentée par Maître Jean-Louis Bigot.

Les défendeurs contestent dans un premier temps l’existence d’une faute imputable à Maître [N], exposant que celui-ci n’a nullement été inactif. Ils rappellent en effet que ce dernier a effectué deux déclarations d’appel dans les délais, pour chacune des deux affaires, n’ayant pas obtenu d’accusé de réception de la part du greffe s’agissant des premières déclarations.
S’agissant de la procédure de Monsieur [F] [P], ils expliquent que Maître [N] a pensé que le second appel était valable et n’a donc pas conclu dans le cadre du premier appel, entrainant sa caducité pour défaut de conclusions dans le délai de trois mois. Ils soutiennent que dès lors qu’il a déféré aux demandes de significations des déclarations d’appel émises par la cour, a déféré aux demandes de justifications du conseiller de la mise en état dans le cadre de l’avis de caducité émis le 26 mars 2018 et obtenu un avis de non-caducité le 29 mars 2018, et qu’il a exercé un recours en déféré à l’encontre de la décision d’irrecevabilité du conseiller de la mise en état, aucune inaction ne saurait lui être reprochée.
S’agissant de la procédure visant Monsieur [O] [P], les défendeurs expliquent que Maître [N] a conclu dans les délais dans le cadre du premier appel, et que c’est à tort que la caducité a été prononcée par la juridiction sans d’ailleurs être précédée d’un avis de caducité, l’empêchant de relever cette erreur de procédure. Ils précisent que le greffe n’a pas tenu compte de son message RPVA aux termes duquel il expliquait avoir adressé ses conclusions d’appelant dans le délai prévu à l’article 908 du code de procédure civile, et sollicitait la possibilité de présenter ses explications devant le conseiller de la mise en état.
Les défendeurs soutiennent dans un second temps que la société [7] ne bénéficiait que de très faibles chances d’obtenir gain de cause en appel, dans le cadre des deux procédures, de sorte qu’aucun préjudice de perte de chance n’est rapporté.
A titre principal, ils expliquent que les jugements à l’encontre desquels Maître [N] a engagé les procédures d’appel avaient ordonné l’exécution provisoire des condamnations, à hauteur de 30.000€ et 35.000 € ; que la société [7] avait indiqué clairement, dans le cadre d’échanges de courriels notamment, qu’elle était dans l’incapacité de régler ces sommes; et que conformément à l’article 526 du code de procédure civile, le défaut d’exécution spontanée des condamnations de première instance entraîne la radiation de la procédure d’appel qui ne peut être réinscrite qu’après démonstration de l’exécution de la décision. Les défendeurs expliquent que, dans ces conditions, il est incertain que les procédures d’appel aient pu aboutir à une quelconque décision, ce d’autant plus que l’avocat de Messieurs [F] et [O] [P] avait justement sollicité la radiation des affaires par conclusions du 19 juin 2018. En réponse aux conclusions adverses, ils font grief à la société [7] de ne pas expliquer sur quel fondement elle aurait pu solliciter un aménagement de l’exécution provisoire, précisant notamment que de telles mesures doivent être étayées par des pièces et sont rarement accordées.
A titre subsidiaire, sur le caractère fondé des prétentions de Messieurs [F] et [O] [P] ils relèvent :
– que la réalité des nouvelles fonctions et du nouveau statut de Messieurs [F] et [O] [P] a été confirmée par un grand nombre de pièces dont des attestations ; que le juge départiteur avait pu relever que la société [7] n’apportait aux débats aucune pièce contraire ; qu’ainsi c’est à juste titre que la demanderesse a été condamnée à leur verser des rappels de salaire correspondant à la différence entre la rémunération prévue au contrat et celle découlant du nouveau statut des salariés conformément à la convention collective ;
– que faute de démonstration par la société [7] que Messieurs [F] et [O] [P] avaient bien perçu leurs salaires de septembre et octobre 2015, ainsi que le solde de leurs congés payés, il n’était pas possible d’obtenir une décision différente sur ce point en cause d’appel ;
– que s’agissant des heures supplémentaires, Messieurs [P] avaient versé aux débats un tableur récapitulatif hebdomadaire ainsi que des attestations de collègues et de leur supérieur hiérarchique ; qu’a contrario la demanderesse n’avait produit aucun élément de défense; que par ailleurs les jurisprudences qu’elle verse au présent débat démontrent que le type de pièces versées par Messieurs [P] sont suffisantes pour justifier une telle demande ;
– que s’agissant de l’infraction de travail dissimulé, Messieurs [P] avaient caractérisé l’élément intentionnel reproché à la société [7] dans la commission de ce délit, exposant que les départs successifs de deux chefs pâtissiers en 2014 avaient réduit l’équipe, et que pendant cette période l’équipe en place avait dû faire face à un surcroît d’activité ne pouvant se traduire que par la réalisation de nombreuses heures supplémentaires ; qu’en outre les jurisprudences citées par la demanderesse ne sont pas applicables aux faits d’espèce ;
– que s’agissant de la contrepartie en repos, non seulement il n’était pas possible d’obtenir de la cour une décision plus favorable – faute pour la demanderesse d’avoir fourni des éléments contestant l’existence des heures supplémentaires – mais en outre la condamnation aurait pu être augmentée des congés payés afférents sollicités par les salariés ;
– que de même, le conseil des prud’hommes s’est fondé sur les pièces versées aux débats pour constater que les heures travaillées les dimanches et jours fériés n’avaient pas donné lieu à majoration, et ordonner le paiement de sommes au titre des rappels de salaires et congés payés afférents ;
– qu’au regard des griefs invoqués (non-déclaration des heures supplémentaires, du travail de nuit et les dimanche, non-respect du repos compensateur, non-respect de son nouveau statut, etc.) c’est à juste titre que le juge départiteur a considéré que la prise d’acte par Messieurs [P] de la rupture de leur contrat de travail, aux torts de la société [7], devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– qu’enfin les licenciements ainsi qualifiés ont mécaniquement entraîné pour les anciens salariés l’octroi d’indemnités et de dommages et intérêts afférents, en tenant compte de leur ancienneté et de la rémunération moyenne brute retenue par la juridiction.
Les défendeurs expliquent enfin que le préjudice moral allégué, à savoir la longueur des procès litigieux et leur résultat défavorable – à le supposer établi -, n’est pas en lien avec une faute caractérisée de l’avocat mais tient à l’absence d’éléments permettant d’établir que la société [7] avait respecté le droit du travail dans sa relation avec ses anciens salariés.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue par le juge de la mise en état le 13 juin 2024.

A l’audience du 4 décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 15 janvier 2025.

MOTIVATION

1. Sur la responsabilité de Maître [N] dans l’affaire opposant la société [7] à Monsieur [F] [P]

Engage sa responsabilité civile à l’égard de son client sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, l’avocat qui commet une faute dans l’exécution du mandat de représentation en justice qui lui est confié en application des articles 411 et suivants du code de procédure civile, tant à raison de l’accomplissement des actes de la procédure, qu’au titre de l’obligation d’assistance – incluse sauf disposition ou convention contraire dans le mandat de représentation – qui emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger.
Lorsqu’il est chargé d’une mission de représentation en justice, l’avocat est tenu d’accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de la procédure. Il doit plus généralement prendre toutes les initiatives utiles pour assurer avec diligence la défense des intérêts de son client.

Il appartient à l’avocat de justifier l’accomplissement de ses diligences.

1.1 Sur la faute

Si Maître [N] expose avoir réalisé des diligences, il est constant qu’il n’a pas déposé de conclusions au greffe dans le délai imparti par l’article 908 du code de procédure civile, entraînant la caducité de la première déclaration d’appel.
La seconde déclaration d’appel, portant sur le même jugement que la première sans la rectifier, n’a pas permis de maintenir un lien d’instance en appel, en raison de son irrecevabilité.

Ces erreurs procédurales combinées sont à l’origine de l’absence d’examen de l’affaire en appel. Maître [N] a donc manqué à son obligation de diligence et commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

1.2 Sur le préjudice

Le préjudice consistant en la perte d’une voie d’accès au juge constitue nécessairement une perte de chance, liée à la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, celle d’obtenir gain de cause. Il convient d’évaluer les chances de succès du recours manqué en reconstituant le procès qui n’a pas eu lieu, ce à l’aune des dispositions légales qui avaient vocation à s’appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.

En toute hypothèse, la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l’aléa jaugé et ne saurait être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Maître [N] expose que l’affaire n’aurait pu prospérer, en l’absence d’exécution du jugement de première instance.

L’article 526 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, disposait que lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.

En l’espèce, le conseil des prud’hommes avait ordonné l’exécution provisoire du jugement à hauteur de 30 000€. Monsieur [F] [P] avait demandé la radiation de l’affaire devant le conseiller de la mise en état, en l’absence d’exécution du jugement, comme le démontrent les conclusions d’incident. La société [7] n’avait quant à elle pas répliqué à cette demande dans ses conclusions d’incident en réplique, n’arguant pas en particulier de conséquences manifestement excessives la concernant ou d’impossibilité d’exécuter la décision.

Dans la présente instance, la société [7] ne produit aucun document attestant qu’elle aurait été en mesure de s’acquitter de la condamnation et ainsi éviter la radiation, puis la péremption de l’instance, alors que les défendeurs allèguent sans être contestés qu’elle rencontrait des difficultés financières.

Dans ces circonstances, la société demanderesse ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe en application de l’article 1353 du code civil, de l’existence d’une perte de chance d’obtenir l’infirmation du jugement de première instance devant la cour d’appel.

Elle sera déboutée des demandes qu’elle formule concernant l’affaire l’ayant opposée à Monsieur [F] [P].

2. Sur la responsabilité de Maître [N] dans l’affaire opposant la société [7] à Monsieur [O] [P]

2.1 Sur la faute

La société demanderesse reproche à Maître [N] d’avoir manqué à ses obligations en raison de la caducité de l’appel.

A l’instar de l’affaire concernant Monsieur [F] [P], deux appels ont été interjetés à l’encontre du jugement du conseil de prud’hommes:
– une déclaration d’appel a été déposée le 17 décembre 2017, donnant lieu à une instance enregistrée sous le numéro RG18/00643 ;
– une seconde déclaration d’appel a été déposée le 21 décembre 2017 et a donné lieu à l’instance numéro RG18/00871.
Ces deux instances ont été jointes le 11 avril 2018 sous le numéro RG18/00643.
Avant cette jonction, des conclusions d’appelant ont été déposées dans l’affaire RG18/00643 le 15 mars 2018, dans le délai de trois mois édicté par l’article 908 du code de procédure civile.
En revanche, aucun jeu de conclusion n’a été déposé dans l’instance RG18/00871.

Par ordonnance du 30 mai 2018, rendu après jonction sous le numéro RG18/00643, le conseiller de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d’appel au motif que  » l’appelant n’a pas conclu dans le délai imparti dans le dossier 18/00871 s’agissant d’un appel interjeté le 21 décembre 2017 « , visant ainsi la déclaration d’appel du 21 décembre 2017 mais ne limitant pas la portée de la caducité à cette seule déclaration.
La jonction n’ayant pas pour effet de créer une instance unique, la caducité de la déclaration d’appel du 21 décembre 2017 n’emportait pas automatiquement celle de la déclaration d’appel du 17 décembre 2017. La caducité générale de l’appel résulte ainsi manifestement d’une erreur du conseiller de la mise en état et non d’une faute procédurale de Maître [N].
Il appartenait toutefois à ce dernier, dans un tel contexte, de saisir la cour d’appel d’un déféré ou, à tout le moins, de conseiller à la société défenderesse d’exercer cette voie de recours, ce que le défendeur ne justifie pas avoir fait.

Maître [N] a donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

2.2 Sur le préjudice

A l’instar de l’affaire ayant opposé la demanderesse à Monsieur [F] [P], Maître [N] soutient que l’appel intenté dans cette affaire n’aurait pu prospérer, à défaut d’exécution du jugement de première instance.
Il ressort du jugement du conseil de prud’hommes que cette juridiction avait ordonné l’exécution provisoire de son jugement à hauteur de 35 000€.
Monsieur [O] [P] avait sollicité la radiation de l’affaire, en l’absence d’exécution du jugement. La société demanderesse ne produit pas de conclusions d’incident en réplique, dans lesquelles elle aurait fait état de conséquences manifestement excessives ou d’une impossibilité d’exécuter la décision.

Dans ces circonstances et à défaut de tout élément produit attestant qu’elle était en mesure d’exécuter le jugement, le société [7] ne rapporte pas la preuve qu’elle aurait pu éviter la radiation de l’affaire, puis la péremption de l’instance.

A défaut de justifier de l’existence d’une perte de chance d’obtenir l’infirmation du jugement de première instance en appel, la société demanderesse ne rapporte pas la preuve d’un préjudice et sera déboutée de cette demande.

3. Concernant le préjudice moral

La société [7] expose avoir été affectée par les procédures judiciaires intentées à son encontre et qui ont abouti en sa défaveur.
Ce chef de préjudice n’est toutefois pas en lien avec les fautes retenues à l’encontre de Maître [N] mais résultent de la seule existence de ces procédures.
La société demanderesse ajoute avoir dû engager une procédure à l’encontre du défendeur. Ce chef de préjudice est toutefois pris en considération au titre des frais irrépétibles et sera examiné dans ce cadre.

Les demandes au titre du préjudice moral seront donc rejetées.

4. Sur les autres demandes

La société [7], partie perdante, sera condamnée aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Louis Bigot.

L’équité commande en l’espèce de ne pas faire droit aux demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire de ce jugement est de droit, en application de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant, par jugement contradictoire et susceptible d’appel, par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE la société à responsabilité limitée [7] de ses demandes,

CONDAMNE la société à responsabilité limitée aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Louis Bigot,

DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de ce jugement est de droit.

Fait et jugé à Paris le 15 Janvier 2025

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon