L’Essentiel : Madame [E] a subi plusieurs interventions chirurgicales pour des lombalgies et gonalgies, entraînant une arthrite septique. Un collège d’experts a conclu à une infection nosocomiale liée à une opération de 2012 et à une prise en charge non conforme. Madame [E] a demandé l’annulation du rapport d’expertise et des indemnités pour son préjudice, chiffré à plus de 600.000 euros. La Fondation HÔPITAL a contesté cette demande, tandis que le docteur [P] a nié toute faute. Le tribunal a rejeté la demande d’annulation, condamnant le docteur à verser 5.000 euros pour préjudice moral et ordonnant une indemnisation de 56.380 euros à Madame [E].
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Exposé du litigeMadame [E] a subi plusieurs interventions chirurgicales pour traiter des problèmes de lombalgies chroniques et de gonalgies, notamment une chirurgie bi-compartimentale fémur-tibia en mars 2011 et une reprise de prothèse du genou gauche en mars 2012. Suite à ces opérations, elle a développé une arthrite septique nécessitant une hospitalisation pour traitement. D’autres interventions ont suivi, y compris l’ablation de la prothèse et la mise en place d’un SPACER, ainsi qu’une nouvelle pose de prothèse tri-compartimentale en janvier 2013. Rapport d’expertiseUn collège d’experts a été désigné par le juge des référés en janvier 2018, et leur rapport, déposé en mars 2019, a conclu à une infection nosocomiale liée à l’intervention de mars 2012, ainsi qu’à une prise en charge non conforme par le docteur [P]. Les experts ont évalué divers préjudices, y compris des périodes d’incapacité de travail et des souffrances endurées, ainsi qu’une perte de chance d’éviter une récidive de l’infection. Demandes de Madame [E]Dans ses dernières écritures, Madame [E] a demandé l’annulation du rapport d’expertise et une nouvelle expertise, ainsi que des indemnités pour son préjudice. Elle a également demandé des dommages et intérêts pour préjudice d’impréparation et une réparation de son préjudice corporel, chiffré à plus de 600.000 euros. Réponses des défendeursLa Fondation HÔPITAL [7] a contesté la demande d’annulation du rapport d’expertise, arguant que Madame [E] avait eu accès à son dossier médical et que le principe du contradictoire avait été respecté. Elle a également demandé à limiter sa responsabilité à 90 % des dommages, tandis que le docteur [P] a soutenu qu’il n’avait pas commis de faute et a demandé à être exonéré de la majorité des demandes. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté la demande d’annulation du rapport d’expertise, considérant que les parties avaient eu l’occasion de discuter des documents présentés. Il a également refusé la demande de nouvelle expertise, estimant que les experts avaient répondu de manière adéquate aux questions posées. Le tribunal a condamné le docteur [P] à verser 5.000 euros pour préjudice moral d’impréparation et a ordonné une indemnisation totale de 56.380 euros à Madame [E] pour son préjudice corporel, ainsi que le remboursement des débours de la CCSS des Hautes Alpes. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la demande d’annulation du rapport d’expertiseL’article 275 du code de procédure civile stipule que « les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime utile à l’accomplissement de sa mission. En cas de carence des parties, l’expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l’état. La juridiction de jugement peut tirer toutes conséquences de droit du défaut de communication des documents à l’expert ». Dans cette affaire, Madame [E] conteste la validité du rapport d’expertise en raison de la prise en compte de documents communiqués tardivement par la Fondation Hôpital [7]. Cependant, il est établi que ces pièces ont été discutées lors de la réunion d’expertise, et que Madame [E] a pu formuler ses observations à ce sujet. De plus, le rapport d’expertise a été complété par un pré-rapport et des réponses aux dires de Madame [E], ce qui démontre que le contradictoire a été respecté. Par conséquent, la demande d’annulation du rapport d’expertise est rejetée. Sur la demande de nouvelle expertiseLa demande de nouvelle expertise est fondée sur l’argument que le rapport initial serait lacunaire. Toutefois, les experts ont examiné les causes du dommage et ont fourni des réponses détaillées aux questions posées. Ils ont également justifié leur évaluation des préjudices, ce qui ne laisse pas de place à une nouvelle expertise. L’absence de mention expresse des références bibliographiques dans le rapport n’est pas un motif suffisant pour ordonner une nouvelle expertise, car les experts ont fourni une motivation sérieuse dans leur rapport. Ainsi, la demande de nouvelle expertise est également rejetée. Sur les demandes à l’encontre du docteur [P] relatives au préjudice d’impréparationL’article L1111-2 du code de la santé publique précise que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Les experts ont constaté que l’information sur le risque infectieux n’a pas été correctement délivrée à Madame [E]. Le fait qu’elle soit infirmière ne l’exonère pas de l’obligation d’information du médecin. En conséquence, le défaut d’information a causé un préjudice moral d’impréparation, qui sera réparé à hauteur de 5.000 €. Sur l’obligation d’indemnisation du dommage corporelSelon l’article L 1142-1 I al 2 du code de la santé publique, « les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ». Les experts ont conclu que l’infection nosocomiale était liée à l’intervention chirurgicale. La Fondation Hôpital [7] et le docteur [P] sont donc tenus d’indemniser Madame [E] pour les dommages subis, avec une répartition de 90 % pour la Fondation et 10 % pour le docteur. Sur le montant de l’indemnisationLe tribunal a évalué les préjudices de Madame [E] en tenant compte des frais médicaux, des pertes de gains professionnels, et des préjudices extra-patrimoniaux. Les frais médicaux s’élèvent à 42.221,38 €, tandis que les pertes de gains professionnels actuels ont été déboutées. Les préjudices extra-patrimoniaux, incluant le déficit fonctionnel temporaire et permanent, ainsi que les souffrances endurées, ont été évalués à un total de 56.380 €. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, conformément à l’article 1231-6 du code civil. Sur la demande de la CCSS des Hautes AlpesLa CCSS des Hautes Alpes a demandé le remboursement de ses débours, qui s’élèvent à 56.691,51 €. Le tribunal a fait droit à cette demande, en précisant que ces sommes correspondent aux frais médicaux et aux indemnités journalières versées à Madame [E]. Sur les demandes accessoiresLe tribunal a également accordé une indemnité forfaitaire de 1.162 € à la CCSS des Hautes Alpes, ainsi qu’une somme de 5.000 € à Madame [E] et 1.000 € à la CCSS, en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Les dépens seront supportés in solidum par le docteur [P] et la Fondation Hôpital [7]. |
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 25/ DU 09 Janvier 2025
Enrôlement : N° RG 22/12079 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2WOX
AFFAIRE : Mme [M] [J] épouse [E] (Me Seyrine AOUANI)
C/ Fondation HÔPITAL [7] (SCP BBLM) et autres
DÉBATS : A l’audience Publique du 07 Novembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 09 Janvier 2025
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [M] [J] épouse [E]
née le [Date naissance 4] 1960 à [Localité 9] (13)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Maître Seyrine AOUANI, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Maître Sonia MEZI
C O N T R E
DEFENDEURS
CPAM DES BOUCHES DU RHONE
dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
CAISSE COMMUNE DE SECURITE SOCIALE DES HAUTES ALPES, venant aux droits et obligations de la CPAM des Hautes Alpes et de la CPAM des Bouches du Rhône – PARTIE INTERVENANTE
dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentées par Maître Gilles MARTHA de la SCP BBLM, avocat au barreau de MARSEILLE
Fondation HÔPITAL [7]
dont le siège social est sis [Adresse 6], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Charlotte SIGNOURET de la SELARL ENSEN AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [T] [P]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
représenté par Maître Basile PERRON, avocat au barreau de MARSEILLE
Faits et procédure :
Madame [E], qui présentait des problèmes de lombalgies chroniques aggravées de gonalgies, a été prise en charge par le docteur [P] en mars 2011 pour une chirurgie bi-compartimentale fémur-tibia puis le 5 mars 2012 pour une reprise de la prothèse du genou gauche avec pose d’une prothèse rotulienne.
Ces interventions ont eu lieu au sein de l’Hôpital [7].
Par la suite madame [E] a présenté des écoulements séro-hématiques par la cicatrice opératoire ayant nécessité une nouvelle hospitalisation du 21 mars au 4 avril 2012, à l’Hôpital [10], pour lavage afin de traiter une arthrite septique du genou gauche et mettre en place une tri antibiothérapie.
Madame [E] indique avoir été de nouveau hospitalisée du 5 au 18 octobre 2012 à la Fondation Hôpital [7] pour ablation de la prothèse et mise en place d’un SPACER. Lors d’une nouvelle hospitalisation du 3 au 11 janvier 2013, madame [E] a été réopérée pour la pose d’une prothèse tri-compartimentale du genou gauche avec reconstruction osseuse tibiale et fémorale avec une quille extensive.
À la demande de madame [E] le juge des référés de ce siège a, par ordonnance du 24 janvier 2018, désigné un collège d’experts. Le rapport d’expertise définitif a été déposé le 1er mars 2019.
Les experts ont conclu à l’existence d’une infection nosocomiale liée à l’intervention du 5 mars 2012, à une prise en charge non conforme du docteur [P] et ont évalué le préjudice de la façon suivante :
Consolidation : 19 avril 2013DFT : périodes du 21 mars au 4 avril 2012, du 5 octobre au 18 octobre 2012 et du 3 au 11 janvier 2013 (35 jours)DFTP périodes du 1er mai au 1er juillet 2012 à 50% (61 jours)2 juillet au 4 octobre 2012 à 25% (94 jours)19 octobre 2012 au 2 janvier 2013 à 75% (75 jours)12 janvier au 12 mars 2013 à 50% (59 jours)13 au 30 mars 2013 à 25% (17 jours)31 mars au 19 avril 2013 à 10% (19 jours)PGPA : L’arrêt de travail imputable à l’infection court à partir du 4 octobre 2012 et jusqu’au 22 mars 2013 Licenciement pour inaptitude professionnelle en 2013. Le 22 mars 2013, elle a été mise en invalidité cat 2. Cette inaptitude professionnelle est en partie liée au sepsis.Aide humaine 1 h par jour du 1er mai au 1er juillet 2012 et du 12 janvier au 12 mars 2013, 2 h par jour du 19 octobre 2012 au 2 janvier 2013.Préjudice esthétique temporaire : 1,5/7.DFP : 5 %.Incidence professionnelle : madame [E] a été licenciée pour inaptitude professionnelle en 2013. Le 22 mars 2013, elle a été mise en invalidité cat 2 (après 3 ans d’AT). Reprise de travail en CDD du 14 avril 2014 à 2017 à l’hôpital [8] comme IDE à la stérilisation à temps complet. En AT depuis 2017 jusqu’au 31 août 2018 et en invalidité CAT 2 depuis. Liés à l’infection, on peut retenir les arrêts de travail du 1er mai 2012 au 22 mars 2013. L’arrêt de travail actuel n’est pas en rapport avec l’infection.Les souffrances endurées : 4 sur 7.Préjudice esthétique permanent : 0,5/7.Préjudice sexuel : allégué.Préjudice d’agrément : confinée à domicile.Soins médicaux après consolidation : consultations spécialisées auprès d’un chirurgien orthopédiste ou d’un médecin infectiologue.Perte de chance d’éviter une récidive, imputable au docteur [P] évaluée à 10 %.
Selon exploit du 28 novembre 2022 madame [E] a fait assigner la Fondation HÔPITAL [7] et le docteur [P] en présence de la CPAM des Bouches du Rhône.
Demandes et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières écritures en date du 3 mai 2024 madame [E] demande au tribunal d’annuler le rapport d’expertise, d’ordonner une nouvelle expertise, et de condamner les défendeurs à lui payer la somme de 50.000 € à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive.
Subsidiairement elle demande que le docteur [P] soit condamné à lui payer la somme de 15.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’impréparation, et qu’il soit condamné, solidairement avec la Fondation [7] à lui payer la somme totale de 662.575,50 €, ou encore plus subsidiairement celle de 606.575,50 € en réparation de son préjudice corporel, et celle de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes madame [E] fait valoir que les opérations d’expertise n’ont pas été menées au contradictoire des parties, en ce que les experts ont pris en considération des pièces médicales qui leur ont été communiquées par l’Hôpital [8] mais qui ne lui avaient pas été transmises. Elle ajoute que le jour de la réunion d’expertise la SHAM a communiqué un grand nombre de pièces dont ni elle ni son médecin conseil n’ont eu matériellement le temps de prendre connaissance. Madame [E] reproche encore aux experts de ne pas avoir sollicité les explications des parties avant de procéder à l’évaluation des préjudices, malgré deux dires adressés en ce sens. Elle souligne également le fait que le rapport serait lacunaire dès lors qu’aucune pièce n’a été versée concernant la décision ayant conduit aux actes opératoires puis relative au suivi post-opératoire réalisés par le docteur [P], ni aucun élément permettant de démonter la délivrance d’une information relative au risque infectieux, qu’il ne cite aucun élément de littérature médicale, qu’il ne répond pas à certains chefs de mission (notamment sur la PGPA, la PGPF et l’incidence professionnelle), et qu’il n’aurait été répondu que partiellement aux dires notamment sur les causes d’une rupture des tendons.
À l’appui de sa demande de nouvelle expertise madame [E] se prévaut notamment d’un dire de son médecin-conseil le docteur [B] selon lequel certaines complications n’ont pas été retenues.
La Fondation HÔPITAL [7] a conclu le 2 juillet 2024 à l’irrecevabilité de la demande de provision comme relevant de la compétence exclusive du juge de la mise en état, au rejet de la demande d’annulation du rapport d’expertise et de nouvelle expertise, à la limitation de sa responsabilité à hauteur de 90 % des dommages réparables, le docteur [P] étant condamné à réparer les 10 % restants, et à la réduction des sommes qui pourraient être allouées à madame [E]. Elle demande encore la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle expose qu’il résulte des pièces produites lors de l’instance en référé que madame [E] était en possession de son dossier médical, et qu’elle a pu prendre connaissance, lors des opérations d’expertise, du dossier médical qu’elle a elle-même produit, ces éléments ayant fait l’objet de discussion lors de la production de dires. Elle ajoute que le médecin-conseil de madame [E] n’a pas à cette occasion soulevé de contestation sur le fait qu’il n’aurait pas eu connaissance de certains éléments médicaux retenus par les experts. Elle ajoute que si les experts ont bien constaté et mentionné dans leur rapport l’absence de traçabilité de certains éléments de suivi de ces praticiens, madame [E] ne précise pas quelle autre conclusion les experts auraient dû en tirer, et qu’elle ne précise pas les références bibliographiques qu’elle entendait voire produire. Sur le caractère complet des réponses aux missions elle fait observer que les experts n’ont mentionné que les postes de préjudices qu’ils ont estimés imputables à l’infection.
La Fondation HÔPITAL [7] ajoute qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une nouvelle expertise en l’absence d’élément médical nouveau, les critiques soulevées par son médecin-conseil ayant déjà fait l’objet d’une réponse de la part des experts.
Sur la limitation de sa responsabilité, la Fondation HÔPITAL [7] indique que les experts ont retenu un défaut de prise en charge par le docteur [P] qui a laissé sa patiente sortir trop précocement, entraînant une perte de chance de prévenir la récidive de l’infection estimée à 10 %.
Le docteur [P] a conclu le 7 février 2024 au rejet de la demande d’annulation du rapport d’expertise et de nouvelle expertise, au rejet des demandes formées à son encontre, subsidiairement à la limitation de sa responsabilité à hauteur de 10 % des dommages subi, à la réduction des sommes pouvant être allouées à madame [E], et à la condamnation de madame [E] à lui payer la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il expose que madame [E] n’a pas sollicité la communication du dossier médical la concernant avant les opérations d’expertise, que le principe du contradictoire a été respecté puisqu’elle a eu connaissance de ces pièces le jour de la réunion d’expertise et qu’elle a pu faire valoir ses observations au moyen de dires adressés aux experts, ajoutant qu’elle n’a pas non plus saisi le juge charge du contrôle des expertises d’une difficulté à ce sujet. Sur le caractère lacunaire du rapport, il indique que les experts n’ont retenu que les chefs de préjudices qu’ils estimaient imputables à l’infection. Sur l’instauration d’une nouvelle expertise, il explique que les experts ont déjà répondu aux observations formulées par madame [E], et qu’aucun élément d’ordre médical n’est produit.
Sur sa mise hors de cause, le docteur [P] rappelle que madame [E] a été victime d’une infection nosocomiale non fautive au sein de l’Hôpital [7]. Sur l’absence de précaution qui lui est reprochée, il soutient qu’il était risqué d’envisager d’emblée, en présence d’un écoulement de la plaie, une chirurgie de reprise, qu’il n’est pas démontré que l’administration d’une antibiothérapie parentérale se serait avérée davantage contributive, comme ayant nécessairement permis d’éviter la récidive de l’infection et que le pourcentage de 10% retenu par les experts ne résulte d’aucune démonstration. Sur la délivrance de l’information préalable, le docteur [P] soutient qu’elle a été délivrée verbalement, que madame [E] avait elle-même les compétences médicales lui permettant d’appréhender le risque infectieux, étant infirmière de profession, et qu’ayant subi par le passé plusieurs interventions l’information lui avait nécessairement été délivée.
La CCSS des Hautes Alpes, intervenante volontaire aux lieu et place de la CPAM des Bouches du Rhône, a conclu le 3 mai 2024 à la condamnation du docteur [P] et de la Fondation HÔPITAL [7] à lui payer la somme de 58.137,25 € au titre de ses débours, outre 1.162 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion de l’article L376-1 du code de la sécurité sociale et 1.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2024.
Sur la demande d’annulation du rapport d’expertise :
L’article 275 du code de procédure civile dispose que « les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime utile à l’accomplissement de sa mission.
En cas de carence des parties, l’expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l’état.
La juridiction de jugement peut tirer toutes conséquences de droit du défaut de communication des documents à l’expert ».
Madame [E] reproche en l’espère aux experts d’avoir tenu compte de documents communiqués tardivement par la Fondation HÔPITAL [7]. Les experts notent d’ailleurs en page 5 de leur rapport que ces pièces ont été reçues le 13 septembre 2018 mais n’ont pas été transmises aux autres parties.
La réunion d’expertise elle-même s’est tenue le 25 septembre 2018 et madame [E], qui était assistée d’un médecin-conseil en la personne du docteur [B], a eu connaissance des pièces de la Fondation HÔPITAL [7] le même jour.
Il convient de relever par ailleurs que madame [E] elle-même a produit un certain nombre de pièces figurant en annexes 1 et 2 du rapport d’expertise le jour même de la réunion d’expertise.
Par la suite un pré-rapport a été adressé aux parties le 17 octobre 2018, le docteur [B] a adressé des dires aux experts le 7 décembre 2018 et un rapport définitif contenant réponse aux dires a été rendu le 1er mars 2019.
Il résulte de ces constatations que même si les pièces de la Fondation HÔPITAL [7] ont été communiquées aux parties de façon tardive, il n’en n’est résulté aucun grief dès lors que celles-ci ont pu en discuter tant lors de la réunion d’expertise que dans la période subséquente, le docteur [B], médecin-conseil de madame [E], ayant d’ailleurs pu utilement formuler ses observations à ce sujet au moyen d’un dire de six pages auquel il a été répondu en page 23 du rapport définitif des experts.
Le rapport d’expertise n’encourt donc pas la nullité de ce chef.
Par ailleurs l’éventuel défaut de réponse à certains chefs de mission, s’il était établi, ne serait pas de nature à entraîner la nullité du rapport d’expertise.
La demande d’annulation du rapport sera donc rejetée.
Sur la demande de nouvelle expertise :
Il convient de constater en premier lieu que les experts, après avoir discuté les causes du dommage, ont retenu comme imputables à l’infection nosocomiale, qu’ils ont identifié l’arrêt des activités professionnelles et une répercussion sur l’activité professionnelle tels que décrits en pages 20 et 21 de leur rapport.
Les critiques adressées au rapport sur son caractère lacunaire quant à l’évaluation de la perte de gains professionnels actuels et futurs ne sont donc pas fondées, étant rappelé qu’il n’appartenait pas aux experts de se livrer au calcul de l’indemnisation.
Les experts ont également discuté (pages 15 et suivantes) du caractère approprié de la prise en charge réalisée par le docteur [P], en particulier du caractère justifié selon eux du remplacement secondaire de la rotule, du caractère nosocomial de l’infection apparue dans les suites de l’intervention du 5 mars 2012, de son incidence sur le syndrome dépressif qui selon eux ne peut pas être mis en lien avec l’épisode infectieux dès lors qu’il faisait l’objet d’une prise en charge depuis 2010 et antérieurement à l’infection par ansiolytiques (Lexomil) et somnifères (Havlane), et de l’absence de délivrance d’une information spécifique liée au risque de contracter une infection nosocomiale.
Ils ont réitéré, dans leur réponse au dire du docteur [B], l’absence de lien entre le syndrome dépressif et l’épisode infectieux, et ajouté qu’il n’existe pas de lien entre la tendinopahtie des épaules et l’usage de béquilles et le fait qu’il n’existe pas de récidive infectieuse dès lors que la ponction réalisée en octobre 2017 est revenue stérile alors que le staphylocoque doré est un germe à croissance rapide et facile.
Ils ont donc répondu aux chefs de la mission qui leur a été confiée et aux dires qui leur ont été adressés.
Par ailleurs l’absence de mention expresse des références de bibliographie médicale n’est pas de nature à ôter tout caractère probant au rapport des experts en l’absence d’obligation en ce sens résultant de l’ordonnance de référé qui les a désignés ou des articles 274 et suivants du code de procédure civile et en présence d’une motivation sérieuse dans le rapport lui-même. Dans ces circonstances il n’y a pas lieu d’ordonner un nouvelle mesure d’expertise.
Sur les demandes à l’encontre du docteur [P] relatives au préjudice d’impréparation :
L’article L1111-2 du code de la santé publique dispose que “Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu’elle relève de soins palliatifs au sens de l’article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l’une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.
Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel.
En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.”
Les expert ont indiqué (page 17 du rapport) que l’information sur le risque infectieux n’est pas stipulée dans le consentement éclairé et ne semble pas avoir été abordée en consultation pré-opératoire.
Le seul fait que madame [E] exerçait l’activité professionnelle d’infirmière de bloc opératoire ne saurait constituer une cause d’exonération, pour le chirurgien, de son obligation légale d’information, en absence d’urgence ou d’impossibilité prouvée d’informer.
Le docteur [P] pour sa part ne démontre pas avoir délivré une information spécifique portant sur le risque pour sa patiente de contracter une infection à staphylocoque doré et les conséquences prévisibles de celle-ci.
Ce défaut d’information a causé à madame [E] un préjudice moral d’impréparation aux conséquences de l’infection qui, compte tenu de leur importance, sera justement réparé à hauteur de 5.000 €.
Sur l’obligation d’indemnisation du dommage corporel :
En application de l’article L 1142-1 I al 2 du code de la santé publique, les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère.
Par ailleurs en application de l’article L 1142-1 I du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
La faute médicale se rattache à un manquement du médecin à son obligation de délivrer à son patient des soins consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science au moment où il dispense les soins.
La faute du médecin ne peut être déduite de la seule survenance d’un dommage.
En l’espèce les experts ont conclu au fait que madame [E] a contracté une infection nosocomiale liée au geste chirurgical du 5 mars 2012, dont la prise en charge a été conforme dans un premier temps avec lavage et antibiothérapie adaptée lors de l’hospitalisation du 21 mars au 4 avril 2012.
Toutefois ils indiquent encore que le retour à domicile a été trop précoce alors que des signes de non contrôle du sepsis étaient encore présents, notamment une bactériologie positive, entraînant une perte de chance évaluée à 10 %, imputable au docteur [P], d’éviter la récidive observée le 4 octobre 2012 conduisant à une ponction du genou le 5 octobre, au retrait de la prothèse et à la mise en place d’un spacer le 9 octobre et à la remise en place d’une prothèse le 4 janvier 2013, ainsi qu’à la reprise d’un traitement antibiotique pendant six mois du 6 octobre 2012 au 19 avril 2013.
En conséquence la Fondation HÔPITAL [7] et le docteur [P] devront être condamnés in solidum à indemniser le dommage subi par madame [E]. Dans leurs rapports entre eux, la Fondation HÔPITAL [7] sera tenue à hauteur de 90 % des sommes dues et le docteur [P] à hauteur de 10 %.
Sur le montant de l’indemnisation :
Madame [E] se prévaut de deux certificats médicaux du docteur [G], médecin généraliste, et du docteur [W], psychiatre, pour imputer son état anxio-dépressif actuel à l’infection nosocomiale dont elle a été victime.
Néanmoins il résulte des réponses des experts au dire du docteur [B] que le 28 mars 2010 le docteur [Y] a noté que madame [E] consultait déjà un psychiatre et s’était vu prescrire la prise de CYMBALTA, médicament indiqué dans le traitement de troubles dépressifs majeurs. Ils notent encore que le certificat du docteur [W] ne remet pas en question les constatations du docteur [Y]. En page 16 du rapport ils font également état de la prise, outre de CYMBALTA, de médicaments anxiolytiques (Lexomil) et de somnifères (Havlane).
Ils en concluent que le syndrome dépressif actuel, qui existait avant l’infection, est la conséquence d’une perte d’autonomie d’origine multifactorielle, et que ce syndrome semble s’être majoré alors que l’infection était guérie, en excluant tout lien direct entre la complication infectieuse et le syndrome dépressif.
Sur la tendonipathie il expliquent qu’il n’existe pas de littérature en faveur d’une relation entre béquillage et lésion de la coiffe des rotateurs. Il ne peut à cette occasion leur être reproché de ne pas citer leurs sources, puisque celles-ci sont par définition inexistantes. Ils ajoutent en outre que la reconnaissance d’une maladie professionnelle pour lésion de la coiffe des rotateurs nécessite une posture en abduction, et que lors du béquillage il n’existe pas d’abduction des épaules.
Compte tenu de ces éléments, des conclusions et des pièces produites, le préjudice corporel de madame [E], âgée de 52 ans au moment de sa consolidation, doit être évalué ainsi qu’il suit :
I) Les Préjudices Patrimoniaux :
I-A) Les Préjudices Patrimoniaux Temporaires :
Les dépenses de santé :
Les frais médicaux et assimilés pris en charge par la CPAM des Bouches du Rhône, aux droits de laquelle vient la CCSS des Hautes Alpes, se sont élevés à la somme de 42.221,38 €.
La victime n’a pas justifié d’autres dépenses restées à charge.
Les frais divers :
Les frais divers sont représentés par les honoraires d’assistance à l’expertise du médecin conseil, soit 1.200 €, au vu des éléments produits.
Ces honoraires correspondent à des démarches nécessaires à l’assistance de madame [E] à l’expertise et leur coût, qui ne peut être strictement comparé à celui taxé dans le cadre d’une expertise judiciaire, n’est pas excessif eu égard aux tarifs habituellement pratiqués. Ces dépenses supportées par la victime, nées directement et exclusivement de l’accident, sont par la même indemnisables, sans que madame [E] ait à justifier de l’absence de possibilité de prise en charge par un assureur. Ces frais exposés par la victime pour se faire assister d’un médecin lors des opérations d’expertise sont nécessaires à la préservation de ses droits. En effet, le débat présentant un caractère scientifique il paraît légitime qu’elle s’entoure d’un conseil technique au même titre que la compagnie d’assurances et ce dans le respect du principe du contradictoire. La réparation du préjudice subi par la victime doit être intégrale et la dépense correspondant aux honoraires du médecin conseil de la victime, non prise en charge par l’organisme social, qui a été supportée par la victime, est née directement et exclusivement de l’accident : elle est par là même indemnisable par l’assureur du conducteur ou du gardien du véhicule impliqué.
La tierce personne temporaire :
Ces dépenses sont liées à l’assistance temporaire d’une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne.
Les experts ont retenu la nécessité d’une aide humaine temporaire à raison de 1 h par jour du 1er mai au 1er juillet 2012 et du 12 janvier 2012 au 12 mars 2013, 2 h par jour du 19 octobre 2012 au 2 janvier 2013.
Le tribunal relève à ce sujet que le rapport est affecté manifestement d’une erreur matérielle en ce qu’il indique « du 1er mai au 1er juillet 2012 et du 12 janvier 2012 au 12 mars 2013 », ce qui conduirait à indemniser deux fois la même période. La date du 12 janvier à retenir est donc celle du 12 janvier 2013 qui correspond à la date de la récidive de l’épisode infectieux.
Le versement de l’indemnité octroyée au titre de la tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justifications de dépenses effectives. Son montant ne peut être réduit en cas d’assistance bénévole par un membre de la famille.
Compte tenu du coût moyen de l’emploi d’une personne non qualifiée à domicile, en dehors du recours à une association prestataire, le coût horaire de 20 € sera retenu. Le préjudice de madame [E] s’élève ainsi à la somme suivante :
(120 heures x 20 €) + (75 jours x 2 heures x 20 €) = 5.400 €.
Les pertes de gains professionnels actuels :
Il résulte de l’examen des pièces produites qu’il est établi que madame [E] a subi du fait de l’accident un arrêt de travail imputable à l’infection nosocomiale du 4 octobre 2012 au 22 mars 2013, date à laquelle elle a été licenciée pour inaptitude et placée en invalidité catégorie 2.
Au moment de l’accident, madame [E] exerçait la profession d’infirmière et percevait un salaire moyen net de 1876 €.
Sa perte de salaire pendant la période d’arrêt temporaire des activités professionnelles s’élève donc à 1876 x 6 mois = 11.256 €.
Il convient de déduire de cette somme le montant des indemnités journalières versées par la CPAM des Bouches du Rhône, à hauteur de 14.047,34 €, si bien qu’il ne subsiste pas de solde disponible en faveur de la victime.
À compter du 22 mars 2013 et jusqu’au jour de la consolidation le 19 avril 2013, madame [E] a perçu une pension d’invalidité d’un montant de 422,79 € selon le décompte produit par la CCSS des Hautes Alpes.
I-B) Les Préjudices Patrimoniaux Permanents :
L’assistance tierce personne permanente :
Les experts n’ont pas retenu l’existence d’un tel besoin, compte tenu notamment du taux du déficit fonctionnel permanent retenu de 5 % imputable aux séquelles de l’infection, alors que l’assistance d’une tierce personne apparaissait justifié pendant les périodes de déficit fonctionnel à 75 % et 50 %.
Il a été vu ci-dessus que ni l’état anxio-dépressif, ni la tendinopathie n’étaient imputable à cette infection. En conséquence il ne saurait être fait droit à ce chef de demande.
Les pertes de gains professionnels futurs :
Les pertes de gains professionnels futurs indemnisent la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage.
À la date de la consolidation le 19 avril 2013, madame [E] était placée en invalidité catégorie 2. Elle a repris le travail à temps plein du 14 avril 2014 jusqu’en 2017, puis a été en accident du travail jusqu’au 31 août 2018 et est à nouveau en invalidité catégorie 2 depuis cette date. L’avis d’inaptitude du 9 octobre 2018 mentionne « ne doit pas occuper un poste avec de la station debout prolongée, ni comprenant des opérations de manutention lourde ou de manutention répétitive »
Les experts précisent toutefois que l’arrêt de travail actuel n’est pas en rapport avec l’infection. Selon leurs conclusions, les dommages liés à l’infection consistent en :
un préjudice temporaire lié aux interventions (lavage du 22 mars 2012, ponction du 5 octobre 2012, AMOS du 9 octobre 2012 et nouvelle PTG du 4 janvier 2013) et mise en place d’un Picc-line le 10 octobre 2012,un préjudice permanent lié au fait qu’il s’agit d’une prothèse de reprise.
Sur le descellement de la prothèse, ils indiquent qu’il existe des arguments pour suspecter un descellement d’origine mécanique mais pas pour suspecter un descellement d’origine septique. Ils expliquent à ce sujet qu’on peut estimer que l’état clinique actuel est en rapport en partie avec l’évolution prévisible de la pathologie initiale, mais également au fait que madame [E] a dû bénéficier d’une reprise chirurgicale de prothèse du genou avec une prothèse de reconstruction précocement, dont le bilan actuel serait en faveur d’un descellement mécanique de sa prothèse.
Il n’est pas produit d’élément médical en sens contraire démontrant que le descellement de la prothèse serait lié à l’infection nosocomiale, ni que les contre-indications mentionnées dans l’avis d’inaptitude au travail seraient liés à cette infection.
Madame [E] devra donc être déboutée de ce chef de demande.
L’incidence professionnelle :
Ce poste a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, telles que la dévalorisation sur le marché du travail, la perte de chance professionnelle, l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé ou le préjudice consécutif à l’abandon de la profession exercée avant l’accident au profit d’une autre choisie en fonction du handicap.
Madame [E] sollicite l’indemnisation de l’incidence professionnelle en soutenant que l’inaptitude au travail dont elle fait l’objet ont mis un terme prématuré à sa carrière dix ans avant l’âge prévu de départ à la retraite.
Pour les motifs ci-dessus expliqués, ce chef de demande sera également rejeté.
II) Les Préjudices Extra Patrimoniaux :
II-A) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Temporaires :
Le déficit fonctionnel temporaire :
Ce poste de préjudice cherche à indemniser l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu’à sa consolidation et correspond à une perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante incluant le préjudice d’agrément temporaire pendant cette période.
Compte tenu de la nature des lésions subies par madame [E] et de la gêne qu’elles ont entraînée sur sa vie quotidienne, il y a lieu d’indemniser ce poste de préjudice sur la base de 30 euros par jour.
– déficit fonctionnel temporaire total : 35 jours x 30 € = 1.050 €
– déficit fonctionnel temporaire partiel à 75 % : 75 jours x 30 € x 75 % = 1.687,50 €
– déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % : 120 jours x 30 € x 50 % = 1.800 €
– déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % : 111 jours x 30 € x 25 % = 832,50 €
– déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % : 19 jours x 30 € x 10 % = 57 €
Total : 5.427 €, ramené à 5.280 € conformément à la demande.
Les souffrances endurées :
Les souffrances endurées fixées par l’expert à 4/7 seront indemnisées par le versement de la somme de 20.000 €.
Le préjudice esthétique temporaire :
Ce poste vise à réparer le préjudice né de l’obligation pour la victime de se présenter temporairement au regard des tiers dans une apparence physique altérée en raison de ses blessures.
Fixé par l’expert à 1,5/7 jusqu’à la date de consolidation, ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 1.500 €.
II-B) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Permanents :
Le déficit fonctionnel permanent :
Ce poste de préjudice cherche à indemniser le préjudice extra-patrimonial découlant de l’incapacité médicalement constatée et à réparer ses incidences touchant exclusivement la sphère personnelle de la victime, soit non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de celle-ci mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d’existence après consolidation.
Compte tenu des séquelles conservées par la victime, il a été estimé par les experts à 5 % en ne prenant en compte que les séquelles imputables à l’épisode infectieux et à sa récidive telles que décrites plus haut.
Il y a donc lieu de l’indemniser par l’allocation de la somme de 7.000 €.
Le préjudice esthétique :
Estimé à 0,5/7 par les experts, ce poste de préjudice sera fixé à la somme de 1.000 €.
Le préjudice sexuel :
Il convient de distinguer trois types de préjudices de nature sexuelle :
le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi ;le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;le préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.).
Madame [E] fait état d’une perte de la libido, retenue par les experts. Il conviendra de lui allouer une somme de 5.000 € à ce titre.
Le préjudice d’agrément :
Ce poste de préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité ou à la difficulté pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs et doit être évalué in concreto.
Au vu des documents produits, le préjudice d’agrément est justifié par la nature et la localisation des séquelles entravant la pratique de toute activité sportive ou de loisir. Il sera évalué à la somme de 10.000 €.
En l’absence de document justifiant d’une activité sportive ou de loisir antérieurement pratiquée, madame [E] ne démontre pas subir un préjudice d’agrément spécifique, distinct du préjudice réparé au titre du déficit fonctionnel permanent .
RÉCAPITULATIF
– frais divers : 1.200 €
– tierce personne temporaire : 5.400 €
– pertes de gains professionnels actuels : débouté
– tierce personne permanente : débouté
– pertes de gains professionnels futures : débouté
– incidence professionnelle : débouté
– déficit fonctionnel temporaire : 5.280 €
– souffrances endurées : 20.000 €
– préjudice esthétique temporaire : 1.500 €
– déficit fonctionnel permanent : 7.000 €
– préjudice esthétique permanent : 1.000 €
– préjudice sexuel : 5.000 €
préjudice d’agrément : 10.000 €
TOTAL : 56.380 €
En application de l’article 1231-6 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur la demande de la CCSS des Hautes Alpes :
Il convient de faire droit à la demande présentée par la CCSS des Hautes Alpes, venant aux droits de la CPAM des Bouches du Rhône, en remboursement de ses débours dans la limite du montant des postes de préjudices retenus par le Tribunal. Il lui sera ainsi alloué les sommes suivantes :
– au titre des frais médicaux : 42.221,38 €
– au titre des indemnités journalières : 14.047,34 €
– au titre de la rente accident du travail : 422,79 €
Soit au titre des prestations versées : 56.691,51 €.
Sur les demandes accessoires :
Il sera fait droit à la demande portant sur l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale à hauteur de 1.162 €.
Il est par ailleurs équitable de condamner in solidum le docteur [P] et la Fondation HÔPITAL [7] au paiement de la somme de 5.000 € au profit de madame [E] et celle de 1.000 € au profit de la CCSS des Hautes Alpes en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le docteur [P] et la Fondation HÔPITAL [7], qui succombent à l’instance, en supporteront in solidum les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Seyrine AOUANI conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Il n’est justifié d’aucune circonstance pouvant justifier que soit écartée l’exécution provisoire attachée de plein droit au présent jugement et la demande en ce sens sera écartée.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort
Déboute madame [M] [J] épouse [E] de sa demande d’annulation du rapport d’expertise ;
Déboute madame [M] [J] épouse [E] de sa demande de nouvelle expertise ;
Condamne le docteur [T] [P] à payer à madame [M] [J] épouse [E] la somme de 5.000 € en réparation du préjudice moral d’impréparation ;
Condamne in solidum le docteur [T] [P] et la Fondation HÔPITAL [7] à payer :
à madame [M] [J] épouse [E] la somme de 56.380 € en réparation de son préjudice corporel, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;à la CCSS des Hautes Alpes la somme de 56.691,51 € au titre de ses débours, outre celle de 1.162 € au titre de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Dit que dans leurs rapports entre eux, le docteur [T] [P] sera tenu à hauteur de 10 % de ces sommes et la Fondation HÔPITAL [7] à hauteur de 90 % ;
Condamne in solidum le docteur [T] [P] et la Fondation HÔPITAL [7] à payer la somme de 5.000 € au profit de madame [M] [J] épouse [E] et celle de 1.000 € au profit de la CCSS des Hautes Alpes en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum le docteur [T] [P] et la Fondation HÔPITAL [7] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Seyrine AOUANI ;
Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire du présent jugement.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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