Responsabilité du liquidateur face à la gestion d’un bail commercial en liquidation judiciaire

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Responsabilité du liquidateur face à la gestion d’un bail commercial en liquidation judiciaire

L’Essentiel : Le litige oppose la Société [5] à la SELARL [7] suite à la liquidation judiciaire de la Société [10]. Après la cession du fonds de commerce, la Société [5] a demandé la résiliation du bail pour défaut de paiement, mais cette demande a été rejetée. En septembre 2020, elle a engagé une action en responsabilité civile contre la SELARL [7], lui reprochant de ne pas avoir résilié le bail, entraînant un préjudice financier. Le tribunal a conclu que la Société [5] n’avait pas prouvé la faute de la SELARL [7], déboutant ainsi ses demandes et condamnant la Société [5] aux dépens.

Contexte du litige

Par acte sous-seing privé du 8 février 2011, la Société [5] a donné à bail des locaux à la Société [9] pour l’exploitation d’un restaurant, avec un loyer annuel de 45.000 euros. Le 1er mars 2016, la Société [9] a cédé son droit de bail à la Société [10], qui a ensuite ouvert une boulangerie-pâtisserie.

Procédures judiciaires

Le 21 juin 2017, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [10], désignant la SELARL [M] LANGET comme administrateur judiciaire. Le 6 décembre 2017, la liquidation judiciaire de la société [10] a été prononcée, et la SELARL [7] a été nommée liquidateur judiciaire.

Vente du fonds de commerce

Le 31 janvier 2018, le juge commissaire a fixé les modalités de vente du fonds de commerce de la société [10]. Le 4 avril 2018, la cession a été ordonnée à la société [6] pour un prix de 59.427 euros, mais cette cession n’a pas été finalisée dans le délai imparti. Le 26 février 2019, le juge a rapporté l’ordonnance de cession à la société [6] et a ordonné la cession à Messieurs [Y] et [R] pour 60.236 euros.

Appels et résiliation du bail

La Société [5] a interjeté appel de l’ordonnance de cession, qui a été confirmée par la cour d’appel de Paris le 17 septembre 2019. Le 3 octobre 2019, la Société [5] a demandé la résiliation judiciaire du contrat de bail en raison du défaut de paiement des loyers. Le juge commissaire a rejeté cette demande le 7 janvier 2020, soulignant que la cession du fonds était en cours de régularisation.

Action en responsabilité civile

Le 27 septembre 2020, la Société [5] a saisi le tribunal judiciaire de Versailles d’une action en responsabilité civile professionnelle contre la SELARL [7], lui reprochant de ne pas avoir résilié le bail et d’avoir causé un préjudice financier de 111.764 euros. La SELARL [7] a contesté toute faute, arguant que la cession tardive était due à des éléments indépendants de sa volonté.

Arguments des parties

La Société [5] a fondé sa demande sur les articles 1240 du Code civil et L641-11-1 du Code de commerce, tandis que la SELARL [7] a soutenu qu’elle n’avait pas de responsabilité avant sa nomination en tant que liquidateur et que les retards étaient dus à des problèmes administratifs et à la carence du notaire.

Décision du tribunal

Le tribunal a conclu que la Société [5] ne prouvait pas que la SELARL [7] avait commis une faute dans sa mission de liquidateur. Par conséquent, la SCPI [5] a été déboutée de ses demandes, et la SELARL [7] a été condamnée à recevoir 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Les dépens ont également été mis à la charge de la SCPI [5].

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de la SELARL [7] dans la gestion du bail commercial durant la liquidation judiciaire de la société [10] ?

La responsabilité de la SELARL [7] est examinée à la lumière des articles 1240 du Code civil et L641-11-1 du Code de commerce.

L’article 1240 du Code civil stipule :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer. »

Cet article établit le principe de la responsabilité civile délictuelle, qui implique qu’une personne peut être tenue responsable des dommages causés à autrui par sa faute.

En ce qui concerne l’article L641-11-1 du Code de commerce, il précise :

« I- Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire.

Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. »

Cet article impose au liquidateur de continuer à exécuter les contrats en cours, sauf dans certaines conditions.

Il est important de noter que la SELARL [7] a agi en tant que liquidateur depuis le 6 décembre 2017, et avant cela, elle avait la qualité de mandataire judiciaire.

La SELARL [7] a fait preuve de diligence en sollicitant la vente du fonds de commerce et en s’assurant que les actes nécessaires étaient en cours de rédaction.

Ainsi, la SCPI [5] ne parvient pas à prouver que la SELARL [7] a commis une faute dans sa gestion du bail, ce qui entraîne le rejet de ses demandes.

Quelles sont les conséquences de la résiliation du bail commercial dans le cadre d’une liquidation judiciaire ?

Les conséquences de la résiliation du bail commercial dans le cadre d’une liquidation judiciaire sont régies par l’article L641-12 du Code de commerce, qui dispose :

« Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :

1° Au jour où le bailleur est informé de la décision du liquidateur de ne pas continuer le bail ;

2° Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire. »

Cet article précise que la résiliation du bail ne peut être prononcée que dans certaines conditions, notamment lorsque le bailleur a informé le liquidateur de sa décision de ne pas poursuivre le bail.

Dans le cas présent, la SCPI [5] a demandé la résiliation judiciaire du bail en raison du défaut de paiement des loyers. Cependant, le juge commissaire a rejeté cette demande, considérant que la cession du fonds était en cours de régularisation et que le bail était un élément essentiel du fonds cédé.

Ainsi, la résiliation du bail n’a pas été constatée, et la SELARL [7] n’a pas commis de faute en ne procédant pas à cette résiliation, ce qui a des conséquences sur la responsabilité du liquidateur.

Comment la SELARL [7] a-t-elle justifié son action en tant que liquidateur judiciaire ?

La SELARL [7] a justifié son action en tant que liquidateur judiciaire en démontrant qu’elle a agi dans l’intérêt des créanciers et en respectant les obligations qui lui incombent selon le Code de commerce.

L’article L641-11-1, notamment son II, stipule que :

« Le liquidateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. »

Cela signifie que le liquidateur doit s’assurer que les contrats en cours sont exécutés, mais il doit également évaluer la viabilité de cette exécution.

Dans le cas présent, la SELARL [7] a sollicité l’autorisation du juge commissaire pour vendre le fonds de commerce et a pris des mesures pour que l’acte de cession soit rédigé.

Elle a également fait preuve de diligence en adressant plusieurs courriers à l’office notarial pour accélérer le processus de cession.

La SELARL [7] a également agi pour éviter la perte du fonds de commerce en demandant un report des effets du commandement de payer délivré par la SCPI [5].

Ces actions montrent que la SELARL [7] a respecté ses obligations en tant que liquidateur et a agi dans l’intérêt des créanciers, ce qui exclut toute faute de sa part.

Quelles sont les implications de la décision du tribunal concernant les demandes de la SCPI [5] ?

La décision du tribunal a des implications significatives pour la SCPI [5], qui a été déboutée de ses demandes.

Le tribunal a statué que la SCPI [5] ne prouvait pas que la SELARL [7] avait commis une faute dans l’exercice de sa mission de liquidateur.

Cela signifie que la SCPI [5] ne pourra pas obtenir réparation pour le préjudice qu’elle prétend avoir subi, évalué à 111.764 euros, en raison de la non-résiliation du bail.

De plus, le tribunal a condamné la SCPI [5] à payer à la SELARL [7] une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, qui prévoit la possibilité de condamner une partie à payer des frais d’avocat à l’autre partie.

Enfin, la SCPI [5] a également été condamnée aux dépens, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile, qui stipule que la partie perdante doit supporter les frais de la procédure.

Ces décisions renforcent la position de la SELARL [7] et soulignent l’importance de la diligence dans la gestion des procédures de liquidation judiciaire.

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Première Chambre
JUGEMENT
21 NOVEMBRE 2024

N° RG 21/05456 – N° Portalis DB22-W-B7F-QGUQ
Code NAC : 63B

DEMANDERESSE :

[5], Société civile de placement immobilier à capital variable immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro [N° SIREN/SIRET 4], représenté par son gérant statutaire, la société [8], S.A.S. immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3], dont le siège social est situé [Adresse 1] agissant poursuite et diligences en la personne de son représentant légal, son Président, domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats postulant et Maître Bruno AMIGUES de l’ASSOCIATION AMIGUES AUBERTY JOUARY POMMIER, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

DEFENDERESSE :

SELARL [7], Société d’exercice libéral à responsabilité limitée, aynt son siège social [Adresse 2], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats postulant et Me Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

ACTE INITIAL du 27 Septembre 2021 reçu au greffe le 13 Octobre 2021.

DÉBATS : A l’audience publique tenue le 23 Septembre 2024, Madame DURIGON, Vice-Présidente, et Madame MARNAT, Juge siégeant en qualité de juges rapporteurs avec l’accord des parties en application de l’article 805 du Code de procédure civile, assistées de Madame BEAUVALLET, Greffier, ont indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 21 Novembre 2024.

MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
Madame DURIGON, Vice-Présidente
Madame DAUCE, Vice-Présidente
Madame MARNAT, Juge

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous-seing privé du 8 février 2011, la Société [5] a donné à bail à la Société [9] des locaux d’une surface de 250 m² pour y exploiter un restaurant, moyennant un loyer annuel de 45.000 euros.

Par acte de cession de bail en date du 1er mars 2016, la Société [9] a cédé son droit de bail à la Société [10] qui a exercé une activité de boulangerie-pâtisserie dans les locaux.

Par jugement du 21 juin 2017, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [10] et désigné la SELARL [M] LANGET, prise en la personne de Maître [F] [M], en qualité d’administrateur judiciaire et la SELARL [7] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 6 décembre 2017, le tribunal de commerce de Créteil a prononcé la liquidation judiciaire de la société [10] et désigné la SELARL [7], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ordonnance du 31 janvier 2018, le juge commissaire a fixé les modalités de la vente de gré à gré du fonds de commerce de la société [10] et précisé que les offres devaient être adressées au plus tard le 13 mars 2018.

Par ordonnance du 4 avril 2018, le juge commissaire a ordonné la cession du fonds de commerce exploité par la société [10] à la société [6] moyennant le prix net vendeur de 59.427 euros.

Par courrier du 3 octobre 2018, la société [6] a indiqué à la SELARL [7] que dans la mesure où les actes n’avaient toujours pas été signés dans le délai fixé par ordonnance du juge commissaire, expiré depuis le 4 juillet 2018, elle n’entendait pas donner suite à l’acquisition du fonds de commerce.

Par ordonnance du 26 février 2019, le juge commissaire a rapporté l’ordonnance rendue le 4 avril 2018 ordonnant la cession au profit de la société [6] et a ordonné la cession du fonds de commerce à Messieurs [Y] et [R], moyennant le prix net vendeur de 60.236 euros.

Le 13 mars 2019, la société [5] a interjeté appel de l’ordonnance, qui a été confirmée par arrêt en date du 17 septembre 2019 de la cour d’appel de Paris.

Par lettre du 24 septembre 2019, la SELARL [7] a transmis au notaire un certain nombre de précisions en vue de l’élaboration de l’acte de cession.

Par requête en date du 3 octobre 2019, la société [5] a demandé au juge commissaire de constater la résiliation judiciaire de plein droit du contrat de bail, en raison du défaut de paiement des loyers et charges.

Par ordonnance du 30 novembre 2019, le juge commissaire a pris acte de l’impossibilité matérielle pour le liquidateur d’assurer la délivrance de la licence d’exploitation de 4ème catégorie, dit qu’il convenait d’exclure ladite licence du périmètre de la vente et de ramener le prix de cession au profit de la société [13] à la somme de 59.136 euros.

Par ordonnance en date du 7 janvier 2020, le juge commissaire a rejeté la requête aux fins de résiliation du bail, au motif que la cession du fonds était en cours de régularisation, que les négociations entreprises entre les parties permettaient de préserver les intérêts en présence et de valoriser le gage des créanciers, que le bail constituait un élément essentiel du fonds cédé et qu’il était indispensable de le maintenir en vigueur afin de permettre la signature définitive et prochaine de l’acte de cession.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2020, la SELARL [7] a mis en demeure le notaire de lui adresser par retour un projet d’acte de cession afin de validation et de fixer sans délai une date de signature.

Le 7 février 2020, l’acte de cession a été reçu par Maître [U], notaire associé de la SCP [14], au profit de la société [13], moyennant le prix de 59.136 euros.

Reprochant à la SELARL [7] d’avoir commis une faute en ne procédant pas à la résiliation du bail, la Société [5] a, par acte d’huissier du 27 septembre 2020 saisi le tribunal judiciaire de Versailles d’une action en responsabilité civile professionnelle à son encontre.

Par dernières conclusions, signifiées par RPVA le 16 juin 2023, la Société [5] demande au tribunal de :

« Vu les articles 1240 et suivants du Code civil ;

Vu l’article L 641-11-1 du code de commerce ;

Dire et juger la société SELARL [7] mal fondée en toutes ses demandes et l’en débouter.

Condamner la société SELARL [7] à payer à la société [5] la somme de 111 764 euros.

Condamner la société SELARL [7] à payer à la société [5] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du CPC.

Condamner la société SELARL [7] aux dépens ».

Elle soutient que la SELARL [7] a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité civile professionnelle, en poursuivant de manière injustifiée le bail commercial de la Société [10] durant 27 mois sans s’assurer du paiement des loyers et sans tenir compte de ses nombreuses demandes de résiliation.
Elle fait par ailleurs valoir que cette faute lui a causé un préjudice financier de 111.764 euros, correspondant au montant de la créance de loyer, déduction faite de ce qu’elle a perçu suite à la cession du bail.

Par dernières conclusions, signifiées par RPVA le 19 juin 2023, la SELARL [7] demande au tribunal de :

« Débouter la société [5] de l’ensemble de ses demandes,

Condamner la société [5] à payer à la SELARL [7] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL [12] agissant par Maître Stéphanie TERIITEHAU, Avocat, et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC ».

Elle fait valoir qu’aucune faute ne peut lui être reprochée sur la période antérieure au jugement du 6 décembre 2017 qui l’a désignée en qualité de liquidateur, au motif qu’elle avait, durant cette période, uniquement la qualité de mandataire judiciaire.

Elle conteste avoir commis une quelconque faute susceptible d’engager sa responsabilité civile professionnelle, soutenant que la cession tardive du bail est due à des éléments indépendants de sa volonté tels que la carence du notaire chargé de rédiger l’acte de cession, les difficultés liées au transfert de la licence de 4ème catégorie, mais aussi l’obstruction et le manque de diligence du bailleur.

Elle estime par ailleurs que la faute qui lui est reprochée est sans lien direct avec le préjudice invoqué par la demanderesse.

Enfin, elle expose par ailleurs que la SCPI [5] ne peut se prévaloir que d’un préjudice de perte de chance de relouer les locaux si ceux-ci avaient été restitués plus tôt, et souligne que cette perte de chance n’est pas établie.

Le tribunal renvoie expressément aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2023.

L’affaire, appelée à l’audience du 23 septembre 2024, a été mise en délibéré au 21 novembre 2024.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la SELARL [7]

La SCPI [5] reproche à la SELARL [7] d’avoir poursuivi le bail commercial durant 27 mois sans s’assurer que les loyers seraient payés et de ne pas avoir tenu compte des demandes de résiliation formées à plusieurs reprises par le bailleur. Elle estime que le maintien de l’activité de restaurant n’était pas justifié, le restaurant étant fermé depuis juillet 2017 et les employés licenciés.
LA SELARL [7] conteste avoir commis une faute estimant avoir fait preuve de toute la diligence requise.

La SCPI [5] fonde sa demande sur les articles 1240 du code civil et L641-11-1 du code de commerce.

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.

L’article L.641-11-1 du code de commerce dispose :
«I- Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire.
Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. Le défaut d’exécution de ces engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à déclaration au passif. II. – Le liquidateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur.
Lorsque la prestation porte sur le paiement d’une somme d’argent, celui-ci doit se faire au comptant, sauf pour le liquidateur à obtenir l’acceptation, par le cocontractant du débiteur, de délais de paiement. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, le liquidateur s’assure, au moment où il demande l’exécution, qu’il disposera des fonds nécessaires à cet effet. S’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, le liquidateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant.
(…)
III. – Le contrat en cours est résilié de plein droit :
1° Après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant au liquidateur et restée plus d’un mois sans réponse. Avant l’expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir au liquidateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ;
2° A défaut de paiement dans les conditions définies au II et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles ;
3° Lorsque la prestation du débiteur porte sur le paiement d’une somme d’argent, au jour où le cocontractant est informé de la décision du liquidateur de ne pas poursuivre le contrat. (…) »

L’obligation pour le liquidateur de mettre fin au bail s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant s’applique lorsqu’il exige l’exécution du contrat en cours.

L’article L.641-12 du code de commerce dispose : « Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
1° Au jour où le bailleur est informé de la décision du liquidateur de ne pas continuer le bail ;
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d’ouverture de la procédure qui l’a précédée. Il doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire ;
3°Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l’article L. 622-14. Le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent. En ce cas, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite. Le privilège du bailleur est déterminé conformément aux trois premiers alinéas de l’article L. 622-16. »

Il résulte de ces dispositions que l’article L.641-11-1 III du code de commerce n’est pas applicable au bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise tel que cela résulte de l’article L.641-12 du code de commerce.

En l’espèce, il est constant que :

-par jugement du 21 juin 2017 du tribunal de commerce de Créteil, une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [10] a été ouverte, la SELARL [M] LANGET, prise en la personne de Maître [F] [M] a été désignée en qualité d’administrateur judiciaire et la SELARL [7], en qualité de mandataire judiciaire ayant seule qualité à agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers,

-par jugement du 6 décembre 2017, le tribunal de commerce de Créteil a notamment prononcé la liquidation judiciaire de la société [10], mis fin à la mission de l’administrateur judiciaire et nommé le mandataire judiciaire la SELARL [7] en qualité de liquidateur

-par requête du 19 décembre 2017, la SELARL [7] a sollicité du juge commissaire les modalités de la vente d’un fonds de commerce de la société [10] situé à [Localité 11] précisant que le principe d’une vente de gré à gré du fonds apparaissant le mode le plus approprié pour liquider l’actif,

-par ordonnance du 31 janvier 2018, le juge commissaire a fixé les modalités de la vente de gré à gré du fonds de commerce de la société [10], indiquant que « la proposition de la SAS [6] d’un montant net vendeur de 59.427 € est conforme aux estimations réalisées et permet de valoriser au mieux le gage des créanciers » et précisé que les offres devaient être adressées au plus tard le 13 mars 2018,

-par ordonnance du 4 avril 2018, le juge commissaire a ordonné la cession du fonds de commerce exploité par la société [10] à la société [6] moyennant le prix net vendeur de 59.427 euros,

– cette cession de commerce n’a pas eu lieu dans le délai imparti, la société [6] indiquant ne pas donner suite à l’acquisition du fonds, par courrier du 3 octobre 2018, en raison de l’absence de rédaction des actes dans le délai fixé qui a expiré,

– le 20 novembre 2018, la SCPI [5] a fait délivrer à la SELARL [7] ès qualités un commandement de payer la somme de de 79.352,79 euros, visant la clause résolutoire du bail,

-le 2 janvier 2019, la SELARL [7] a fait assigner la SCPI [5] devant le juge des référés de Créteil aux fins de voir reporter au 30 juin 2019 les effets du commandement de payer visant la clause résolutoire et à titre subsidiaire aux fins d’obtenir des délais de paiement de la dette,

– le 31 janvier 2019, Monsieur [Y] et Monsieur [R] ont signé une offre d’achat du fonds de commerce,

-le 21 février 2019, la SELARL [7] a déposé une nouvelle requête de cession de fonds d’activité de gré à gré, et par ordonnance du 26 février 2019, le juge commissaire a rapporté l’ordonnance du 4 avril 2018 ordonnant la cession au profit de la société [6] et a ordonné la cession du fonds de commerce à Messieurs [Y] et [R], moyennant le prix net vendeur de 60.236 euros ; étant précisé en outre que l’acte de cession « devra être rédigé par un Avocat choisi par le liquidateur, éventuellement en concours avec le conseil de l’acquéreur »

-le 13 mars 2019, la société [5] a interjeté appel de l’ordonnance, qui a été confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 septembre 2019,

-par requête en date du 3 octobre 2019, la société [5] a demandé au juge commissaire de constater la résiliation judiciaire de plein droit du contrat de bail, en raison du défaut de paiement des loyers et charges,

-par ordonnance du 30 novembre 2019, le juge commissaire a pris acte de l’impossibilité matérielle pour le liquidateur d’assurer la délivrance de la licence d’exploitation de 4ème catégorie, dit qu’il convenait d’exclure ladite licence du périmètre de la vente et de ramener le prix de cession au profit de la société [13] à la somme de 59.136 euros,

-par ordonnance en date du 7 janvier 2020, le juge commissaire a rejeté la requête aux fins de résiliation du bail, au motif que la cession du fonds était en cours de régularisation ; que les négociations entreprises entre les parties permettaient de préserver les intérêts en présence et de valoriser le gage des créanciers, que le bail constituait un élément essentiel du fonds cédé et qu’il était indispensable de le maintenir en vigueur afin de permettre la signature définitive et prochaine de l’acte de cession.

-par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2020, la SELARL [7] a mis en demeure le notaire de lui adresser par retour un projet d’acte de cession afin de validation et de fixer sans délai une date de signature,

-le 7 février 2020, l’acte de cession a été reçu par Maître [U], notaire associé de la SCP [14], au profit de la société [13], moyennant le prix de 59.136 euros.

La SELARL [7] a la qualité de liquidateur de la société [10] depuis le 6 décembre 2017. Avant cette date, elle avait la qualité de mandataire judiciaire ; en sa qualité de représentant des créanciers, il lui appartenait de les accompagner dans la déclaration de leur créance et leur recouvrement. La SELARL [7] n’avait pas de mission de gestion ou d’assistance.

Il résulte des éléments produits au débats tels que rappelés que la SELARL [7] n’a pas demandé la poursuite du bail exposant avoir trouvé un acquéreur du fonds de commerce. Ainsi, la SELARL [7] a, le 19 décembre 2017, sollicité du juge commissaire l’autorisation de vendre de gré à gré le fonds de commerce.
Il apparaît par ailleurs que la SELARL [7] a adressé le 11 avril 2018, soit une semaine après l’ordonnance du juge du commissaire du 4 avril 2018, un courrier à l’office notarial en joignant ladite ordonnance et en demandant la rédaction de l’acte de cession. La SELARL [7] produit par ailleurs des courriers adressés à l’office notarial les 15 mai 2018, 4 juillet 2018, 6 août 2018, 21 août 2018, 27 août 2018, 6 septembre 2018.
Il résulte de ces éléments que la SELARL [7] a fait preuve de diligences accomplies auprès du notaire désigné pour que l’acte de cession soit rédigé.

Il apparaît que la cession n’a pas pu être conclue en raison du fait que la mairie a refusé de transférer la licence IV au profit du cessionnaire, cette licence n’ayant pas été transférée au profit de la société [10] lors de l’acquisition du fonds.

Compte-tenu de ces éléments, l’absence de résiliation du bail ne peut être constitutive d’une faute imputable à la SELARL [7], étant au surplus rappelé que la chronologie des faits rappelés ne permet pas de démontrer la négligence fautive de la SELARL [7] dans l’exercice de sa mission de liquidateur.
Il doit être par ailleurs relevé que le bailleur a fait délivrer à la SELARL [7] un commandement de payer visant la clause résolutoire le 20 novembre 2018. Ce sont dans ces circonstances que la SELARL [7] a saisi, le 2 janvier 2019, le juge des référés afin de voir reporter les effets du commandement de payer et a obtenu une nouvelle offre pour la vente du fonds de commerce moyennant le prix net vendeur de 68.236 euros. Cette action en justice de la SELARL [7] ès qualités a été engagée afin d’éviter la perte du fonds de commerce.
La cession du fonds a été ordonnée le 26 février 2019.

La SCPI [5] a déposé une requête devant le juge commissaire afin de faire constater la résiliation du bail le 3 octobre 2019 alors même que la liquidation judiciaire avait été prononcée en décembre 2017, soit près de deux ans auparavant.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la SCPI [5] ne rapporte pas la preuve que la SELARL [7] a commis une faute dans sa mission de liquidateur judiciaire en ne procédant pas à la résiliation du bail.

La SCPI [5] sera déboutée de ses demandes.

Sur les autres demandes

Compte-tenu du sens du présent jugement, il convient d’écarter l’exécution provisoire.

Les circonstances d’équité tendent à justifier de condamner la SCPI [5] à payer à la SELARL [7] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCPI [5] sera condamné à payer les dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déboute la SCPI [5] de ses demandes,

Condamne la SCPI [5] à payer à la SELARL [7] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SCPI [5] à payer les dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile,

Ecarte l’exécution provisoire du présent jugement.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 NOVEMBRE 2024 par Madame DURIGON, Vice-Présidente, assistée de Madame BEAUVALLET, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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