Responsabilité de l’État pour incarcération prolongée : enjeux de prescription et de réparation

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Responsabilité de l’État pour incarcération prolongée : enjeux de prescription et de réparation

L’Essentiel : M. [C] [U] a été condamné pour des vols avec arme entre 1998 et 2001, purgant sa peine jusqu’à sa libération en décembre 2011. Le 27 décembre 2023, il a assigné l’Agent judiciaire de l’État, réclamant réparation pour une incarcération jugée excessive. L’Agent a contesté la recevabilité de la demande pour cause de prescription, tout en demandant des frais de justice. Le ministère public a soutenu la recevabilité de l’action. Le juge a précisé que la prescription avait commencé en janvier 2012 et a noté que des actions de M. [C] [U] avaient interrompu ce délai, rendant sa demande recevable.

Exposé du litige

M. [C] [U] a été condamné à plusieurs reprises pour des infractions liées à des vols avec arme, avec des peines allant de 8 à 15 années d’emprisonnement, entre 1998 et 2001. Après avoir purgé sa peine, il a été libéré le 15 décembre 2011. Le 27 décembre 2023, il a assigné l’Agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, réclamant réparation pour une durée d’incarcération qu’il considère excessive.

Demandes de l’Agent judiciaire de l’État

L’Agent judiciaire de l’État a contesté la recevabilité de la demande de M. [C] [U] en invoquant la prescription, tout en demandant également une indemnité de 900 euros pour les frais de justice. En réponse, M. [C] [U] a sollicité le rejet de cette fin de non-recevoir et a formulé une demande similaire pour les frais.

Conclusions du ministère public

Le ministère public a soutenu la recevabilité de l’action de M. [C] [U], indiquant que les circonstances entourant sa demande justifiaient une réévaluation de la situation.

Motivation du juge de la mise en état

Le juge a rappelé que, selon le code de procédure civile, il est compétent pour statuer sur les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir. Concernant la prescription, il a précisé que le point de départ de celle-ci est le 1er janvier 2012, date à laquelle M. [C] [U] a pris connaissance de la durée de son incarcération.

Interruption de la prescription

Le juge a noté que plusieurs actions entreprises par M. [C] [U] ont constitué des interruptions de la prescription, permettant ainsi de prolonger le délai pour engager une action en responsabilité. En conséquence, l’action engagée le 27 décembre 2023 n’était pas prescrite.

Décision finale

Le juge a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’État et a déclaré recevable l’action en responsabilité de M. [C] [U]. Les frais liés à l’incident suivront le sort des frais du fond, et l’affaire a été renvoyée à une audience de mise en état prévue pour le 24 mars 2025.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de la fin de non-recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’Etat ?

La fin de non-recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’Etat repose sur la prescription de l’action en responsabilité engagée par M. [C] [U].

En effet, selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel que la prescription.

L’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 précise que sont prescrites, au profit de l’Etat, les créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.

Ainsi, l’Agent judiciaire de l’Etat soutient que M. [C] [U] aurait dû agir dans ce délai, ce qui rendrait sa demande irrecevable.

Comment se calcule le délai de prescription dans cette affaire ?

Le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle s’est produit le fait générateur du dommage allégué.

Dans le cas présent, M. [C] [U] est sorti de détention le 15 décembre 2011, ce qui signifie qu’il avait connaissance de la durée totale de son incarcération à partir de cette date.

Ainsi, la prescription de son action en responsabilité a commencé à courir le 1er janvier 2012.

L’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 stipule que la prescription est interrompue par toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, ainsi que par tout recours formé devant une juridiction.

M. [C] [U] a justifié plusieurs interruptions de prescription, notamment par des procédures et réclamations qu’il a engagées, ce qui a permis de prolonger le délai de prescription.

Quelles sont les conséquences de l’interruption de la prescription sur l’action de M. [C] [U] ?

Les conséquences de l’interruption de la prescription sont significatives pour l’action de M. [C] [U].

En effet, un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l’interruption.

Dans cette affaire, M. [C] [U] a engagé plusieurs actions qui ont été considérées comme des causes d’interruption de la prescription, notamment une requête devant le tribunal administratif de Caen.

Cette requête a été enregistrée le 28 février 2017 et a donné lieu à un jugement d’incompétence passé en force de chose jugée le 28 février 2019.

Ainsi, le nouveau délai de prescription a commencé à courir à partir du 1er janvier 2020, ce qui signifie que l’action engagée par M. [C] [U] le 27 décembre 2023 n’est pas atteinte de prescription.

Quelles sont les dispositions relatives aux frais et dépens dans cette affaire ?

Les dispositions relatives aux frais et dépens sont régies par le code de procédure civile.

L’article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

De plus, l’article 700 du même code stipule que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Le juge doit tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Dans cette affaire, les frais irrépétibles et les dépens de l’incident suivront le sort de ceux du fond, ce qui signifie qu’ils seront déterminés en fonction de l’issue de l’affaire principale.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 24/00469 – N° Portalis 352J-W-B7I-C3UFG

N° MINUTE :

Assignation du :
27 Décembre 2023

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 20 Janvier 2025
DEMANDEUR AU FOND, DÉFENDEUR À L’INCIDENT

Monsieur [C] [U]
[Adresse 1]
[Localité 2]

Représenté par Me Guy LAMBOT, avocat postulant au barreau de PARIS, vestiaire #B0733 et par Me Olivier DERSOIR, avocat plaidant au barreau de RENNES, [Adresse 3]

DÉFENDEUR AU FOND, DEMANDEUR À L’INCIDENT

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 4],
[Localité 5]

Représenté par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1844

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente

assistée de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 9 décembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 20 Janvier 2025.

ORDONNANCE

Prononcée par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

M. [C] [U] a été définitivement condamné :
– le 27 janvier 1998 par la cour d’assises de l’Hérault à la peine de 8 années d’emprisonnement pour vol avec arme commis le 2 juillet 1996;
– le 21 janvier 2000 par la cour d’assises du Loir et Cher à la peine de 15 années de réclusion criminelle pour vols et tentative de vol avec arme commis du 4 octobre 1995 au 6 juin 1996 ;
– le 16 février 2001 par la cour d’assises de la Mayenne à la peine de 10 années de réclusion criminelle pour vols avec arme en récidive commis du 25 janvier au 10 avril 1996.

M. [U] a par la suite formé diverses requêtes en confusion de peine.

M. [U] est sorti de détention le 15 décembre 2011.

Par acte extrajudiciaire du 27 décembre 2023, M. [C] [U] a fait assigner l’Agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir réparation des préjudices par lui subis sur le fondement d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice tenant à une durée d’incarcération excessive.

Par conclusions d’incident notifiées par RPVA le 26 juillet 2024, l’Agent judiciaire de l’Etat demande au juge de la mise en état de déclarer M. [C] [U] irrecevable en ses demandes pour cause de prescription et de le condamner à lui payer la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 8 octobre 2024, M. [C] [U] sollicite le rejet de la fin de non recevoir soulevée et la condamnation de l’Agent judiciaire de l’Etat à lui payer la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Le 3 décembre 2024, le ministère public a conclu à la recevabilité de l’action de M. [C] [U].

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.

A l’issue de l’audience des plaidoiries d’incident du 9 décembre 2024, l’ordonnance a été mise en délibéré au 20 janvier 2025.

MOTIVATION

En application de l’article 789 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription

En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel que la prescription.

L’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.

Le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle s’est produit le fait générateur du dommage allégué (Cass. 1re civ., 10 janv. 2018, n° 17-10.008 , inédit : JurisData n° 2018-000125 ).

Exposant avoir subi une incarcération prolongée à tort, M. [C] [U] entend, par la présente action, engager la responsabilité de l’Etat pour faute lourde sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

M. [C] [U] est sorti de détention le 15 décembre 2011, et avait donc, à compter de cette date, connaissance de la durée totale de l’incarcération effectivement subie.

Cette durée d’incarcération constituant le fait générateur de la responsabilité de l’Etat qu’il entend rechercher par la présente action, la prescription de son action en responsabilité a commencé à courir le 1er janvier 2012.

Aux termes de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, « la prescription est interrompue par :
-Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l’administration saisie n’est pas celle qui aura finalement la charge du règlement.
-Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance ;
-Toute communication écrite d’une administration intéressée, même si cette communication n’a pas été faite directement au créancier qui s’en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance ;
-Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu’une partie de la créance ou si le créancier n’a pas été exactement désigné.
Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l’interruption. Toutefois, si l’interruption résulte d’un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ».

Or, M. [C] [U] justifie notamment de :
– une procédure relative à la computation des décrets de grâce et des remises de peine ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 22 novembre 2011 par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Caen ;
– un courrier relatif à la computation des remises de peine et de la confusion adressé le 26 novembre 2013 au procureur général près la cour d’appel de Caen et une réponse de celui-ci le 5 décembre 2013 ;
– une requête devant le tribunal administratif de Caen enregistrée le 28 février 2017 en réparation d’un préjudice moral résultant d’une incarcération qu’il estime prolongée à tort, ayant donné lieu à un jugement d’incompétence le 28 décembre 2018, passé en force de chose jugée le 28 février 2019.

Ces procédures et réclamations, peu important qu’elles aient été le cas échéant formées devant une juridiction incompétente, sont constitutives de causes successives d’interruption de la prescription au sens de l’article 2 précité de la loi du 31 décembre 1968.

Un nouveau délai de quatre ans ayant commencé à courir à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision du tribunal administratif de Caen est passée en force de chose jugée, soit à compter du 1er janvier 2020, l’action engagée par M. [C] [U] le 27 décembre 2023 n’apparaît pas atteinte de prescription, de sorte que la fin de non recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’Etat doit être rejetée et que l’action en responsabilité engagée par M. [C] [U] à l’encontre de l’Etat doit être déclarée recevable.

Sur les demandes accessoires

L’article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Les frais irrépétibles et les dépens de l’incident suivront le sort de ceux du fond.

L’affaire est renvoyée à l’audience de mise en état dématérialisée du 24 mars 2025 à 14h00 aux fins de conclusions en défense au fond.

PAR CES MOTIFS,

Nous, juge de la mise en état statuant après débats en audience publique, par ordonnance contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile,

REJETONS la fin de non recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’Etat ;

DÉCLARONS recevable l’action en responsabilité engagée par M. [C] [U] à l’encontre de l’Etat;

DISONS que le sort des frais irrépétibles et des dépens de l’incident suivront le sort de ceux du fond ;

RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état dématérialisée du 24 mars 2025 à 14h00 aux fins de conclusions en défense au fond.

Faite et rendue à Paris le 20 Janvier 2025

Le Greffier Le Juge de la mise en état
Marion CHARRIER Marjolaine GUIBERT


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