L’Essentiel : Le 11 mai 2018, M. [T] a acquis un véhicule Audi, signalé volé depuis le 22 mai 2017. Le 11 septembre 2018, il a été placé en fourrière dans le cadre d’une enquête pour vol, classée sans suite le 18 juillet 2019. M. [T] a récupéré son véhicule le 13 septembre 2019, après avoir payé 2 017,33 euros de frais. En avril 2021, il a assigné l’agent judiciaire de l’État pour obtenir réparation, mais le tribunal a débouté sa demande le 30 août 2022. M. [T] a interjeté appel, et la cour a finalement reconnu son préjudice, accordant une indemnisation.
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Acquisition du véhiculeLe 11 mai 2018, M. [T] a acheté un véhicule de marque Audi auprès d’un particulier. Ce véhicule a été signalé volé au fichier Schengen depuis le 22 mai 2017. Placement en fourrièreLe 11 septembre 2018, le véhicule a été placé en fourrière dans le cadre d’une enquête pour vol. Cette enquête a été classée sans suite par le parquet de Nanterre le 18 juillet 2019, en raison de l’absence d’infraction, confirmant que le véhicule n’était pas volé. Récupération du véhiculeM. [T] a récupéré son véhicule le 13 septembre 2019, après avoir payé des frais de fourrière s’élevant à 2 017,33 euros. Action en justiceLe 27 avril 2021, M. [T] a assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour obtenir réparation de son préjudice lié à un dysfonctionnement des services de l’État. Jugement du tribunalLe 30 août 2022, le tribunal a débouté M. [T] de toutes ses demandes d’indemnisation contre l’agent judiciaire de l’État, a rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et a condamné M. [T] aux dépens. Appel de M. [T]Le 8 novembre 2022, M. [T] a interjeté appel de cette décision, demandant à la cour d’infirmer le jugement et de lui accorder des dommages et intérêts. Demandes de l’agent judiciaire de l’ÉtatL’agent judiciaire de l’État a demandé la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles, et a sollicité une condamnation de M. [T] pour ces frais. Responsabilité de l’ÉtatLa cour a examiné la responsabilité de l’État, concluant que l’immobilisation du véhicule était légitime, mais que la durée de 368 jours était excessive et assimilable à un déni de justice. Indemnisation de M. [T]La cour a reconnu le préjudice subi par M. [T] en raison des frais de fourrière et a accordé une indemnisation pour le préjudice moral, tout en rejetant sa demande d’indemnisation pour privation de jouissance du véhicule. Dépens et frais irrépétiblesLa cour a décidé que l’agent judiciaire de l’État devait supporter les dépens de la procédure et a condamné ce dernier à verser à M. [T] une somme au titre des frais irrépétibles. Conclusion de la courLa cour a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, condamnant l’agent judiciaire de l’État à verser des sommes spécifiques à M. [T] pour les frais de fourrière et le préjudice moral, tout en rejetant la demande de l’agent judiciaire de l’État concernant les frais irrépétibles. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la responsabilité de l’État en cas de dysfonctionnement des services publics de la justice ?La responsabilité de l’État en matière de dysfonctionnement des services publics de la justice est régie par l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire. Cet article stipule que : « L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. » Dans le cas présent, le tribunal a considéré que l’immobilisation du véhicule de M. [T] était légitime dans le cadre d’une enquête pour vol. Cependant, la cour a ensuite jugé que la durée de 368 jours de cette immobilisation était excessive, ce qui constitue un déni de justice. Ainsi, la responsabilité de l’État a été engagée en raison de cette durée anormale de l’enquête, qui n’a pas justifié une telle rétention du véhicule. Quels sont les critères pour établir un déni de justice ?Le déni de justice se caractérise par l’absence de décision ou de traitement d’une affaire dans un délai raisonnable, ce qui est en contradiction avec le droit à un procès équitable, tel que prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans le cas de M. [T], la cour a constaté que l’enquête n’avait pas présenté de difficultés particulières et que la demande d’enquête n’avait été faite que 8 mois après la mise en fourrière du véhicule. Cela a conduit à la conclusion que la durée de 368 jours était déraisonnable et assimilable à un déni de justice. La cour a donc infirmé le jugement de première instance sur ce point, reconnaissant que l’État avait failli à son obligation de traiter l’affaire dans un délai raisonnable. Quels sont les droits à indemnisation en cas de préjudice causé par l’État ?Les droits à indemnisation en cas de préjudice causé par l’État sont fondés sur la reconnaissance d’une faute de l’État, comme stipulé dans l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire. Dans le cas présent, M. [T] a demandé réparation pour plusieurs préjudices, notamment : – Les frais de fourrière de 2 017,33 euros, La cour a reconnu le droit de M. [T] à être indemnisé pour les frais de fourrière, car ils découlaient directement de la faute retenue contre l’État. Cependant, pour la privation de jouissance, M. [T] n’a pas justifié avoir loué un véhicule de remplacement, ce qui a conduit à un rejet de cette demande. En revanche, la cour a accordé une indemnité de 1 000 euros pour le préjudice moral, en raison de la privation d’usage de son véhicule pendant une période prolongée. Quelles sont les implications des frais irrépétibles selon l’article 700 du Code de procédure civile ?L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que : « La partie qui perd le procès peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci. » Dans cette affaire, l’agent judiciaire de l’État a demandé la confirmation du jugement en ce qui concerne les frais irrépétibles. Cependant, la cour a décidé d’infirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles, condamnant l’agent judiciaire de l’État à verser à M. [T] une somme de 2 800 euros sur le fondement de cet article. Cela signifie que l’État a été reconnu responsable des frais engagés par M. [T] dans le cadre de la procédure, renforçant ainsi le principe de réparation des préjudices subis par les justiciables. |
DE
VERSAILLES
Chambre civile 1-1
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 96D
DU 14 JANVIER 2025
N° RG 22/06737
N° Portalis DBV3-V-B7G-VQGH
AFFAIRE :
[F] [T]
C/
L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Août 2022 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 21/04228
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Omar FRAJ,
-la SCP SAIDJI & MOREAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [F] [T]
né le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 6] (TUNISIE)
de nationalité Tunisienne
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Omar FRAJ, avocat – barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : PC 426
APPELANT
L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Ali SAIDJI de la SCP SAIDJI & MOREAU, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : J076
INTIMÉ
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Octobre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseillère chargée du rapport et Madame Sixtine DU CREST, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseillère,
Madame Sixtine DU CREST, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
Le 11 mai 2018, M. [T] a acquis, auprès d’un particulier, un véhicule automobile de la marque Audi.
Le 11 septembre 2018, le véhicule, signalé volé au fichier Schengen depuis le 22 mai 2017, a été placé en fourrière dans le cadre d’une enquête pour vol, finalement classée sans suite (motif : absence d’infraction – véhicule non volé) par le parquet de Nanterre le 18 juillet 2019.
M. [T] a récupéré son véhicule le 13 septembre 2019 après avoir réglé à la fourrière la somme de 2 017,33 euros.
Par acte d’huissier de justice du 27 avril 2021, M. [T] a fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins d’obtenir réparation de son préjudice du fait du dysfonctionnement des services de l’Etat.
Par jugement contradictoire rendu le 30 août 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
– débouté M. [T] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires dirigées contre l’agent judiciaire de l’Etat représentant l’Etat français,
– rejeté les demandes formées entre les parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [T] aux dépens.
Le 8 novembre 2022, M. [T] a interjeté appel de cette décision à l’encontre de l’agent judiciaire de l’Etat.
Par d’uniques conclusions notifiées au greffe le 23 janvier 2023, M. [T] demande à la cour de :
– le déclarer recevable en son appel,
– infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– dire qu’il ne doit pas supporter les frais d’immobilisation de son véhicule dans le cadre d’une enquête judiciaire,
– condamner l’Etat français, représenté par M. l’Agent judiciaire de l’Etat à lui payer la somme de 7 873,33 euros à titre de dommages et intérêts qui se compose comme suit :
– 4656 euros au titre de la privation de jouissance de son véhicule
– 2017, 33 euros frais de fourrière
– 2 800 euros au titre du préjudice moral,
– condamner l’Etat français, représenté M. l’Agent judiciaire de l’Etat, à lui payer la somme de 2 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’Etat français, représenté M. l’Agent judiciaire de l’Etat, en tous les frais et dépens,
Par d’uniques conclusions notifiées le 18 avril 2023, M. l’Agent judiciaire de l’Etat demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté sa demande au titre des frais irrépétibles,
– l’infirmer de ce seul chef sur appel incident,
Statuant à nouveau,
– condamner M. [T] à lui payer la somme de 726 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,
– condamner M. [T] à lui payer la somme de 1 419 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– condamner M. [T] aux dépens d’appel.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 22 février 2024.
Le jugement est critiqué en toutes ses dispositions. L’affaire se présente donc dans les mêmes termes qu’en première instance.
Sur les demandes de M. [T]
Sur la responsabilité de l’Etat
Pour débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes, le tribunal a tout d’abord considéré que l’immobilisation du véhicule dans le cadre d’une enquête pour vol était légitime et ensuite que, eu égard à la complexité de la procédure et aux diligences entreprises dans le cadre de la procédure, cette immobilisation n’apparaissait pas excessive et ne constituait donc pas un déni de justice.
Moyens des parties
M. [T] poursuit l’infirmation du jugement en soutenant que le placement de son véhicule en fourrière pendant une durée de 368 jours relève du délai déraisonnable assimilable à un déni de justice. Il ajoute qu’il y a également eu une faute lourde de l’Etat en ce que l’enquête a fini par conclure qu’il était le légitime propriétaire du véhicule.
L’agent judiciaire de l’Etat sollicite la confirmation du jugement en soutenant au contraire que l’immobilisation du véhicule était pleinement justifiée par les besoins de l’enquête et que sa durée ne saurait être qualifiée d’excessive. Il ajoute qu’aucune faute ne saurait être déduite du simple fait que l’enquête a été classée sans suite.
Appréciation de la cour
En application de l’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire, ‘ L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ‘.
Ainsi que l’a jugé le tribunal, par des motifs pertinents adoptés par la cour, le seul fait de décider de placer un véhicule en fourrière supposé volé pour les besoins de l’enquête ne peut constituer en soi une faute lourde, quand bien même l’enquête serait-elle par la suite classée sans suite et ce quelle qu’en soit la raison.
En revanche, il apparaît que la rétention du véhicule de M. [T] pendant une durée de 368 jours, alors que, contrairement à ce que retient le premier juge, l’enquête ne présentait aucune difficulté particulière, est excessive.
A cet égard, l’agent judiciaire de l’Etat relève lui même que si le véhicule a été placé en fourrière le 11 septembre 2018, ce n’est que 8 mois plus tard, le 23 mai 2019, que le Procureur de la République a demandé au groupement de gendarmerie de [Localité 7] (Gironde) de poursuivre l’enquête en interrogeant le vendeur du véhicule supposé volé. Il n’est ni soutenu ni justifié des raisons pour lesquelles cette vérification a été différée de 8 mois.
Il n’est par ailleurs justifié d’aucune difficulté particulière dans cette enquête qui a conclu, après audition du vendeur, que le véhicule n’était pas un véhicule volé.
Il est donc justifié de considérer que le délai anormal de l’enquête,- 368 jours dans le seul but de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un véhicule volé -, est assimilable à un déni de justice et d’infirmer le jugement sur ce point.
Sur les demandes indemnitaires
Il est constant que M. [T] a dû s’acquitter d’une somme de 2 017,33 euros de frais de fourrières. Ce préjudice découle directement de la faute retenue à l’encontre de l’Etat et il est justifié de faire droit à la demande de remboursement.
S’agissant de la privation de jouissance du véhicule, M. [T] ne justifie pas avoir loué ou acquis un véhicule de remplacement. Dès lors, sa demande d’indemnisation fondée sur le coût de location d’un véhicule similaire au sien ne saurait prospérer.
S’agissant du préjudice moral ; M. [T] a été privé de l’usage de son véhicule pendant un an, ce qui a inévitablement compliqué ses déplacements. Il est justifié de lui allouer à ce titre une somme de 1 000 euros.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt commande d’infirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
L’agent judiciaire de l’Etat supportera les dépens de la totalité de la procédure (de première instance et d’appel) et devra verser à M. [T] une somme de 2 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’agent judiciaire de l’Etat sera débouté de sa demande sur ce même fondement.
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à verser à M. [T] la somme de 2 017,33 euros au titre des frais de fourrière et de 1 000 euros au titre du préjudice moral,
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens de la totalité de la procédure (de première instance et d’appel),
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à verser à M. [T] une somme de 2 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de l’agent judiciaire de l’Etat sur ce même fondement.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
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