Escroquerie aux Cryptomonnaies : quel tribunal compétent ?

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Escroquerie aux Cryptomonnaies : quel tribunal compétent ?

Dans le cadre d’une escroquerie aux Cryptomonnaies, dès lors que des fonds ont été virés sur des comptes à l’étranger, le détournement allégué n’a pu advenir qu’ensuite et la matérialisation du dommage ne s’est pas produite en France.

L’article 81 du code de procédure civile dispose en son alinéa 1 que lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.

Les quinzième et seizième considérants du règlement « Bruxelles I Bis », applicable en l’espèce à l’instance introduite postérieurement au 1er janvier 2015, énoncent respectivement que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, outre que le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

Le règlement « Bruxelles I Bis », applicable en l’espèce à l’instance introduite postérieurement au 1er janvier 2015, pose en son article 4 comme une règle de compétence générale que les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat-membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat-membre.

En son article 7, le règlement « Bruxelles I Bis » prévoit une option de compétence immédiate en matière délictuelle ou quasi délictuelle d’interprétation restrictive, la personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre pouvant être attraite dans un autre État-membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

En l’espèce, le client de la banque a passé cinq ordres de virements depuis son compte courant ouvert dans les livres de ING Bank N.V. à destination de deux comptes ouverts dans les livres de la Deutsche Postbank AG située en Allemagne.

Or, le lieu où le fait dommageable se produit ou risque de se produire, au sens de l’article 7 du règlement « Bruxelles I Bis », s’entend à la fois du lieu de matérialisation du dommage et de celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, le demandeur disposant d’une seconde option entre ces deux critères pour attraire en justice le défendeur.

De plus, le lieu de matérialisation du dommage découlant immédiatement du fait générateur n’est pas nécessairement celui où le préjudice matériel pourrait être ensuite ressenti et ne saurait s’identifier non plus au lieu centralisant le patrimoine dont la perte est alléguée. Le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage allégué est celui du prétendu manquement de la banque à ses obligations professionnelles.

En l’espèce, les comptes récepteurs des fonds ont été ouvert dans une banque établie en Allemagne. Dès lors, le lieu de mise en œuvre des obligations de cet établissement bancaire et donc d’un éventuel défaut de vigilance de sa part lors de l’ouverture des comptes, voire à l’occasion de leur fonctionnement, est situé dans cet État-membre.

Étant donné la nature du préjudice allégué tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage est celui de l’appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir les comptes ouverts dans les livres de la société de droit étranger située dans l’État-membre précité.

Il s’en déduit que le préjudice financier qui, certes, est ressenti sur le compte bancaire du donneur d’ordre, ne saurait, à lui seul, en l’absence de circonstances particulières, être qualifié de « point de rattachement pertinent », et ce alors qu’il résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre Etat-membre de l’Union européenne.

Toutefois et par exception, lorsqu’une banque allemande (par exemple) dispose d’une filiale en France, pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a dès lors lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes et que les rapports entre les parties soient distincts.

En effet, il résulte des dispositions de l’article 8.1 du règlement « Bruxelles I Bis » que s’il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4.1 de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Cette disposition répond au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. Par ailleurs, l’identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres, de sorte qu’une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

Il appartient dès lors à la juridiction saisie de l’entier litige d’apprécier, au regard de la situation de fait, le risque de solutions inconciliables si les demandes devaient être jugées séparément, en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier.

L’Essentiel : Entre novembre 2018 et janvier 2019, M. et Mme [Z] ont transféré 63.833,21 euros vers des comptes en Allemagne, croyant investir dans des crypto-monnaies via Northen Lion. Après avoir déposé une plainte en avril 2019 pour récupérer leurs fonds, ils ont assigné ING Bank N.V. et Deutsche Bank AG en septembre 2023, invoquant un manquement à leurs obligations de vigilance. Deutsche Bank a soulevé une exception d’incompétence territoriale, mais le tribunal de Paris a rejeté cette demande, affirmant que le dommage s’était matérialisé en France. L’affaire sera examinée lors d’une audience prévue pour janvier 2025.
Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

Entre le 15 novembre 2018 et le 17 janvier 2019, M. [G] [Z] et Mme [Y] [Z] ont effectué cinq virements totalisant 63.833,21 euros vers des comptes bancaires en Allemagne, pensant investir dans des crypto-monnaies via la société Northen Lion. Les fonds ont été transférés depuis leur compte à la SA ING Bank N.V. vers des comptes au nom de Kosta-Tin Gmbh et Stahli Electric Gmbh à la Deutsche Postbank AG.

Plainte et démarches des époux [Z]

N’ayant pas réussi à récupérer leurs fonds, les époux [Z] ont déposé une plainte le 14 avril 2019 auprès du procureur de la République à Nantes. Ils ont également tenté d’obtenir une indemnisation auprès des deux banques concernées, mais leurs efforts ont été infructueux.

Assignation en justice

Le 29 septembre et le 9 octobre 2023, les époux [Z] ont assigné ING Bank N.V. et Deutsche Bank AG devant le tribunal judiciaire de Paris, invoquant un manquement à leurs obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ils ont demandé des réparations pour préjudice matériel et moral.

Exception d’incompétence territoriale

La société Deutsche Bank AG a soulevé une exception d’incompétence territoriale, arguant que le tribunal de Paris n’était pas compétent pour statuer sur les demandes des époux [Z], qui devraient être portées devant les juridictions allemandes. Elle a soutenu que le lieu du fait dommageable était en Allemagne, où les comptes récepteurs étaient ouverts.

Arguments des époux [Z]

Les époux [Z] ont contesté cette exception, affirmant que le dommage s’était matérialisé en France, au moment des virements. Ils ont également soutenu que les demandes contre les deux banques étaient liées et qu’il était nécessaire de les juger ensemble pour éviter des décisions inconciliables.

Décision du tribunal

Le tribunal a rejeté l’exception d’incompétence territoriale soulevée par Deutsche Bank AG, affirmant que les demandes des époux [Z] étaient suffisamment liées pour justifier une compétence des juridictions françaises. Il a également condamné Deutsche Bank AG aux dépens de l’incident et à verser 1.000 euros aux époux [Z] sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Conclusion et prochaines étapes

Le tribunal a renvoyé l’affaire à une audience de mise en état prévue pour le 29 janvier 2025, où les conclusions au fond des sociétés Deutsche Bank AG et ING Bank N.V. seront examinées.

Q/R juridiques soulevées : Dans le cadre d’une escroquerie aux Cryptomonnaies, dès lors que des fonds ont été virés sur des comptes à l’étranger, le détournement allégué n’a pu advenir qu’ensuite et la matérialisation du dommage ne s’est pas produite en France.

L’article 81 du code de procédure civile dispose en son alinéa 1 que lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.

Les quinzième et seizième considérants du règlement « Bruxelles I Bis », applicable en l’espèce à l’instance introduite postérieurement au 1er janvier 2015, énoncent respectivement que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, outre que le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

Le règlement « Bruxelles I Bis », applicable en l’espèce à l’instance introduite postérieurement au 1er janvier 2015, pose en son article 4 comme une règle de compétence générale que les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat-membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat-membre.

En son article 7, le règlement « Bruxelles I Bis » prévoit une option de compétence immédiate en matière délictuelle ou quasi délictuelle d’interprétation restrictive, la personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre pouvant être attraite dans un autre État-membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

En l’espèce, le client de la banque a passé cinq ordres de virements depuis son compte courant ouvert dans les livres de ING Bank N.V. à destination de deux comptes ouverts dans les livres de la Deutsche Postbank AG située en Allemagne.

Or, le lieu où le fait dommageable se produit ou risque de se produire, au sens de l’article 7 du règlement « Bruxelles I Bis », s’entend à la fois du lieu de matérialisation du dommage et de celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, le demandeur disposant d’une seconde option entre ces deux critères pour attraire en justice le défendeur.

De plus, le lieu de matérialisation du dommage découlant immédiatement du fait générateur n’est pas nécessairement celui où le préjudice matériel pourrait être ensuite ressenti et ne saurait s’identifier non plus au lieu centralisant le patrimoine dont la perte est alléguée. Le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage allégué est celui du prétendu manquement de la banque à ses obligations professionnelles.

En l’espèce, les comptes récepteurs des fonds ont été ouvert dans une banque établie en Allemagne. Dès lors, le lieu de mise en œuvre des obligations de cet établissement bancaire et donc d’un éventuel défaut de vigilance de sa part lors de l’ouverture des comptes, voire à l’occasion de leur fonctionnement, est situé dans cet État-membre.

Étant donné la nature du préjudice allégué tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage est celui de l’appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir les comptes ouverts dans les livres de la société de droit étranger située dans l’État-membre précité.

Il s’en déduit que le préjudice financier qui, certes, est ressenti sur le compte bancaire du donneur d’ordre, ne saurait, à lui seul, en l’absence de circonstances particulières, être qualifié de « point de rattachement pertinent », et ce alors qu’il résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre Etat-membre de l’Union européenne.

Toutefois et par exception, lorsqu’une banque allemande (par exemple) dispose d’une filiale en France, pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a dès lors lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes et que les rapports entre les parties soient distincts.

En effet, il résulte des dispositions de l’article 8.1 du règlement « Bruxelles I Bis » que s’il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4.1 de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Cette disposition répond au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. Par ailleurs, l’identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres, de sorte qu’une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

Il appartient dès lors à la juridiction saisie de l’entier litige d’apprécier, au regard de la situation de fait, le risque de solutions inconciliables si les demandes devaient être jugées séparément, en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :
Me CHANDLER (E0159)
Me BELLANCA (L0015)
Me BOILLOT (P0341)
Parties en LRAR

9ème chambre 2ème section

N° RG 23/13033 – N° Portalis 352J-W-B7H-C23GB

N° MINUTE : 1

Assignation du :
09 Octobre 2023

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 27 Novembre 2024

DEMANDEURS

Monsieur [G] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 2]

Madame [Y] [C] épouse [Z]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentés par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159, et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

DEFENDERESSES

S.A. ING BANK NV, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE DUBEST BELLANCA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0015

S.A. DEUTSCHE BANK AG, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 3]
ALLEMAGNE

représentée par Maître Eric BOILLOT de la SELEURL EB AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0341

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, Juge, juge de la mise en état,
assisté de Madame Alice LEFAUCONNIER, Greffière

DEBATS

A l’audience du 23 Octobre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 27 Novembre 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

Entre le 15 novembre 2018 et le 17 janvier 2019, pensant faire un placement offrant une rentabilité forte à court terme dans des crypto-monnaies par l’intermédiaire de la société Northen Lion qui se présentait comme prestataire de services d’investissement, M. [G] [Z] et son épouse, Mme [Y] [Z] née [C], tous deux retraités, ont effectué cinq virements (1.000 euros le 15 novembre 2018, 6.000 euros le 29 novembre 2018, 8.000 euros le 5 décembre 2018, 23.833,21 euros le 12 décembre 2018 et 25.000 euros le 17 janvier 2019) pour un montant total de 63.833,21 euros depuis leur compte ouvert dans les livres de la SA ING Bank N.V., à destination de deux comptes bancaires ouverts dans les livres de l’établissement bancaire de droit allemand Deutsche Postbank AG et ayant pour titulaires les sociétés Kosta-Tin Gmbh et Stahli Electric Gmbh.

N’ayant pu obtenir la restitution de leurs fonds et s’estimant victimes de faits pénalement répréhensibles, les époux [Z] ont déposé le 14 avril 2019 une plainte auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes.

Leurs démarches auprès des deux établissements bancaires pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices sont demeurées infructueuses.

C’est dans ce contexte que par exploits de commissaire de justice des 29 septembre et 9 octobre 2023, les époux [Z] ont fait assigner les sociétés ING Bank N.V. et Deutsche Bank AG, dont la société Deutsche Bank AG vient aux droits, devant le tribunal judiciaire de Paris auquel il est demandé, aux visas des directives européennes n°91/308/CEE, n°2001/97/CE, n°2005/60/CE, n°2015/849 et n°2018/843, et des articles 1104, 1112-1, 1232-1, 1240 et 1241 du code civil, de :

« A TITRE PRINCIPAL :

• Juger que les sociétés ING BANK N.V. et DEUTSCHE POSTBANK AG, dont la société DEUTSCHE BANK AG vient aux droits, n’ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.

• Juger que les sociétés ING BANK N.V. et DEUTSCHE POSTBANK AG, dont la société DEUTSCHE BANK AG vient aux droits, sont responsables des préjudices subis par Monsieur et Madame [Z].

• Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et DEUTSCHE BANK AG à rembourser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 60.233,21 € en réparation de leur préjudice matériel.

• Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et DEUSTCHE BANK AG à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 12.766,64 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance.

• Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et DEUTSCHE BANK AG à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

• Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.

A TITRE SUBSIDIAIRE :

• Juger que la société ING BANK N.V. a manqué à son devoir général de vigilance.

• Juger que la société ING BANK N.V. est responsable des préjudices subis par Monsieur et Madame [Z].

• Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 60.233,21 € en réparation de leur préjudice matériel.

• Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 12.766,64 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance.

• Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

• Condamner la même aux entiers dépens.

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

• Juger que la société ING BANK N.V. n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur et Madame [Z].

• Juger que la société ING BANK N.V. est responsable des préjudices subis par Monsieur et Madame [Z].

• Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 60.233,21 € en réparation de leur préjudice matériel.

• Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 12.766,64 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance.

• Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

• Condamner la même aux entiers dépens. »

Par conclusions d’incident signifiées le 11 juin 2024, la société Deutsche Bank AG a soulevé une exception tirée de l’incompétence territoriale de la juridiction de céans au profit des juridictions allemandes.

Aux termes de ses dernières conclusions d’incident communiquées par voie électronique le 21 octobre 2024, aux visas des articles 4, 7.2 et 8 du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit « Bruxelles I Bis », du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit « Rome II », et des articles 42 et 46 du code de procédure civile, la société Deutsch Bank AG demande au juge de la mise en état de :

«In limine litis,

• Déclarer le Tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit de la juridiction allemande du siège de la société DEUTSCHE BANK AG pour statuer sur les demandes de Monsieur et Madame [Z] à son encontre ;

En tout état de cause,

• Juger avant dire droit que seul le droit allemand est applicable à la société DEUTSCHE BANK AG ;

• Statuer ce que de droit s’agissant des dépens. »

A l’appui de ses prétentions, elle soutient l’incompétence du tribunal de céans au regard des dispositions dérogatoires de l’article 7.2 du règlement « Bruxelles I Bis » qui sont d’interprétation stricte et qui conduisent à retenir, conformément à une jurisprudence identique de la Cour de justice européenne (CJUE) et de la Cour de cassation, que « le lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » en matière délictuelle ou quasi-délictuelle doit s’entendre, d’une part, comme le lieu de l’évènement causal qui est à l’origine du dommage et, d’autre part, comme le lieu où le dommage est survenu. Elle expose qu’en matière de préjudice purement financier, lorsque la victime de l’escroquerie agit contre la banque réceptrice des fonds en invoquant un manquement de celle-ci à son devoir de vigilance, le dommage résultant directement de cet événement causal réside dans la disparition des fonds depuis le compte bancaire ouvert dans ses livres. Elle soutient qu’en l’espèce, il convient donc de retenir le lieu du siège social de la Deutsch Postbank AG situé en Allemagne où les prétendus manquements qui lui sont reprochés à son obligation de vigilance lors de l’ouverture des comptes récepteurs des fonds ont été commis. Elle ajoute que conformément à la jurisprudence européenne, le lieu du fait dommageable ne vise pas le lieu du domicile du demandeur ou le lieu où celui-ci aurait localisé « le centre de son patrimoine », au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre Etat-membre. Elle soutient qu’il doit en revanche s’entendre comme celui de l’établissement de la banque au sein duquel est ouvert le compte récepteur des fonds et où l’appropriation frauduleuse s’est produite, une telle interprétation étant également retenue pour la détermination de la loi applicable à l’action de la victime contre la banque réceptrice des fonds, ce qui conduit à retenir la compétence des juridictions allemandes. Elle écarte la possibilité pour les époux [Z] de se prévaloir d’une atteinte aux droits de la personne alors que les virements litigieux caractérisent une attente aux biens.

Elle soutient également que les époux [Z] ne sauraient se prévaloir utilement de l’exception prévue à l’article 8.1 du règlement précité, et ainsi attraire tous les défendeurs devant la juridiction du siège social ou du domicile de l’un d’eux, en l’espèce, celui de la société ING Bank N.V., faute de démontrer la réunion des trois conditions cumulatives exigées que sont l’existence d’un lien de connexité résultant d’une identité de situation de fait et de droit entre les parties, celle d’un risque de décisions inconciliables si elles venaient à être examinées par des juges différents, qui est distincte de la notion de connexité, et enfin celle de la prévisibilité pour les défendeurs qu’ils risquent d’être attraits dans l’Etat-membre où au moins l’un d’entre eux à son domicile ou siège social.

Plus particulièrement, à titre liminaire, la Deutsch Bank AG entend soulever le caractère non transposable de l’arrêt d’espèce de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 17 février 2021 citée par les demandeurs et critique les décisions produites par ceux-ci retenant la compétence des juridictions françaises dans des cas d’espèces similaires qui sont, selon elle, contraires à la jurisprudence européenne ainsi qu’à celle de la Cour de cassation qui dans un arrêt du 14 février 2024 s’est prononcée en faveur d’une interprétation stricte des dispositions du règlement « Bruxelles I Bis ».

Elle cite à l’appui de sa position des décisions de juridictions de première instance qui se sont déclarées incompétentes pour statuer sur des demandes formées à l’encontre de banques germaniques estimant que si les demandes se rapportaient aux mêmes faits, elles ne tendaient pas en revanche à l’indemnisation du même préjudice, les demandes formées contre la banque française émettrice des virements litigieux étant fondées sur une relation contractuelle et celles formées à l’encontre de l’établissement étranger récepteur des fonds sur un manquement à une obligation légale de vigilance ne pouvant donner lieu à indemnisation, et concluant ainsi à l’absence de risque de solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Elle expose qu’en l’espèce, les demandes formées contre les deux défenderesses n’ont pas le même fondement juridique, une action en responsabilité ne pouvant être fondée sur le manquement d’une personne physique à une obligation résultant d’une directive européenne qui n’a pas d’effet direct au sein des Etats-membres de l’Union européenne. Elle soutient qu’en application des textes européens, si la loi française régit les relations de ING Bank N.V. avec les demandeurs, c’est en revanche la loi allemande qui a vocation à s’appliquer à l’action de ces derniers contre elle-même, le dommage en lien, selon eux, avec les manquements allégués à son encontre s’étant réalisé sur les comptes des sociétés « Kosta-Tin Gmbh » et « Stahli Electric Gmbh », en Allemagne. Elle conclut à l’absence d’identité de situation en droit.

Elle conteste également l’existence d’une identité de situation en fait en ce qu’il n’est démontré aucun concours entre les deux banques, chacune ayant agi de manière indépendante et se voyant reprocher un rôle différent dans la réalisation du préjudice allégué par les époux [Z], soutenant que la disparition des fonds du compte des demandeurs situé en France ne présente aucun lien avec le manquement qui lui est reproché dans la mesure où elle ne pouvait pas intervenir au moment de l’ordre de virement, le grief lui étant fait portant sur la disparition des fonds sur le compte situé en Allemagne.

Elle exclut pour les raisons exposées précédemment le caractère inconciliable de décisions rendues par des juridictions différentes, soutenant que l’absence de la responsabilité de l’une des banques n’implique pas celle de la seconde, que l’hypothèse d’une double indemnisation porte sur une question de droit substantiel et n’influe pas sur la détermination de la compétence. Elle ajoute que des décisions divergentes ne seraient pas contradictoires puisque les décisions rendues au sein d’un Etat-membre sont de plein droit reconnues et exécutoires dans chacun des autres Etats-membres et que la juridiction statuant en dernier devrait alors nécessairement tenir compte de la décision rendue par la première.

Enfin, elle expose qu’une banque étrangère ne peut se voir opposer le principe de prévisibilité d’être attraite devant une juridiction française dès lors que les manquements qui lui sont reprochés sont fondés sur des obligations issues du droit allemand et se situent lors de l’ouverture et le fonctionnement de comptes tenus en Allemagne dont les titulaire sont des sociétés de droit allemand.

Aux termes de leurs dernières conclusions d’incident communiquées par voie électronique le 11 octobre 2024, aux visas du règlement européen n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 « Bruxelles I Bis », et des articles 42 et 46 du code de procédure civile, les époux [Z] demandent au juge de la mise en état de :

« • Débouter la société DEUTSCHE POSTBANK AG de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

• Condamner la société DEUTSCHE POSTBANK AG à verser à Monsieur et Madame [Z] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

• Condamner la même aux entiers dépens.»

A l’appui de leurs prétentions, les époux [Z] entendent à titre liminaire rappeler les enjeux juridiques et politiques de la compétence des juridictions françaises pour les consommateurs victimes d’escroqueries internationales commises au moyen le plus souvent de comptes bancaires ouverts dans des établissements européens.

A titre principal, ils soutiennent la compétence des juridictions françaises en ce que tant l’article 46 du code de procédure civile français que l’article 7.2 du règlement « Bruxelles I Bis » retiennent, en matière délictuelle, le lieu de matérialisation du dommage qui, selon eux, s’appuyant sur des décisions des juridictions européennes et françaises et de la doctrine, se réalise sur le compte bancaire de la victime. Ils estiment que la compétence territoriale tirée du lieu de domiciliation des comptes bancaires destinataires des fonds n’est pas pertinente dès lors que ceux-ci ne sont que des comptes où les fonds détournés transitent. Ils ajoutent qu’au critère du lieu du compte bancaire de départ des fonds, peut être ajouté, par analogie à la solution retenue en matière de cyber-délits d’atteinte aux droits de la personnalité commis sur internet, celui de la résidence habituelle de la victime.

A titre subsidiaire, ils concluent à la compétence des juridictions françaises en raison de l’option de compétence qui est offerte au demandeur en cas de pluralité de défendeurs par les articles 42 du code de procédure civile français et 8.1 du règlement « Bruxelles I Bis », s’appuyant sur des arrêts de la Cour de cassation et de différentes cours d’appel dont celle de [Localité 6] qui ont retenu l’existence d’un lien de connexité entre des actions en responsabilité intentées à l’encontre de plusieurs établissements bancaires, en ce qu’elles s’inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, et la nécessité de les juger ensemble pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions. Au cas particulier, ils soutiennent que les défenderesses qui sont mises en cause sur un même fondement juridique, celui de textes nationaux transposant les directives européennes dites « anti-blanchiment », ont toutes deux concouru à la réalisation de leur préjudice en n’exerçant aucun contrôle ni aucune vigilance dans le contexte d’une escroquerie internationale diligentée depuis un Etat étranger à destination des consommateurs français et plus généralement européens. Ils estiment dès lors que le litige présente des éléments de fait et de droit qui sont nécessairement liés, que les demandes se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques et posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées notamment quant à la réparation intégrale de leur préjudice et ce, afin d’éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions.

La société ING Bank N.V. n’a pas conclu sur l’incident.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.

L’incident a été appelé à l’audience du 23 octobre 2024 à laquelle il a été plaidé et mis en délibéré au 27 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la loi applicable au fond

La détermination de la loi applicable relève de la compétence du juge du fond.

En conséquence, le juge de la mise en état n’est pas compétent pour statuer sur cette question qui est sans incidence sur l’issue de l’exception d’incompétence examinée ci-après.

2 – Sur l’exception d’incompétence territoriale

L’article 81 du code de procédure civile dispose en son alinéa 1 que lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.

Les quinzième et seizième considérants du règlement « Bruxelles I Bis », applicable en l’espèce à l’instance introduite postérieurement au 1er janvier 2015, énoncent respectivement que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, outre que le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

2.1 – Sur l’application de l’article 4 du règlement « Bruxelles I Bis »

Le règlement « Bruxelles I Bis », applicable en l’espèce à l’instance introduite postérieurement au 1er janvier 2015, pose en son article 4 comme une règle de compétence générale que les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat-membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat-membre.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société de droit allemand Deutsche Postbank AG dont la responsabilité est recherchée était domiciliée en Allemagne et que la société de droit allemand Deutsche Bank AG qui vient aux droits de la première est également domiciliée dans cet Etat.

Dès lors, la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes dirigées contre la banque allemande ne peut être retenue sur le fondement des dispositions de l’article 4 précité.

En revanche, les dispositions de cet article servent de fondement à la compétence des juridictions françaises pour connaître de l’action dirigée à l’encontre de ING Bank N.V. domiciliée sur le territoire français.

2.2 – Sur l’application de l’article 7 du règlement « Bruxelles I Bis »

En son article 7, le règlement « Bruxelles I Bis » prévoit une option de compétence immédiate en matière délictuelle ou quasi délictuelle d’interprétation restrictive, la personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre pouvant être attraite dans un autre État-membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

En l’espèce, il est constant qu’entre le 15 novembre 2018 et le 17 janvier 2019, les époux [Z] ont passé cinq ordres de virements depuis leur compte courant ouvert dans les livres de ING Bank N.V. à destination de deux comptes ouverts dans les livres de la Deutsche Postbank AG située en Allemagne.

Or, le lieu où le fait dommageable se produit ou risque de se produire, au sens de l’article 7 du règlement « Bruxelles I Bis », s’entend à la fois du lieu de matérialisation du dommage et de celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, le demandeur disposant d’une seconde option entre ces deux critères pour attraire en justice le défendeur. De plus, le lieu de matérialisation du dommage découlant immédiatement du fait générateur n’est pas nécessairement celui où le préjudice matériel pourrait être ensuite ressenti et ne saurait s’identifier non plus au lieu centralisant le patrimoine dont la perte est alléguée. Le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage allégué est celui du prétendu manquement de la banque à ses obligations professionnelles.

En l’espèce, les comptes récepteurs des fonds ont été ouvert dans une banque établie en Allemagne. Dès lors, le lieu de mise en œuvre des obligations de cet établissement bancaire et donc d’un éventuel défaut de vigilance de sa part lors de l’ouverture des comptes, voire à l’occasion de leur fonctionnement, est situé dans cet État-membre.

Étant donné la nature du préjudice allégué par les époux [Z] tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage est celui de l’appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir les comptes ouverts dans les livres de la société de droit étranger située dans l’État-membre précité.

Il s’en déduit que le préjudice financier qui, certes, est ressenti sur le compte bancaire du donneur d’ordre, ne saurait, à lui seul, en l’absence de circonstances particulières, être qualifié de « point de rattachement pertinent », et ce alors qu’il résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre Etat-membre de l’Union européenne.

Or, les époux [Z] ne justifient pas de circonstances particulières, en l’absence notamment de démonstration de tout démarchage en France par la Deutsche Postbank AG ou d’indication que celle-ci ait été informée de l’existence d’un tel démarchage par ses propres clientes titulaires des comptes ayant réceptionné les fonds, qui aurait rendu tout particulièrement prévisible la compétence des juridictions françaises.

En revanche, le litige présente de nombreux points de rattachement avec le domicile de la défenderesse en ce que celle-ci est une société de droit allemand, soumise à la législation allemande à laquelle il est reproché des faits commis en Allemagne, pays qui sera également le lieu d’exécution de la décision de condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre.

Il y a dès lors lieu de considérer que les fonds ayant été virés sur des comptes à l’étranger, le détournement allégué n’a pu advenir qu’ensuite et que la matérialisation du dommage ne s’est pas produite en France.

En conséquence, la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes dirigées contre la défenderesse ne peut être retenue sur le fondement des dispositions de l’article 7 du règlement précité.

2.3 – Sur l’application de l’article 8 du règlement « Bruxelles I Bis »

Il résulte des dispositions de l’article 8.1 du règlement « Bruxelles I Bis » que s’il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4.1 de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Cette disposition répond au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. Par ailleurs, l’identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres, de sorte qu’une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

Il appartient dès lors à la juridiction saisie de l’entier litige d’apprécier, au regard de la situation de fait, le risque de solutions inconciliables si les demandes devaient être jugées séparément, en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier.

Il sera tout d’abord relevé que l’argument tiré de l’imprévisibilité d’un contentieux porté devant une juridiction étrangère ne saurait à lui seul être pertinent pour écarter la compétence de la présente juridiction en ce que les sociétés de droit étranger gérant les comptes de clients, pour certains professionnels, dont l’activité peut être dirigée à l’international, dans un marché unique qui repose notamment sur l’une des libertés fondamentales qu’est la libre circulation des capitaux, peuvent raisonnablement s’attendre à voir régulièrement leur responsabilité recherchée dans le cadre d’opérations effectuées dans l’Union européenne.

En l’espèce, le tribunal judiciaire de Paris tire sa compétence du domicile de ING Bank N.V. dont la responsabilité est recherchée par les demandeurs au même titre que celle de la banque réceptrice des fonds, étant relevé que les régimes de responsabilité invoqués diffèrent en ce que la responsabilité de la seconde société est recherchée sur le terrain d’une faute quasi délictuelle d’un établissement réceptionnant le paiement et celle de la première sur le terrain d’un manquement aux obligations nées de la convention de compte conclue entre le titulaire du compte et l’établissement teneur du compte d’où proviennent les fonds virés.

Cependant, dans leur assignation, les époux [Z] recherchent la responsabilité des deux banques en invoquant notamment des manquements à leurs obligations de surveillance et de vigilance telles qu’issues notamment de la directive européenne 2005/60/CE du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, transposée en droit interne français aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, le bien-fondé de ce moyen, qui fera l’objet d’un examen au fond, étant indifférent à ce stade de la procédure.

Les demandeurs recherchent donc la réparation d’un même préjudice auprès de deux défenderesses dont les responsabilités peuvent être liées.

Par ailleurs, la Deutsche Postbank AG, qui avait ouvert dans ses livres les comptes à des bénéficiaires recevant des virements en provenance de France susceptibles d’avoir un caractère frauduleux, pouvait s’attendre à être attraite devant les juridictions françaises.

Les demandes se rapportent ainsi aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes appelant des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage et la part de responsabilité de chaque co-responsable éventuel.

Pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a dès lors lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes et que les rapports entre les parties soient distincts.

Le tribunal judiciaire de Paris, saisi des demandes dirigées contre ING Bank N.V. et la Deutsche Postbank AG, est donc compétent pour connaître de l’action en responsabilité initiée par les époux [Z] sur le fondement de l’article 8.1 du règlement précité.

En conséquence, l’exception d’incompétence territoriale est rejetée.

3 – Sur les autres demandes

La Deutsche Bank AG qui succombe est condamnée aux dépens de l’incident et à payer aux époux [Z] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

SE DELARE incompétent pour statuer sur la loi applicable au fond ;

REJETTE l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société Deutsche Bank AG venant aux droits de la société Deutsch Postbank AG ;

CONDAMNE la société Deutsche Bank AG venant aux droits de la société Deutsch Postbank AG aux dépens de l’incident ;

CONDAMNE la société Deutsche Bank AG venant aux droits de la société Deutsch Postbank AG à payer à M. [G] [Z] et à Mme [Y] [Z] née [C] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 2ème section du 29 janvier 2025 à 13h30 pour les conclusions au fond des sociétés Deutsche Bank AG et ING Bank N.V.

Faite et rendue à Paris le 27 Novembre 2024

La greffière le juge de la mise en état


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