L’Essentiel : Le 20 avril 2019, [E] [B] a été blessé au visage lors d’une sortie en discothèque, nécessitant 12 points de suture. Une procédure pénale pour violences volontaires a été ouverte contre [S] [D], qui a contesté les faits. En avril 2023, [E] [B] a assigné [S] [D] pour obtenir une indemnisation. Le tribunal a conclu à la responsabilité de [S] [D], considérant les preuves d’un acte volontaire. Le préjudice a été évalué à 10 662,93 euros, incluant les frais médicaux et le préjudice esthétique. [S] [D] a été condamnée à verser cette somme, ainsi qu’une indemnité de 1 500 euros pour les frais de justice.
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Contexte de l’AffaireLe 20 avril 2019, [E] [B] a subi des blessures au visage lors d’une sortie en discothèque. Après avoir été transporté aux urgences, il a été diagnostiqué avec une plaie profonde sur la pommette gauche et deux autres plaies superficielles, nécessitant un total de 12 points de suture. Procédure Pénale et AuditionsUne procédure pénale pour violences volontaires a été ouverte, et [S] [D] a été entendue en tant que mise en cause. Bien qu’elle ait contesté les faits, le procureur a émis un rappel à la loi pour violences volontaires avec arme, en raison de l’incapacité totale de travail de plus de huit jours. En juin 2021, [E] [B] a demandé une expertise médicale, qui a été accordée, et un rapport a été déposé en décembre 2021. Demandes d’IndemnisationEn avril et mai 2023, [E] [B] a assigné [S] [D] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux pour obtenir une indemnisation de son préjudice, ainsi que la CPAM de la Gironde en tant que tiers-payeur. [S] [D] a demandé à être déboutée de toutes les demandes, tout en soutenant que [E] [B] avait commis une faute qui exonérerait sa responsabilité. Éléments de ResponsabilitéLe tribunal a examiné la responsabilité de [S] [D] en vertu des articles 1240 et 1241 du code civil. Bien que [E] [B] ait soutenu que [S] [D] était responsable de ses blessures, cette dernière a affirmé que le rappel à la loi ne constituait pas une preuve de culpabilité. Les témoignages recueillis ont été analysés, et il a été établi que [S] [D] avait bien été impliquée dans l’incident. Évaluation des PreuvesLes témoignages des amis de [E] [B] et du gérant de la discothèque ont été pris en compte. Bien que [S] [D] ait reconnu sa présence, elle a nié avoir causé les blessures. Un message envoyé par [S] [D] a été interprété comme une reconnaissance implicite de son implication dans l’incident. Décision du TribunalLe tribunal a conclu que [S] [D] était responsable des blessures de [E] [B], en considérant que les éléments de preuve indiquaient un acte volontaire. La défense de [S] [D] n’a pas été jugée suffisante pour exonérer sa responsabilité. Liquidation du PréjudiceLe tribunal a évalué le préjudice subi par [E] [B] à 10 662,93 euros, en tenant compte des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux. Les frais médicaux, les souffrances endurées, et le préjudice esthétique ont été pris en compte dans cette évaluation. Condamnation et Exécution ProvisoireEn conséquence, [S] [D] a été condamnée à verser à [E] [B] la somme de 10 662,93 euros, ainsi qu’une indemnité de 1 500 euros au titre des frais de justice. L’exécution provisoire de la décision a été ordonnée, et les autres demandes des parties ont été rejetées. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la responsabilité de [S] [D] dans les blessures subies par [E] [B] ?La responsabilité de [S] [D] est fondée sur les articles 1240 et 1241 du Code civil, qui établissent les principes de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle. L’article 1240 dispose que : “Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.” Cet article implique qu’une personne est responsable des dommages causés à autrui si elle a commis une faute. L’article 1241 précise que : “Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.” Dans le cas présent, [E] [B] soutient que [S] [D] est responsable de ses blessures, en raison d’un acte volontaire ou d’une négligence. Les éléments de l’enquête pénale, notamment les témoignages, indiquent que [S] [D] a été identifiée comme l’auteure des blessures. Cependant, [S] [D] conteste sa responsabilité, arguant qu’un rappel à la loi ne constitue pas une déclaration de culpabilité. Il est établi que le rappel à la loi ne confère pas autorité de la chose jugée, et ne peut suffire à établir la responsabilité. Néanmoins, les témoignages et le message de [S] [D] indiquent qu’elle a reconnu son implication dans l’incident, ce qui renforce la présomption de sa responsabilité. Ainsi, la responsabilité de [S] [D] est retenue sur la base des articles précités, en raison de l’existence d’un geste violent ayant causé les blessures de [E] [B]. Y a-t-il une faute de la part de [E] [B] qui pourrait exonérer [S] [D] de sa responsabilité ?La question de la faute de [E] [B] est examinée à la lumière des circonstances de l’incident et des comportements des parties. [S] [D] soutient que [E] [B] a commis une faute en étant présent à une soirée festive et en ayant consommé de l’alcool, ce qui aurait conduit à son implication dans une altercation. Cependant, il est important de noter que l’alcoolisation en soi ne constitue pas une faute. Aucun élément de preuve ne démontre que [E] [B] a eu un comportement violent ou agressif avant d’être blessé. L’article 1240 du Code civil, qui stipule que la responsabilité est engagée par la faute, ne peut donc pas être appliqué à [E] [B] dans ce contexte. De plus, il n’existe qu’une seule mention d’une chute, émanant de [S] [D], sans corroboration par d’autres témoins. Ainsi, il n’est pas établi que [E] [B] ait commis une faute ayant contribué à son préjudice. En conséquence, [S] [D] ne peut pas se prévaloir d’une faute de [E] [B] pour exonérer sa responsabilité. Comment le préjudice subi par [E] [B] est-il évalué et réparé ?L’évaluation du préjudice subi par [E] [B] repose sur plusieurs éléments, conformément aux principes de réparation intégrale. Le rapport d’expertise médicale indique que [E] [B] a subi des blessures nécessitant des soins, avec une incapacité temporaire de travail. Les préjudices sont classés en préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux. Les préjudices patrimoniaux incluent les dépenses de santé actuelles, qui s’élèvent à 159,92 €, et les pertes de gains professionnels, évaluées à 115,92 €. Les préjudices extra-patrimoniaux comprennent le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées et le préjudice esthétique. Le déficit fonctionnel temporaire est évalué à 330 €, les souffrances endurées à 3.000 €, et le préjudice esthétique temporaire également à 3.000 €. Enfin, le préjudice esthétique permanent est évalué à 4.000 €. Au total, le préjudice subi par [E] [B] est fixé à 10.662,93 €, après imputation des créances des tiers payeurs. L’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 précise que le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste. Ainsi, la CPAM a engagé des frais qui s’imputent sur les indemnités dues à [E] [B]. Le tribunal a donc condamné [S] [D] à verser cette somme en réparation de son préjudice, conformément aux dispositions légales applicables. Quelles sont les conséquences financières pour [S] [D] suite à cette décision ?Les conséquences financières pour [S] [D] résultent de la décision du tribunal qui l’a déclarée entièrement responsable du préjudice subi par [E] [B]. En vertu de cette décision, [S] [D] est condamnée à verser à [E] [B] la somme de 10.662,93 € en réparation de son préjudice. De plus, [S] [D] doit également payer 1.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, qui couvre les frais de justice. Les dépens, y compris les frais d’expertise, sont également à la charge de [S] [D]. L’article 514 du Code de procédure civile stipule que l’exécution provisoire du jugement est de droit, ce qui signifie que [E] [B] peut obtenir le paiement immédiat de la somme due. Ainsi, [S] [D] fait face à des conséquences financières significatives, incluant le remboursement des frais engagés par [E] [B] et le paiement des frais de justice. Ces éléments soulignent l’importance de la responsabilité civile dans les cas de dommages corporels et les implications financières qui en découlent pour la partie responsable. |
SUR LE FOND
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 16 Janvier 2025
64B
RG n° N° RG 23/03553 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XXZE
Minute n°
AFFAIRE :
[E] [B]
C/
[S] [D]
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE
Grosse Délivrée
le :
à
Avocats : Me Naomi CAZABONNE-PESSE
la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et de la mise à disposition :
Madame Rebecca DREYFUS, juge,
statuant en Juge Unique.
Madame Elisabeth LAPORTE, greffier présente lors des débats et de la mise à disposition.
DÉBATS :
à l’audience publique du 14 Novembre 2024
JUGEMENT :
Réputé contradictoire
en premier ressort
Par mise à disposition au greffe
DEMANDEUR
Monsieur [E] [B]
né le [Date naissance 4] 1997 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 7]
représenté par Maître Gilles SAMMARCELLI de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocats au barreau de BORDEAUX
DEFENDERESSES
Madame [S] [D]
née le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 8] (ETATS UNIS)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Naomi CAZABONNE-PESSE, avocat au barreau de BORDEAUX
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur en exercice domicilié es qualités audit siège
[Adresse 9]
[Localité 7]
défaillante
Le 20 avril 2019, [E] [B] a été blessé au visage alors qu’il se trouvait en discothèque avec des amis. Transporté aux urgences de la clinique d’[Localité 6], il a été diagnostiqué une plaie profonde sur la pommette gauche, ainsi que deux autres plaies superficielles, nécessitant 12 points de suture.
Dans le cadre d’une procédure pénale ouverte pour violences volontaires, il a été examiné par le CAUVA le 30 avril 2019 qui constatait :
– deux cicatrices malaires centimétriques suturées
– deux cicatrices jugales, la plus antérieure mesurant 45 mm de long suturé et la postérieure mesurant 20 mm, non suturée
– une cicatrice filiforme linéaire verticale entimétrique en région temporale gauche non suturée.
Ce service de médecine légale a fixé une incapacité totale de travail de 10 jours.
Dans le cadre de cette même procédure pénale, seule [S] [D] a été entendue en audition libre en qualité de mise en cause. Si elle a contesté les faits, le procureur de la République lui a adressé un rappel à la loi sous la qualification de violences volontaires avec arme ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 08 jours par courrier du 15 avril 2020.
Le 04 juin 2021, [E] [B] a assigné [S] [D] en référé aux fins d’expertise médicale. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 26 juillet 2021. Le Dr [M] a déposé son rapport le 16 décembre 2021.
[E] [B] a, par actes d’huissier en date des 21 avril 2023 et 11 mai 2023, assigné [S] [D] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d’indemnisation de son préjudice, ainsi que la CPAM de la Gironde en sa qualité de tiers-payeur.
La C.P.A.M. de la Gironde n’a pas constitué avocat. Il sera statué par jugement réputé contradictoire.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 14 novembre 2024 au cours de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date de ce jour, les parties en ayant été informées selon les modalités de l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par moyen électronique le 19 février 2024, M. [B] demande au tribunal de :
Vu les articles 1240 et 1242 du code civil,
– DECLARER Monsieur [B] recevable et bien fondé en ses demandes,
– DIRE ET JUGER que Madame [D] est à l’origine des blessures de Monsieur [B]
En conséquence,
– DECLARER Madame [D] responsable du préjudice corporel subi par Monsieur
[B] ;
– FIXER le préjudice subi par Monsieur [B], suite aux faits dont il a été victime le 20 avril
2019, à la somme de 8 332.93 €.
– CONDAMNER Madame [D] à payer à Monsieur [B] la somme de 8 332.93€ en
réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittance, se décomposant comme suit :
o 330€ au titre du déficit fonctionnel temporaire
o 4500 € titrent des souffrances endurées
o 3000 € au titre du préjudice esthétique temporaire
o 5000 € au titre du préjudice esthétique permanent
o 332,93 € au titre des dépenses de santé futures
– CONDAMNER Madame [D] à payer à Monsieur [B] la somme de 4000 € sur le
fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui comprendront
le coût de l’expertise, les frais de signification de la décision à intervenir ainsi que les frais
d’exécution forcée.
– DIRE n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 octobre 2023, Mme [D] demande au tribunal de :
A titre principal :
– DEBOUTER Monsieur [B] de l’ensemble de ses demandes et prétentions ;
A titre subsidiaire :
– CONSTATER que Monsieur [B] a commis une faute à l’origine de son dommage
qui présente un fait de la victime exonératoire de toute responsabilité pour Madame
[D],
– DECLARER Madame [D] irresponsable du préjudice subi par Monsieur
[B] ;
A titre infiniment subsidiaire :
– DECLARER Madame [D] responsable à hauteur de 10% du préjudice subi par
Monsieur [B] ;
– DEBOUTER Monsieur [B] de ses demandes de réparation au titre des dépenses
de santé futures ;
– CONDAMNER Madame [D] au paiement :
– de la somme de 200 € au titre des souffrances endurées ;
– de la somme de 200 € au titre du préjudice esthétique permanent ;
– de la somme de 50 € au titre du préjudice esthétique temporaire ;
En tout état de cause :
– CONDAMNER Monsieur [B] au paiement d’une somme de 5.000 € sur le
fondement de l’article 700 du CPC ;
– ECARTER l’exécution provisoire de la décision à venir ;
Pour l’exposé des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.
Sur la responsabilité de [S] [D]
L’article 1240 du code civil, fondant le principe de la responsabilité délictuelle, dispose que: “tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.”
L’article 1241 du même code définit la responsabilité dite “quasi-délictuelle” car reposant sur une faute ayant généré involontairement le dommage : “Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.”
L’article 40-1 du code de procédure pénale énonce : “Lorsqu’il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance en application des dispositions de l’article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l’identité et le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l’action publique, le procureur de la République territorialement compétent décide s’il est opportun :
1° Soit d’engager des poursuites ;
2° Soit de mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1, 41-1-2 ou 41-2 ;”
Enfin, l’article 41-1 du code de procédure pénale dans sa version applicable au présent litige dispose que : “S’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, d’un délégué ou d’un médiateur du procureur de la République :
1° Procéder au rappel auprès de l’auteur des faits des obligations résultant de la loi ;”
En l’espèce, [E] [B] soutient que [S] [D] est responsable de ses blessures, et donc des dommages dont il demande l’indemnisation, évoquant sa responsabilité délictuelle (soit une faute volontaire) voire quasi-délictuelle (faute involontaire). Il estime que les éléments de l’enquête pénale, en particulier les témoignages recueillis, permettent de retenir la responsabilité de [S] [D] et ajoute qu’un ami a reçu de la part de cette dernière un message sur les réseaux sociaux dans lequel elle reconnaît son implication. Enfin, il estime que la décision du procureur de la République de procéder à un rappel à la loi à son encontre pour des faits de violences avec arme confirme que l’enquête a déterminé qu’elle était l’auteur des gestes ayant généré ses blessures.
En défense, [S] [D] affirme qu’un rappel à la loi ne constitue pas une déclaration de culpabilité, de sorte que ce seul élément ne peut emporter sa responsabilité civile. Elle fait valoir qu’elle a toujours contesté les faits, et s’appuie sur les discordances entre les témoignages recueillis pour attester de la véracité de ses dires. Elle ajoute enfin que le message mentionné par le demandeur n’évoque pas sa responsabilité, puisqu’elle se contente de regretter qu’[E] [B] ait été blessé, tout en indiquant n’avoir pas été présente au moment de cette scène.
Sur ce, il est établi au regard des textes précédemment énoncés que le rappel à la loi du procureur de la République, qui existait jusqu’au 1er janvier 2023, ne devait concerner que les infractions qu’il estimait caractérisées et dont l’auteur avait été identifié, mais n’emportait pas autorité de la chose jugée. Toutefois, la décision prise dans le cas d’espèce, initialement orienté en rappel à la loi par délégué du Procureur en présence de la mise en cause, a, du fait des dispositions sanitaires prises en lien avec l’épidémie de la Covid 19, été finalement traitée par simple courrier adressé à la mise en cause. Il en résulte qu’à aucun moment [S] [D] n’a été en capacité de contester cette mesure alternative aux poursuites, alors qu’elle a nié les faits devant les enquêteurs. Si tel avait été le cas, le procureur de la République aurait pu soit classer sans suite la procédure, soit convoquer l’intéressée devant une juridiction de jugement afin qu’il soit statué sur sa culpabilité. Il résulte de ces éléments que le rappel à la loi, tel qu’il a été opéré dans cette procédure, ne peut suffire à établir la responsabilité de [S] [D].
L’enquête pénale, dont la copie a été produite par le demandeur, permet néanmoins d’établir que dès son dépôt de plainte le 21 avril 2019, [E] [B] a indiqué qu’il avait été blessé par “un coup en plein visage côté gauche sur la joue” reçu “par une fille”. Il ne pouvait détailler l’objet contondant utilisé mais estimait que cela pouvait être une coupe de Champagne au vu de la profondeur des plaies. Plusieurs amis avaient nommé une certaine “[S]” comme l’auteure du coup. Il produisait en outre le certificat médical initial qui mentionnait que le blessé avait évoqué un “coup sur la joue gauche avec un verre en plastique”.
M. [A], ami d’[E] [B], a indiqué ne pas avoir vu le coup ayant causé les blessures d’[E] [B], précisant qu’elle s’était écartée avec une amie puisqu’une bagarre semblait éclater entre son groupe et un autre, et avait constaté qu’[E] [B] saignait en se retournant vers eux. Elle ne mentionnait pas de chute ou de présence au sol de son ami.
[N] [G], également présente, a désigné [S] [D] comme étant l’auteure des blessures, ajoutant“j’en suis sûre”. Elle a précisé la nature des violences, décrivant “elle était à environ 1 mètre de lui et elle a jeté le verre en plastique en pleine figure. Elle a je pense envoyé très fort car le verre a éclaté”.
Le gérant de la discothèque, [Z] [R], a indiqué que ni lui ni les videurs n’avaient été témoins directs des faits, mais il a souligné le caractère “sanguin” de [S] [D], habituée des lieux.
Lors de son audition libre en date du 07 octobre 2019, [S] [D] a reconnu être présente le soir des faits. Elle a évoqué une altercation entre son groupe d’amis et un autre suite à la chute d’un des individus au niveau de leur table. Elle a déclaré qu’elle avait averti le gérant du bar et, revenant à sa table, elle avait poussé “légèrement” une des jeunes femmes qui essayait d’extraire celui qui avait chuté. Elle a indiqué que cela avait généré sa chute puis une “petite bagarre” ayant duré 2-3 minutes entre les deux groupes. Le videur était alors arrivé, et elle avait appris qu’[E] [B] avait été blessé, probablement en tombant sur du verre cassé au sol selon elle. Elle a reconnu avoir déjà eu des altercations dans cette même discothèque, générant une fois son départ forcé.
Une dernière audition de témoin a été réalisée le 26 octobre 2019 : [F] [C], amie de [S] [D], a expliqué aux enquêteurs qu’elle avait été durant toute la scène avec cette dernière et qu’elle n’avait commis aucune violence. Elle n’a mentionné aucune présence au sol d’[E] [B].
Un message émanant de [S] [D] via l’application messenger et adressé à un certain “[O]” était versé par [E] [B], dans lequel elle indiquait être “vraiment désolée pour lui”, et ne pas savoir “comment ce verre s’est cassé sur lui” alors qu’il n’avait rien à voir dans l’altercation et s’était simplement “retrouvé au milieu”.
Il résulte de ces différents éléments que si l’objet utilisé pour provoquer les blessures n’a pas été précisément identifié, le fait que ce soit un verre n’est pas contesté par la défenderesse qui l’indique également dans son message envoyé dans un temps proche des faits. [E] [B] n’a certes pas identifié la personne qui l’avait blessée, mais il convient de souligner qu’ils se trouvaient en discothèque, tard dans la nuit, et qu’il ne connaissait pas les autres personnes présentes en dehors de son groupe d’amis. Par ailleurs, ni [E] [B] ni aucune autre personne entendue dans cette enquête n’a indiqué qu’il était tombé au sol, quand [S] [D] ne fait que le supposer lors de son audition quelques mois plus tard, alors que, toujours dans ce même message envoyé quelques heures après les faits, elle indique bien que le verre s’est “cassé sur lui” (sans savoir comment, dit-elle), et aucunement que le demandeur serait tombé. Cela permet de retenir l’existence d’un geste violent avec un objet à l’origine des blessures plutôt qu’une chute accidentelle sur des morceaux de verre. De surcroît, [S] [D] est bien désignée formellement par [N] [G] qui a décrit précisément son geste, alors qu’[F] [C] affirme que son amie n’a poussé une des personnes présentes qu’après qu’[E] [B] n’ait été blessé (et justement parce qu’elle l’en accusait), alors que, de l’aveu même de [S] [D], elle l’avait poussée avant, ce dont il résulte que ces deux témoignages ne sont pas concordants comme pourtant affirmé en défense. Enfin, [S] [D] dans le message adressé à “[O]”, bien qu’elle ne reconnaisse pas directement être à l’origine des violences, énonce un contexte bien précis, à savoir qu’[E] [B] aurait été blessé alors qu’il n’était pas spécifiquement visé, parce qu’il s’était retrouvé au milieu de la “petite bagarre” précédemment évoquée.
Les éléments évoqués ci-dessus permettent d’imputer les blessures constatées sur [E] [B] à [S] [D], et de juger que celles-ci sont d’origine volontaire, et ce sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’[E] [B] était spécifiquement visé par le geste violent. La responsabilité de [S] [D] sera donc retenue en vertu de l’article 1240 du code civil.
Sur l’existence d’une faute d’[E] [B] entraînant une exonération voire un partage de responsabilité
[S] [D] soutient, à titre subsidiaire, qu’[E] [B] serait entièrement responsable de son dommage à raison d’une faute commise par lui, qu’elle caractérise comme le fait d’avoir été dans une soirée festive en ayant consommé de l’alcool, ce qui l’aurait amené à être impliqué dans une altercation. Elle ajoute que plusieurs auditions font état de ce qu’il aurait chuté sur du verre cassé du fait de cette alcoolisation et que c’est cette chute qui a généré ses blessures.
[E] [B] affirme au contraire qu’il n’est pas tombé, et qu’aucune faute ne lui est imputable de sorte qu’aucun partage de responsabilité n’est susceptible de diminuer son droit à indemnisation.
Ainsi qu’il a déjà été vu, seule une audition mentionne qu’[E] [B] serait tombé au sol, et il s’agit de celle de la mise en cause dans le cadre de l’enquête pénale, dont il vient d’être retenu la responsabilité dans les blessures constatées sur [E] [B]. Aucun autre élément de la procédure ne vient corroborer cette affirmation, de sorte que cet élément ne sera pas retenu.
Le fait qu’[E] [B] ait été alcoolisé alors qu’il se trouvait en boîte de nuit n’est pas de nature à constituer un comportement fautif de la victime. De surcroît, aucun élément de la procédure ne permet d’établir qu’il aurait eu un comportement violent, ni même agressif avant d’être blessé.
En conséquence, aucune faute de la victime ayant eu un rôle causal dans son préjudice n’est caractérisée, et [S] [D] sera déclarée entièrement responsable du préjudice subi par [E] [B].
Sur la liquidation du préjudice subi par [E] [B]
Le rapport du Docteur [M] indique qu’[E] [B], né le [Date naissance 4] 1997, étudiant au moment des faits, a présenté suite aux violences 3 plaies à la joue gauche ayant nécessité 12 points de suture.
Après consolidation fixée au 20 juillet 2019, l’expert retient une absence de déficit fonctionnel permanent, soulignant l’absence de séquelles, sans perspective d’aggravation de son état.
Au vu de ce rapport, le préjudice corporel de M. [B] sera évalué ainsi qu’il suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.
I. Préjudices patrimoniaux
A. Préjudices patrimoniaux temporaires
Dépenses de santé actuelles (DSA) :
Ces dépenses correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d’hospitalisation pris en charge par les organismes sociaux ou restés à la charge effective de la victime.
Ils’évince du relevé de débours de la CPAM que cette dernière a exposé entre le 21 avril 2019 et le 30 avril 2019 pour le compte de son assuré social [E] [B] un total de 159,92€ (frais médicaux) qu’il y a lieu de retenir.
Dès lors, ce poste de préjudice sera fixé à la somme totale de 159,92€.
Perte de gains professionnels actuels (P.G.P.A.)
Elles concernent le préjudice économique de la victime imputable au fait dommageable, pendant la durée de son incapacité temporaire.
L’expert retient un arrêt de travail imputable à l’accident entre le 21 avril 2019 et le 30 avril 2019.
Il ressort de la notification des débours définitifs versée aux débats que la CPAM a engagé une somme de 115,92€ au titre indemnités journalières qu’elle a versées à son assuré social du 24 avril 2019 au 30 avril 2019, somme qui s’impute sur ce poste de préjudice.
Ce poste de préjudice sera en conséquence réparé à la somme globale de 115,92€.
B. Préjudices patrimoniaux permanents :
Dépenses de santé futures (DSF)
L’expert, dans son pré-rapport, ne mentionne aucun frais futurs prévisibles. Le conseil de M. [B] a adressé un Dire en date du 30 novembre 2021 indiquant que M. [B] envisageait une chirurgie réparatrice concernant les cicatrices se trouvant sur sa joue gauche au regard de leur caractère “éminemment disgrâcieux”. Il produit au surplus un devis du Dr [P], chirurgien plastique, en date du 07 janvier 2022, pour une “reprise de cicatrice vicieuse jugale gauche” pour un montant de 332,93 euros.
Le Docteur [M] a répondu à ce dire en indiquant que l’intéressé n’avait pas mentionné cette préoccupation le jour de l’expertise, soulignant que ces interventions ne sont pas systématiques et soumises au préalable à un avis spécialisé.
En défense, [S] [D] demande à ce qu’[E] [B] soit débouté de cette demande en ce que l’expert à écarté ce poste de préjudice dans son rapport.
En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise que plusieurs cicatrices restent visibles sur la joue gauche d’[E] [B], dont une est “nettement visible”, “rosée, avec une zone d’absence de pilosité à son niveau”, ce qui l’a d’ailleurs conduit à évaluer un préjudice esthétique permanent sur lequel il est statué ci-après.
En vertu du principe de réparation intégrale, et au regard du devis fourni, il sera fait droit à la demande d’indemnisation d’[E] [B] sur ce poste de préjudice, à hauteur du devis fourni soit 332,93 euros.
II. Préjudices extra-patrimoniaux :
A. Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
Déficit fonctionnel temporaire (DFT)
Ce poste de préjudice indemnise l’aspect non économique de l’incapacité temporaire, c’est-à-dire l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu’à sa consolidation. Ce préjudice correspond à la gêne dans tous les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant sa maladie traumatique et à la privation temporaire de sa qualité de vie.
Calculée sur la base de 32 € par jour, non contesté par la défenderesse, pour une DFT à 100%, il doit être arrêté au regard des conclusions de l’expert à :
– 103 € correspondant au déficit fonctionnel temporairepartiel à hauteur de 20% d’une durée totale de 16 jours ;
– 227 € pour le déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 10% d’une durée totale de 61 jours selon le calcul commun des parties
soit un total de 330 euros.
Souffrances endurées (SE)
Elles sont caractérisées par les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, sa dignité, des traitements subis.
L’expert les a évalué à 2/7 en raison notamment du traumatisme initial, des plaies au visage ayant nécessité 12 points de suture, des soins locaux pendant 15 jours, et du vécu sur le plan psychologique avec des plaies nettement visibles au niveau du visage.
Dès lors, il convient de fixer l’indemnité à ce titre à 3.000 €.
Préjudice esthétique temporaire (P.E.T.)
L’expert a retenu une préjudice esthétique temporaire, sans toutefois le chiffrer, en raison de la nécessité de s’exposer au regard d’autrui avec des plaies suturées au visage.
Dès lors, il convient de fixer l’indemnité à ce titre à 3.000 €.
B. Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation) :
Préjudice esthétique permanent (P.E.P.)
L’expert a retenu une préjudice esthétique permanent de 2/7 en raison de plusieurs cicatrices sur la joue gauche dont une est nettement visible.
Dès lors, il convient de fixer l’indemnité à ce titre à 4.000 €.
Sur l’imputation de la créance des tiers payeurs et la réparation des créances
Il convient de rappeler qu’en vertu des principes posés par les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 modifiée par l’article 25 III et IV de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 :
– les recours subrogatoires des caisses et tiers payeurs contre les tiers responsables s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel,
– conformément à l’article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; qu’en ce cas, l’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence à la caisse subrogée,
– cependant, si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s’exercer sur ce poste de préjudice.
En l’espèce, la créance des tiers payeurs s’imputera ainsi :
– la créance de 159,92 euros exposés par la CPAM pour des frais médicaux s’imputera sur les dépenses de santé actuelles ;
– la créance de 115,92 euros exposés par la CPAM pour les indemnités journalières s’imputera sur les pertes de gains professionnels actuels ;
Après imputation de cette créance des tiers-payeurs (275,84 euros), le solde dû à M. [E] [B] s’élève à la somme de 10.622,93 euros.
L’organisme social n’a formulé aucune demande, ce qui laisse présumer qu’il a été ou sera désintéressé dans le cadre des dispositions du Protocole de 1983 ou de celui prévu à l’article L. 376-1 alinéa 6 du code de la sécurité sociale modifié par la loi du 21 Décembre 2006.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Succombant à la procédure, [S] [D] sera condamnée aux dépens dans lesquels sont inclus les frais de l’expertise judiciaire.
D’autre part, il serait inéquitable de laisser à la charge d’[E] [B] les frais non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de condamner [S] [D] à une indemnité en sa faveur d’un motant de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, il convient de rappeler que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.
Le Tribunal,
DECLARE [S] [D] entièrement responsable du préjudice subi par [E] [B]
FIXE le préjudice subi par [E] [B] à la somme de 10.662,93 euros conformément au détail suivant :
Evaluation du préjudice
Créance CPAM
Créance victime
PREJUDICES PATRIMONIAUX
temporaires
-DSA dépenses de santé actuelles
159,92 €
159,92 €
-PGPA perte de gains actuels
115,92 €
115,92 €
permanents
– DSF dépenses de santé futures
332,93 €
332,93 €
PREJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX
temporaires
– DFT déficit fonctionnel temporaire
330,00 €
330,00 €
– SE souffrances endurées
3 000,00 €
3 000,00 €
– PET préjudice esthétique temporaire
3 000,00 €
3 000,00 €
permanents
– PE Préjudice esthétique permanent
4 000,00 €
4 000,00 €
– TOTAL
10 938,77 €
275,84 €
10 662,93 €
CONDAMNE [S] [D] à verser à [E] [B] la somme de 10.662,93 euros en réparation de son préjudice ;
DECLARE le jugement commun à la CPAM de la Gironde ;
CONDAMNE [S] [D] à payer à [E] [B] la somme de 1 500 euros au titre de l’article au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [S] [D] aux dépens de l’instance en ce compris les frais d’expertise ;
DIT que les sommes allouées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit ;
REJETTE les autres demandes des parties.
Le jugement a été signé par Rebecca DREYFUS, président, et Elisabeth LAPORTE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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