L’Essentiel : Madame [O] [N], aide à domicile, a contracté le COVID-19 en avril 2021 et est décédée le 28 mai 2021. La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE a reconnu la maladie comme professionnelle et a lié le décès à cette pathologie. Son partenaire, Monsieur [M] [R], a saisi le Tribunal judiciaire de METZ pour demander la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, l’ASSOCIATION [8]. Le tribunal a examiné la demande, notant que l’employeur avait mis en place des mesures de protection. Finalement, la demande de reconnaissance de faute inexcusable a été rejetée, ainsi que les demandes d’indemnisation.
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Contexte de l’affaireMadame [O] [N] a été employée par l’ASSOCIATION [8] en tant qu’aide à domicile. Elle a contracté une infection au SARS-COV-2 (COVID-19) en avril 2021 et est décédée le 28 mai 2021. Reconnaissance de la maladie professionnelleLa CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE a informé le partenaire de PACS de Madame [O] [N], Monsieur [M] [R], le 2 février 2022, de la prise en charge de la pathologie liée à la COVID-19 au titre des maladies professionnelles. Le 7 février 2022, la Caisse a également reconnu le décès de Madame [O] [N] comme étant en lien avec cette maladie professionnelle. Demande de reconnaissance de faute inexcusableMonsieur [M] [R] a saisi le Tribunal judiciaire de METZ le 23 janvier 2023 pour demander la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, l’ASSOCIATION [8], et une indemnisation. L’affaire a été fixée pour audience publique le 18 octobre 2024. Prétentions de Monsieur [M] [R]Monsieur [M] [R] a demandé au tribunal de reconnaître son action, de déclarer le décès de Madame [O] [N] dû à la faute inexcusable de l’employeur, et de condamner l’AMAPA à verser des dommages et intérêts pour préjudice d’affection et souffrances endurées, ainsi qu’à payer les dépens. Position de l’AMAPA et de la CaisseL’AMAPA a demandé le rejet des demandes de Monsieur [M] [R], tandis que la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE a indiqué qu’elle s’en remettait à la décision du tribunal concernant la faute inexcusable et l’évaluation des préjudices. Motivation du tribunalLe tribunal a examiné la recevabilité de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable, concluant que celle-ci avait été faite dans le délai légal. Il a également noté que l’employeur avait une obligation de sécurité envers ses employés, mais que la preuve de la faute inexcusable devait être apportée par Monsieur [M] [R]. Exposition au risque et mesures de protectionLe tribunal a reconnu que Madame [O] [N] était exposée au risque de contamination en tant qu’aide à domicile durant la pandémie. Cependant, il a également constaté que l’AMAPA avait mis en place des mesures de protection, telles que la fourniture de masques chirurgicaux et de gants, et avait informé ses employés sur la vaccination. Conclusion du tribunalLe tribunal a rejeté la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’AMAPA, considérant que Monsieur [M] [R] n’avait pas prouvé un manquement de l’employeur aux obligations de sécurité. En conséquence, il a également rejeté les demandes d’indemnisation et a condamné Monsieur [M] [R] aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la recevabilité de la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeurLa recevabilité de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est régie par l’article L.431-2 du code de la sécurité sociale. Cet article stipule que « les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à compter notamment du jour de l’accident, de la clôture de l’enquête ou de la cessation de paiement des indemnités journalières. » Il est précisé que la date de consolidation n’est pas un point de départ de la prescription biennale. Dans le cas présent, il est établi que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable a été exercée dans le délai de deux ans prévu par cet article. Ainsi, les demandes de Monsieur [M] [R] sont déclarées recevables. Sur la mise en cause de l’organisme socialConformément aux articles L.452-3, alinéa 1er in fine, L.452-4, L.455-2, alinéa 3, et R.454-2 du code de la sécurité sociale, la mise en cause de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle est justifiée. Ces articles prévoient que l’organisme social doit être impliqué dans les litiges relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Il est donc approprié de déclarer le jugement commun à cet organisme. Sur la faute inexcusable reprochée à l’employeurL’article L4121-1 du code du travail impose à l’employeur une obligation de sécurité envers ses salariés. Cet article stipule que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » L’article L452-1 du code de la sécurité sociale précise que « lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire. » Pour établir la faute inexcusable, il faut prouver trois éléments : l’exposition au risque, la connaissance de ce risque par l’employeur, et l’absence de mesures prises pour préserver le salarié. Dans cette affaire, il est incontestable que Madame [O] [N] était exposée au risque de contamination au SARS-COV-2. Cependant, l’employeur a mis en place des mesures de protection, ce qui rend difficile la caractérisation de la faute inexcusable. Sur l’exposition au risqueIl est établi que Madame [O] [N] était exposée au risque de contamination en tant qu’aide à domicile durant la pandémie de Covid-19. Cette exposition est confirmée par les circonstances de son travail, qui l’ont amenée à se rendre quotidiennement au domicile de personnes âgées. Ainsi, la condition d’exposition au risque est remplie. Sur la conscience que devait avoir l’employeur du dangerLa conscience du danger par l’employeur est appréciée in abstracto. Il suffit de prouver que l’employeur « ne pouvait ignorer » le danger auquel le salarié était exposé. Dans le contexte de la pandémie, l’AMAPA devait avoir conscience du risque de contamination. Cette condition est également remplie, car l’employeur était informé des dangers liés à la Covid-19. Sur les mesures prises pour préserver la santé du salariéLa charge de la preuve de la faute inexcusable incombe à la victime ou à ses ayants droit. Il est nécessaire de démontrer que l’employeur n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour préserver la santé du salarié. L’AMAPA a justifié avoir mis à jour son Document Unique d’Évaluation des Risques et avoir fourni des équipements de protection. Les éléments présentés montrent que l’employeur a respecté les protocoles en vigueur à l’époque de la contamination. Ainsi, la condition relative à la preuve du défaut ou de l’insuffisance des mesures prises par l’employeur n’est pas remplie. Sur l’action récursoire de la CaisseL’action récursoire de la Caisse devient sans objet, puisque la faute inexcusable de l’employeur n’est pas reconnue. Cela signifie que la Caisse ne peut pas demander le remboursement des sommes versées à Monsieur [M] [R]. Sur les dépensL’article R142-1-A du code de la sécurité sociale stipule que les demandes portées devant les juridictions sont jugées selon les dispositions du code de procédure civile. L’article 696 du code de procédure civile précise que « la partie perdante est condamnée aux dépens. » Dans cette affaire, Monsieur [M] [R] étant la partie perdante, il sera condamné aux dépens. Sur les frais irrépétiblesL’article 700 du code de procédure civile prévoit que le juge peut condamner la partie perdante à payer une somme à l’autre partie pour les frais exposés. Étant donné que Monsieur [M] [R] est la partie perdante, sa demande au titre de l’article 700 sera rejetée. Sur l’exécution provisoireL’article R142-10-6 du code de la sécurité sociale permet au tribunal d’ordonner l’exécution par provision de ses décisions. Cependant, dans cette affaire, l’issue du litige ne justifie pas l’exécution provisoire de la décision. Ainsi, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire. |
ctx protection sociale
N° RG 23/00084 – N° Portalis DBZJ-W-B7H-J4U6
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE METZ
_____________________________
[Adresse 3]
[Adresse 10]
☎ [XXXXXXXX01]
___________________________
Pôle social
JUGEMENT DU 17 JANVIER 2025
DEMANDEUR :
Monsieur [M] [R], agissant à titre personnel et exerçant l’action personnelle de Mme [O] [N], décédée le 28/05/2021 à [Localité 14]
[Adresse 5]
[Localité 6]
comparant en personne assisté de Me Christian NIVOIX, avocat au barreau de STRASBOURG
DEFENDERESSE :
Société [8]
[Adresse 4]
[Localité 11]
représentée par Maître Xavier IOCHUM de la SCP IOCHUM-GUISO, avocats au barreau de METZ, vestiaire : B209, substituée par Me Alexandre SCHMITZBERGER, avocat au barreau de METZ, vestiaire : C404
EN PRESENCE DE :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
[Adresse 2]
[Adresse 12]
[Localité 7]
représentée par M. [A] [P] muni d’un pouvoir régulier
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : M. MALENGE Grégory
Assesseur représentant des employeurs : M. Léon BAR
Assesseur représentant des salariés : M. Flavien GOODWIN
Assistés de Madame CARBONI Laura, Greffière,
En présence de Monsieur [I] [W], Greffier stagiaire
a rendu, à la suite du débat oral du 18 octobre 2024, le jugement dont la teneur suit :
Expéditions – Pièces (1) – Exécutoire (2)
à
Maître Xavier IOCHUM de la SCP IOCHUM-GUISO
Me Christian NIVOIX
[M] [R]
Société [8]
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
le
Madame [O] [N] a été employée par l’ASSOCIATION [8] ([8]) en qualité d’aide à domicile.
Madame [O] [N] est tombée malade au mois d’avril 2021 suite à une infection au SARS-COV-2 (COVID-19).
Madame [O] [N] est décédée de cette maladie le 28 mai 2021.
La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE a notifié le 02 février 2022 à Monsieur [M] [R], partenaire de PACS de Madame [O] [N], la prise en charge de la pathologie « Insuffisance respiratoire aiguë par infection à SARS-COV-2 » subie par cette dernière au titre du tableau 100 des maladies professionnelles.
La Caisse a notifié le 07 février 2022 à Monsieur [M] [R] la prise en charge du décès de Madame [O] [N] en lien avec la maladie professionnelle reconnue.
Monsieur [M] [R] s’est vu attribuer le 25 avril 2022 en sa qualité d’ayant-droit de la défunte une rente à compter du 29 mai 2021.
Suivant requête reçue au greffe le 23 janvier 2023 Monsieur [M] [R] par l’intermédiaire de son Conseil a saisi le Pôle social du Tribunal judiciaire de METZ d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur de Madame [O] [N], l’ [8], et d’indemnisation subséquente.
L’affaire a été appelée à la première audience de mise en état du 04 mai 2023 et après plusieurs renvois en mise en état à la demande des parties, elle a reçu fixation à l’audience publique du 18 octobre 2024, date à laquelle elle a été retenue et examinée.
A l’issue des débats la décision a été mise en délibéré au 17 décembre 2024, délibéré prorogé au 17 janvier 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
A l’audience, Monsieur [M] [R], assisté de son Avocat, développe oralement les termes de ses dernières écritures reçues au greffe le 06 novembre 2023.
Suivant ses dernières conclusions Monsieur [M] [R] demande au tribunal de :
– recevoir son action tant en son nom personnel qu’en qualité d’ayant-droit de Madame [O] [N],
– dire et juger que le décès de Madame [O] [N] est dû à la faute inexcusable de l’employeur, l’AMAPA,
– condamner l’AMAPA à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’affection,
– condamner l’AMAPA à lui verser en sa qualité d’ayant-droit de Madame [O] [N] les sommes de 10 000 euros au titre des souffrances endurées et 10 000 euros au titre du préjudice d’affection,
– condamner l’AMAPA aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner l’exécution provisoire.
L’AMAPA, représentée par son Avocat, s’en rapporte à ses dernières écritures et au dernier état récapitulatif de ses pièces communiquées sous bordereau reçus au greffe le 07 mai 2024.
Suivant ses dernières conclusions l’AMAPA sollicite le rejet des demandes formées par Monsieur [M] [R].
La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE, régulièrement représentée à l’audience par Monsieur [P] muni d’un pouvoir à cet effet, s’en rapporte à ses dernières écritures et au dernier état récapitulatif de ses pièces communiquées sous bordereau reçus au greffe le 23 novembre 2023.
Suivant ses dernières conclusions la Caisse demande au tribunal de :
– lui donner acte qu’elle s’en rapporte à la décision du tribunal s’agissant de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,
– lui donner acte qu’elle s’en remet à l’appréciation du tribunal en ce qui concerne l’évaluation des préjudices extrapatrimoniaux de Madame [O] [N] et des préjudices moraux de l’ayant-droit,
– déclarer irrecevable toute éventuelle demande d’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie,
– condamner l’AMAPA à lui rembourser les sommes qu’elle sera tenue de verser en application des dispositions de l’article L452-3-1 du code de la sécurité sociale.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal se réfère expressément aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, des moyens invoqués et des prétentions émises.
Sur la recevabilité de la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur
Il résulte de l’article L.431-2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au présent litige que les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à compter notamment du jour de l’accident, de la clôture de l’enquête ou de la cessation de paiement des indemnités journalières.
Il sera précisé que la date de consolidation n’est pas un point de départ de la prescription biennale.
Elle correspond cependant le plus souvent à la cessation des indemnités journalières.
En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur initiée par Monsieur [M] [R] a été exercée dans le délai de deux ans prévu par l’article L431-2 précité.
Dès lors les demandes en reconnaissance de la faute inexcusable de l’AMAPA et d’indemnisation subséquentes formée par Monsieur [M] [R] seront dès lors déclarées recevables.
Sur la mise en cause de l’organisme social
Conformément aux dispositions des articles L.452-3, alinéa 1er in fine, L.452-4, L.455-2, alinéa 3, et R.454-2 du code de la sécurité sociale, la CPAM de la MOSELLE a bien été mise en cause, de sorte qu’il y a lieu de déclarer le présent jugement commun à cet organisme.
Sur la faute inexcusable reprochée à l’employeur
MOYENS DES PARTIES
Monsieur [M] [R] expose qu’en travaillant en qualité d’aide à domicile pour le compte de l’AMAPA pendant la période de confinement du mois d’avril 2021 et en se rendant tous les jours au domicile de personnes âgées Madame [O] [N] ne pouvait qu’être exposée au virus de la Covid-19. Il indique que pendant cette période Madame [O] [N] n’était équipée que de gants et de masques chirurgicaux. Il reproche à l’AMAPA de ne pas avoir invité Madame [O] [N] à participer ou à se porter candidate à une opération de vaccination organisée par l’employeur et elle n’a pu bénéficier que de gants et de masques insuffisamment protecteurs, alors qu’à la même période du matériel plus protecteur était disponible. Il précise encore qu’au regard de l’importance du risque de contamination auquel Madame [O] [N] était exposée du fait de son âge, l’AMAPA se devait d’assurer une information personnelle à l’égard de sa salariée lui recommandant de se faire vacciner et lui donnant les moyens d’accéder au processus de vaccination. Selon Monsieur [M] [R] au vu de l’âge de Madame [O] [N] l’employeur aurait dû renforcer les mesures de protection à son égard. Il ajoute que durant la même période de confinement et de contamination Madame [O] [N] était chargée de former en sa qualité de tutrice une stagiaire, alors qu’il était recommandé d’éviter les contacts inutiles entre les personnes, stagiaire également testée positive à la Covid-19 au mois d’avril 2021. Il en conclut que l’AMAPA avait nécessairement conscience du danger auquel Madame [O] [N] était exposée et que l’AMAPA n’a pas pris les mesures appropriées en matière de prévention pour préserver son état de santé et dont les manquements ont conduit à son décès.
L’AMAPA relève de son côté en premier lieu que les circonstances exactes de la contamination au virus subie par Madame [O] [N] sont inconnues. Elle indique avoir mis à jour son [13] en février 2021 afin de renforcer les mesures d’évitement des risques. Elle expose que de nombreuses communications ont été mises en œuvre aux fins de promouvoir la vaccination de ses salariés, tout en rappelant que les stocks disponibles au niveau national durant cette période ne permettaient la vaccination de l’ensemble du public et que les salariés aides à domicile ne bénéficiaient pas de circuit prioritaire mais relevaient du circuit grand public. Elle soutient avoir distribué en quantité suffisante du matériel de protection et souligne que les interventions de Madame [O] [N] dans le cadre de ses fonctions d’aide à domicile ne relevaient pas du port du masque FFP2 dont les préconisations d’extension de son usage vont évoluer mais postérieurement à la date à laquelle la salariée a été contaminée. L’AMAPA rappelle qu’au regard de la date à laquelle Madame [O] [N] a été infectée par le virus une vaccination postérieure au 30 mars 2021 n’aurait produit aucun effet et que par ailleurs à cette date il existait une pénurie de vaccins sur le territoire national.
La Caisse s’en rapporte sur ce point.
REPONSE DE LA JURIDICTION
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié et en application des articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé tant physique que mentale, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cette obligation de sécurité couvre notamment les produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. A ce titre l’employeur a en particulier l’obligation de veiller à l’adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Suivant l’article L452-1 du code de la sécurité sociale, « Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. »
En application de ce texte, le manquement de l’employeur à cette obligation légale de sécurité et de protection de la santé a le caractère d’une faute inexcusable, lorsque celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l’origine déterminante de la maladie contractée par le salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime, à ses ayants droit ou au FIVA, subrogé dans les droits de la victime ou de ses ayants droit, en leur qualité de demandeurs à l’instance. Il est rappelé à cet égard que le simple fait pour un salarié de contracter une maladie dont l’origine professionnelle est reconnue, n’implique pas nécessairement que l’employeur ait commis une faute inexcusable à l’origine de l’apparition de cette maladie.
La caractérisation de la faute inexcusable suppose la réunion des trois conditions suivantes :
• l’exposition du salarié à un risque,
• la connaissance de ce risque par l’employeur,
• l’absence de mesures prises par l’employeur pour en préserver le salarié.
Sur l’exposition au risque
En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties et il ne peut par ailleurs être nullement contesté qu’en sa qualité d’aide à domicile employée à ce titre par l’AMAPA et en se rendant quotidiennement dans le cadre de ses fonctions aux domiciles de personnes âgées durant l’épidémie de la Covid-19 et plus particulièrement pendant le 3ème confinement du 03 avril au 03 mai 2021, Madame [O] [N] ne pouvait qu’être exposée au risque de contamination du SARS-COV-2.
La condition relative à l’exposition de Madame [O] [N] au risque de contamination est donc remplie.
Sur la conscience que devait avoir l’employeur du danger auquel le salarié était exposé
Il convient de rappeler qu’il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l’employeur, aucune faute ne pouvant être établie lorsque l’employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l’apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu’il pouvait avoir.
La conscience du danger exigée de l’employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d’autres termes, il suffit de constater que l’auteur « ne pouvait ignorer » celui-ci ou « ne pouvait pas ne pas en avoir conscience » ou encore qu’il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s’apprécie au moment ou pendant la période de l’exposition au risque.
En outre, la conscience du danger doit s’apprécier compte-tenu de l’importance de l’entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié.
En l’espèce, au regard de la pandémie de Covid-19 survenue en France en 2020, des trois périodes de confinement successivement ordonnées par le Gouvernement en vue de freiner la diffusion du virus, des tâches accomplies par ses salariés et à la lumière des mesures de prévention et de protection qu’elle soutient avoir mis en œuvre, l’AMAPA ne pouvait avoir que conscience du danger de contamination auquel était soumise Madame [O] [N] en poursuivant son exercice professionnel notamment durant la période du 3ème confinement, période au cours de laquelle les contaminations étaient particulièrement en hausse.
Cette condition est dès lors également remplie.
Sur les mesures prises pour préserver la santé du salarié
La charge de la preuve de la faute inexcusable incombe à l’assuré et cela suppose également de démontrer que l’employeur n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour préserver sa santé. A ce titre, le seul fait d’avoir contracté la maladie n’établit pas cette preuve, l’employeur pouvant produire tous éléments attestant des moyens mis en œuvre.
Il sera encore rappelé que l’appréciation de la carence de l’employeur quant à l’efficacité des mesures de protection mises en place se fonde sur les dispositions qui s’appliquent au secteur économique concerné, mais aussi sur l’efficacité in concreto des mesures prises.
En l’espèce, il ressort des éléments produits aux débats par Monsieur [M] [R] que Madame [O] [N] a été employée en qualité d’aide à domicile pour le compte de l’AMAPA du 01 février 1988 au 28 mai 2021 en CDI.
Il ressort encore de ces mêmes pièces et notamment des documents produits établis par l’AMAPA que cette association fait partie du groupe [9].
Il n’est pas contesté par les parties que Madame [O] [N] a été contaminée par le virus de la Covid-19 au mois d’avril 2021 à la lecture du test positif produit aux débats réalisé le 14 avril 2021 et qu’elle est décédée de cette maladie le 28 mai 2021 à l’âge de 59 ans.
Il sera relevé que Monsieur [M] [R] ne fait pas mention chez Madame [O] [N] d’une quelconque fragilité médicale ou de facteurs de risques particuliers pouvant justifier un risque accru de détérioration de sa santé en cas de contamination, en dehors de son seul âge.
Il résulte également de l’attestation de Madame [K] [L] versée aux débats par Monsieur [M] [R] que Madame [O] [N] intervenait au domicile du témoin afin d’y accomplir des heures ménagères durant la pandémie munie d’un masque chirurgical et de gants.
Monsieur [M] [R] ne vient nullement contester par ailleurs que Madame [O] [N] ait pu disposer dans le cadre de l’exercice de ses fonctions et notamment durant la période au cours de laquelle elle a été contaminée de gants et de masques chirurgicaux.
Il communique à ce titre une photographie de la boite de masques chirurgicaux dont était dotée Madame [O] [N], s’agissant de masques de type II à haute filtration avec un taux de filtration bactérienne supérieur à 99 %.
De son côté l’AMAPA justifie avoir mis à jour au mois de février 2021 son Document Unique relatif à l’Evaluation des Risques Professionnels ([13]) en y intégrant spécifiquement le risque de contamination au virus de la Covid-19.
Elle justifie encore avoir mené une campagne d’information sur les risques de contamination à l’égard des usagers des services d’aide à domicile par l’envoi d’une correspondance datée du 02 novembre 2020 afin de leur rappeler les gestes essentiels en vue de préserver notamment la santé des intervenants de l’association à domicile.
L’AMAPA verse aux débats plusieurs mails au nom du groupe [9] s’inscrivant dans le cadre d’une campagne d’information et adressés dans le courant des mois de janvier et février 2021 à l’ensemble de ses personnels d’aide à domicile, et notamment à ceux de l’AMAPA du [Localité 11] employant Madame [O] [N], leur rappelant la nécessité de se faire vacciner et la priorité de vaccination offerte aux aides à domicile de plus de 50 ans.
A ce titre, il n’est aucunement démontré par Monsieur [M] [R] que Madame [O] [N] ait pu entreprendre des démarches afin de se faire vacciner, étant par ailleurs observé qu’au-delà de la campagne d’information sur la vaccination menée par l’AMAPA, au regard des propres campagnes d’information diffusées en masse notamment dans les médias à l’initiative du Gouvernement relatives à la nécessité de se faire vacciner à la fois pour se prémunir de toute contamination du virus mais également éviter sa diffusion à son entourage, Madame [O] [N] ne pouvait ignorer qu’eu égard à son âge et à son activité professionnelle la vaccination lui était particulièrement recommandée.
L’AMAPA démontre encore à travers notamment l’attestation de Madame [Z] [B] et l’extrait du planning produits qu’elle a entendu organiser de manière efficiente la fourniture de masques chirurgicaux et de gants à l’égard de son personnel.
S’il résulte des débats que Madame [O] [N] a pu avoir en charge la formation d’une stagiaire sur la période du 01 avril au 16 avril 2021, à savoir Madame [J], qui l’accompagnait dans le cadre des interventions à domicile et qui a elle-même été testée positive au virus le 20 avril 2021, il ne peut qu’être relevé qu’au regard du pic de l’épidémie auquel était confronté la France durant cette période ayant conduit à nouveau à la mise en place d’un confinement, les circonstances de contraction de la maladie ne peuvent qu’être particulièrement indéterminées.
L’AMAPA produit par ailleurs le témoignage de Madame [J] qui indique avoir reçu de la part de Madame [O] [N] des équipements de protection tels que gants, masques chirurgicaux et gel hydroalcoolique. Elle précise que Madame [O] [N] était dotée de tout le matériel de protection et de manière suffisante dans la voiture. Elle précise encore que durant son stage tant Madame [O] [N] qu’elle-même ont respecté les règles d’hygiène et le protocole sanitaire.
Il doit en outre être rappelé l’impérieuse nécessité durant la pandémie de poursuivre l’accompagnement des personnes âgées, d’autant plus isolées du fait de la propagation du virus, par les aides à domicile, ne pouvant dans ces conditions être reproché à l’employeur d’avoir voulu poursuivre durant cette période de confinement la formation des stagiaires en vue de les préparer à leur prise de poste et à leur intervention auprès des personnes fragilisées.
S’agissant de l’usage des masques de norme FFP2, l’AMAPA communique le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19 établi le 23 mars 2021 par le Ministère du travail dont il ressort que les masques FFP2 sont prioritairement réservés aux professionnels médicaux y compris les personnels en charge du dépistage du virus, à savoir du personnel réalisant des gestes invasifs ou effectuant des manœuvres sur les voies aériennes.
Le masque chirurgical notamment de type II était quant à lui prescrit dans le cadre de ce protocole pour la protection des autres professionnels de santé, des personnes à risque de forme grave de Covid.
Si ce protocole a pu par la suite évolué à travers sa nouvelle version en date du 28 février 2022 préconisant un extension des situations dans lesquelles le port du masque FFP2 était préconisé, en tout état de cause l’AMAPA démontre qu’à la date à laquelle Madame [O] [N] a contracté la maladie, elle respectait le protocole national de prévention et de sécurité en vigueur par la fourniture à son personnel de masques chirurgicaux de type II.
A la lumière du planning de travail de Madame [O] [N] établi pour le mois d’avril 2021, Madame [O] [N] intervenait auprès des personnes âgées principalement pour assurer l’entretien du logement et les repas.
Les quelques tâches d’aide à la toilette qui lui étaient confiées ne sauraient être considérées sur le plan médical comme des gestes invasifs ou des manœuvres sur les voies aériennes qui auraient nécessité le port de masques FFP2.
Enfin, et comme le relève justement l’AMAPA, celle-ci ne peut être tenue pour responsable des difficultés d’approvisionnement en vaccins sur le territoire national limitant en conséquence les opérations de vaccination.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît qu’au moment où Madame [O] [N] a été contaminée par le virus de la Covid-19, l’AMAPA avait mis en place les mesures de sécurité personnelle et collective nécessaires afin de limiter les risques de contamination à l’égard de ses salariés et suivant les préconisations et moyens existants à cette date, Monsieur [M] [R], sur qui repose la charge de la preuve, ne venant de son côté nullement démontrer des manquements en la matière de la part de l’employeur.
La condition relative à la preuve du défaut ou de l’insuffisance des mesures prises par l’employeur pour préserver la santé du salarié n’étant pas remplie, Monsieur [M] [R] sera par voie de conséquence débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’AMAPA, employeur de Madame [O] [N], ainsi que de ses demandes d’indemnisation subséquentes.
Sur l’action récursoire de la Caisse
La faute inexcusable de l’employeur n’étant pas reconnue, l’action récursoire de la Caisse est donc devenue sans objet.
Sur les dépens
En application de l’article R142-1-A du code de la sécurité sociale, sous réserve des dispositions particulières, les demandes portées devant les juridictions spécialement désignées en application des articles L. 211-16 , L. 311-15 et L. 311-16 du code de l’organisation judiciaire sont formées, instruites et jugées, au fond comme en référé, selon les dispositions du code de procédure civile.
L’article 696 du code de procédure civile dispose que « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Les conditions dans lesquelles il peut être mis à la charge d’une partie qui bénéficie de l’aide juridictionnelle tout ou partie des dépens de l’instance sont fixées par les dispositions de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020. »
En l’espèce, Monsieur [M] [R], partie perdante, sera condamné aux dépens.
Sur les frais irrépétibles
Suivant l’article 700 du code de procédure civile, « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 .
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %. »
En l’espèce, Monsieur [M] [R] étant partie perdante, sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera dès lors rejetée.
Sur l’exécution provisoire
En application de l’article R142-10-6 du code de la sécurité sociale, le tribunal peut ordonner l’exécution par provision de toutes ses décisions.
En l’espèce, au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.
Le Tribunal, après débats en audience publique, statuant publiquement par décision contradictoire, mise à disposition au greffe et rendue en premier ressort :
DECLARE recevables les demande formées par Monsieur [M] [R] en qualité d’ayant-droit de Madame [O] [N] ;
DECLARE le présent jugement opposable à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE ;
REJETTE les demandes formées par Monsieur [M] [R] aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’ASSOCIATION [8] ([8]) au titre de la maladie « Insuffisance respiratoire aiguë par infection à SARS-COV-2 » contractée par Madame [O] [N] ayant conduit à son décès survenu le 28 mai 2021 et prise en charge par la Caisse au titre du tableau 100 des maladies professionnelles et d’indemnisation subséquente tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’ayant-droit de Madame [O] [N] ;
CONDAMNE Monsieur [M] [R] aux dépens ;
REJETTE la demande formée par Monsieur [M] [R] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes, fins, et conclusions, plus amples ou contraires ;
DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025 par Grégory MALENGE, assisté de Laura CARBONI Greffière.
Le Greffier Le Président
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