L’Essentiel : La victime, [U] [J], a travaillé de 1954 à 1967 dans un atelier-mécanicien, développant un cancer broncho-pulmonaire reconnu comme maladie professionnelle en 2009. Après son décès, ses ayants droit ont demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, soutenus par le FIVA. La cour d’appel a rejeté leur demande, arguant que l’employeur n’avait pas conscience des dangers liés à l’amiante. Cependant, la Cour a critiqué cette décision, soulignant que l’employeur aurait dû être conscient des risques, remettant en question l’absence de reconnaissance de la faute inexcusable.
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Contexte de l’affaireLa victime, [U] [J], a été employée comme apprenti puis ouvrier en atelier-mécanicien de 1954 à 1967 par la société [7], devenue [5]. En mars 2009, elle a déclaré un cancer broncho-pulmonaire, reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles. Demande des ayants droitAprès le décès de la victime, ses ayants droit ont engagé une procédure pour obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) est intervenu dans le cadre de cette demande, subrogeant les droits des ayants droit suite à l’indemnisation versée. Arguments des partiesLes ayants droit et le FIVA ont contesté l’arrêt de la cour d’appel qui les déboutait de leur demande. Ils ont soutenu que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité, en n’ayant pas pris conscience des dangers liés à l’exposition à l’amiante. La cour d’appel a justifié sa décision en affirmant que la part d’activité de la victime au fond était marginale et que les éléments fournis ne permettaient pas de déterminer les conditions de travail précises de la victime. Analyse de la cour d’appelLa cour d’appel a conclu que les conditions de travail de la victime ne permettaient pas de déduire la conscience du danger par l’employeur, en se basant sur l’absence de preuves claires concernant l’exposition à l’amiante. Elle a également noté que les travaux impliquant des matériaux amiantés étaient occasionnels, ce qui a conduit à l’absence de reconnaissance de la faute inexcusable. Réponse de la CourLa Cour a rappelé que le manquement à l’obligation de sécurité constitue une faute inexcusable si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger. Elle a critiqué la cour d’appel pour ne pas avoir examiné si, au regard des réglementations en vigueur, l’employeur n’aurait pas dû être conscient des risques encourus par la victime, ce qui a conduit à une décision sans base légale. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur selon le Code de la sécurité sociale ?La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est régie par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, qui stipule : « Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » Ainsi, pour établir la faute inexcusable, il faut prouver que l’employeur avait connaissance du danger ou aurait dû en avoir conscience, et qu’il a omis de prendre les mesures de protection adéquates. Il est également important de noter que la jurisprudence a précisé que cette conscience du danger doit être appréciée au regard des connaissances scientifiques et des réglementations en vigueur à l’époque des faits. Comment la cour d’appel a-t-elle justifié sa décision concernant l’absence de faute inexcusable de l’employeur ?La cour d’appel a justifié sa décision en indiquant que la victime avait réalisé des travaux d’entretien et de maintenance d’engins, impliquant des tâches telles que découper et gratter des équipements contenant de l’amiante. Elle a relevé que : « Il n’est pas possible de déterminer si les tâches étaient réalisées au jour ou au fond et que les travaux sur les garnitures de freins n’intervenaient qu’occasionnellement. » Cela a conduit la cour à conclure que les conditions effectives de travail de la victime ne permettaient pas d’en déduire la conscience du danger que devait avoir l’employeur, en particulier pour une période s’achevant en 1967. Cependant, cette analyse a été critiquée car la cour n’a pas examiné si, au regard des dispositions réglementaires applicables, l’employeur n’aurait pas dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié. Quels articles du Code du travail sont pertinents dans cette affaire concernant la sécurité au travail ?Les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail sont particulièrement pertinents dans cette affaire. L’article L. 4121-1 dispose que : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » L’article L. 4121-2 précise que : « Ces mesures comprennent : 1° L’évaluation des risques qui ne peuvent pas être évités ; 2° La lutte contre les risques ; 3° La prise en compte de l’évolution de la technique ; 4° L’adaptation à l’évolution de la demande ; 5° La prise en compte de l’état d’évolution de la technique. » Ces articles imposent à l’employeur une obligation de sécurité qui va au-delà de la simple prévention des accidents, englobant également la protection contre les maladies professionnelles, comme celles causées par l’inhalation de poussières d’amiante. La cour d’appel aurait dû examiner si l’employeur avait respecté ces obligations au regard des connaissances et réglementations de l’époque. |
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 janvier 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 9 F-D
Pourvoi n° U 22-24.163
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025
1°/ Mme [D] [P], veuve [J], domiciliée [Adresse 2],
2°/ Mme [R] [J],
3°/ Mme [X] [S],
4°/ Mme [I] [S],
ces trois dernières domiciliées [Adresse 3],
toutes quatre agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité d’ayants droit de [U] [J], décédé le 6 décembre 2010,
ont formé le pourvoi n° U 22-24.163 contre l’arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d’appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, dont le siège est [Adresse 11],
2°/ à la caisse primaire d’assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société [5], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
4°/ à M. [B] [O], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire ad litem de la société [8],
défendeurs à la cassation.
Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation auquel les demanderesses au pourvoi principal s’associent.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pédron, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [D] [P], veuve [J], Mme [R] [J], Mme [X] [S] et Mme [I] [S], en leur nom personnel et en qualité d’ayants droit de [U] [J], de la SARL Le Prado – Gilbert, avocat du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [5], et l’avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l’audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Pédron, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Nancy, 19 octobre 2022) et les productions, [U] [J] (la victime), qui a travaillé, du 4 octobre 1954 au 20 mai 1967, comme apprenti puis ouvrier en atelier-mécanicien pour la [9], exploitée par la société [7], devenue [5] (l’employeur), a déclaré, le 25 mars 2009, un cancer broncho-pulmonaire pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie de la Meurthe-et-Moselle (la caisse), au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
2. Les ayants droit de la victime, décédée des suites de sa pathologie, ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
3. Subrogé dans les droits de ceux-ci à la suite de l’indemnisation versée, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (le FIVA) est intervenu à l’instance.
Sur le moyen du pourvoi principal, formé par les ayants droit de la victime, et le moyen du pourvoi incident, formé par le FIVA, pris en sa seconde branche, réunis
Enoncé des moyens
4. Les ayants droit de la victime et le FIVA font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et des conséquences indemnitaires y afférentes, alors :
– sur le moyen du pourvoi principal,
« que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; qu’en l’espèce, pour écarter l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, la cour d’appel a énoncé, en substance, que la part d’activité au fond du salarié était marginale, que les pièces produites ne permettaient pas de déterminer si les tâches exposant le salarié à l’inhalation de poussières d’amiante étaient réalisées au fond ou au jour de sorte que ces pièces ne permettraient pas d’établir de façon circonstanciée les conditions effectives de travail de la victime en particulier celles au fond ou celles au jour et partant d’en déduire la conscience du danger que devait en avoir l’employeur portant sur une période s’achevant en 1967 et les mesures qui devaient être prises en conséquence ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme l’y invitaient leurs écritures d’appel, si compte tenu, entre autres, de la création en 1945 et 1950 des tableaux n° 25 et 30 de maladies professionnelles liées à l’inhalation de poussières d’amiante mais également des décrets n° 51-508 du 4 mai 1951 et n° 59-285 du 27 janvier 1959 relatifs à l’exploitation des mines de combustibles minéraux solides ainsi que de l’instruction du 30 novembre 1956 préconisant des mesures de protection individuelles et collectives contre les poussières tant au fond qu’en surface, un employeur ayant l’importance, l’organisation, l’activité et les moyens de l’entreprise [7] n’avait pas ou n’aurait pas dû avoir conscience du danger auquel les tâches confiées au salarié l’exposaient, que celles-ci aient été exécutées au fond ou au jour, et s’il n’avait pas néanmoins négligé de prendre des mesures de prévention, la cour d’appel, qui avait pourtant elle-même retenu qu’au service de la société [7] et durant la période considérée, le salarié avait exécuté des travaux l’exposant de manière habituelle au risque d’inhalation de poussières d’amiante, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; »
– sur la seconde branche du moyen du pourvoi incident,
« en tout état de cause, que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que, pour écarter la faute inexcusable des sociétés [5] et [8] à l’origine de la maladie professionnelle dont la victime est décédé, la cour d’appel a énoncé que la part d’activité au fond du salarié était marginale, que les pièces produites ne permettaient pas de déterminer si les tâches exposant le salarié à l’inhalation de poussières d’amiante étaient réalisées au fond ou au jour de sorte que ces pièces ne permettaient pas d’établir de façon circonstanciée les conditions effectives de travail de la victime en particulier celles au fond ou celles au jour et partant d’en déduire la conscience du danger que devait en avoir l’employeur portant sur une période s’achevant en 1967 et les mesures qui devaient être prises en conséquence ; qu’en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée par l’exposant, si, compte tenu de l’exposition avérée de la victime à l’inhalation de poussières d’amiante dans le cadre des fonctions exercées au service de la société [10], devenue [5], et de la société [8], de l’inscription des affections respiratoires liées à l’amiante dans un tableau des maladies professionnelles à partir de 1945 (tableau n° 25 des maladies professionnelles), des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l’époque, de la réglementation relative à la protection contre les poussières alors en vigueur et de l’importance, de l’organisation et la nature de l’activité de l’employeur, celui-ci n’avait pas ou n’aurait pas dû avoir conscience du danger encouru par la victime en raison de son exposition reconnue à l’inhalation de poussières d’amiante, qu’il ait travaillé au fond ou au jour, et s’il n’avait pas omis de prendre les mesures de prévention nécessaires à l’en préserver, la cour d’appel, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »
Vu l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :
5. Il résulte de ces textes que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
6. Pour dire que l’employeur n’a commis aucune faute inexcusable, l’arrêt, après avoir relevé que la victime avait réalisé de façon habituelle des travaux d’entretien et de maintenance d’engins impliquant de découper et de gratter des équipements contenant des matériaux amiantés, retient qu’il n’est pas possible de déterminer si les taches étaient réalisées au jour ou au fond et que les travaux sur les garnitures de freins n’intervenaient qu’occasionnellement. Il conclut que les conditions effectives de travail de la victime ne permettent pas d’en déduire la conscience du danger que devait avoir l’employeur portant sur une période s’achevant en 1967.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’il lui était demandé, si, au regard des dispositions réglementaires applicables et notamment du décret du 31 août 1950 instaurant le tableau n° 30 des maladies professionnelles, l’employeur, compte tenu de son importance, de son organisation et de la nature de son activité, n’aurait pas dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
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